Introduction de Judicaëlle Dietrich :
Marie Chabrol et Yankel Fijalkow sont deux chercheurs travaillant sur les thématiques du logement dans différents contextes de recomposition urbaine contemporaine dans le cadre de la métropolisation des villes européennes. Le sujet est vaste et nous aborderons ainsi la notion de crise mais aussi le lien entre crise et creusement des inégalités avec les vulnérabilités résidentielles.
Marie Chabrol est maître de conférence en géographie à l’Université de Picardie-Jules-Verne à Amiens, elle a fait sa thèse sur un quartier bien connu :Château Rouge la Goutte-d’Ori. Elle a questionné les relations entre les dynamiques résidentielles d’un quartier touché par le phénomène de gentrification et les dynamiques commerciales de ce quartier marqué par de fortes centralités africainesii. Elle mène actuellement ses recherches dans un quartier de Bruxelles qui partage nombre de caractéristiques avec la Goutte d’Oriii.
A ses côtés, Yankel Fijalkow, géographe, est Professeur à l’Ecole Nationale d’Architecture de Paris Val de Seine et auteur notamment d’ouvrages « ressources » : dans la collection « Repères » de « Sociologie du logement » et « Sociologie des villes »iv. Il mène des recherches sur les politiques publiques du logement.
Yankel Fijalkow et Marie Chabrol sont membres du réseau « Recherche-Habitat-Logement » et interviennent dans l’atelier « vulnérabilités résidentielles ». Ils collaborent dans ce cadre à un programme de recherche intitulé « Rester en Ville, résistance et résilience de la ville ordinaire » où sont comparés quatre quartiers de capitales européennes (Paris, Bruxelles, Vienne et Lisbonne)v.
Les notions de crise du logement, de mal logement, sont des expressions très utilisées dans les discours politiques et médiatiques et nous avons ici la chance d’avoir deux chercheurs aux travaux très actuels, très en prise avec le terrain. On essaiera ainsi à partir de leurs exemples et études de cas sur les villes françaises et européennes de saisir une des formes actuelles d’inégalités sociales les plus aiguës. On reviendra sur les questions de la gentrification, du logement et de la place des populations les plus pauvres en ville.
JD : Pourquoi parle-t-on de crise du logement et qu’est-ce qu’indique ce vocabulaire actuel ?
YF : C’est une question intéressante et importante !Il faut déjà déterminer qui est sous-entendu dans ce « on ». Car selon les époques, ceux qui évoquent cette notion sont assez différents. Par exemple, Henri Sellier (qui fut Maire de Suresnes, ministre de la Santé publique sous le Front Populaire, et dirigea l’Office départementale des Habitations à Bon Marché), soutint en 1921 une thèse de droit en trois volumes, intitulée « la crise du logement et l’intervention publique en matière d’habitat populaire ». A l’époque, ceux qui parlaient de la crise du logement appartenaient au courant réformateur et de la réforme sociale. Ensuite si on regarde le catalogue de la Bibliothèque Nationale de France, on trouve d’autres contemporains comme par exemple Charles Gide (professeur au collège de France) autour du mouvement coopératif ; ce fondateur de l’Economie Sociale ne défendait pas les mêmes idées que Sellier sur le rôle des pouvoirs publics. Ayant une représentation plus large de la crise du logement, il promouvait plutôt l’idée qu’il puisse exister des mouvements coopératifs de gens qui s’entraideraient pour accéder au logement. On trouve d’autres choses bizarres et amusantes aussi dans le catalogue BNF sur le thème de la crise. Par exemple un numéro des Belles histoires, intitulé « La crise du logement » où l’on raconte l’histoire d’un petit animal qui cherche un logement et qui rencontre un escargot qui a son propre hébergement, etc. Il faudrait se pencher plus attentivement sur ce texte, mais une chose est sure : en 1921 on faisait déjà des thèses sur la Crise et en 1987 on en parle encore et même aux enfants…. ! Je déduis de ce rapide parcours que le terme de crise qui signifie d’ordinaire un phénomène violent et soudain n’est peut-être pas approprié. Si on entend parler de manière cyclique des crises du logement ne sommes pas nous pas plutôt face à une difficulté structurelle de la société française, difficulté structurelle à loger ses ressortissants ?
JD : En période de crise, est ce que la situation s’aggrave ? Existe-t-il un moment particulier justifiant cette appellation de « crise », ou bien la crise est durable, structurelle et alors il faudrait un autre vocabulaire ?
YF : La crise correspond à une définition particulière d’après les dictionnaires. Le fait que la crise se répète dans l’histoire nous indique qu’on ne serait pas dans le conjoncturel mais dans le structurel. Les économistes parlent de bulle spéculative avec par exemple la crise des subprimes. Quand la bulle éclate, la crise est finie…Si, par crise, on parle de la pénurie, on entre dans un débat technique dont plusieurs questions découlent : est-ce qu’on construit trop peu ? Ou alors est ce qu’on distribue mal ? On touche alors à la géographie : « construit-on là où il faut ? »Mais aussi à la sociologie : « distribue-t-on à qui il faut ? ». C’est un aspect beaucoup plus structurel de la crise du logement qui n’est pas seulement lié à la question de la production de logement (sommet en France de production de logement dans les années 1970 avec 500 000 logements par an alors qu’on en construit actuellement 350 000 par an), mais aussi la question de la distribution du logement qu’on construit, de l’affectation et de la localisation de ces logements.
