Marie Redon, maître de conférences HDR en géographie à l’Université Paris 13, poursuit ses recherches au sein du laboratoire Pléiade où elle co-dirige l’axe « Marges, inégalités, vulnérabilités » ; elle est membre du Comité de rédaction d’EchoGéo et des Cahiers d’Outre-Mer. Sa thèse, soutenue en 2007, portait sur l’étude d’îles traversées par une frontière internationale (Haïti/République Dominicaine, Saint-Martin/Sint-Maarten et Timor Leste/Indonésie) et a été éditée en 2010 par les Presses de l’Université du Mirail. Son habilitation à diriger des recherche, soutenue en 2017, porte sur la géographie des jeux d’argent ; un ouvrage sur ce thème est en préparation. En mai 2019, Marie Redon a publié un ouvrage édité aux Éditions du Cavalier bleu s’intitulant : « Géopolitique des îles »
En ce mardi 24 septembre 2019, elle est l’intervenante du Café Géo de rentrée dont le titre « Un monde d’îles » laisse entrevoir un monde à l’écart du reste du monde comme si les îles échappaient aux problématiques d’aujourd’hui.
Élisabeth Bonnet-Pineau invite Marie Redon à définir l’île même si « elle s’impose comme une évidence ». En réalité, c’est une fausse évidence géographique même si François Doumenge a recensé des critères objectifs qui forment une « grille d’évaluation du degré d’insularité ».
Définir l’île, c’est introduire une réflexion sur les notions d’île et d’insularité et sur celles d’île et d’îléité.
Le monde des îles est familier à Marie Redon depuis l’enfance ; elle a toujours abordé les îles, notamment celle de la Méditerranée, aux côtés de son père, navigateur à ses heures, avec une grande curiosité.
Ile, insularité et îléité
La définition de l’île, de loin la plus évidente, consiste à envisager une étendue entourée d’eau. « L’île s’oppose au continent en ce qu’elle contient, en ce qu’elle réalise, de par sa forme close et clairement perceptible, l’objet géographique par excellence (…) l’île apparaît d’emblée transparente au discours que l’on tient sur elle » écrivait Franck Lestringnant en 1980.
D’autres critères de définition de l’île doivent entrer en ligne de compte : l’idée de limite, d’abord, inhérente à sa forme, dont participe la rupture entre la terre et la mer et l’isolement vis-à-vis du continent qui en découle.
Christian Depraetère (1991) souligne le rôle de l’échelle dans l’appréhension des îles : à grande échelle, elles apparaissent bien plus petites et nombreuses qu’à l’échelle de la mappemonde, où elles sont dénombrables. Afin d’éviter ce vertige de l’infinité insulaire, l’auteur a choisi des îles dont la superficie est comprise entre 100 et 1 000 000 km², donc mesurables à partir de cartes du monde au 1/100 000 : il dénombre ainsi 1 085 îles dont la plus grande est la Nouvelle-Guinée (786 000 km²) et affirme le choix délibéré d’une approche globale et normative du phénomène insulaire. Quelque 460 000 îles sont référencées par une base de données constituée par le programme des Nations unies pour l’environnement et l’Institut de recherche pour le développement, mais Eurostat prend une autre référence.
Les indices chiffrés sont insuffisants pour définir l’île, qui, de ce fait offre un « nid de contradictions » selon Pierre Gourou (1973) et un véritable enjeu géopolitique : de la définition de l’île dépend en effet celle des Zones économiques exclusives (ZEE). Le Tribunal international de La Haye, arbitrant en juillet 2016 au sujet du différend opposant la Chine aux Philippines quant aux îles Spratley, a rappelé que l’île devait être d’origine naturelle et restée découverte à marée haute ; elle doit aussi se différencier du « rocher », ne permettant pas le développement, sur son sol, d’activités économiques ou de peuplement (voir les écrits du spécialiste du droit maritime Yann Tephany).
Si l’île est une fausse évidence, deux notions ont été forgées à partir du terme : l’insularité englobe l’ensemble des manifestations engendrées par la situation géographique spécifique de discontinuité entre terre et mer inhérente aux îles. L’analyse de l’insularité s’appuie notamment, mais pas uniquement, sur des données quantifiables et débouche sur la définition de différents indices permettant de classer, selon des critères variés, les îles entre elles. Le calcul de ces indices cherche à répondre à la question de savoir si certaines îles sont plus « insulaires » que d’autres. Dans les années 1980, le géographe montpelliérain François Doumenge a conçu une grille d’évaluation de l’insularité comportant un critère de taille, des critères morphologiques, croisés avec l’importance de la population et le poids économique de l’île.
