Vers la création d’un Observatoire de l’enseignement de l’histoire en Europe

 

Le centre d’Histoire de Sciences Po a retransmis par zoom un séminaire consacré à l’enseignement de l’histoire en Europe (celle des pays siégeant au Conseil de l’Europe), à partir du rapport d’Alain Lamassoure (1) montrant une grande méconnaissance de ce sujet par les élèves et étudiants.

 

Alain Lamassoure insiste sur ce que sa double expérience de député du Pays basque et de député européen lui a appris : le besoin de bien connaitre l’histoire pour réaliser le « gros œuvre de notre temps », c’est-à-dire le chantier européen, ce « miracle historique » de la conjuration de la malédiction de la guerre. Pas d’art de la paix sans connaissance historique.

Comment répondre à l’angoisse identitaire de nos contemporains ?

 

L’enseignement de l’Histoire a-t-il une responsabilité dans la montée des populismes ? Si on fait l’état des lieux, on peut distinguer trois catégories de pays.

 

Dans un premier ensemble, regroupant plus de 50% de la population, l’histoire est présentée comme un roman national. Là où des conflits ont été gelés, il s’agit de retransmettre des ressentiments anciens à la génération suivante.  Plusieurs exemples peuvent être cités, parmi lesquels la Bosnie-Herzégovine et l’Irlande du Nord. Dans le premier cas, la communauté internationale a financé la reconstruction d’écoles à condition qu’elles scolarisent les enfants des trois communautés ensemble… Ce qu’elles font, mais chacune à un étage, avec un programme d’histoire différent. Quant à l’Ulster, élèves catholiques et élèves protestants y apprennent que leurs parents ont été victimes des « autres ».

 

L’Europe du Nord constitue un deuxième groupe. L’enseignement du passé embarrasse les autorités politiques et universitaires. Qu’enseigner ? Dans quel but ? Selon quels critères moraux ? Deux principes marquent cet enseignement, l’achronisme (absence de repères temporels) et l’anachronisme éthique (Il n’est plus question d’évoquer les grands personnages qui sont tous des « salauds » et de toute façon, tout caractère national, et même européen, sent le soufre). Aux Pays-Bas, depuis les années 1970, par refus de la culture nationale, on a privilégié les thèmes transversaux, des « canons » (une quarantaine) parmi lesquels les enseignants font leur choix. Le risque est de former une génération d’amnésiques.

 

Dans le troisième groupe, la situation est plus satisfaisante car on cherche à concilier compétences et connaissances et on promeut la volonté de réconciliation avec les pays voisins. C’est le cas des länder allemands, de la France, de l’Italie, du Portugal et de l’Espagne (à l’exception de la Catalogne et du Pays Basque).

 

Nous manquons d’instruments de mesure pour juger des résultats. Une étude réalisée au Royaume-Uni fait néanmoins frémir les professeurs d’Histoire : 26% des jeunes de 16 à 29 ans croyaient que la IIème Guerre Mondiale avait opposé la France et la Grande-Bretagne… une confusion, sans doute, entre deux personnages flamboyants, Richard Cœur de Lion et Churchill.

 

Que faire ?

 

Alain Lamassoure fait une proposition en quelques points.

 

Sur le plan stratégique, la modération est de mise. Il faut respecter les compétences nationales, ne pas s’immiscer dans le choix des Etats mais faire connaitre la situation de l’enseignement de l’Histoire propre à chaque pays.

 

Pour renforcer la connaissance de l’Histoire européenne, on dispose déjà de plusieurs atouts dans beaucoup de pays. Si le manuel franco-allemand reste une exception, plusieurs réseaux assurent un lien entre les enseignants comme Euroclio (présent dans tous les pays du Conseil de L’Europe) et Civica (Sciences Po). Ils peuvent aussi consulter des sites Internet tels Europedia et l’EHNE(2).

On peut faire le pari d’utiliser la pression de la société civile en transposant aux sciences humaines les évaluations de PISA (comparaisons des méthodes et des résultats du savoir des élèves par matière).

 

Point le plus important : les outils à mettre en place. Un observatoire de l’enseignement de l’Histoire est en cours de création au Conseil de l’Europe. Il agira comme révélateur en donnant une photo de l’état des lieux de cet enseignement, tous les deux ou trois ans, à travers des publications portant sur la place de l’Histoire dans l’enseignement, l’élaboration des programmes, leur contenu, le statut des manuels… Il donnera aussi lieu à des débats à chaque parution. Il ne faut pas oublier que dans de nombreux pays, l’Histoire n’est qu’une matière à option, que, dans d’autres, les manuels sont soumis à la certification du pouvoir et qu’enfin la moitié des pays de l’UE n’enseignent pas sa construction.

