Café géo du 16 octobre 2018 animé par M. Karl Hoarau, Maître de Conférences à l’Université Cergy Pontoise
Les cyclones tropicaux extrêmes sont des phénomènes qui génèrent des vents moyens d’au moins 215km/h avec des rafales de plus de 250km/h (catégorie 4-5). En moyenne, chaque année, 18 cyclones atteignent cette intensité sur le globe. Ces dernières années, plusieurs systèmes destructeurs ont fait la une de l’actualité : Haiyan (2013) aux Philippines, et Irma (2017) et Maria (2017) aux Antilles. Le nombre des cyclones extrêmes est-il en train d’augmenter avec le réchauffement climatique actuel ? Après un rappel sur les risques cycloniques, l’activité des cyclones extrêmes est étudiée. Enfin, quelques pistes explicatives sont abordées.
Les risques cycloniques:
Les dégâts associés aux cyclones sont principalement liés aux vents violents (infrastructures, végétation), à la marée d’ouragan (invasion du littoral par l’océan sous l’effet conjugué des vents et d’une pression atmosphérique basse) mais aussi aux inondations fluviales dues aux fortes précipitations. On considère six bassins cycloniques dans le monde (68% des cyclones se forment dans l’hémisphère nord) dépendant de centres d’avertissements régionaux. Le Pacifique Ouest est le plus grand bassin cyclonique du globe. L’ensemble Pacifique Ouest et Pacifique Est concentre les 2/3 des phénomènes cycloniques. L’Asie est le continent le plus menacé par les risques cycloniques.
Les cyclones et les tempêtes sont les aléas naturels les plus coûteux. Un des phénomènes les plus catastrophiques s’est déroulé le 12 novembre 1970 au Bangladesh. Le bilan fut lourd -300 000 morts- et s’explique en partie par le fait que les habitants n’avaient jamais été prévenus de l’arrivée de ce phénomène. De ce fait, aucune mesure de sécurité n’avait été prise. Plus récemment l’ouragan Katrina (2005) qui a dévasté les États-Unis en 2005 a été l’un des plus meurtriers et des plus couteux que le pays ait connu.
Pour estimer l’intensité des phénomènes cycloniques, l’une des méthodes utilisées est l’entrée d’avions dans les cyclones mesurant la vitesse des vents à la surface de l’océan. Cette méthode est utilisée sur deux bassins cycloniques (l’Atlantique Nord et le Pacifique Est) quand les cyclones se rapprochent des terres habitées. Pour les autres bassins, l’intensité des cyclones est estimée à partir des données satellitaires. C’est l’américain Vernon Dvorak qui a publié en 1984 une technique permettant d’estimer la vitesse maximale des vents moyens dans le cœur des cyclones. Plus les nuages entourant l’œil sont développés, et ont donc des sommets très froids (parfois jusqu’à – 85°C), plus le cyclone est intense.
L’activité des cyclones extrêmes:
A l’échelle du globe, sur les 40 dernières années (1979 à 2018), il y a eu une faible augmentation (+7%) du nombre décennal des cyclones extrêmes. Cependant, cette augmentation n’a pas été continue. La décennie 1989-1998 a été la plus active puis le nombre décennal de phénomènes a diminué dans les mêmes proportions jusqu’en 2018.
Si l’on considère les six bassins du globe, seuls l’Atlantique Nord et le Nord de l’océan Indien (les 2 bassins avec les effectifs les plus faibles) ont connu une croissance continue et forte du nombre des cyclones extrêmes. Il y a eu une croissance modérée mais discontinue de l’activité dans le Pacifique Est, et une légère décroissance dans le Pacifique Ouest, le sud de l’océan Indien, et le Pacifique Sud.
Si l’on considère les 3 grands océans aux latitudes intertropicales, l’Atlantique Nord (8.8% des cyclones extrêmes du globe) a connu une forte augmentation de l’activité; il y a eu peu de changement dans l’océan Indien (cumul du nord et du sud), et une légère décroissance dans l’océan Pacifique (cumul Pacifique Ouest, Pacifique Est, et Pacifique Sud) qui concentre 69% des cyclones extrêmes du globe.