JD : On parle de cas particulier parisien de cette crise du logement et de cette situation-là, grâce à vos recherches menées sur le terrain, distinguez-vous une spécificité parisienne ? Retrouve-t-on des similitudes avec les autres villes européennes ?
MC: Nous avons étudié quatre capitales européennes qui connaissent toutes ce processus de métropolisation mais dans lesquelles le marché du logement est très différent en termes d’offre de logement -et surtout d’offre de logement social, mais qui sont soumis à des processus similaires. Les ressemblances sont plus faibles au niveau des acteurs. Sur ces quatre terrains, on retrouve une fragilisation des plus pauvres pour lesquels trouver un logement devient de plus en plus difficile et implique des sacrifices de plus en plus importants. Ces quatre capitales ont des quartiers populaires centraux présentant des situations particulières qui permettent un maintien de ces populations vulnérables à condition de sacrifices importants.
YF : Si on considère la variable du logement social, nous observons des situations extrêmement diverses. Par exemple, on trouve à Vienne un des ancêtres du logement social ; la cité Karl Marx Hof construite en 1930 était avant-guerre le symbole de la nouvelle construction de logement social. Mais le quartier que nous avons étudié à Vienne n’est pas dans ce secteur et ne comprend pas de logements sociaux. A l’autre bout du spectre, à Lisbonne seulement 2 à3% du logement est social dans le quartier de la Mouraria que nous avons étudié. Le quartier étudié à Bruxelles est Heyvaert, au sud de la commune de Molenbeek, et il comporte moitié moins de logements sociaux que le reste de la commune de Bruxelles (4% contre 8%). Et enfin la Goutte d’Or comporte 18% de logements sociaux, c’est un quartier ayant connu une très forte augmentation du nombre de logements sociaux. Même si on observe des situations de logements variables, ces quartiers sont tous des quartiers de gare donc présentant une urbanisation liée à installation des gares au XIXe siècle sauf la Mouraria à Lisbonne. Ce sont donc des quartiers d’accueil, très proches du centre, des quartiers ayant tendance à la gentrification. Nous avons fait le choix de ces quartiers car il y a un débat actuellement sur la présence ou non des classes populaires dans les centres anciens en cours de gentrification, d’où l’appellation Rester En Ville (REV) que nous avons choisie et qui nous place dans ce débat.
JD : Qu’est-ce que la gentrification produit comme crise spécifique ? Cette question en appelle une autre, afin de savoir de quoi l’on parle : qu’entend-on par le terme de gentrification et dans quel cadre l’utiliser ?
MC : La gentrification est un processus de changement urbain se produisant dans des quartiers populaires anciens dans lesquels des couches moyennes supérieures achètent et réhabilitent des logements. Ce processus se fait au détriment des catégories les plus populaires. Les prix de l’immobilier montent et les recensements montrent que l’on voit très nettement augmenter la part des cadres et baisser celle des catégories populaires. La gentrification se fait aussi par la structure commerciale : il y a un changement au niveau de la population résidente et l’offre commerciale se met ensuite en adéquation avec l’offre résidentielle (avec de nouveaux restaurants et bars, de nouvelles boutiques).
Pourquoi parler de gentrification et pas d’embourgeoisement ? La gentrification fait partie des processus d’embourgeoisement, l’embourgeoisement concerne les quartiers bourgeois devenant de plus en plus bourgeois, alors que la gentrification c’est quand un quartier populaire devient bourgeois ; la différence vient du point de départ de ces quartiers. Bourgeois ou bobo ? Le terme de bobo a un côté pittoresque, qui tend à diminuer la violence des rapports sociaux et l’éviction des classes populaires ; c’est pourquoi nous plaidons pour que le terme de gentrification soit celui utilisé dans le domaine scientifique et par les médias, car les autres termes créent un effet d’euphémisme.
JD : Quelles sont les conséquences en termes de vulnérabilité résidentielle pour les habitants des quartiers en cours de gentrification ?
MC :Les contextes urbains locaux jouent sur la rapidité du phénomène (plus rapide par exemple à Londres notamment qu’en France) : le processus d’éviction des plus pauvres a lieu via l’augmentation des loyers qui entraine le départ des locataires les plus populaires et l’augmentation des prix immobiliers qui exclue rapidement les plus pauvres bien sûr, mais aussi une partie des couches moyennes (ne disposant pas d’apport personnel ou familial). Mécaniquement, le stock de logements occupés par des catégories populaires diminue dans le quartier en question. Mais la gentrification doit être étudiée à plusieurs échelles. A l’échelle d’une ville dans son ensemble, certains quartiers – par exemple à Heyvaert à Bruxelles – conservent leur fonction d’accueil des plus pauvres. Se maintenir dans ce quartier c’est avoir fui ce mouvement dans d’autres quartiers de Bruxelles mais en même temps, à Heyvaert aussi les prix augmentent et le budget logement augmente pour les ménages qui y vivent.
