Conférence de Bernard Hourcade, suivie d’un débat à l’Institut de géographie, samedi 27 janvier 2018
Organisée par Les Cafés géographiques 

 

Bernard HOURCADE (n. 1946) est géographe, directeur de recherche émérite au CNRS. Ancien directeur de l’Institut Français de Recherche en Iran pendant la révolution islamique (1978 – 1993), puis fondateur et directeur de l’équipe de recherche CNRS « Monde iranien » (1993-2005), il a effectué, souvent en collaboration avec ses collègues iraniens, des recherches sur les conséquences politiques des transformations de la société iranienne, la ville de Téhéran et la géopolitique de l’Iran. En dehors de cercles universitaires, il intervient dans les médias et les think tanks sur les questions touchant à la géopolitique de l’Iran aux rapports entre politique, territoire et société en Iran.  Bernard Hourcade est agrégé (1969) et docteur en géographie (Paris-Sorbonne, 1975).

Nous remercions Bernard Hourcade pour nous avoir également fait parvenir un dossier cartographique complet sur l’Iran. Vous le trouverez ci-joint au format PDF (10 Mo) : B_Hourcade, Café Geo Iran.pdf.

CONFÉRENCE DE BERNARD HOURCADE

L’accord du 14 juillet 2015 sur le nucléaire, avec les six plus grandes puissances du monde, vaut à l’Iran reconnaissance sur la scène internationale et juridique. Les Iraniens en éprouvent une fierté immense, surtout les anciennes générations, qui ont subi de multiples  épreuves.

Bernard Hourcade évoque la mise en place de « logiciels inconnus » entre les jeunes et les anciens, mais aussi entre les Iraniens et leurs voisins, proches ou lointains. Beaux chantiers en perspective !

La « fascination de l’islam » est l’autre composante de ces chantiers. Quand l’ayatollah Khomeiny arrive de Neauphle le Château, en 1979, la monarchie des Pahlavi s’effondre. Le Shah d’Iran est contraint de prendre la fuite. Les partis de gauche (dont les communistes) tout autant que ceux de droite sont d’accord pour éliminer « le tyran ». Mais comment fédérer ensuite ? Les religieux sont les seuls à pouvoir prendre le relais. On imaginait que cela serait temporaire….

Mais « l’homme  au turban » suscite bien des fantasmes en Occident qui croît que l’Iran veut « chiitiser » le monde musulman. En Iran, on sait seulement que rien ne peut se faire sans réseau religieux : sans un oncle ayatollah les perspectives sont obscures…

L’exception iranienne, entre nationalisme, chiisme et mondialisation   

  1. Hourcade résume la situation par les 3 I

I comme Iran                 =  une population, une culture, une nation

I comme Islam              = une religion populaire mais aussi politique avec un clergé structuré.

I comme International  = depuis 1908 et la vente du premier pétrole, l’Iran est incontournable dans les échanges internationaux.

Mais Bernard Hourcade, non sans malice, ajoute que la première religion des Iraniens, c’est le foot !

L’Iran est une île.

Le pays est au Moyen Orient sans y être, comme l’Angleterre face à l’Europe ou le Japon face à l’Asie. L’Iran se voit comme une forteresse, une nation indo-européenne établie sur un même territoire depuis cinq millénaires.

Le plateau iranien, entouré de montagnes (et merveilleusement observé par le géographe Xavier de Planhol) est effectivement perçu comme un abri providentiel ou une forteresse cernée par quinze pays frontaliers. Cernée ou encerclée ? l’idée de l’encerclement est ancrée dans les esprits : le pays a vu défiler des grecs, des arabes, des turcs, des indiens… tous sauvages et barbares…Aujourd’hui on peut ajouter à cette liste le Grand Satan américain que l’on présume partout présent et maléfique. Paranoïaque ou pas, les Iraniens ?

L’Iran est un îlot ethnique : nous ne sommes pas comme les autres.

La langue persane est l’une des plus anciennes langues écrites. On parle le persan aujourd’hui en Iran et non l’iranien. Le persan est la langue commune. Evitez absolument de dire que l’on parle le farsi…. Ce serait assimilé à du baragouinage.

Mais si la langue officielle est le persan, des populations, surtout installées en périphérie du plateau central parlent le kurde, ou le pachtoune, ou l’arabe ou l’azéri. Mais le persan fait l’unité de la nation.

Jadis, le persan était aussi la langue de communication dans tout le Moyen Orient. Dans cette langue on a produit une fort belle littérature, inventé les mille et une nuits et appris la poésie aux enfants. On lit quotidiennement quelques vers du grand poète Hafez, encore honoré avec des roses au mausolée de Chiraz. Quelques vers de Hafez, proposés aux voyageurs :

Celui qui s’attache à l’obscurité a peur de la vague.

