rehabiliter-le-periurbain

Café géographique au Café de Flore, Paris, mardi 30 septembre 2014. Avec Hélène Nessi, Maître de conférences en Aménagement et Urbanisme à l’Université de Paris Ouest-Nanterre-La Défense,  et Lionel Rougé, Maître de conférences en géographie à l’Université de Caen Basse-Normandie.

Forum Vies Mobiles est un institut de recherche et d’échanges indépendant créé par SNCF pour comprendre comment évoluent nos modes de vie, fondés sur les déplacements et les communications, et préparer la « transition mobilitaire ».

Cet institut a organisé les 24 et 25 janvier 2013 les deuxièmes Rencontres internationales réunissant quelque 300 chercheurs, artistes et praticiens pour réfléchir à la question : des mobilités durables dans le périurbain, est-ce possible ?

Il s’agit de montrer que, contre toute attente, les espaces périurbains font partie des lieux qui permettront de répondre aux aspirations individuelles tout en autorisant un développement durable. Voilà un des enjeux actuels et futurs pour habiter le périurbain, un enjeu parmi d’autres qui ont été largement évoqués lors de ce Café géographique.

Hélène Nessi et Lionel Rougé, après un bref historique de la question périurbaine, insistent sur la diversité des situations et des définitions dans une volonté de dépasser des modèles théoriques. L’appropriation et le vécu des populations vivant dans ces territoires permettent de nuancer voire contrecarrer l’image péjorative souvent associée à l’espace périurbain.

Bref historique de la question périurbaine (Lionel Rougé)

La question de l’imbrication villes-campagnes traverse l’ensemble des pays, une telle dynamique dessine un système complexe d’interfaces où cohabitent espaces ruraux, espaces naturels, espaces urbains anciens et d’autres plus récents, grandes infrastructures, parfois même petite ville, voire ville moyenne. En occident les termes utilisés pour qualifier ce processus sont nombreux et ils s’inscrivent dans l’histoire économique, sociale et politique de chacun des pays ; Zwichenstadt (c’est-à-dire entre-urbain) dans le monde germanique, Citta diffusa (ville diffuse) en Italie, rurbanisation, périurbanisation et étalement urbain en France. Suivant les seuils retenus, ce processus touche entre 30 et 50 % de la surface des pays européens et de 20 à 30 % de leurs populations (plus de 20 millions de français peuvent être considérés comme « périurbains »). Ce processus concerne de plus en plus les pays en développement tant en Asie qu’en Amérique latine ou en Afrique. La diversité dans les termes et les définitions se retrouve dans les manières de les représenter et de les appréhender. En France, l’adjectif « péri-urbain » apparaît en 1966 dans le dictionnaire avec pour définition « ce qui entoure la ville » avant que l’INSEE lui donne une définition statistique. Cet espace comprend alors les communes dites « périurbaines » et les communes dites « multipolarisées » (situées entre deux ou plusieurs agglomérations).

Les travaux d’Annie Fourcaut, soulignent bien l’ancienneté du processus de diffusion de l’urbain dans les campagnes environnantes notamment visible avec le pavillonnaire de l’entre-deux-guerres parisien. Toutefois, le terme de « périurbain » correspond à un temps particulier où, dès les années 1960, une couche salariée émergente décide davantage de son lieu de résidence. Il résulte de la conjonction de trois champs de facteurs. Tout d’abord, les facteurs socioculturels valorisent un modèle d’habitat fondé sur la maison individuelle et la recherche de la proximité des ressources conjuguées de la ville et de la campagne. De plus, les facteurs sociotechniques accentuent le développement du processus avec la généralisation de l’automobilité, à partir des années 1970, permettant une séparation plus marquée entre lieu de vie et lieu de travail, et un éloignement des voies de dessertes ferroviaires. Enfin, les facteurs socio-économiques, par des politiques du logement, un système bancaire et une libéralisation foncière, rendent possible l’acquisition de logements dans des espaces situés hors de l’agglomération.