YF : On a choisi des quartiers – sauf la Goutte d’Or (qui a connu une mutation rapide)– qui avaient un taux peu important voire inexistant de logement social, car le logement social est ce qui protège normalement de la gentrification : les loyers sont réglementés et définis à partir de ressources, mais il existe plusieurs types de logements sociaux. Ainsi, en France, il existe des logements sociaux destinés aux populations à faibles ressources (Prêt Locatifs Aidés d’Intégration) mais aussi des Prêts Locatifs Sociaux ou des Prêts Locatifs à Usages Sociaux pour lesquels on va chercher à loger des catégories moyennes avec l’intention de favoriser la mixité sociale. A la Goutte-d’Or, à partir des années 2000, des PLS et PLUS ont été construits à destination des couches moyennes. Ce processus de gentrification ne se fait pas de manière tout à fait spontanée, contrairement au processus de gentrification qu’on nous a raconté au début des années 1960 quand l’expression est apparue ! Aujourd’hui la gentrification est accompagnée par les municipalités qui veulent revaloriser ces quartiers, donner de l’attractivité à leur commune et qui sont donc favorables à la gentrification. On ne veut surtout pas que ces communes soient des no-go zones (comme on l’a dit après les évènements de janvier 2015) ! Les politiques, par leur discours vont donc promouvoir la gentrification pour promouvoir les villes et leur assurer de l’attractivité. Mais il y a des effets pervers. Par exemple, dans les processus de gentrification, le parc de logement se rétrécit pour répondre à la demande plus importante de ménages comportant moins d’enfants. Les familles populaires trouvent une offre plus restreinte pour répondre à leurs besoins. Que font-elles alors? Elles développent des stratégies pour s’entasser en colocation par exemple, louer des chambres particulières et d’autres stratégies destinées à leur permettre de se maintenir sur place, dans le quartier où elles ont des attaches économiques, familiales, relationnelles. On peut donc dire qu’elles résistent à la gentrification mais qu’en même temps elles s’en accommodent et parfois aussi elles la favorisent en développant dans ces quartiers une atmosphère d’hospitalité, qu’ils ont d’ailleurs toujours eue, étant des quartiers d’accueil des migrations. C’est pourquoi l’on peut aussi parler de résilience pour ces quartiers en gentrification, sachant qu’il n’y a pas seulement des pratiques de résistances sur le logement mais aussi tout autant sur d’autres aspects de la vie quotidienne : la fréquentation des espaces publics, l’approvisionnement alimentaire, ou tout simplement de raconter des anecdotes sur le quartier.
JD : En plus des logements sociaux qui vont jouer, il existe aussi surement des orientations des politiques via des aménagements politiques, je pense par exemple à la piscine de Roubaix qui devient un espace à l’usage des bobos alors qu’initialement elle ne l’était pas du tout. Deuxième question ; je travaille sur Jakarta, quand on parle de rénovation de quartiers pauvres, on me parle de gentrification, est-ce un concept exportable ou pas du tout ?
MC : La gentrification n’est pas le seul processus qui transforme les quartiers populaires : on peut avoir de la gentrification et de la paupérisation en même temps dans un même quartier, et la gentrification cache d’autres processus. L’éviction se fait par d’autres opérations ; la construction de projets sur des espaces qui ne sont pas forcément des espaces de logements mais qui visent des populations plus aisées par exemple. La gentrification ne doit pas devenir une notion fourre-tout pour décrire les transformations des quartiers populaires des villes du Sud ou du Nord.
JD : Il existe de nombreux débats au sujet de la gentrification, c’est un concept à reconstruire, et donc par exemple le cas des docs de Bercy qui sont aujourd’hui en construction, allez-vous appeler cela de la gentrification ? D’autres chercheurs ont essayé de pondérer la gentrification comme étant l’extension d’une population aisée vers des quartiers populaires. Est-ce que cela s’opère par vagues ?
MC : A propos de Roubaix : les politiques publiques veulent créer de la gentrification pour revitaliser, renouveler comme si c’était la seule solution, comme si les populations aisées étaient les seules à pouvoir revitaliser, et cela se solde souvent par un échec quand c’est impulsé uniquement par le haut.
YF : La gentrification n’est pas forcément une mauvaise chose. Mais ce qui est condamnable c’est de vouloir la créer en faisant venir des éléments extérieurs notamment des populations. Dans ce cas c’est voué à l’échec car le message à l’égard des populations en place consiste à leur dire : « vous n’êtes pas assez bien et donc on va faire venir des nouveaux qui vont vous remplacer ». C’est très humiliant pour les populations en place et dans certains endroits du globe (à Montréal ou à San Francisco) cela s’est traduit par des phénomènes violents. A mon sens ce n’est pas justifiable car on ne peut pas dire que tel ou tel quartier appartient à telle ou telle population. Mais cette population qui se trouve « envahie » n’en a pas moins le droit de vivre dans le quartier où elle développe son mode de vie. De plus, on part du postulat que seul l’extérieur peut régénérer le quartier qui va mal. Cela suppose qu’on considère qu’il ne peut y avoir une régénération de l’intérieur promouvant les populations de l’intérieur, qu’il est impossible de les conduire à autre chose que ce à quoi elles sont condamnées. C’est un élément du débat sur la mixité sociale.
JD : Vous avez évoqué la question de la crise du logement d’une part et de la gentrification d’autre part. Ce sont deux processus conjoints, parallèles, mais au-delà de ces processus et des enjeux de vocabulaire, peut-on faire un point sur les conditions réelles vécues sur les populations exposées, vulnérables ? Qu’est-ce qu’est le mal logement ? Quels groupes sociaux peuvent être touchés ? Qui est touché par la crise ?