Le tourbillon de l’eau effraie.

Et s’il veut partager notre voyage,

Il doit s’aventurer bien au-delà du sable rassurant du rivage

L’Iran est islamisé, mais pas arabisé.

Longtemps le territoire fut chrétien, juif ou zoroastrien puis arriva l’islam vite adopté par la bourgeoisie puis par le roi qui imposa à ses sujets la forme chiite de l’islam.

Aujourd’hui l’Iran est une République islamique.

Bel oxymore ne trouvez-vous pas ?

Le guide suprême est l’équivalent du roi, il est élu au suffrage indirect, il a la réalité du pouvoir. Le président de la République est élu au suffrage universel, mais ses pouvoirs sont limités.

L’islam politique est-il en échec ?

Bernard Hourcade n’est pas loin de le penser. On a promis aux Iraniens l’indépendance, c’est un fait acquis, mais la liberté reste fantomatique. On a promis la prospérité mais la paupérisation est rampante.

Le changement, c’est la société.

Depuis le début de la révolution iranienne de 1979 beaucoup de choses ont changé.

La population est devenue urbaine a plus de 80 %, la quasi-totalité de cette population est alphabétisée et on enregistre 4 millions d’étudiants, autant de filles que de garçons.

Progressivement tous les pères de famille ont autorisé leur fillette, puis leur adolescente, à aller à l’école… couverte du tchador… Alors, merci le tchador passeport ???

Mais après huit ans de guerre avec l’Irak, puis avec l’embargo imposé par les puissances occidentales, la situation économique est plus que médiocre. Les élites intellectuelles, les ingénieurs ne trouvent pas d’emploi et la fuite des cerveaux est désastreuse.

Les femmes, également instruites, ont « pris le pouvoir » : elles ne veulent plus se marier ou être mariées à 14 ans. Elles veulent faire des études, puis travailler. Elles ont donc adopté une fécondité comparable à celles des pays occidentaux et sous leur voile elles veulent être libres de leurs choix.

Le monde iranien bouge : partout et presque tout le temps depuis 2009 on manifeste : contre la privation de liberté ou la fraude électorale ou contre la paupérisation. Tout le monde (ou presque) pense que l’islam doit être remis à sa place, comme l’un des composantes des trois I, ni plus ni moins.

L’humour est très apprécié en Iran : exemple « on a de vrais journalistes, on a la liberté d’expression mais pas la liberté après l’expression…. !

Comment sortir de l’islam politique ?

Aujourd’hui ce sont les anciens combattants de la guerre Irak-Iran (1980-88) qui dirigent le pays. Ils ont défendu la patrie pendant huit ans et ont permis aux Iraniens, seuls contre tous, de triompher et de relever la tête. Ce sont des héros. Et les 5 millions d’anciens combattants sont à ce titre prioritaires pour tout : les emplois, les acquisitions de terres ou d’entreprises.

Mais aujourd’hui les héros sont fatigués, ils se sont parfois enrichis sans scrupules et sans aucune retenue et la population murmure… comme Paris au XIX ème ?

Les manifestations de la fin décembre 2017 et du début janvier 2018 ont surpris par leur ampleur et leur généralisation dans tout le pays.

Le président Rohani a renoncé aux mesures d’austérité et le guide suprême a ordonné, il y a quelques jours « aux repus » de vendre de larges parts de leurs biens.

Une nouvelle révolution se profile-t-elle ?

La mondialisation perdue. 

Le défi économique

Quarante années d’isolement, c’est gravissime. Les Iraniens ne sont jamais sortis de chez eux (ou pour ne pas y revenir). Ils n’ont aucune ouverture sur les autres cultures. Pratiquement personne ne parle anglais. Il n’y a que 3 000 étrangers qui vivent en Iran.

Jadis la prospérité venait des grandes routes commerciales qui traversaient le pays. Puis au début du XX ème, elle est venue des hydrocarbures. Aujourd’hui le pays vend surtout des tapis et des pistaches. Voici un raccourci cruel de la situation.

Aussi férocement, on peut affirmer que la capitale économique de l’Iran, c’est aujourd’hui Dubaï ! Les puissances du Moyen Orient sont les EAU et l’Arabie Saoudite.

La volonté des dirigeants iraniens est à présent de respecter les accords sur le nucléaire, qui doivent faire lever les funestes sanctions imposées par les Américains et acceptées par les Européens.