A peu près au même moment (1986), Guy Lasserre tentait également de définir l’île, en s’appuyant sur différentes conceptions existantes. Les « caractères insulaires » se déclinent selon lui principalement en termes de problèmes et de contraintes. En identifiant des problèmes communs, on identifie des espaces aux caractéristiques proches reposant sur l’isolement, l’exiguïté des terres et l’environnement maritime. Il en découle un certain nombre de contraintes insulaires : le caractère « lilliputien » des États (seuils de 200 000 habitants et de 4 000 km²) ou encore leur viabilité économique problématique, la tentation que représentent les plus grandes îles par leur intérêt stratégique.
Quant à Abraham Moles, il propose dès 1982 dans le cadre de sa nissonologie, une approche des îles en termes de représentations et de modalités de perceptions de l’espace. La rupture maritime implique un processus « sacralisé depuis des siècles », celui du franchissement d’une discontinuité. Cette entrée subjective, donc, dans la définition de l’insularité, permet de contester, ou de compléter, la taxinomie des îles reposant sur des bases euclidiennes ou démographiques.
Abraham Moles développe une autre notion dérivée de l’île, l’îléité, qui renvoie davantage à la conscience du phénomène insulaire et au mode de vie qui y est associé – un ethos insulaire, en quelque sorte. Pour Françoise Péron, « l’île fonctionne toujours simultanément sur le double registre de l’insularité dans ses paramètres géographiques et sociaux comptabilisables, et celui de l’îléité dans sa dimension métaphorique avec le cortège de mythe et légende qui l’accompagnent » (Péron, 1996, p. 80). Autrement dit, l’îléité constitue la dimension perçue, représentée et vécue de l’île.
Élisabeth Bonnet-Pineau invite Marie Redon à développer en premier thème : les îles face à la mondialisation. Loin d’être à l’écart des dynamiques du monde contemporain voire d’être des lieux périphériques, les îles font pleinement partie des réseaux et sont connectées avec le proche et le lointain. Sont-elles acteurs à part entière ?
Certaines entretiennent la dérogation, la transgression, le contournement, deviennent-elles des territoires de l’illicite ?
Peut-on parler d’une vulnérabilité de l’île selon le degré d’ouverture ?
Les îles dans la mondialisation
Ce « monde d’îles » est présent à travers un imaginaire géographique nourri de représentations des îles ; nous sommes bel et bien dans un monde dont les îles constituent des clés de compréhension. Éléments isolés des dynamiques de la mondialisation dans des images fantasmées, les îles relèvent aujourd’hui du « global », et ce pour plusieurs raisons selon Marie Redon :
- la conférence de Montego Bay, en 1982, donna lieu à la rédaction d’une CNUDM (Convention des Nations unies sur le droit de la mer). Instaurant une forme de législation internationale permettant de trancher les conflits maritimes internationaux, elle accélère le processus de réduction de la haute-mer en instaurant les ZEE. Or, ces ZEE s’appuient sur la possession d’îles et d’îlots qui se retrouvent donc bel et bien au cœur de la mondialisation.
- l’accessibilité des îles lointaines et leur imaginaire homogénéisé participent à l’intégration, voire au formatage des îles à une échelle mondiale.
- de nombreuses îles, qui correspondent parfois à des États à faibles ressources, ont fait des dérogations et exemptions des atouts majeurs dans le cadre de leur politique de développement. Haïti a systématiquement multiplié les zones franches industrielles ; la partie hollandaise de Saint-Martin fonde son attrait touristique sur le shopping détaxé ; que seraient les Bahamas ou les Îles Caïmans sans leurs facilités bancaires et fiscales exorbitantes ? De ce point de vue, les États insulaires disposant de lieux « hypermondialisés » peuvent être mis sur le même plan que les paradis fiscaux, parmi lesquels l’OCDE compte essentiellement des îles. Marie Redon rappelle à cette occasion que la notion de paradis fiscal reste toutefois très relative, puisque chaque État possède sa propre perception d’un paradis fiscal, en fonction de sa fiscalité. Nathalie Bernardie-Tahir a par ailleurs livré une réflexion sur les paradis fiscaux et leur rapport à l’insularité dans son ouvrage L’Usage de l’île en 2011 ;
- la mondialisation passe aussi par des circulations de données – sans pour autant être immatérielle ! Ainsi, depuis la fin des années 1990, les casinos en ligne et les sites enregistrant des paris sportifs non licenciés, c’est-à-dire non autorisés, foisonnent dans des pays à faible régulation ou dans des États ou territoires insulaires : ce sont là les pôles du réseau global des jeux en ligne. Pour certains territoires comme Antigua, Malte, Saint-Christophe-et-Niévès, Chypre ou la Finlande (via l’île d’Åland), l’accueil de tels services en ligne est devenu l’enjeu de véritables stratégies économiques nationales ; des micro-territoires, comme Gibraltar, accordent également des licences internationales. Marie Redon parle de cyber-districts insulaires pour désigner ces territoires qui ne sont pas nécessairement des îles au sens topographique du terme, mais qui relèvent des zones grises et appliquent une distance vis-à-vis des lois du continent ou de la métropole.