YF : On va essayer ! Depuis 1995 on a un état statistique du mal logement édité par la fondation Abbé Pierre avec l’aide de collègues chercheurs. C’est un inventaire complet de cet état qui établit à peu près à 3,8 millions le nombre de personnes mal logées. Par « mal logée » on entend être dans une situation de sans domicile, d’hébergement fragile (camping, bidonville, impayés, procédures d’expulsion à la fin de la trêve hivernale). Et ces personnes en situation de précarité sont aussi en situation de précarité énergétique ; ils ne parviennent pas à aborder les prix du chauffage. Tout ça fait un gros paquet de presque quatre millions de personnes. Ça, c’est le mal logement !Mais on a aussi, sous l’angle de la vulnérabilité résidentielle -qu’on a étudiée au sein du groupe Rehal en comparant des situations urbaines différentes- une fragilité face à des phénomènes économiques que les gens ne maîtrisent pas, ce sont des rapports sociaux qui peuvent être difficiles (taux d’effort pour se loger, 23% du revenu et des rapports locatifs tendus par exemple) et pour raccrocher ce mal logement à la gentrification, celle-ci se produit dans les territoires où les prix sont faibles et donc où se trouve pour une part cette population pauvre. Or dans la gentrification il y a des phénomènes de climax comme celle de crise. Dans cette période de climax on a des situations de vulnérabilités résidentielles très affectées. On a interviewé une personne qui venait du Sénégal et qui a vécu dans plusieurs logements en chambre d’hôtel, chez des parents, finalement son couple a éclaté, elle est tombée malade. Pour finir, elle a rejoint une association de droit au logement qui l’a aidée à travailler, et aujourd’hui elle est locataire d’un logement social. C’est ce type de trajectoires qui nous a intéressé car cela traduit bien la raréfaction de l’offre pour les ménages pauvres, leur difficulté à s’insérer sur le marché du logement sauf dans des secteurs du parc de logement qui sont en train de disparaître pour cause de gentrification.
MC : Nous avons travaillé sur Heyvaert, c’est un quartier à cheval sur deux communes de Bruxelles :Molenbeek et Anderlecht, ce sont des quartiers dans lesquels les logements sont 20% moins chers que dans le reste de Bruxelles et les revenus de la population sont à 47% inférieurs à la moyenne de Bruxelles. C’est un quartier avec une immigration ancienne du Maroc, puis d’Afrique subsaharienne et enfin qui accueille récemment des réfugiés de Syrie. Ce qui nous a intéressé dans ce quartier qui a une mauvaise image, c’est le rôle de certaines associations qui aident les familles très vulnérables (monoparentales, familles nombreuses), elles les aident à accéder à du logement de très bonne qualité. Nous avons beaucoup travaillé avec une association en particulier car elle mène une démarche de résistance face à la gentrification en achetant du logement et en le louant à ces familles. Les enfants ont leur chambre, le logement est beau, toute la famille retrouve place dans la ville grâce à ce logement. Ce sont des familles totalement exclues du marché privé du logement (revenus faibles, racisme à leur égard), mais aussi du logement social car les listes d’attentes sont longues -de plus de dix ans à Bruxelles, et ce même en ayant des revenus très bas. Parfois, c’est assez surprenant, les associations aident ces ménages à devenir propriétaire via des systèmes de tontines (groupes de ménages formant des groupes d’épargne : l’argent collecté revient à ce ménage et constitue ainsi un premier apport et permet de payer les frais de notaire), c’est donc soit un accès à du locatif aidé, soit un accès à la propriété pour des gens exclus du marché locatif aidé.
JD : Quelles sont les ressources, les réponses possibles pour limiter, résoudre cette crise, ce mal-logement ? Quel est le rôle réel des lois sur le logement ? Je pense à la loi DALO, à la loi Duflot ; on voit donc qu’il existe des politiques voulant produire de la gentrification, mais quelles sont les politiques voulant réduire la crise du logement telle qu’elle est actuellement ?
YF : Il y a beaucoup de choses à dire sur les politiques. La loi DALO offre la possibilité pour des ménages de s’opposer aux collectivités lorsqu’ils sont en attente de logement dans des conditions très critiques. Les bilans statistiques ne sont pas extraordinaires pour cette loi, mais elle a quand même fait avancer un certain nombre de dossiers. Des difficultés émergent car les organismes sociaux doivent à la fois accepter les DALO et répondre à l’injonction à la mixité sociale. Un chiffre est intéressant : le parc privé n’est quasiment jamais mobilisé dans les dispositifs de la loi DALO. C’est uniquement le parc social qui est sollicité alors que ce n’est pas ce qui était prévu. Dans ces quartiers où il y a encore de l’insalubrité, du logement indécent, les processus DALO vont jouer avec les phénomènes de gentrification dans la mesure où l’on ne peut proposer des logements qu’en dehors de ces quartiers.
Au sujet de la loi Duflot, c’est une loi sur l’urbanisme rénové : on passe de 20% à 25% la part imposée de logements sociaux mais on est en train de changer d’échelle. On ne considère désormais plus les 25% par rapport aux municipalités mais par rapport aux PLUIqui sont intercommunaux. On est donc passé d’une échelle à l’autre. De plus, les dispositifs financés par le système Duflot sont des niches fiscales pour l’investissement locatif dans le logement. Comme l’Etat et les collectivités locales rencontrent des difficultés à construire du logement social, on tente de diriger les investisseurs privés vers les communes dont les marchés sont moins tendus sur le logement et dans lesquels ils pourront loger plus de monde. Cela aussi peut induire de la gentrification. Beaucoup d’encre a coulé sur la question des niches fiscales et sur ce que cela peut rapporter en termes de production sur le logement. Surtout que dans le dispositif Duflot, il existe une clause permettant d’acheter pour ses propres enfants et de les loger sur place, ce serait peut-être en plus une prime à la reproduction sociale.