Mais cette levée des sanctions tarde à se concrétiser et les investisseurs Occidentaux hésitent de plus en plus à se manifester.

L’Iran se tourne donc vers l’Est : la Chine surtout, l’Inde, la Corée, le Japon. C’est le Go East.

 Les 3 cercles de l’Iran sont (voir les cartes)

  • les 15 pays frontaliers, avec lesquels les relations sont difficiles
  • Le monde islamique du Maroc à la Malaisie, mais aux mains de sunnites
  • Le reste du monde avec lequel l’Iran peine à gérer des relations constructives

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La salle de l’Institut de géographie où sont rassemblés une cinquantaine d’adhérents à l’association des Cafés géographiques a la parole. Voici les questions posées et les réponses de Bernard Hourcade.

Q : comment se font les échanges avec les Chinois

  • en yuans.
  • pourquoi ne se font-ils pas en euros ? Parce que ceux-ci sont transformés par les institutions bancaires en dollars -à impossible !

Q : quels sont les rapports avec le Qatar

  • le Qatar est peuplé de populations majoritairement venues d’Iran, il peut jouer un rôle d’intermédiaire. Aujourd’hui placé sous blocus par l’Arabie, le Qatar achète des produits alimentaires à l’Iran

Q : la peine de mort et la drogue

On peut dire que depuis 1979 on condamne à mort mais pas d’importe comment : quelques opposants mais surtout les trafiquants de drogue. La consommation d’opium est autorisée en Iran et ce n’est pas cher, mais l’héroïne est un véritable fléau : 80 % de l’héroïne que l’Occident consomme passe par le territoire iranien… qui en consomme aussi tout autant d’autres s’en enrichissent. Mais depuis un mois les trafiquants qui avaient été condamnés à mort ont vu leur peine commuée en prison à perpétuité.

Q : un renversement d’alliance est-il possible au Moyen Orient : est-il possible que l’alliance Arabie / Etats-Unis soit remplacée par une alliance Etats-Unis / Iran ?

Excellente question. L’Arabie n’a pas d’armée, seulement des mercenaires, elle ne peut pas contrôler la région. L’Egypte n’existe plus comme force régionale. Les EAU sont très riches mais sans forces armées. Concluez vous-même !

Q quelle économie réelle à présent ?

  • il existe une « vraie » économie, des bastions industriels, mais aussi une économie informelle qui peut-être d’environ 60 % de la richesse nationale.

Q les Iraniens sont-ils des terroristes ?

Jusqu’en 1995, ce fut le cas, mais les attentats du 11 septembre viennent d’Arabie.

  • actuellement =  les Iraniens étaient présents, sur le terrain, pour éliminer Daech. Les autres forces présentes devraient garder cela à l’esprit.

Nous avons quitté ce cher vieil Institut de géographie en remerciant  très chaleureusement Bernard Hourcade pour son intervention passionnée et passionnante. Il nous a beaucoup appris sur un pays complexe et volontiers déprécié dans notre pays. Grand merci a lui.

 Compte rendu de Maryse Verfaillie

 

Principales publications sur l’Iran

Téhéran au-dessous du volcan, Paris, Autrement, 1987, 224p. (avec Yann Richard)

– Téhéran capitale bicentenaire. Louvain-Téhéran, Peeters/IFRI, 1992, 376 p.

– Atlas d’Iran. Paris Documentation Française, 1998
http://www.irancarto.cnrs.fr/volume.php?d=atlas_iran&l=fr

– Iran : Cultures et sociétés contemporaines. Peeters, Louvain, 2003. 322p. (ed.)

– L’Iran au XXe siècle. Paris, Fayard, 2007, 459p. (avec Jean-Pierre Digard et Yann Richard)

– L’Iran. Nouvelles identités d’une république. Paris, Belin, 2002, 223 p.

Atlas of Tehran metropolis, Tehran TGIC, 2005 (with Dr Mohsen Habibi)
http://www.irancarto.cnrs.fr/volume.php?d=atlas_tehran&l=fr

– Tehran Alborz. Mashhad, Nashr Mohaqeq-Taraneh, 2009, 280p. (en persan)

– Géopolitique de l’Iran, Paris, A. Colin, 2010, 280p.

Géopolitique de l’Iran, les défis d’une renaissance, Paris, A. Colin 2016, 335p.

– Irancarto : Site Internet de cartes et analyses géographiques sur l’Iran (www.irancarto.cnrs.fr )

CV détaillé et publications : http://www.iran-inde.cnrs.fr/spip.php?article179&lang=fr

Article à lire dans Le Monde Diplomatique de février 2018  (format PDF) :