Durant ces dernières années, la question périurbaine a été de plus en en plus étudiée au pluriel, soulignant ainsi la diversité et la complexité des morphologies et les temporalités. En effet, si la périurbanisation a démarré en région parisienne dans les années 1960, elle va toucher les grandes métropoles régionales la décennie suivante, puis, dans les années 1980, l’ensemble des grandes villes françaises. Depuis une dizaine d’années, elle s’affirme dans les petites villes éloignées des orbites métropolitaines. Il n’y a pas de contenu unique, de consistance, ou même de dessein similaire selon que la périurbanisation se réalise en région parisienne ou dans les métropoles de l’ouest de la France, sur le pourtour méditerranéen ou autour de petites villes de régions encore fortement marquées par la ruralité…

Partout, ces espaces véhiculent des jugements de valeur et leur développement est depuis longtemps disqualifié, voire contesté. Le rapport Mayoux, dans les années 1980, souhaite lutter contre le « mitage de l’espace » tandis que les lois SRU et Grenelle 1 et 2, plus récemment, prônent le retour du modèle de la ville « dense ». L’espace périurbain est présenté comme l’anti-ville et plus récemment accusé d’être incompatible avec les exigences d’un développement urbain durable. L’étalement urbain, qui ne se fait plus par contiguïté avec les espaces bâtis existants, mais par dissémination de zones pavillonnaires dans les espaces périphériques, semble donc fortement stigmatisé. Sur le plan statistique et cartographique, cet espace est souvent présenté dans un rapport de dépendance à un pôle urbain central, plus ou moins éloigné, en témoigne le découpage en aires urbaines (ZAU) de l’INSEE. Considéré comme un échec des politiques publiques d’aménagement et d’urbanisme, il semble cependant toujours avoir répondu aux aspirations sociales d’une partie des Français. Si une part de ces constats peuvent être entendus, il convient cependant d’être plus nuancé tant ce processus se complexifie dans son développement et dans son organisation.

Maturation périurbaine : de l’hybridation à l’intensification (Lionel Rougé)

La complexification du processus invite à se placer à distance des tentatives d’uniformisation en lien avec le discours ambiant que seule « la ville dense, centripète et socialement mixte constitue une forme spatiale, sociale et culturelle officiellement valorisée » (Genestier, 2007) et à s’interroger sur les préjugés pesant sur ces espaces et ceux qui y résidents au profit d’une analyse de leurs fabriques propre – et selon une focale moins urbano-centrée – c’est-à-dire par le biais des pratiques habitantes, de la place et du rôle des espaces ouverts, comme de ses politiques locales.

Les enquêtes réalisées depuis quelques années tant en région parisienne, autour de Toulouse, Lyon ou Marseille, ou encore dans les villes de l’ouest de la France, révèlent un élargissement du spectre social dans le peuplement de ces espaces et permettent d’établir une typologie mettant en exergue quelques grandes figures de périurbains. La première figure renvoie au profil classique des couples bi-actifs avec enfants qui nourrissent les critiques habituellement adressées aux espaces périurbains. Ils sont parachutés, originaires de la ville dense, à la recherche d’opportunités foncières ou immobilières pour réaliser leur rêve de maison individuelle. Les jeunes retraités, s’installant en périurbain après leur vie active, appartiennent également à cette catégorie de nouveaux arrivants. Quelles que soient les nuances observées, ces figures, dont le flux est aujourd’hui minoritaire, regroupent des individus qui « essaient » l’ambiance périurbaine.

La deuxième figure regroupe des ménages d’actifs déjà bien installés dans leur vie professionnelle, mais aussi des retraités déjà installés en périurbain qui poursuivent leur parcours résidentiel dans ces espaces et cherchent à améliorer la qualité de leur cadre de vie. Ces cheminements, concrétisés par une succession d’emménagements de proche en proche dans diverses situations périurbaines et pavillonnaires (lotissement, pavillon isolé, maison de village, …), démontrent une connaissance plus fine de ce territoire. Ces arbitrages marquent les étapes d’une  « maturation » dans laquelle les avantages et les inconvénients du mode de vie périurbain sont abordés plus rigoureusement.