Le deuxième thème retenu porte sur les îles des Méditerranées, Méditerranée eurafricaine et Méditerranée américaine. La notion de Méditerranée renvoie à des interrelations entre les territoires qui constituent une « Méditerranée » et à des formes de dissymétrie entre les deux rives selon Roger Brunet.
Marie Redon complète cette définition de Roger Brunet pour qui la notion de méditerranée désignait :
- « un ensemble quasi fermé,
- formé par un rivage relativement continu,
- entourant une masse d’eau de dimension suffisante pour que
- le rivage soit lui-même différencié des terres d’arrière-pays
- et que les liaisons ne soient pas immédiates,
- mais assez limitée pour que la navigation soit aisée et les trajets d’assez courte durée ».
Plusieurs mers, outre la Méditerranée éponyme peuvent donc en porter le nom. Points d’appui stratégiques pour les puissances riveraines bien avant Montego Bay, les îles de ces mers fermées portent aussi une histoire migratoire longue. Les Méditerranées eurafricaine et caribéenne sont des « points névralgiques des flux migratoires ».
Depuis 2013, des contradictions frappent le système migratoire européen et eurafricain : alors que Frontex (devenue en 2016 l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes) établit un régime juridique unique pour tout l’espace Schengen, l’espace intra-européen est partagé entre des territoires aux fonctions distinctes. Dans cette situation incertaine et dynamique, les îles méditerranéennes filtrent.
Lampedusa est sans doute le cas le plus médiatisé tant cette île d’à peine plus de 20 km² de l’archipel des Pélages, peuplée d’environ 6 300 habitants, fait figure de radeau de la Méduse à proximité de la Tunisie et de la Libye qui bordent le canal de Sicile. En 2011, plus de 50 000 migrants y sont arrivés ; en 2013, un naufrage a fait environ 300 morts aux abords de l’île, quelques semaines après la venue du Pape qui s’y était rendu pour attirer l’attention du monde sur la situation de ces migrants ; en 2015, un « hotspot » y a été créé, dispositif visant à améliorer le procédé servant à identifier, enregistrer et prendre les empreintes digitales des migrants : « Lampedusa, îlot débordant par le flot » titrait le quotidien Libération en 2015… En 2017, l’île n’aurait vu passer « que » 9 000 migrants sur environ 120 000 arrivés en Italie dans l’année.
En Grèce, l’un des premiers « hotspots » se trouve sur l’île de Lesbos, d’autres sont en projet sur les îles de Chios, Samos, Kos et Leros.
Dans la méditerranée américaine, la situation est très différente notamment en raison d’une forte émigration. D’après l’Atlas Caraïbe mis en ligne par l’Université de Caen, ces flux concernent les Grandes et Petites Antilles :
Haïti est un pays d’émigration nette, une part significative de sa population vit à l’étranger puisqu’on estime que c’était le cas de 1,2 million d’Haïtiens en 2015, soit plus de 11 % de la population. La réalité de la présence haïtienne à l’étranger est toutefois très difficile à évaluer avec précision étant donnée la part des migrations clandestines et la diversité des sources ; certaines estimations s’élèvent à 2 millions de personnes. Les principales destinations d’émigration sont les États-Unis, qui accueillent près de la moitié des émigrés haïtiens, la République dominicaine, le Canada et la France.
En abordant le troisième thème, Élisabeth Bonnet-Pineau invite Marie Redon à revenir sur « son terrain de thèse » en développant le cas des îles partagées, des îles marquées par une frontière. Il existe une dizaine de cas majeurs d’îles partagées en deux entités distinctes.
Dans la conclusion de sa thèse, Marie Redon soulignait que » Le face à face nécessaire » peut être un levier de développement, et que « le dos à dos impossible » se traduit par une rupture avec le continent et est une rupture de la plénitude insulaire.
