C’est « la plus grave crise sanitaire » que la France affronte depuis un siècle. Cette crise, de dimension mondiale, n’est pas seulement sanitaire, elle est également économique et financière, et son volet politique ne saurait être négligé avec ses replis nationaux et l’absence d’une véritable coordination globale. Pour les spécialistes qui réfléchissent aux liens entre la biodiversité et la santé, derrière la crise du coronavirus, il y a, à l’évidence, une crise écologique qui est en rapport avec l’anthropisation croissante de la planète et la globalisation des échanges.

En réalité, la mutation des microbes animaux en agents pathogènes humains remonte à une période très ancienne, la révolution néolithique, quand l’homme a commencé à modifier les milieux naturels pour étendre les terres cultivées et pratiquer l’élevage. C’est ainsi que les animaux nous ont transmis des maladies, comme la rougeole et la tuberculose par l’intermédiaire des vaches. Mais depuis un siècle, avec les développements de la révolution industrielle et l’extension planétaire du commerce, c’est un énorme changement d’échelle auquel nous assistons. Depuis les années 1920, on observe une croissance constante du nombre d’épidémies de maladies infectieuses. La destruction des habitats, la déforestation en particulier, accroissent la probabilité des contacts proches et répétés des animaux avec l’homme, lesquels permettent aux microbes de passer dans notre corps et d’acquérir une nature pathogène souvent meurtrière. Des scientifiques, des géographes notamment, ont étudié le parcours géographique des pandémies en révélant comment, par exemple, les chauves-souris ou les moustiques peuvent transmettre ces virus, bactéries ou parasites. A cet égard, j’ai déjà eu l’occasion de signaler la qualité des travaux de la géographe Clélia Gasquet-Blanchard sur les lieux d’émergence et les territoires de diffusion de la fièvre Ebola au Gabon et en République du Congo.

(http://cafe-geo.net/le-parcours-geographique-des-epidemies-des-certitudes-pour-le-sida-des-incertitudes-pour-ebola/).

La destruction des habitats agit aussi en modifiant les effectifs de diverses espèces, ce qui peut développer le risque de propagation d’un agent pathogène comme on a pu le voir avec le virus du Nil occidental, transporté par les oiseaux migrateurs. Mais les risques d’émergence de maladies infectieuses sont également liés aux systèmes d’élevage industriel. C’est ainsi que les virus de la grippe aviaire, hébergés par le gibier d’eau, font des ravages dans les fermes où s’entassent les volailles en captivité. Dans ces « usines d’élevage », les virus mutent, deviennent plus virulents et hautement mortifères avec un risque élevé de transmission à l’homme (93 morts entre 2004 et 2006 pour la grippe aviaire H5N1).

(https://www.monde-diplomatique.fr/2020/03/SHAH/61547)

Les nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes (Rapport d’information 2011-2012, Source : senat.fr)

Pour Serge Morand, Directeur de recherche au CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), la cause est entendue. « Nous sommes en train de créer de nouvelles conditions écologiques improbables et propices aux épidémies ». Pour lui, la seule solution pour éviter ces dernières, c’est la démondialisation. « Il faut déglobaliser. Le problème de la plupart des maladies infectieuses, c’est la dispersion. Il faut donc mettre fin à ces échanges et réhabiliter l’économie circulaire. En favorisant de nouveau l’agriculture locale, en relocalisant nos industries dans un bien meilleur milieu social et sanitaire, en arrêtant le transport de marchandises (…) » (Serge Morand, in Le UN, n°288, 18 mars 2020). (https://le1hebdo.fr/journal/numero/288).

Cet appel à la démondialisation rencontre beaucoup de scepticisme chez certains experts comme Pascal Lamy, l’ancien patron de l’OMC, qui souligne le haut degré d’interdépendance atteint par les économies de la planète pour exprimer sa conviction que la globalisation va se maintenir mais sous des formes différentes, en particulier avec des stratégies de multinationales qui vont diversifier leur production et installer des usines hors de Chine, tout cela pour tenir compte des risques liées aux pandémies ou aux événements climatiques extrêmes.

Sur un plan plus strictement sanitaire, l’écologie s’avère une arme puissante pour faire face au risque considérable des nouveaux virus liés à l’extension de l’empreinte humaine sur la planète. Il est possible de protéger les habitats « sauvages » pour faire en sorte que les animaux gardent leurs microbes au lieu de nous les transmettre. Particulièrement importante est la nécessaire mise en place d’une surveillance étroite des milieux dans lesquels ces microbes sont le plus susceptibles de se muer en agents pathogènes humains. « Les émergences de virus sont inévitables, pas les épidémies » a déclaré l’épidémiologiste américain Larry Brilliant.

 

Daniel Oster, 19 mars 2020