Enfin, la troisième figure regroupe un éventail de configurations souvent oubliées dans les travaux sur les espaces périurbains. Il s’agit de ceux qui n’ont jamais quitté leur terre (les anciens ruraux rejoints par la périurbanisation, les familles d’agriculteurs, artisans ou employés municipaux, les élites locales du monde rural). Ce sont aussi les enfants des néo-ruraux, des premiers périurbains des années 1960-1970, qui ont grandi dans cet entre-deux ville-campagne et le revendiquent comme idéal résidentiel. Nés là, ils n’ont pas tous les mêmes représentations de leur lieu de vie. Par exemple, les plus jeunes, souvent locataires d’appartements, expriment dans leurs discours un réel avantage à vivre en périurbain, dans la mesure où le loyer est moins élevé, le logement plus spacieux, le réseau familial présent pour accompagner l’entrée dans la vie active. Ces groupes sociaux, considérées souvent comme excluent du périurbain pour des raisons d’inadaptation du parc immobilier et en attente d’aménités plus citadines, semblent au contraire trouver, dans les espace étudiés, une souplesse propice à leur épanouissement. La plupart des ménages rencontrés, lors des enquêtes, se disent satisfaits de leur installation. Quelles que soient les difficultés, l’acquisition définitive du bien semble offrir des modalités d’insertion dans une localité. Certes, cet apprentissage de la localité et du vécu périurbain est parfois difficile, en particulier pour les plus modestes, mais conserve une vision positive. Le village semble un lieu propice répondant à l’idéal de sécurisation sans surveillance alliant autonomisation et maîtrise même relative.

Par ailleurs, les travaux récents, concernant les mobilités, interrogeant les ménages mettent en évidence une grande diversité de cas de figure et une tendance à l’inflexion des comportements de mobilité au sein d’un certain nombre de grandes aires urbaines.  Après une forte croissance des distances parcourues par les actifs périurbains pour se rendre à leur travail dans les années 1970 et 1980, les années 1990 ont été marquées par un tassement de cette progression voire une stabilisation identifiée uniquement en Île-de-France. Ces recompositions des distances parcourues doivent être mises en relation avec la déconcentration des emplois vers les marges des agglomérations, concernant la première couronne périurbaine, et avec l’émergence de formes de polycentrisme au sein des plus grandes régions urbaines. De plus, il y a une volonté de se recentrer sur des territoires de proximité tant de la part de ménages modestes que de catégories plus aisées. Ces logiques de « repolarisation », donnent un rôle nouveau à des bourgs et des petites villes qui, hier, étaient vidées de leur substance par la pavillonnarisation. Ces changements dans la dimension démographique, sociale, mais également physique du processus interprétés comme des signes d’une « maturation » semblent marquer une étape d’une « entrée en durabilité ».

L’injonction à construire une ville plus durable interroge ce modèle de développement (Hélène Nessi)

Si l’on oppose le modèle de la ville étalée à la ville compacte, rappelons toutefois que la ville compacte, selon la période historique, n’a pas toujours été associée à des notions telles que l’urbanité et le développement durable, évoquant pendant longtemps l’insalubrité des villes avec le paradigme hygiéniste (année 30). Ainsi après avoir été considérée comme une source des plus graves pathologies urbaines, la densité apparaît aujourd’hui comme un antidote à la crise environnementale et comme un idéal pour les villes. Le courant hygiéniste accompagne un des phénomènes majeurs à l’origine de cette expansion urbaine, qui a suivi l’exode rural, celui du desserrement urbain. Il préconise une densité de population faible et l’intégration des espaces verts dans le tissu urbain pour répondre aux grandes épidémies passées. Ainsi, depuis 1940 jusque dans les années 1970, on observe l’apparition des grands ensembles, afin d’offrir à la classe ouvrière des logements répondant à ces critères d’amélioration de la salubrité des logements. Aussi le mouvement de planification fonctionnaliste reposant sur le principe du zoning, divise le territoire en zone résidentielle, commerciale et d’emplois. En France, la première moitié du XXe siècle apparaît clairement comme l’époque de l’expansion des banlieues qui, contrairement aux faubourgs, sont des entités nettement détachées du territoire de la ville-centre. Cette expansion se poursuit ensuite avec l’apparition d’un tissu pavillonnaire, porté cette fois par la promotion immobilière du secteur privé ou directement par les particuliers.

Pour comprendre ce modèle d’urbanisation, il faut tout d’abord se demander ce qui a permis le développement cette ville contemporaine ?

