Le lac Tchad au péril de l’Anthropocène

Géraud Magrin, professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – U.M.R. PRODIG

 

Introduction : la notion d’Anthropocène et son actualité au Sahel 

La notion d’Anthropocène est une notion proposée au début des années 2000 par Paul Crutzen (chimiste de l’atmosphère) pour nommer un nouvel âge géologique influencé par l’impact de l’activité des sociétés humaines sur le système « Terre ». À travers la notion d’Anthropocène, Paul Crutzen et d’autres chercheurs ayant travaillé sur cette notion, prennent en compte un certain nombre de dynamiques : le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, les changements dans le cycle de l’eau, etc. Ces éléments renvoient à l’évolution du système « Terre » d’un point de vue surtout biophysique : la principale critique soulevée par la notion d’Anthropocène est que celle-ci a tendance à dépolitiser la question des crises environnementales. En considérant d’une part que toutes les sociétés humaines ont (eu) la même empreinte sur les écosystèmes. Et en débouchant sur la proposition de solutions purement techniques pour résoudre le problème, à travers différents projets d’ingénierie environnementale, dont les enjeux politiques ne sont pas davantage questionnés. Les géographes ne s’intéressent à cette notion que depuis peu de temps : certains d’entre eux interrogent, à l’échelle des territoires, la manière dont cette notion permet d’éclairer d’un jour nouveau leurs objets d’étude, en prenant au sérieux la crise environnementale globale mais sans éluder la perspective politique qui fait le sel et l’intérêt des approches critiques de l’environnement.

Le Sahel constitue un objet intéressant pour une telle approche. Considérer le Sahel au travers de la notion d’Anthropocène, c’est s’intéresser aux effets du changement global sur un espace qui n’a pas une position centrale dans le monde et qui, en Afrique même, est en position de marge. Des mutations importantes s’y sont accélérées au cours des dernières décennies, sous l’effet de facteurs multiples. La croissance démographique (dans la plupart des pays sahéliens, la population a plus que doublé en vingt ans et continue de croître très rapidement), les dynamiques environnementales (sécheresses sévères durant les décennies 1970-80 et incertitudes sur les effets du changement climatique) et l’intégration à l’économie mondiale (à travers notamment des investissements mondialisés dans les secteurs agricole et extractif) se traduisent par des changements multiformes : urbanisation, désertification, crises politiques et sociales.

Dans ce contexte s’est diffusé depuis quelques années un discours selon lequel le lac Tchad disparaitrait progressivement sous l’effet du changement climatique et serait ainsi menacé d’assèchement. En réponse à cette inquiétude, un projet de transfert d’eau inter-bassin a été proposé. Ce dernier permettrait de transférer de l’eau depuis le bassin du Congo ou de l’Oubangui (affluent du Congo) vers le lac Tchad afin de le sauver d’une « catastrophe » comme celle qu’a connu la mer d’Aral. Ce que l’on pourrait qualifier de « boucle de l’Anthropocène » est bouclée : le changement climatique actuel, dont les causes sont largement de nature anthropique, est convoqué pour justifier un très grand projet d’aménagement, de nature anthropique également, qui bouleverserait toute la région du lac Tchad. Ce projet de transfert de l’eau, s’il était mis en œuvre, aurait en effet pour conséquence de transformer radicalement l’environnement dans lequel vivent les sociétés qui occupent les rives du lac et toute la partie méridionale, la plus peuplée, de son bassin.

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Terres agricoles des villes : des expériences innovantes d’agriculture

Christophe-Toussaint Soulard, Pascale Scheromm et Camille Clément
Chercheurs à l’INRA, UMR Innovation, Montpellier.

 

Comment se met en place l’agriculture urbaine dans un contexte qui n’est pas traditionnellement celui de l’agriculture ?

 

I. L’agriculture urbaine : de quoi parle-t-on ?

 

L’agriculture urbaine, c’est l’ensemble des activités de production de denrées alimentaires (ou d’autres denrées notamment ornementales, fourragères, médicinales etc.) qui vont être pratiquées dans l’espace urbain ou en périphérie.