Au sujet des lois sur la modération des loyers notamment dans l’agglomération parisienne : cela donne apparemment des résultats intéressants sur le niveau des loyers, mais est-ce que cela a des effets sur les prix immobiliers à la vente ? Les possibilités d’action de la loi ne portent que sur le marché locatif. Or, en France, les propriétaires bailleurs sont surtout des petits propriétaires ; 80% des gens ont un seul appartement en location ! Ce sont donc des populations qui vont certainement contester cette mesure car ils seront étranglés par la limitation des loyers même si par ailleurs cette limitation est justifiée au regard des taux d’efforts (23% pour le logement actuellement contre 10% dans les années 1970). Nos logements se sont améliorés mais on fait plus d’effort pour les payer.
MC : Il faut donc considérer deux éléments : concernant la construction de logement social, atteindre 25% est très bien à condition de définir de quels logements on parle. Or on note une baisse de la part de logements destinés aux plus vulnérables au détriment de ceux pour catégories moyennes. Par ailleurs, dans le secteur privé, l’immobilier est clairement devenu un investissement refuge, ce qui augmente de manière constante la pression sur les quartiers centraux. Le phénomène s’alimente ainsi, entrainant une crispation sur l’immobilier.
YF : En même temps, le logement devient pour 16% à 18% de la population aussi un lieu de travail (avec le télétravail, le travail à domicile et à temps partiel), donc le logement devient d’autant plus une corde sensible, et c’est un élément d’identification aussi fort que le travail l’a été. Une identification par le logement en quartier a ainsi lieu.
Débat avec la salle :
Marseille présente des quartiers centraux avec des populations très vulnérables, où des efforts de gentrification ont eu lieu sur l’avenue de la République et c’est un échec absolu car deux tiers des commerces sont vides, comment peut-on expliquer cet échec ?
JD : Je pense au documentaire de Nicolas Burlaud La fête est finie traitant de la résistance des habitants face à ce programme.
YF : J’ai beaucoup entendu parler de Marseille et de cette rue notamment par les travaux de Marcel Roncayolo. Cette rue est l’échec d’une percée haussmannienne qui ne réussit pas, ce que Marcel Roncayolo explique bien pour l’époque. Mais dans la salle certains connaissent mieux Marseille aujourd’hui que moi ! Je transmets la parole à Clara Piolatto, une diplômée d’architecture sur Marseille qui s’intéresse aux actions d’Euroméditerranée.
« Comme on le voit dans ce film, il y a vraiment eu des contestations populaires qui ont montré l’échec d’un symbole d’Euroméditerranée, cette rue aurait dû faire venir des investisseurs pour revitaliser la ville ; les rez-de-chaussée sont en effet acquis mais pas investis donc on assiste à une mort de la rue car les habitants ont été expulsés avec des méthodes que le livre de Philippe Pujol La fabrique du monstre montre ; ce sont des expulsions sombres. Ces méthodes ne sont pas des pratiques de gentrification, mais je ne saurais pas les nommer. »
– Je pensais que la gentrification, ce n’était pas bien et là, à Marseille, c’est un objectif pour revitaliser une ville, est ce que c’est assumé ou est-ce mal perçu et alors je devrais culpabiliser d’acheter un logement à la Goutte d’Or ?
MC : Il y a assez peu de modèles de revitalisation des villes et le modèle dominant c’est la revitalisation par l’attractivité impulsée par les cadres, par les couches moyennes. Certaines villes s’essayent à cette « recette », avec l’idée qu’on va l’appliquer en créant de l’offre de logement ; on va ainsi créer des lofts pour que les classes moyennes et supérieures lilloises viennent habiter à Roubaix au détriment des couches les plus pauvres. La question des classes moyennes est différente car la gentrification se fait via des pratiques individuelles. Cela pose aussi la question de l’échelle sur le plan social.
YF : il faut absolument déculpabiliser Monsieur ! D’une part on a le discours des politiques qui n’expliquent pas clairement qu’on va faire de la gentrification : on parle d’action de revalorisation, d’attractivité, on veut créer des quartiers créatifs (cette notion vient du chercheur canadien Richard Florida qui avait montré par les statistiques que les villes nord-américaines deviennent attractives à partir d’un certain seuil de types de commerces). Cette action politique est fondée sur l’idée que ce n’est pas l’emploi qui attire les populations mais que c’est le cadre de vie et les conditions d’habitat. C’est ce qu’on appelle l’économie résidentielle qui veut jouer sur les facteurs d’attractivité liés au cadre de vie.