Le développement des réseaux a été le support de ce modèle de développement urbain, celui de la ville contemporaine. Les préoccupations principales du mouvement hygiéniste, la lutte contre les épidémies et l’amélioration de la salubrité, reposent avant tout sur des innovations techniques permettant le développement de réseaux de services techniques: d’eau, d’assainissement et d’électricité et de transport. Ce développement fulgurant des réseaux en moins d’un siècle est le support du développement d’une ville contemporaine et explique ainsi la diffusion des zones urbanisées. La répartition des fonctions a ainsi évolué au fil du temps en fonction des opportunités offertes par les moyens de transport et les réseaux techniques mis à la disposition des citadins grâce à l’innovation technologique et l’investissement économique : la forme des villes résulte pour une bonne part d’un système d’accessibilité qui a tendu à son étalement et à sa fragmentation géographique. Le développement urbain ne repose plus sur le modèle de la ville traditionnelle radioconcentrique, mais davantage sur un développement d’un modèle de ville en réseau avec le développement de centralité, de microcentralités reliées par des réseaux techniques notamment le réseau viaire. Comme l’a montré Gabriel Dupuy, pendant plus d’un siècle (XXe siècle) la considération du développement de ces réseaux et les évolutions des modes de vie ont été peu prises en compte par les urbanistes qui s’attachaient alors à définir l’organisation des formes urbaines et de droits des sols.

Actuellement, avec les injonctions à construire un territoire plus durable on constate un consensus autour de la densité. Par son occupation limitée des sols, la ville dense et compacte est souvent présentée comme une forme économe de la croissance urbaine, permettant la sobriété énergétique et la ville étalée, diffuse comme une ville consommatrice en énergie. La ville compacte est une notion qui vient des Pays-Bas assez ancienne, que l’on trouve dans les différents documents d’urbanisme néerlandais, très antérieur avant l’irruption du développement durable. Aujourd’hui, c’est dans les wagons du développement durable que revient cette notion de ville compacte et que l’on critique la ville étalée. Le développement durable donne une nouvelle jeunesse à cette notion de ville compacte dont l’étalement serait contrôlé, maîtrisé. Sur la base de ce constat, un certain consensus collectif s’est établi en faveur de la ville compacte 1990. À partir des années 2000, avec la prédominance du concept de la « ville durable » dans la recherche urbaine et dans les agendas politiques nationaux et européens, il semble difficile de s’opposer à la promotion de la ville compacte, à laquelle on confère des avantages non seulement environnementaux, mais aussi sociaux. C’est dans ce contexte que les politiques urbaines des villes européennes s’orientent vers ce modèle et soulignent la nécessité de maîtriser le processus d’étalement. (loi SRU 2000- solidarité renouvellement urbain)

Depuis le milieu des années 1990, le système fonctionne à l’inertie, on comprend les avantages de la ville diffuse qui permet aux classes moyennes d’échapper à la pression foncière de la ville compacte et de devenir propriétaire grâce à la croissance des vitesses permises par les réseaux. Au-delà de cette bonne intention que représente la ville compacte dans le développement durable,  la question redoutable à régler est celle de l’accès au foncier pour des populations citadines. Sans règlement de la pression foncière, proposer un modèle de ville compacte comme alternatif à la ville diffuse relève d’une utopie. Nous sommes donc, comme l’avait évoqué Francis Beaucire, dans un nouveau système de ville, un modèle contemporain et non une pathologie, renoncer à un système c’est cela que propose aujourd’hui le développement durable, ce qui soulève évidemment de nombreuses questions. Par ailleurs, un certain nombre de recherches relativisent les vertus du modèle compact

Les périurbains : d’affreux pollueurs ? (Hélène Nessi)

Le périurbain n’est pas plus émetteur de CO2 que l’habitant de la ville dense. Avec un niveau de vie et un pouvoir d’achat en moyenne plus bas, l’empreinte carbone des ménages périurbains serait même inférieure à celle des habitants des centres urbains. Le débat sur la durabilité des modes de vie se pose davantage en termes de circuits courts contre circuits longs qu’en termes de localisation géographique. C’est en réduisant la distance et le nombre d’intermédiaires entre le producteur et le consommateur qu’on peut favoriser un faible bilan carbone.

Le périurbain est-il le lieu par excellence du gaspillage et de la pollution ?  Les deux premiers postes dans l’empreinte carbone d’un ménage ne sont ni le logement, ni les déplacements, mais l’alimentation et les biens de consommation. Les dépenses alimentaires (restauration hors domicile…) varient significativement selon le niveau de revenu. Le niveau de revenu est ainsi beaucoup plus pertinent que le fait d’habiter le périurbain, pour expliquer les différences d’émission de CO2.

