Café géographique à Toulouse – 27.11.2013

Les Glaciers Pyrénéens
miroirs du climat régional
par Pierre René

 Pierre René, glaciologue, a fondé en 2001 l’Association Moraine (http://asso.moraine.free.fr, siège social : mairie de Luchon 31110)  pour étudier l’évolution des glaciers pyrénéens. Il a publié en 2013 « Glaciers des Pyrénées, le réchauffement climatique en images », aux éditions Cairn.

La glace est un indicateur climatique exceptionnel car elle est hyper sensible aux variations climatiques. Les glaciers pyrénéens reflètent l’évolution climatique du Sud-Ouest de la France : si le recul des glaciers est général dans le monde, les disparités régionales sont très importantes et il est particulièrement intéressant d’en faire une observation fine pour avoir un maillage complet des glaciers de la planète

L’Association Moraine

  • Une structure unique qui observe et mesure les glaciers des Pyrénées (surtout français), de façon à rassembler des données longues et homogènes.
  • Une fonction pédagogique : diffusion, conférences, expositions, publications, etc.
  • Création en 2001 à partir du constat que les glaciers pyrénéens sont délaissés par rapport aux glaciers alpins malgré le réchauffement climatique. Mais l’Espagne étudie ses propres glaciers depuis 20 ans et collabore avec l’Association Moraine.
  • Collaborateurs techniques et scientifiques : régulièrement le LGGE (Laboratoire de Glaciologie et de Géophysique de Grenoble) qui centralise les données, ponctuellement avec le laboratoire GEODE de l’Université du Mirail, Météo France et le Parc National des Pyrénées où se trouvent la plupart des glaciers.
  • Partenariats institutionnels avec les collectivités locales, les conseils généraux et surtout le Conseil Régional Midi-Pyrénées.

Qu’est-ce qu’un glacier ?

  • Définition : stock permanent de glace à l’échelle humaine. Les « neiges éternelles » ne fondent pas à l’échelle humaine, à la différence des névés.
  • Structure en deux parties : en amont la zone d’accumulation où la neige d’hiver conservéese tasse pour devenir de la glace (la glace n’est pas de l’eau gelée), zone d’ablation où le glacier perd de la masse. Entre les deux, la frontière est appelée ligne d’équilibre.
  • L’écoulement de la glace provoque des crevasses (séracs) en fonction des ruptures de pentes (verrous) et de la vitesse d’écoulement. Cette vitesse varie en fonction de la saison (plus rapide en été où les eaux sous-glaciaires servent de lubrifiant), entre nuit et jour (plus rapide), au milieu (plus rapide que sur les bords en raison du frottement).
  • Les crevasses : la glace est ductile, déformable si la contrainte est faible, elle se casse si la contrainte est trop par suite d’un écoulement plus rapide comme dans le glacier des Oulettes (Vignemale), le plus rapide (50-60 m/an). Les crevasses révèlent la constitution  en mille-feuilles : couche neigeuse d’hiver, ligne noire sale d’été, couche de glace blanche, etc., sauf si un été très chaud a fait fondre une couche de glace.

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La répartition  des glaciers pyrénéens

  • Localisation : une trentaine de glaciersdans les Pyrénées centrale où se trouvent les plus hauts sommets, supérieurs à 3000 m. (sauf le Mt Valier). Les 3 plus grands sommets sont en Espagne, mais ils sont plus nombreux en France. Les deux pays ont chacun la moitié des glaciers. Ci-dessous aujourd’hui et lors de la dernière glaciation :

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  • Surface : 3,5 km² au total (France et Espagne), contre 350 km² pour les seules Alpes françaises, mais autant qu’en Afrique. 

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Types de glaciers pyrénéens

  • Glacier d’écoulement, le glacier d’Ossoue (Vignemale, 3298 m.) : le plus grand après celui du pic d’Aneto en Espagne, glacier complet avec cirque d’accumulation en amont et langue glaciaire d’écoulement (en partie disparue) en aval, le seul de type dans les Pyrénées. Le plus étudié des glaciers, et depuis le plus longtemps. Ci-dessous en Août 2011 : 

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  • Glacier suspendu du Mont Perdu (3355 m.) : glacier plus large que long, dans un massif calcaire avec barres et replats sur lesquels s’installe le glacier, décrit dès 1801 par Ramond de Carbonnières, inventeur du pyrénéisme. Ci-dessous en été et en hiver 2011 :
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  • Glaciers de suraccumalation : de gauche à droite, glaciers du Pailla (massif d’Astazou 3083 m.) et du Mt Valier (2838 m.) : les avalanches venues des parois raides provoquent des accumulations de neige qui ne fond pas et se transforme en glace. Glaciers liés à la topographie plus qu’au climat.
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Le recul de quelques glaciers

Les photos comparées doivent impérativement être prises du même lieu, avec le même     cadrage et à la même date (en fin d’été quand il n’y a plus de neige fraîche).