Maintenant pour vous déculpabiliser, la question est de savoir où peuvent se loger les classes moyennes avec des revenus meilleurs, composées d’enseignants et de chercheurs relevant des salaires des pouvoirs publics. Allez comparer cette gentrification venant des agents publics avec la gentrification se déroulant à Londres avec des revenus supérieurs venant du privé ! C’est assez compliqué ! Ce sont des raisonnements différents par rapport à une offre différente. A un niveau « n », les classes moyennes sont dirigées vers les quartiers de l’est parisien où l’on sera dans une situation de mixité sociale. Mais la question est alors ce qu’elles font de cette situation de mixité. On a des gens qui réagissent excessivement ; par exemple l’association « Droit au calme » qui est un groupe d’habitants voulant imposer ses propres règles. On retrouve ce type d’associations sur toute la couronne du nord-est parisien aujourd’hui. Les gens interrogés évoquent souvent les difficultés à vivre dans ces quartiers. Mais on n’a pas que ce type de réaction et on a aussi des positionnements beaucoup plus subtils.
– La mixité sociale est-elle une bonne idée ? À quelle échelle ? Quartier, ilot, immeuble, étage ?
MC : la notion de mixité sociale est très politique, elle ne veut pas dire grand-chose, il faut la prendre avec des pincettes. C’est avant tout une coprésence, la question de l’échelle est très intéressante d’autant que les chercheurs qui travaillent dessus dans les contextes de mixité fabriquée montrent à quel point cette mesure peut être conflictuelle.
– J’ai l’exemple du PLU de Nantes qui montre que dans le centre de Nantes, il y a une obligation de 20% à 25% de logements sociaux au sein d’une même unité sociale. Et j’ai entendu parler d’échecs. Au sein d’un même bâtiment, qu’est-ce que cela va devenir ?
YF : Il faut prendre en compte avant tout la question d’échelle : qu’est ce qui va être mixé avec quoi. Cela pose la question des catégories sociales qu’on va définir pour être mixées avec x ou y. Ainsi le problème de l’identité se pose ; il faut faire un choix de caractéristiques. Or, bien souvent, on s’intéresse sans le dire à la question de la mixité ethnique alors qu’il existe une multitude de définitions de l’ethnicité. Ainsi analyser les populations uniquement par l’ethnie c’est réduire l’intérêt de la mixité. La question de faire venir des gens de l’extérieur a été abordée. Or, on pourrait faire de la mixité sociale en promouvant les personnes vivant dans ces quartiers via des programmes d’alphabétisation, et on aurait dans ces cas-là des enfants devenant cadres moyens, habitant ce quartier et ayant une tolérance plus élevée vis-à-vis des désordres que des gens venant de la même catégorie sociale « cadre moyen » et qui seraient venus d’ailleurs. La mixité sociale n’est pas une recette miracle, elle peut même être source de tension et de conflit. Mais sans tension et sans conflit, il n’y a pas de vie !
– LCP diffusait un documentaire sur l’expérience menée depuis deux ans qui permettait à des personnes mal logées à Paris d’obtenir un logement social à Aurillac et beaucoup considéraient Aurillac comme une terre promise ; peut-on imaginer une solution à la crise du logement en déplaçant des populations ?
MC : On voit dans nos terrains de recherche que des populations acceptent des mauvaises conditions de vie ou bien de payer très cher un loyer car elles veulent profiter de la ville en tant que telle. Je prends l’exemple d’une femme bruxelloise guinéenne, mère de cinq enfants et qui avait d’abord eu un logement à côté de Charleroi, avec jardin. Elle ne parle pas bien français, n’a pas de permis voiture et donc elle ne pouvait pas rester là-bas et ainsi elle préfère rester dans Bruxelles même dans des conditions de logement difficiles pour toutes ces raisons. Et à la Goutte d’Or, les gens demandant de l’aide aux associations d’aide au logement sont des gens qui travaillent à Paris, souvent avec deux emplois différents (principalement dans les secteurs du ménage, du gardiennage, de la restauration, de l’aide à la personne), le matin et l’après-midi, ils ont donc besoin de cette centralité pour travailler. La proposition de logement dans un autre lieu mal desservi ne répond donc pas à leur demande.
YF : A l’inverse des économistes qui définissent les aménités urbaines comme étant les utilités de la vie, nous nous intéressons aux aménités urbaines propres à ces populations. Un élément a été contre-intuitif, par exemple à Heyvaert, le quartier de la commercialisation de la voiture d’occasion à Bruxelles : il y a donc des grandes emprises, des grands garages, et de la pollution sonore, olfactive, quotidienne…Mais l’idée que les habitants développent est que si ce quartier reste bon marché c’est en raison de l’activité nuisible qui les protège. On en arrive à la conclusion contre-intuitive que ces nuisances présentes dans ces quartiers sont des facilités pour ces populations. Pour Aurillac, si les populations n’y trouvent pas beaucoup d’aménités, le problème reste posé.
– Quelles pourraient être les solutions à Paris à la crise du logement ? On peut se faire refuser le logement en couple si aucun des deux n’a un CDI. Alors la solution pourrait passer par un changement de mentalité de la part des promoteurs immobiliers qui cherchent la sécurité, pourquoi ne pas essayer de chercher la confiance ? Des villes ont-elles déjà appliqué ce changement de mentalité ?
YF : Le problème est que la confiance ne s’institue pas comme ça. Il y a des solutions pour loger des personnes à faibles ressources, par exemple Solibail : c’est quand la ville se porte garant d’une association payant les loyers à la place de la personne en difficulté. La ville de Paris en a développé mais pas assez, c’est contingenté, et avec des associations que la ville porte à bout de bras car ce sont des associations d’insertion sociale. Dans la loi Duflot, il y a la Garantie Universelle des Loyers qui devait être financée par les partenaires mais la GUL a été absorbée par un dispositif propre au logement social et donc elle ne garantit pas les loyers. On a besoin d’une garantie. Sans, cela devient difficile. Les pouvoirs publics ont la possibilité d’en développer. Il ne s’agit pas de tout financier, mais d’assurer des garanties, et cela soulagerait de nombreux problèmes.