Par ailleurs, le constat des avantages de la ville dense sur le modèle périurbain dans des perspectives de développement durable a été à plusieurs reprises remis en cause dans les années 1980-1990. Pendant longtemps, les recherches ont été fondées uniquement sur (1) les déplacements domicile-travail et ignorent ceux effectués les week-ends ou pendant les vacances et (2) sur le nombre de déplacements et non les distances parcourues. Si l’on cumule les distances parcourues lors des déplacements de loisir et de travail à revenus et diplômes équivalents, le nombre de kilomètres parcourus par les habitants de la ville-centre est supérieur à celui des habitants des espaces périurbains. Ce résultat s’explique notamment par la qualité du cadre de vie du périurbain dans les métropoles: le manque d’espace vert et de calme, incite les urbains à partir en week-end fréquemment, alors que les jardins et la proximité de la nature, le calme, mais également les réseaux sociaux et la présence d’un important tissu associatif incitent au contraire les périurbains à rester sur place : c’est le fameux « effet barbecue ». Observation d’un fort ancrage d’une reconfiguration des bassins de vie à proximité du lieu de résidence.

S’adapter face aux crises : les marges de manœuvre (Hélène Nessi)

Du fait de la prédominance de l’utilisation de la voiture dans les espaces périurbains, les habitants sont sensibles à l’augmentation du prix du pétrole. De plus, la part de leur budget consacrée aux déplacements domicile-travail peut atteindre 20%. Ces deux éléments, accentués par la crise économique, renforcent la nécessité de rationaliser les mobilités. Les habitants mettent en place des stratégies d’adaptation de mobilité. Ces stratégies ne passent en aucun cas par l’abandon de l’automobile, mais plutôt par une rationalisation de son utilisation. Les individus délaissent certains lieux d’activités de loisirs ou de consommations situés trop loin et réduisent ainsi leurs bassins de vie. Ils privilégient les activités locales et s’ils envisagent de sacrifier certaines activités de loisir ce ne sera en aucun cas celles de leur progéniture. Enfin, le covoiturage pratiqué essentiellement dans le cadre de la mobilité de loisir s’inscrit également dans cette rationalisation de l’utilisation de l’automobile. Par ailleurs, c’est également à travers le logement que va se faire l’ajustement des pratiques en matière énergétique et cela a deux conséquences : la première est que cela tendra à renforcer l’ancrage local, car l’attachement à une maison patiemment rénovée ne peut qu’être accru, la seconde est que les économies d’énergie ainsi réalisées dans le domaine du logement peuvent compenser en partie le coût de la mobilité.

En outre, grâce à la mise en place de solidarités de voisinage (comme les circuits pour emmener les enfants à l’école) et familiales (conduire les personnes âgées ou à mobilité réduite jusqu’aux commerces, aux lieux de loisirs ou aux centres médicaux), on observe une résilience des espaces périurbains face aux crises. Des expériences d’autopartage, de covoiturage (davantage pour des activités de loisir que pour des déplacements domicile-travail) régulières entre personnes privées émergent et montrent que, même en milieu rural ou périurbain, il est possible de mettre en place de telles pratiques. Enfin, il faut souligner que les territoires périurbains offrent une malléabilité précieuse face aux crises énergétiques, économiques et sociales: le jardin permet la production de fruits et de légumes, l’élevage de volailles et de petits bétails, mais aussi la production d’énergie (panneaux photovoltaïques, éoliennes, bois de chauffage) ; la maison peut être adaptée aux évolutions familiales, scindée pour être louée, etc.

Toutefois, les arguments écologiques ne sont pas évoqués par les habitants qui parlent davantage d’un modèle de vie et de déplacements. Un changement de mentalité s’opère nettement puisque les ménages délaissent les pratiques de loisirs éloignés comme le shopping à Paris. Les pratiquent vertueuses pourraient être accentuées en privilégiant d’autres modes de transports ou de déplacements, or, il faut noter le manque persistant d’aménagements dans ces espaces. Enfin, il est important que les aménageurs se questionnent sur la manière de planifier ces territoires périurbains et cessent de plaquer des modèles d’aménagement issus de la ville dense.

Lionel Rougé :

Il faut  repenser les modèles, entre centre et périphérie notamment, dont on reste prisonniers. Pour conclure, il faut mettre en lumière les élus qui proviennent de cet espace, ni rural ni urbain, et qui sont porteurs de projets adaptés. Enfin, les chercheurs restent également prisonniers de diverses catégorisations alors qu’il faudrait s’occuper du processus.