Marie Redon identifie trois types de relations possibles entre îles et frontières :
- Quelles frontières pour les îles ? Les questions des limites maritimes et de la délimitation des ZEE se posent en effet de façon accrue depuis 1982.
- Certaines îles se trouvent, comme dans le cas des Méditerranées précédemment évoqué, en situation de frontière, d’interface : elles constituent moins des espaces frontaliers (qui se situent topographiquement aux frontières) que des espaces-frontières, dont l’organisation témoigne des dynamiques portées par le différentiel spatial qu’implique la frontière. Christian Fleury a effectué sa thèse sur ces cas d’îles frontières.
- D’autres îles sont divisées par une frontière internationale : c’était l’objet de la thèse de Marie Redon.
Elle expose ici les cas de Chypre et de Saint-Martin, significativement situées dans chacune des deux Méditerranées évoquées, et elles offrent un fonctionnement très différent.
Le cas de Chypre, entrée récemment dans l’Union européenne en 2004 tout comme Malte, offre un cas emblématique de géopolitique.
Chypre, située à la croisée d’axes nord-sud et est-ouest, est située dans la partie ma plus orientale de la Méditerranée, face au Proche-Orient. Sa partition remonte à la présence des Ottomans sur cette île à majorité grécophone de 1571 à la fin du XIXe siècle ; jusqu’à 1960, elle sera contrôlée par la Grande-Bretagne. Lorsque la République de Chypre accède à l’indépendance, on trouve sur l’île des populations grécophones et turcophone, de l’ordre de 20 à 30 % des insulaires.
Deux tendances nationalistes opposées se défient sur l’île et les affrontements se sont multipliés entre les deux communautés pendant les années 1960. Une mission des Nations unies, la Force des Nations unies chargée du maintien de la paix à Chypre y a été mise en place en 1964…. Et perdure !
En 1974, un coup d’État est organisé par la « dictature des Colonels » pour rattacher l’île à la Grèce. En réaction, l’armée turque a débarqué dans la partie nord de l’île pour protéger les populations turcophones sur place.
Des mouvements de population ont alors eu lieu dans les sens, du nord au sud et inversement, les populations turcophones allant s’installer dans le nord de l’île et les Grécophones contraintes de s’exiler au sud de l’île. L’indépendance de la République turque de Chypre Nord (RTCN) date de 1983 et n’est reconnu comme État que par la Turquie « continentale ».
De nombreux Chypriotes grecs et turcs se sont aussi exilés en Grande-Bretagne. En 2004, toute l’île est entrée dans l’Union européenne puisque la RTCN n’existe officiellement pas, et donc tous les Chypriotes sont des citoyens européens, même si l’île n’est pas une destination privilégiée des flux de réfugiés en provenance de Syrie.
Le cas de Saint-Martin offre une situation très différente, celle d’une économie fondée sur les jeux d’argent et le laisser faire…
Dans l’espace caribéen, ou Méditerranée américaine, Saint-Martin joue l’île pirate mais, à la différence de Chypre Nord, ce n’est pas un espace dérogatoire imposé comme en RTCN par la Turquie. Au contraire, les insulaires aspirent à s’émanciper des métropoles.
La partie française de cette île des Petites Antilles a le statut de Collectivité d’outre-mer (COM) depuis 2007 tandis que la partie néerlandaise a le statut d’État autonome dépendant des Pays-Bas. Une des caractéristiques majeures de l’île réside dans un jeu de concurrence et de complémentarité entre ces deux parties de l’île.
Questions de la salle :
1-Que peut-on dire de l’attitude chinoise à propos des litiges insulaires en mer de Chine méridionale ?
Prenons l’exemple du contentieux entre la Chine et les Philippines à propos d’îlots et de récifs de l’archipel des Spratley. Malgré une décision de la juridiction internationale de La Haye favorable aux Philippines en juillet 2017, la Chine maintient ses prétentions d’autant plus qu’elle développe sa marine de guerre et devient une grande puissance maritime en mesure de consolider ses positions dans les îlots disputés.
2-A propos des paradis fiscaux la France semble ignorer ses îles et exploiter plutôt des pays continentaux voisins comme le Luxembourg et la Suisse. Qu’en pensez-vous
Dans les années 1980-1990, la France a pris des mesures de défiscalisation (loi Pons) dans les Antilles (Saint-Martin, Martinique…). Mais il s’agit davantage d’optimisation fiscale peu comparable, par exemple, avec les paradis fiscaux des outre-mers britanniques.