– Pour revenir au profil des propriétaires en France : la plupart sont propriétaires d’un seul logement et ils n’ont donc pas les reins assez solides pour assumer une absence de payement. Il va y avoir potentiellement des choix stratégiques des propriétaires qui ne vont pas aller vers des logements locatifs mais plutôt vers des plateformes de location ponctuelles type AirBNB qui briment en plus le logement hôtelier. En quoi cela joue dans la crise du logement actuelle ?
MC : Le quartier de Lisbonne que nous avons étudié, la Mouraria, est très touristique. Beaucoup de logements ont été transformés en logements touristiques pour quelques jours ce qui fait donc baisser la part des logements disponibles dans ce quartier. Il y a ainsi dans ce quartier des vieux habitants, des gentrifieurs qui s’installent là et qui rénovent, des immigrants souvent très récents dans des logements insalubres et enfin des touristes (dont la part augmente de plus en plus).
YF : Sur Paris il y a vraiment des difficultés : la Goutte-d’Or n’est pas beaucoup touchée encore par le phénomène AirBNB.
– Dans le quartier d’Heyvaert, les associations, en plus de donner un logement à ces populations, leur donne aussi un pouvoir, est ce que ce système existe en France ? Pourrait-on donner de l’importance à la part du social ?
MC: Ce mouvement est inspiré de ce qui se passe aux États-Unis avec les community land trust et qui existe depuis longtemps. Nous avons découvert cela à Bruxelles, ces familles sont vraiment accompagnées, elles apprennent à former un dossier pour un prêt, à travailler avec un syndic, ces populations deviennent des vrais acteurs, et ça se passe très bien. De même pour les gens réinsérés de cette manière via le locatif, le but est de construire un projet. Le logement est ce qui permet de se stabiliser et de se relancer dans un projet, par exemple en reprenant des études ou en faisant de nouvelles formations.
– Mais à Aurillac, c’est la même dynamique ! Avec Habitat Humanisme.
YF : En France, les petits organismes survivent, il y a vingt ans il en existait une myriade, maintenant c’est beaucoup plus réduit. Il y avait aussi des associations qui étaient affiliées aux proches de partis politiques, ça se voyait par exemple dans les intitulés des associations par exemple « avenir du prolétariat ». Aujourd’hui, on attend que le développement de l’habitat coopératif avec la loi Duflot ait un effet sur le locatif. La crise du logement, on ne l’a pas précisé mais c’est la crise du logement locatif pour l’instant ! Donc d’accord avec l’expérience d’Aurillac mais le progrès ne serait-il pas aussi que tout le monde (riche ou pauvre) puisse autant habiter Aurillac que Paris ?
– En étudiant les différentes villes au niveau européen on observe différentes politiques publiques, entre les 18% de logements sociaux français et le faible taux du Portugal, comment l’Europe prend-elle en compte ces disparités de politiques publiques ?
YF : De nombreux débats parlementaires existent sur la définition du logement social. L’Etat français était accusé de donner plus de financement au logement social qu’aux organismes privés alors que le taux de pauvres était à peu près le même dans logement social que dans le logement privé. C’est aussi la question des disparités des politiques en Europe et donc de l’investissement de l’Etat. Ils sont arrivés à un consensus permettant de parler d’un service public du logement : c’est une manière de pondérer les différentes façons qu’on a de traiter le logement social. Mais cela ne réduit pas les écarts au sein des politiques publiques. Dans les pays d’Europe du sud, il y a une mobilisation familiale et pas seulement de l’Etat, il y a une tradition de la propriété. A Vienne, il y a la configuration d’un Etat social providence hérité d’avant-guerre. La France se situe toujours au milieu, avec 56% de gens accédant à la propriété et environ 40% de locataires (dont 22% de privé et 18% de social), mais on manque d’une vraie définition du logement social sur lesquels les Etats pourraient s’aligner.
– Je suis propriétaire à la Goutte d’ Or et enseignant, vous disiez que cette gentrification s’accompagne d’une gentrification commerciale et je n’ai pas l’impression que la gentrification de la Goutte d’Or soit commerciale : les magasins sont restés les mêmes, 95% sont destinés aux habitants d’Afrique subsaharienne et des Antilles, donc si l’on veut des produits destinés à nos demandes, on doit se déplacer. Est-ce dû à un fort taux de logement sociaux qui empêche la gentrification ? De plus, beaucoup de surfaces de bureaux sont vides à Paris, est-ce que dans la loi on a le droit de faire passer des surfaces de bureaux en logement ?
MC : La gentrification résidentielle dans la Goutte d’Or est forte dans le parc privé où les prix ont été multipliés par trois depuis 2000, mais elle reste résidentielle. Il n’y a pas de gentrification de la structure commerciale ; il n’y a aucun intérêt pour les commerçants à diversifier cette offre car elle est toujours très rentable. La structure commerciale résiste car il y a de telles fréquentations de la clientèle qu’il n’y a aucune raison de la modifier (pour les commerçants). L’action publique veut transformer cela et diversifier l’offre commerciale. Mais elle ne peut le faire que dans les immeubles sociaux où elle possède des locaux commerciaux, par exemple le bailleur Semaest choisit ses commerçants à qui il loue des locaux (20% moins cher que dans le parc privé). On a ainsi vu s’installer un supermarché Franprix, cela résultait d’une volonté politique.