Débats / questions 

Les « clubs de riches » se développant dans les espaces périurbains, comment les populations installées pour des obligations économiques réagissent-elles ? Dans vos exposés, concernant l’organisation du territoire vous attaquez les aménageurs, mais est-ce vraiment de leur faute ?

Lionel Rougé :

Tout coexiste dans ces espaces, il me semble plus important de se demander comment on y cohabite. Si les ménages rencontrent des difficultés pour l’accession à la propriété, ils s’installeront dans les communes les plus rurales, les moins accessibles ou des villes plus petites du périurbain. Quant aux plus aisés, ils occupent les espaces périurbains comme ils occupaient déjà la ville dense. Cependant, pour les ménages modestes, passé le cap des premières années les plus difficiles, il y a des ruses pour comprendre leur nouvel espace et pour se l’approprier dans un contexte changeant. Certes la situation reste teintée de contraintes, mais à les écouter, ils préfèrent vivre là que là ou ils étaient – en ville dense. De plus rappelons qu’il n’y a jamais eu de très grave crise pavillonnaire – il y a certes des lotissements et/ou des communes périurbaines qui font montre de signes de difficultés sociales et économiques. Mais quid d’une absence de politique foncière à des échelles élargies pour freiner la dispersion ? Quid de politiques de logements freinant les dynamiques de gentrification des centres urbains qui poussent au départ les ménages de la petite classe moyenne ? Quid d’une offre de logement et d’habitat adaptée aux attentes de ces ménages ? Attention à ne pas faire porter le chapeau qu’auprès de ces seules catégories de population – le discours d’un refus d’urbanité de leur part ne m’apparaît pas être suffisamment argumenté.

Hélène Nessi :

Nous constatons par rapport à vos remarques que les pratiques vertueuses ne concernent pas uniquement les classes à position socioéconomique élevée. Au contraire la classe ouvrière, très présente sur ces territoires périurbains, témoigne d’une grande capacité d’adaptation et d’appropriation des ressources du territoire. Bricoleurs et ayant souvent grandi dans des territoires plus ruraux, ils savent mettre en place facilement ces pratiques d’adaptations : potager, isolation des maisons, récupération des eaux. Nous constatons également que ces personnes font souvent partie de communautés très fortes en lien avec leurs racines et leurs origines et ces relations se traduisent notamment par des systèmes d’entraide. L’effet communautaire ne concerne donc par seulement les classes aisées, mais finalement une bonne partie de la population.

En ce qui concerne la mobilité, on doit évidemment se poser la question de l’assignation à résidence des classes les plus modestes vivant dans des territoires isolés, mal desservis par les transports. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que certaines analyses montrent bien que dans le cadre des loisirs les ménages au revenu modeste se déplacent finalement très peu quelque soit leur lieu de résidence (centre, banlieue proche ou périurbain). Dans certains secteurs des Yvelines, il y a clairement des phénomènes d’exclusions, mais également le développement d’autres formes de déplacement pour sortir des clubs (très présents autour des agglomérations importantes). Par ailleurs, les espaces périurbains occupent 40 à 50% du territoire français et touchent 20 millions d’habitants ce qui amène à remettre en question la définition même du périurbain.

Le vote pour le Front national est-il plus accru et un marqueur des espaces périurbains ?

Lionel Rougé :

Il semble difficile de donner une réponse précise, car le vote en faveur du Front national caractérise une marge externe du processus de périurbanisation. Le changement social et spatial tend à favoriser la fragilisation des équilibres or il me semble que lorsqu’il y a consolidation et appropriation ce vote diminue – mais là dessus je n’ai pas de travaux. Les études sur le terrain et les entretiens avec les résidents de l’espace périurbain montrent que l’arrivée d’une nouvelle population engendre une mise à distance. Leurs voisins partent alors qu’eux n’ont pas les moyens nécessaires de le faire, ce qui crée une tension. De plus, en quinze ans, il y a une évolution énorme dans les lieux d’origine des habitants. Si les débuts du processus sont marqués par une arrivée massive d’ex-urbains du noyau dense, les strates suivantes sont moins le fait des départs des habitants du noyau dense que des premières couronnes et ainsi de suite. Enfin soulignons, que nombre de ces périurbains ont des attaches rurales et considèrent la ville comme invivable et l’installation périurbaine comme un retour à une vie moins stressante. Les données des Enquêtes Globales Transports de 2006, dans les grandes métropoles, montrent enfin que la distance domicile-travail diminue, surtout dans le périurbain puisqu’il y a une partie des emplois qui se déconcentrent dans ces zones. Ces espaces sont en mouvement, de fait il y a un réel décalage entre les représentations et la réalité que les travaux récents tendent d’appréhender au mieux.

