Les Cafés géographiques recevaient le 17 novembre 2016 Nicolas Donner, géographe, chercheur associé au laboratoire PRODIG. Il a travaillé sur des terrains lointains, en Afrique centrale notamment, en lien avec des questions de pétrole. Mais il est là aujourd’hui pour nous parler d’un espace beaucoup plus proche : la vallée de l’Arve, où il a peut-être voulu chercher du pétrole… et il l’a trouvé dans l’atmosphère !

Nicolas Donner commence par dire quelques mots de sa thèse, qui portait sur le pétrole, et qui lui a permis de faire le lien avec l’air, et pas seulement pour en retrouver dans l’atmosphère. En effet, nous habitons de plus en plus exclusivement dans des environnements techniques : notre vie quotidienne entière est médiatisée par des outils techniques, des systèmes administratifs, des procédés scientifiques (pour traiter l’eau, pour faire rouler un bus, …). Il y a un « écran technique total », pour parler comme Jacques Ellul, qui s’intercale entre nous et l’environnement naturel. Dans les enclaves pétrolières par exemple, les pétroliers installent des milieux urbains en miniature, n’importe où sur la planète, que ce soit dans le Sahara ou en pleine mer : on apporte des containers, de quoi cuisiner, de quoi regarder la télé, on reconstitue le milieu urbain, tout est technicisé, tout est importé. Il y a une seule ressource qu’on consomme toujours sur place : c’est l’air. C’est la dernière ressource avec laquelle nous avons un rapport non médiatisé.

Et pourtant, c’est en train de changer : on commence à porter des masques dans certaines villes, et on climatise l’air. Jusqu’ici, la climatisation a essentiellement concerné la température ou l’humidité, mais on commence aussi à climatiser pour contrôler la qualité de l’air. Dans notre mode de fonctionnement technique aujourd’hui, la logique est à la climatisation. L’être humain d’un pays développé moyen passe 80% de son temps à l’intérieur : domicile, transports, bureau. On passe de moins en moins de temps à l’air libre, donc une des premières solutions les plus évidentes pour répondre à la pollution de l’air, c’est de se focaliser sur l’air intérieur et d’ajouter un système de traitement anti-pollution au système de climatisation de l’air intérieur, ce qui existe déjà dans les voitures.

Les dispositifs de sécurité sanitaire ne sont donc pas faits pour réellement aller vers un air plus sain, ils sont faits pour gérer un problème. Or, la pollution de l’air ce n’est pas un problème, c’est un symptôme. Le problème ce sont nos manières de vivre et ce que nous dégageons dans l’atmosphère. Et pourtant, on nous habitue à croire qu’on va finir par trouver des solutions techniques à ce « problème », et qu’il n’est pas nécessaire de modifier nos modes de vie, ce qui remettrait en cause des logiques économiques, sociales, touristiques aussi, que tout le monde tient à préserver.

En 2014, l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) a produit un rapport en collaboration avec un laboratoire de Sciences Po, pour comprendre comment fonctionnait le dispositif de sécurité sanitaire et s’il était efficace. L’ANSES a ouvert ses portes aux sciences sociales, et je fais une toute petite digression : c’est important de renouer avec une approche globale, ce pour quoi la géographie est particulièrement pertinente, et de ne pas séparer le savoir en une multitude de parcelles au sein desquelles on se perd. Les principales conclusions de ce rapport sont 1) que nos dispositifs de sécurité sanitaire produisent de l’inertie et 2) qu’ils ciblent quasiment exclusivement les comportements individuels.

Comment est produite et maintenue cette inertie, alors même que la question de la pollution de l’air commence à être médiatisée ? Quand on regarde le site Air Rhône Alpes, qui émane de la Préfecture, la première information qu’il nous donne c’est s’il y a ou non un épisode de pollution en cours. Or, quand on commence à lire un peu la littérature scientifique sur le sujet, on se rend compte qu’il y a un élément sur lequel tout le monde est d’accord, la communauté scientifique comme les Ministères : c’est que le problème ce ne sont pas les dépassements ponctuels de seuils, mais bien l’exposition chronique sur le long terme. Il faut donc travailler sur la diminution de l’exposition chronique et prendre conscience que c’est un problème de tous les jours, et pas quelque chose qui nous tombe dessus trois fois dans l’hiver. En abordant le problème de manière ponctuelle, avec la notion de pic de pollution, l’administration cible le mauvais enjeu, mais cela lui permet de donner l’impression de gérer.

La définition de ces seuils, définis sur la base d’un critère de taille, pose également problème. Elle pose problème d’une part parce que le seuil retenu par la France mais aussi par l’OMS (les PM10, c’est-à-dire les particules dont le diamètre est inférieur à 10 micromètres) est particulièrement haut. Les PM10 c’est ce qu’on appelle les « particules fines », mais c’est bien la preuve qu’on n’a pas la culture de la lutte contre la pollution de l’air : le vrai enjeu sanitaire est sur les PM2,5 et en-dessous. Mais tant qu’on se concentre sur les PM10, on peut dire qu’on ne pollue pas, ou peu. Les politiques se donnent donc des seuils très élevés, et ne visent qu’à limiter les dépassements de seuils, en ciblant les comportements individuels et c’est ainsi que se produisent l’inertie du système et la non-prise de conscience. Et d’autre part, on se focalise sur la taille des particules sans s’intéresser à leur nature, donc à leur toxicité. C’est à la toxicité des particules et à la géographie de leur concentration dans l’air qu’il faudrait s’intéresser.

Avec beaucoup de retard sur l’application des normes européennes, et sur d’autres pays, l’administration française a néanmoins enfin lancé un Plan de protection de l’atmosphère (PPA) de la Vallée de l’Arve, en 2012, mais qui reste très flou au plan scientifique, et très peu convaincant. Cependant, il commence à y avoir de la jurisprudence, notamment au niveau européen, qui va peut-être réussir à forcer les décideurs à prendre les choses en main. Le droit semble donc commencer à secouer cette inertie, et c’est un motif d’optimisme.