Si l’on divise les 40 dernières années en 2 périodes de 20 ans (1979-1998 et 1999-2018), à l’échelle du globe, il y a eu une très légère diminution du nombre des cyclones extrêmes. La croissance de l’activité a été forte dans l’Atlantique Nord, modérée dans l’océan Indien, et il y a eu une diminution modérée dans l’océan Pacifique. Au total, il n’y a pas encore de tendance robuste à l’augmentation du nombre des cyclones extrêmes sur le globe.
Quelques pistes explicatives:
Phénomènes pouvant influencer l’activité des cyclones extrêmes:
- Hausse de la température de la mer via le réchauffement climatique
- Phénomènes pluriannuels: El Niño et La Niña
- Phénomènes décennaux de fond des grands bassins (exemple de l’oscillation multidécennale de l’Atlantique)
La température de la mer a augmenté de 0.5°C aux latitudes intertropicales des 3 grands océans au cours des 40 dernières années. Cependant la seule température de la mer ne suffit pas pour former les cyclones extrêmes. Ces derniers ont été les plus nombreux sur le globe lors de la décennie 1989-1998 alors que la température a continué de croître entre les années 2000 et aujourd’hui. Cela signifie que d’autres facteurs influencent l’activité des cyclones intenses.
Parmi ces facteurs, les phénomènes El Niño (qui se déclenchent dans l’Océan Pacifique même s’ils peuvent avoir des répercussions sur tout le globe) et La Niña jouent un rôle important. L’activité des cyclones extrêmes est forte en phase El Niño dans les 3 bassins de l’océan Pacifique, alors que l’activité est très inférieure à la normale dans l’Atlantique et l’océan Indien. En phase La Niña, l’activité est très inférieure à la normale dans l’océan Pacifique, et elle est très supérieure à la normale dans l’Atlantique et l’océan Indien. Comme le nombre de phénomènes El Niño significatifs a été plus élevé dans la période 1979-1998 par rapport à 1999-2018, cela explique que le nombre de cyclones extrêmes ait diminué lors de la seconde période dans l’océan Pacifique. En revanche, comme le nombre de phénomènes La Niña significatifs a été plus élevé dans la période 1999-2018, cela explique, en partie, que le nombre de cyclones ait augmenté dans l’Atlantique et l’océan indien.
Un autre facteur serait en partie à l’origine des variations de l’activité des cyclones extrêmes: il s’agit des modifications multi-décennales de l’interaction atmosphère-océan. Le cas le plus connu est celui de l’Atlantique Nord. C’est le bassin avec les bases de données les plus fiables. Les reconnaissances aériennes y ont débuté à la fin des années 1940. Dans les décennies 1950-59 et 1960-69, le nombre des cyclones extrêmes a été le double de celui des décennies 1970-79 et 1980-89. Depuis le milieu des années 1990, l’Atlantique Nord est dans une phase positive de l’oscillation multi-décennale. Cela explique en partie que l’activité des cyclones extrêmes ait fortement augmenté lors des 20 dernières années. De telles variations n’ont pas pu être mises en évidence dans les autres bassins du fait d’observations sur des périodes moins longues.
Pour conclure, nous pouvons dire qu’il n’y a pas encore de tendance claire à l’augmentation de l’activité des cyclones extrêmes du globe. Celle-ci peut être influencée par des phénomènes d’une durée de retour de quelques années (El Niño et La El Niña) ou par des cycles multi-décennaux dont l’étude nécessite des données sur une période bien supérieure à 40 ans. Sur les 6 bassins du globe, seul l’Atlantique Nord est dans ce cas. L’augmentation actuelle de la température des océans n’est pas encore suffisante pour permettre une croissance significative du nombre des cyclones intenses de la planète.
Une des questions posées par le public :
Quelle est l’attitude du GIEC* par rapport à tous ces phénomènes ?
Dernier rapport de 2013 : le GIEC est devenu très prudent par rapport aux phénomènes tropicaux.
En effet, tout en constatant le fait que le réchauffement climatique aura pour conséquence d’augmenter la vapeur d’eau dans l’air et donc le « carburant » pour les cyclones, le GIEC indique qu’il est difficile de relier les derniers phénomènes cycloniques au réchauffement climatique. De plus, le GIEC reconnaît qu’il existe des cycles de variations naturelles.
*GIEC : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.
Compte rendu rédigé par Pierre-Félix VAUTRIN, vice-président de l’association des étudiants en géographie Le Globe de l’Université Paul Valéry de Montpellier.