Un documentaire sur France 2 présente un carrossier qui vit dans une zone périurbaine, qui parcoure un trajet d’une heure trente pour rejoindre Paris, et qui est défavorable au projet d’installation de nouveaux lotissements afin d’ouvrir une pharmacie (règlementation administrative). Il associe ce projet à l’arrivée de ce qu’il a fui. À partir de cet exemple, quel avenir pour le périurbain ?

Lionel Rougé :

Il n’y pas là non plus de réponse unique et univoque. Dans certains contextes périurbains une logique de dispersion domine alors qu’ailleurs le maillage en gros bourgs et petites villes est plus important. Ces éléments de structuration de l’espace, son histoire (plus agricole, plus industrielle ou empreint de villégiature) va servir de support aux sociabilités sur lesquelles vont plus ou moins bien se greffer les nouveaux arrivants – des nouveaux qui ont eux aussi une histoire et des référentiels divers. Il n’y a pas de recettes magiques, c’est la rencontre entre les habitants et les élus qui va permettre aux territoires de ce constituer.

Hélène Nessi:

Pendant longtemps, on n’a pas repéré l’évolution des techniques et des transports. Le périurbain existe grâce à l’amélioration des réseaux en général : les transports (routiers et collectifs), l’eaux, l’assainissement, l’électricité, il s’agit désormais de travailler la cohérence des différents projets de ces territoires. D’après nos études, le périurbain est l’avenir.

Connaissez-vous les évolutions du périurbain dans les autres pays européens ?

Hélène Nessi : L’évolution du développement urbain prend des formes urbaines différentes. Si l’on prend l’exemple de la région Romaine, le modèle pavillonnaire prédominant en France y est quasiment absent, en revanche on trouve des noyaux urbains relativement denses de « palazzini » (immeubles de 5/6 étages) dispersés dans la campagne romaine. Si les réseaux sont souvent déclencheurs ou support du développement urbain, à Rome on assiste à une dynamique inverse, celle de rattrape des zones urbanisées. Ainsi, plus d’un 1/3 du territoire romain a été construit de manière informelle par une classe ouvrière, mais surtout par des promoteurs qui ont su bénéficier de la rente urbaine. À titre d’anecdote, dans le cadre du dernier « condono edilizio » sous Berlusconi, législation nationale permettant aux propriétaires illicites de mettre en règle juridiquement leur bien immobilier moyennant un montant dérisoire versé à 80 % à l’état et seulement 20% à la commune, une photo aérienne a été réalisée pour voir quelles étaient les constructions concernées par cette mise en règle. Un certain nombre de promoteurs ayant eu connaissance de la date de la prise de vue ont étendu des bâches au sol, anticipant ainsi de futures constructions qu’ils construiraient dans les années à venir sur des terrains pourtant non constructibles. Ainsi, les acteurs privés ont récupéré les bénéfices de la rente urbaine, rendant constructibles des terrains qui ne l’étaient pas et obligeant la commune à desservir la zone urbanisée (quelle que soit sa localisation) du fait de sa régularisation. Les villes en Sicile et en Grèce sont confrontées à ce même type de développement urbain illicite et donc à un phénomène de périurbanisation bien particulier. Un autre cas singulier se rencontre à Shanghai. La délocalisation des ménages modestes, vivant et travaillant au pied de leur résidence au coeur de la vieille ville, dans des immeubles barres totalement isolés dans la périphérie et non connectés par les transports collectifs a entrainé une véritable  paupérisation de ces populations. En effet, ces dernières ne peuvent désormais plus travailler au rez-de-chaussée de leur immeuble en raison de l’absence d’une clientèle solvable, mais n’ont plus les moyens de se rendre dans la ville centre.

Lionel Rougé:

En Allemagne, il existe un « entre villes », mais pas de périurbain à la française. En France, depuis les lois de décentralisation, l’ensemble du territoire est urbanisable avec un découpage communal qui facilite le phénomène. Enfin, il est important de rappeler qu’au sein même du territoire français il n’existe pas un périurbain, mais une variété d’espaces périurbains.

