Café géographique de Paris (Café de Flore), 31 mai 2016
Pour traiter du vélo en ville, deux intervenants sont réunis au Café de Flore, un économiste et urbaniste, Frédéric Héran, auteur de Le retour de la bicyclette. Histoire des déplacements urbains en Europe. 1817-2050, La Découverte, 2014, et un homme de terrain, Alain Boulanger, fonctionnaire à la Mairie de Paris chargé de piloter le « Plan vélo ».
Le travail de Frédéric Héran repose sur la thèse suivant laquelle les aménagements cyclables ne suffisent pas à relancer la pratique du vélo en ville. Il faut aussi prendre en compte la modération de la circulation dans son ensemble, tous modes compris.
Les modes de déplacement des citadins sont en concurrence. Les nouveaux cyclistes étant principalement d’anciens piétons et usagers des transports publics, le gain pour l’environnement serait faible s’ils ne laissaient des places dans les bus, trams et métros, ce qui pourrait inciter les automobilistes à renoncer à leur véhicule personnel.
Deux approches structurent cette étude l’une historique, l’autre comparatiste (à l’échelle des villes européennes).
Dans les années 30, le vélo est massivement utilisé par toutes les classes sociales, urbaines et rurales, pour le travail (y compris les livraisons) comme pour le loisir. Les embouteillages de vélos ne sont pas rares. Et l’engouement pour ce mode de déplacement est équivalent en France et en Allemagne. C’est la baisse de son prix d’achat qui en explique l’explosion des ventes.
Cette situation perdure jusqu’après la Seconde Guerre mondiale. On pouvait alors se procurer une carte Michelin des environs de Paris donnant toutes les informations utiles à un cycliste (routes pavées, côtes, pistes cyclables…).
Des années 50 aux années 80, la pratique du vélo s’effondre dans toutes les grandes villes européennes.
En France, la principale raison en est l’essor du deux-roues motorisé (solex, mobylette..) jusqu’au déferlement de l’automobile au cours de la décennie 60. Le pays est premier constructeur mondial de cyclomoteurs de 1954 à 1960 et publicité et vedettes du show-business contribuent largement à son succès. Pourtant il y a une forte mortalité chez les cyclomotoristes, ce qui provoque peu de réaction des pouvoirs publics (pas de limite d’âge jusqu’en 1957, pas de casque obligatoire, limite de vitesse tardive et peu respectée…).
Aux Pays-Bas et en Italie, pays de vieille culture urbaine, le renouveau d’intérêt pour le vélo en ville est plus précoce que dans le reste de l’Europe. En témoignent certaines actions d’éclat des « provos » d’Amsterdam comme cette soirée où un vélo gratuit est proposé en libre exercice à tous les volontaires, et la constitution de l’association néerlandaise « Halte au meurtre des enfants » (1971) qui milite contre les accidents provoqués par les voitures.
Ces mouvements se développent dans d’autres pays européens à la fin des années 70, dans la mouvance des luttes contre la société de consommation et l’envahissement automobile. Ainsi « Les Amis de la Terre » ont-ils organisé la première manifestation de cyclistes à Paris en 1972.
Les années 80 voient un début de réponse à ces aspirations de la part des pouvoirs publics.
Les Pays-Bas aménagent des «cours urbaines » où voitures roulant au pas et enfants en train de jouer peuvent cohabiter.
En Italie, Ferrare décide de fermer le centre-ville aux voitures non autorisées. Cette initiative est adoptée peu à peu par des centaines de municipalités italiennes puis expérimentée en France à Nantes en 2012.
Les Allemands inventent le concept de « modération de circulation » à la fin des années 70, rapidement généralisé à des quartiers (« zone 30 ») puis à des agglomérations entières (« ville 30 »). Très récemment Grenoble s’est inspirée de cette innovation.
En France, dès les années 90, la réinstallation de tramway dans les espaces urbains, en réduisant la circulation automobile, favorise l’usage du vélo qui connaît une forte croissance dans le centre-ville comme à Nantes, Grenoble ou Strasbourg. Au cours de la décennie 2000 toutes les grandes villes européennes connaissent un regain du vélo.
Aujourd’hui à quels enjeux répond cet engouement ?
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Une « mode écolo » ? Si le vélo remplace le piéton, il a peu d’intérêt écologique car 10 % des nouveaux cyclistes seulement sont d’anciens automobilistes.
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Un intérêt économique ? En fait l’automobile revient moins cher que l’on croit (le coût réel serait de 32 centimes d’euro/km) et le vélo plus cher (15 centimes d’euro /km).