YF : La mono-activité se retrouve aussi dans la rue Bonaparte (à côté du Café de Flore !) : on n’y trouve que des magasins d’antiquaires et de marchands d’art, cette difficulté n’est pas traitée de la même manière dans les quartiers aisés ou pauvres.
MC : Pour la Goutte d’Or, la zone de chalandise dépasse le quartier, ceci dit une grande partie de la population du quartier s’y retrouve aussi. On invoque souvent le côté pratique pour les populations extérieures qui viennent jusqu’ici faire leur marché, mais on oublie qu’une grande partie des habitants du quartier s’y approvisionnent aussi. Notamment les couches populaires.
YF : au sujet de récupérer des bureaux, le problème est que ce n’est pas le même marché, il existe une codification des surfaces en blanc, ce sont des surfaces non aménagées. Tout bureau n’est pas transformable en logement.
– En ce qui concerne les écoles, la gentrification est plus lente elle se fait sur 15-20 ans, les parents ne veulent pas mettre leurs enfants dans ces écoles !
YF : Les taux de scolarisation hors école de ces quartiers-là sont intéressants à étudier. Les choses sont extrêmement sensibles ; les gens sont tenus par les prix du marché, mais ils ne partagent pas forcément la vie du quartier car ils n’y éduquent par leurs enfants, c’est aussi leurs stratégies et les possibilités offertes.
MC : on voit ici les limites de la mixité pensée en termes de coprésence et pas en vraies échanges et rencontre, ce terme de mixité sociale est vraiment très fourre-tout.
– Qu’est-ce que la super gentrification ? Existe-t-il des vitesses de gentrification différentes, et si on met en parallèle l’Europe avec les Etats-Unis, retrouve-t-on des processus différents ? Pourquoi ?
YF : Effectivement, des auteurs utilisent ce terme pour parler non pas de petits processus mais plutôt des grosses opérations développées par des promoteurs immobiliers qui supplantent et remplacent l’ensemble d’un quartier, d’un îlot. A côté de cela, la gentrification européenne est quand même un processus plus lent, sauf à Bruxelles, ce sont des processus moins brutaux, avec des actions de capitaux et pas des actions de populations : en Europe on vient avec des populations, des aménagements et des offres de logements compatibles. Tandis que dans la super gentrification c’est les capitaux qui se déplacent !
Conclusion :
MC: Dans notre programme de recherche, nous travaillons avec la sociologue photographe Sylvaine Conord. Nous avons fait sur chaque terrain une cinquantaine d’entretiens et proposé aux personnes interrogées de faire des parcours avec nous, Sylvaine Conord a pris des photographies pendant la ballade, ces photographies font partie du programme de recherche. Elles seront exposées à l’ENSA à partir du 26 mai jusqu’au 7 juinvi, et vous y êtes bienvenus ! L’exposition partira ensuite à Poitiers pour les trente ans du laboratoire MIGRINTER (21 au 24 juin) et voyagera ensuite à Amiens et on l’espère à Bruxelles, Vienne et Lisbonne.
Compte-rendu rédigé par Clara CURMI
Pour aller plus loin sur la vulnérabilité résidentielle, voir le dossier dans la revue Métropolitiques :
Les vulnérabilités résidentielles en question : http://www.metropolitiques.eu/Les-vulnerabilites-residentielles.html
iCHABROL Marie (2011), « De nouvelles formes de gentrification ? Dynamiques résidentielles et commerciales à Château-Rouge (Paris) », thèse sous la direction de Françoise Dureau, Université de Poitiers : http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00658852/fr/
iiCHABROL Marie (2013), « Qui sont « les Africains de Château-Rouge » ? Usages et usagers d’une centralité commerciale immigrée à Paris », Métropolitiques, 6 mars 2013. URL : http://www.metropolitiques.eu/Qui-sont-les-Africains-de-Chateau.html
iiiCHABROL Marie, ROZENHOLC Caroline (2015), « Rester en ville : ce(ux) qui résiste(nt) à la gentrification », dossier sur le quartier Heyvaert, Uzance, vol. 4, pp. 4-15. http://www.patrimoineculturel.cfwb.be/index.php?id=14479
iv FIJALKOW Yankel (2011), Sociologie du logement, La Découverte, Paris, 128 p.
FIJALKOW Yankel (2007), Sociologie des villes, La Découverte, Paris, 128 p.
FIJALKOW Yankel et ROZENHOLC Caroline (2016), D’une tente à l’autre. « Crise du logement » et mobilisations sociales en France et en Israël, Les Annales de géographie 2016/1 (N° 707), pp. 5-27.
v Programme de recherche (2013-2016) financé par le PUCA (Plan Urbanisme Construction Architecture), organe du Ministère du Logement et de l’Habitat Durable, dans le cadre de la consultation de recherche sur « La ville ordinaire et la métropolisation ».
vi « Résistance ordinaire de quartiers populaires. De Vienne à Lisbonne, de Bruxelles à Paris », Exposition de photographies de Sylvaine Conord, 27 mai – 7 juin 2016, ENSA Paris-Val-de-Seine, 3 Quai Panhard et Levassor, 75013 Paris.