Qu’en est-il de la Charte d’Athènes par rapport à l’espace périurbain ? Et par rapport au modèle de la ville utopique ? Existe-t-il des modèles de ville compacte ?

Hélène Nessi : Un exemple de modèle de la ville compacte serait par exemple les modèles néerlandais qui ont su mettre en place très tôt des politiques fortes de préservation du foncier. Toutefois, le modèle de la ville compacte est presque une utopie, car généralement lorsque le ville est dense, elle devient attractive et accueille alors de plus en plus d’emplois impliquant une demande croissante de logement. Le développement des grandes villes renvoie davantage au modèle de métropolisation, le centre ne peut vivre sans le périurbain et le périurbain sans la ville dense, ces deux espaces ne peuvent être pensés séparément, il ne forme qu’un ensemble celui de la métropole. Par exemple, Paris constituait un modèle de ville compacte jusqu’au début du XXe siècle et avec le développement des réseaux techniques, l’urbanisation s’étend d’abord aux banlieues, puis on assiste à un véritable desserrement urbain pour aboutir au phénomène de métropolisation. À la différence de certains pays nordiques, les politiques publiques françaises n’ont guère anticipé la préservation du foncier et n’ont que très peu investi la planification des zones périurbaines si ce n’est parfois sur des zones très ciblées, qui ne sont d’ailleurs pas propres au périurbain, les opérations de renouvellement urbain. Les acteurs privés se sont donc saisis du marché de la demande en logement dont les politiques publiques s’étaient désintéressées ou en tout cas ne considéraient pas comme prioritaire. Poursuivant des logiques de mise en œuvre basée sur le processus du compte à rebours à partir du prix de l’immobilier, les promoteurs déterminent le prix qu’ils peuvent engager pour l’achat du foncier. Ainsi, les promoteurs pour atteindre un niveau de rentabilité construisent toujours plus loin, là où le foncier est abordable. Ces constructions juxtaposées de différents promoteurs expliquent ainsi la désorganisation du territoire périurbain et le manque de cohérence entre les projets. L’absence d’une politique publique globale sur ces territoires explique en grande partie le développement de la ville diffuse.

Le travail à la maison du fait de l’évolution de la technologie favorise-t-il le phénomène de périurbanisation ?

Hélène Nessi : Actuellement, nous travaillons sur cette thématique. Toutefois, cette évolution restera limitée, car certains types de profession comme les managers ou les ouvriers nécessitent une présence sur site.

Lionel Rougé : Il faut également rappeler que le choix de la ruralité touche des professions socioculturelles très élevées (métiers libéraux…).

Quelles sont les évolutions d’un point de vue culturel dans le périurbain ?

Lionel Rougé :

Il n’y a pas les mêmes activités que dans les villes-centres. En effet, les activités sportives, liées à la promenade ou à la nature sont privilégiées par les périurbains. Ils se distinguent par un art de vivre, autre que le potentiel idéal d’une ville-centre, dans lequel le culturel est davantage le fait des associations. La population des 18-30 ans vit parfois le territoire comme exerçant une contrainte, une sorte de captivité. Dans certains secteurs plus matures, les associations organisent régulièrement des expositions, séminaires,  séquences d’art et d’essai, on observe aussi un développement de l’offre culturelle dans les gros bourgs et les petites villes qui parsèment ces espaces périurbains surtout ceux dans le processus est déjà ancien – maîtrisé, enfin, les ménages utilisent aussi beaucoup les zones aménagées en bord de ville où fleurissent des cinémas, des restaurants, des parcs.

Certaines villes sombrent-elles dans la pauvreté ?

Lionel Rougé :

Certaines communes périurbaines où le modèle des pavillons est poussé à l’extrême peuvent connaitre des situations difficiles. Toutefois, les travaux menés en région parisienne, lyonnaise, marseillaise, mais également autour de Caen, montrent que des bourgs ruraux sont aussi revitalisés par cette arrivée de population. Enfin, dans certains cas, par l’intermédiaire des intercommunalités les dessertes peu chères ou gratuites se mettent en place pour aller dans la petite ville centre le jour du marché et peuvent grandement faciliter les mobilités des ménages les plus modestes souvent installés dans les communes rurales.

Compte-rendu : Inès Lalande, amendé et augmenté par les intervenants et Daniel Oster