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Un apport en termes de santé publique ? Le vélo fait partie des activités physiques bénéfiques en contribuant à prévenir et à guérir nombre de maladies chroniques. Il est devenu urgent de « se bouger », car l’activité physique est passée de 8 h par jour et par individu à moins d’une demi-heure en un siècle et demi. L’usage régulier du vélo est donc une sorte de « super-médicament ».
Et à l’avenir, comment peut-on envisager la circulation dans les grandes villes ?
La modération de la circulation automobile va continuer à progresser, notamment grâce à la réduction de la vitesse autorisée.
Le « système vélo » sera fortement amélioré avec des vélos plus performants et plus divers, un réseau cyclable mieux maillé et plus roulant, des services étoffés (réparation, location…), une législation mieux adaptée…
Alain Boulanger expose l’élaboration de la politique cyclable parisienne.
C’est à la demande d’Anne Hidalgo qu’a été conçu le Plan Vélo dont la mise au point a duré un an. Aujourd’hui la part modale du vélo est de 5 %.
Après consultation de toutes les mairies d’arrondissement, le Conseil de Paris a adopté le Pan vélo en avril 2015. Il comprend plusieurs points :
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Des aménagements de voies, dont un réseau express vélo permettant une circulation continue sans obstacle (un exemple : le parcours BNF-Parc Citroën). La largeur des pistes sera portée à 4 m en cas de circulation à double sens.
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Le développement des zones 30 (à terme toute la ville sera concernée).
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La création de zones de rencontre où piétons et véhicules ne dépassant pas 20 km/h pourront cohabiter (un exemple : la rue Saint André-des-arts).
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Le réaménagement des sept grandes places parisiennes
Toutes les enquêtes faites auprès des Parisiens montrent que leur priorité est la sécurité ce qui explique la controverse qui porte sur l’autorisation donnée aux cyclistes de passer au feu rouge dans certains cas.
Les échanges avec la salle
Après les deux exposés, quelques intervenants dans la salle trouvent qu’une part trop belle a été faite aux vélos en ville et que les deux-roues motorisés ont été injustement mis au ban des transports pour leur dangerosité.
Les motards présents trouvent que les cyclistes devraient apprendre à partager la route avec les autres modes de transport. L’indiscipline de nombreux cyclistes est aussi soulignée par une intervenante « piétonne ». Alain Boulanger mentionne l’existence d’une association chargée de la formation des jeunes au vélo mais aussi de l’apprentissage des adultes (une « vélo école »). Il insiste sur le respect dû au piéton sur la chaussée.
Daniel Oster s’interroge sur l’essor du cyclisme urbain en terme sociologique. Le vélo n’est-il pas avant tout l’apanage des urbains favorisés des centres- villes ? Frédéric Héran reconnait que la question du vélo dans les zones périurbaines est compliquée car la circulation des voitures y connait moins de contraintes. L’Allemagne connaît une forte pratique du vélo dans le périurbain (en 1982, une loi a contraint l’état fédéral à aménager des pistes cyclables le long des routes nationales), ce qui n’est pas le cas de la France à l’exception de Strasbourg où l’indigence des transports publics dans les années 80 a favorisé le vélo.
Un intervenant regrette que le canal de l’Ourcq soit interdit aux vélos à certains endroits. Alain Boulanger précise que la Mairie de Paris n’en est pas responsable car, si elle est propriétaire des canaux et des berges, elle a signé des conventions avec les municipalités traversées qui peuvent en interdire l’accès aux vélos.
Un dernier participant déplore les tensions qui risquent de s’aggraver entre les Parisiens utilisateurs de différents modes de transport (par exemple cyclistes contre piétons), d’autant que le discours politique ne fait pas preuve de la même bienveillance à l’égard de tous.
Alain Boulanger souligne que les Parisiens sont demandeurs d’une diminution de la circulation automobile. Il rappelle trois axes de la politique municipale :
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La mise en place d’une politique de mobilité dans un espace plus large
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Le souci de concertation avec l‘ensemble de la région Ile-de-France (la création de stations Veligo dans les gares de banlieue en est un effet)
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La lutte contre la pollution grâce à des subventions accordées aux professionnels de la petite Couronne pour qu’ils achètent des véhicules propres (électriques).
Pour Frédéric Héran il faut rechercher une solution d’équilibre entre circulation motorisée – polluante – et autres modes de transport et libérer les trottoirs au bénéfice des piétons. Il répond aux motards contestataires que souvent ces espaces libérés sont récupérés par les deux-roues qui sont en outre très bruyants et polluants.
Après cette soirée animée chacun a repris le mode de transport de son choix… beaucoup en métro.
Compte rendu rédigé par Michèle Vignaux
et relu par les intervenants, juin 2016