 

Des initiatives sont à encourager comme les échanges entre professeurs d’Histoire de lycée au sein de l’Europe. Alain Lamassoure propose aussi comme nouveau critère d’adhésion à l’UE une réconciliation mémorielle avec les pays voisins.

 

Il faut reconnaitre que tous les pays ne sont pas dans la même situation vis-à-vis  de leur Histoire. Alors que la France a une Histoire assez linéaire, d’autres pays ont un passé beaucoup plus complexe, telle la Pologne qui a du mal à échapper au récit victimaire. Pour les pays ayant connu plusieurs régimes autoritaires, comme la Roumanie, la mise à jour du récit national est perturbante.

 

On ne peut avoir la même mémoire des grandes dates (3). Si en France, le 11 novembre, on célèbre un événement heureux, la fin des combats de la Grande Guerre, pour certains  Allemands cette date évoque le « coup de poignard dans le dos » du gouvernement de Weimar(4). Quant aux Autrichiens, ils fêtent le début du Carnaval….

Le narratif commun des Européens doit être une symphonie de récits. On peut faire une Histoire nationale qui ne soit pas nationaliste.

 

 

Le deuxième intervenant, Thierry Chopin, a rédigé un rapport, pour l’Institut Jacques Delors, sur l’enseignement de l’Europe dans l’enseignement secondaire en France. Ce rapport qui contient une dimension comparative avec d’autres pays européens, a été réalisé dans le contexte que nous connaissons actuellement, celui de la montée des populismes et de l’euroscepticisme.

 

Le constat de la première partie révèle plusieurs insuffisances de notre enseignement : analyse trop largement auto-centrée, place limitée occupée par l’Est de l’Europe et les « petits pays », « logique de projection » de l’histoire hexagonale sur le reste de L’Europe, faible rôle accordé aux valeurs européennes dans l’Education Morale et Civique, en géographie, relégation de l’échelle européenne à la portion congrue.

Thierry Chopin note, dans une seconde partie, les difficultés structurelles sur lesquelles bute tout enseignement sur l’Europe (dans tous les sens du terme). D’abord c’est un sujet clivant. Et en ce « nom flottant » (Lucien Febvre) d’Europe, qu’enseigner ? Un patrimoine ? Des enjeux géopolitiques ? Des formes d’adhésion ?

La France constitue un cas particulier car son Histoire est intimement liée à la consolidation de la République.

 

Alors quelles préconisations faire ?

Il est avant tout nécessaire de donner plus de repères aux élèves du secondaire. Et il serait bon de compléter les récits nationaux par un récit européen sur des sujets tels que le féodalisme, la Révolution industrielle, etc.

 

 

La vocation civique et citoyenne de l’enseignement de l’Histoire est primordiale, surtout dans un contexte de montée des radicalités qui fragilise la démocratie libérale. Il permet de développer des qualités de pensée critique ?

 

 

 

Notes :

 

1) Alain Lamassoure a été député (UMP puis LR), ministre des Affaires européennes puis ministre délégué au Budget. Il a toujours manifesté son attachement à la construction européenne, particulièrement en tant que député européen de 1999 à 2019.

2) Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe.

3) Cette observation me rappelle une expérience menée au lycée de Sèvres qui comporte des classes internationales, anglaises et allemandes, celle de confronter les points de vue sur un même événement entre professeurs des trois nationalités. Un exemple : Les « Accords de Munich » (30 septembre 1938) qui consacrèrent l’abandon de leur allié tchèque par la France et l’Angleterre, sont restés dans la mémoire française comme un moment honteux de lâcheté politique alors que, pour   les Anglais, ils ont été une tentative pleinement justifiée d’éviter la guerre.

4). Cette expression correspond au mythe entretenu par l’armée allemande selon lequel elle n’aurait pas été battue sur le terrain mais « trahie » par le gouvernement de la République récemment promue, signataire de l’armistice.

 

 

Michèle Vignaux, le 7 novembre 2020

 

 

D’aucuns peuvent penser qu’un texte sur l’enseignement de l’Histoire n’a pas forcément vocation à être publié sur un site consacré à la vulgarisation de la géographie comme les Cafés Géographiques. Mais il nous a semblé important pour toutes sortes de raisons, notamment intellectuelles et citoyennes, de réfléchir aux fragilités démocratiques dans toute l’Europe, d’autant que l’enseignement associé de l’histoire et de la géographie tel qu’il est réalisé en France n’est pas sans conséquences sur l’enseignement de chacune de ces deux disciplines. J’en veux pour preuve l’allusion à la fin de ce texte sur la faible place qu’aurait l’échelle européenne dans les programmes de géographie en France.

 

Daniel Oster, le 9 novembre 2020