3-Les îles sont-elles les territoires de la planète les plus sensibles au changement climatique ?
Certaines îles basses (Maldives, Tuvalu, Kiribati…) apparaissent vulnérables face au changement climatique, particulièrement devant la montée des eaux. Les PEID (Petits États Insulaires en Développement) forment un groupe de petits États depuis 1992 au sein de l’ONU qui apparaissent comme les emblèmes des victimes du changement climatique et comme la métaphore de ce qui peut arriver à l’humanité (« syndrome du canari dans la mine » selon le géographe Jean-Christophe Gay). Concrètement ils ne regroupent qu’une population relativement peu importante de victimes potentielles du changement climatique (50 millions de personnes environ) si l’on compare avec les foules peuplant le Bangladesh et les grands deltas asiatiques affectés, dès aujourd’hui et surtout dans l’avenir, par la montée des eaux. Mais ils représentent des symboles très visibles sur la scène internationale.
4- Qu’en est-il du « collier de perles » que la Chine serait en train de constituer ?
La stratégie du « collier de perles » est une expression désignant l’installation par la marine de guerre chinoise de points d’appui (les « perles ») le long de sa principale voie d’approvisionnement maritime vers le Moyen-Orient. Mais si le contrôle d’une voie maritime majeure reste plus que jamais une nécessité de premier plan, il est complété par une volonté de disposer des espaces maritimes toujours plus essentiels pour exploiter des ressources halieutiques et pétrolières, d’où l’attitude chinoise d’obtenir gain de cause dans les litiges insulaires en mer de Chine (la souveraineté chinoise étant alors synonyme d’exploitation des ZEE délimitées à partir des îles et îlots revendiqués).
5-Et les îles de l’Arctique ? Leur rôle risque d’être réévalué avec le réchauffement climatique.
Dans le milieu arctique, les enjeux de certains îlots vont eux aussi se modifier du fait du changement climatique et entretenir des contentieux entre certains États. Ainsi le Canada et le Danemark (nord du Groenland) ont depuis peu un différend à propos de l’île Hans (minuscule caillou d’un kilomètre carré perdu dans un détroit glacé) située dans le canal Kennedy entre le Groenland et l’île la plus septentrionale du Canada, l’île d’Ellesmere.
6-Que peut-on dire sur l’île de Timor ?
L’île de Timor est une île située à l’est de l’archipel indonésien, la plus grande des îles de la Sonde. Les Portugais s’y installent au début du XVIe siècle mais laissent les Hollandais occuper l’ouest de l’île au XVIIe siècle. La division de Timor est donc très ancienne. La partie occidentale, occupée par les Pays-Bas, est finalement intégrée dans les Indes néerlandaises, qui proclament leur indépendance en 1945 sous le nom de République d’Indonésie. La partie orientale, colonie portugaise jusqu’à la révolution des œillets, accède à l’indépendance en 1975 mais le Timor oriental est envahi par l’Indonésie. Il s’ensuit une résistance (guérilla, action diplomatique internationale) contre l’annexion indonésienne. A la suite du référendum de 1999 et de l’arrivée d’une mission militaire de l’ONU, le Timor oriental (Timor-Leste) est reconnu en 2002 comme État indépendant. Ce petit État, essentiellement agricole, doit partager d’importantes ressources pétrolières offshore avec l’Australie voisine. Des projets de casinos doivent voir le jour pour satisfaire la clientèle entre autres indonésienne. Et le Timor attend depuis 2011 d’entrer dans l’ASEAN.
7-Comment votre itinéraire de chercheuse a-t-elle transformé vos représentations des îles ?
Petite, j’ai découvert en famille les îles de la Méditerranée. Ce qui m’a marquée c’est sans doute l’expérience du franchissement, des heures de navigation nécessaires pour aller d’une île à l’autre, l’excitation en débarquant sur une nouvelle île. Adolescente, j’ai découvert d’autres îles dans les Caraïbes. Devenue chercheuse, je cherche à synthétiser ma réflexion sur les îles. Voyageant en avion, j’ai perdu le temps plus long de la traversée maritime pour atteindre les îles, j’ai perdu quelque chose de fort qui se rattache à l’expérience en bateau pour aborder ces petits morceaux de terre au milieu des mers et des océans.
Compte rendu rédigé par Élisabeth Bonnet-Pineau et Mélanie Le Guen, relu par Marie Redon, novembre 2019.