Les agricultures urbaines peuvent concerner toutes les productions végétales et animales. Les pratiquants agricoles sont très divers : certains sont des professionnels, d’autres des amateurs. Par ailleurs des associations voire même des institutions s’investissent dans cette activité. L’agriculture urbaine peut se pratiquer sur sol ou sans sol : sur les toits ou sur les murs des maisons par exemple. Les agricultures urbaines sont souvent des agricultures sociales et militaires : elles renvoient à des projets liés, par exemple, à l’éducation alimentaire, à l’insertion sociale par l’emploi, à l’amélioration de la santé physique et mentale. Par ailleurs, les projets d’agriculture urbaine sont souvent des projets de mobilisation citoyenne pour permettre de conserver des espaces de production dans le tissu urbain. De nombreux projets en effet prônent l’idée que l’agriculture urbaine est un moyen pour permettre aux populations défavorisées de produire et de développer une alimentation de qualité.

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Le réchauffement climatique actuel influence-t-il l’activité des cyclones tropicaux extrêmes ?

Café géo du 16 octobre 2018 animé par M. Karl Hoarau, Maître de Conférences à l’Université Cergy Pontoise

 

Les cyclones tropicaux extrêmes sont des phénomènes qui génèrent des vents moyens d’au moins 215km/h avec des rafales de plus de 250km/h (catégorie 4-5). En moyenne, chaque année, 18 cyclones atteignent cette intensité sur le globe. Ces dernières années, plusieurs systèmes destructeurs ont fait la une de l’actualité : Haiyan (2013) aux Philippines, et Irma (2017) et Maria (2017) aux Antilles. Le nombre des cyclones extrêmes est-il en train d’augmenter avec le réchauffement climatique actuel ? Après un rappel sur les risques cycloniques, l’activité des cyclones extrêmes est étudiée. Enfin, quelques pistes explicatives sont abordées.

 

Les risques cycloniques:

Les dégâts associés aux cyclones sont principalement liés aux vents violents (infrastructures, végétation), à la marée d’ouragan (invasion du littoral par l’océan sous l’effet conjugué des vents et d’une pression atmosphérique basse) mais aussi aux inondations fluviales dues aux fortes précipitations. On considère six bassins cycloniques dans le monde (68% des cyclones se forment dans l’hémisphère nord) dépendant de centres d’avertissements régionaux. Le Pacifique Ouest est le plus grand bassin cyclonique du globe. L’ensemble Pacifique Ouest et Pacifique Est concentre les 2/3 des phénomènes cycloniques. L’Asie est le continent le plus menacé par les risques cycloniques.

 

Les cyclones et les tempêtes sont les aléas naturels les plus coûteux. Un des phénomènes les plus catastrophiques s’est déroulé le 12 novembre 1970 au Bangladesh. Le bilan fut lourd -300 000 morts- et s’explique en partie par le fait que les habitants n’avaient jamais été prévenus de l’arrivée de ce phénomène. De ce fait, aucune mesure de sécurité n’avait été prise. Plus récemment l’ouragan Katrina (2005) qui a dévasté les États-Unis en 2005 a été l’un des plus meurtriers et des plus couteux que le pays ait connu.

 

Pour estimer l’intensité des phénomènes cycloniques, l’une des méthodes utilisées est l’entrée d’avions dans les cyclones mesurant la vitesse des vents à la surface de l’océan. Cette méthode est utilisée sur deux bassins cycloniques (l’Atlantique Nord et le Pacifique Est) quand les cyclones se rapprochent des terres habitées. Pour les autres bassins, l’intensité des cyclones est estimée à partir des données satellitaires. C’est l’américain Vernon Dvorak qui a publié en 1984 une technique permettant d’estimer la vitesse maximale des vents moyens dans le cœur des cyclones. Plus les nuages entourant l’œil sont développés, et ont donc des sommets très froids (parfois jusqu’à – 85°C), plus le cyclone est intense.

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