  • Le recul des glaciers espagnols d’Aneto (3404 m.) et de la Maladeta  : le premier est le plus grand des Pyrénées, malgré son front dentelé et les roches sous glaciaires dénudées par le recul. Le second a été le plus étudié, dès 1880, mais les premières mesures de la vitesse d’écoulement sont trop incertaines. Le corps d’un guide disparu en 1824 et retrouvé en 1931 indique une vitesse d’écoulement de l’ordre de 10 m/an.
    Le glacier d’Aneto est à gauche des photos et celui de la Maladeta à droite, entre 1875 et 2004 :
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  • Le recul du Seil de la Baque dans la vallée d’Oo : presque un glacier de calotte en 1900 (photo M. Sport à gauche), en 2001 petit glacier de cirque (photo P. Quennec) :
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  • Le glacier d’Ossoue (Vignemale) : il faut une trentaine d’années pour dégager une tendance, mais l’Association moraine n’a des observations que sur une douzaine d’années. Le glacier a perdu 20 m d’épaisseur et il ne reste plus qu’environ 40-50 m. en amont, plus faible sur la rive droite que sur la rive gauche. Il est appelé à disparaître dans quelques décennies.

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La mesure du recul

  • La longueur : depuis 1850 (fin du « petit âge glaciaire »), la longueur des glaciers a diminué en moyenne de 750 m, soit 4,70 m/an, et même 10 m/an pendant la dernière décennie. Les glaciers de suraccumulation perdent beaucoup moins que les grands glaciers.

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  • La surface depuis 1850 : de 23 km² à 3,5 km², les glaciers pyrénéens ont perdu en moyenne 85% de leur étendue (contre 40% dans les Alpes). Les glaciers pyrénéens sont dans des conditions climatiques limites d’existence.

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  • Le volume, difficile à mesurer, n’est étudié qu’à partir du milieu du XX° s. Le ratio d’accumulation est le rapport entre la surface de neige qui reste en septembre et la surface totale du glacier. L’équilibre se situe à 60%. Sur 9 glaciers mesurés entre 2002 et 2013, la moyenne est de 28%, donc un bilan négatif, variable selon les années : forte perte en 2006 et 2012, quasi équilibre en 2008 et 2010, record positif en 2013.

Paysages post-glaciaires

  • La brèche de Roland (à gauche) : le glacier de la brèche a disparu, modifiant l’accès à l’énorme entaille dans l’escarpement (un personnage donne l’échelle), des replats rocheux et surtout un vaste éboulis et quelques restes de moraines latérale.
  • La vallée du Louron (à droite): paysage classique de vallée post-glaciaire avec au loin des cirques  suspendus au-dessus d’un verrou de roches dures, le petit lac de surcreusement, la longue vallée en auge remblayée d’alluvions fluviales.
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Perspectives

  • Les disparitions historiques liées aux variations climatiques naturelles :

grand optimum climatique vers 7-8000 av. J.C. : plus chaud qu’aujourd’hui, disparition complète des glaciers.

optimum climatique romain autour de l’an 0 : sans doute légèrement plus chaud qu’aujourd’hui et donc extinction des glaciers.

– optimum climatique médiéval autour de l’an 1000 : conditions similaires à aujourd’hui.

  • La disparition des glaciers pyrénéens est aujourd’huiinéluctable, avec le réchauffement climatique qui est pour la première fois dû aux activités humaines et non strictement naturelles. En bleu l’évolution de la surface de l’ensemble des glaciers pyrénéens depuis 1850, en noir la tendance générale jusqu’en 2050 :

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Débat

1. Quelles sont les conséquences du recul glaciaire, notamment pour les ressources en eau ?

Pierre René : les glaciers des Pyrénées ne sont plus aujourd’hui un château d’eau, les ressources ne sont guère menacées tant les glaciers sont réduits, et l’eau de la Garonne en provient de façon négligeable. Il y a bien d’autres réservoirs d’eau en montagne. En termes de biodiversité, les glaciers et leurs alentours forment un milieu particulier qui est affecté par leur recul : ainsi la puce de glaciers est en voie de disparition. Par ailleurs, les itinéraires de montagne doivent changer.

2. Y a-t-il corrélation entre le recul des glaciers et les variations des précipitations, comme il y en a une entre leur recul et le réchauffement climatique ?

P.R. : Pas de glaciers sans précipitations. Mais il n’y a pas de tendance nette concernant les précipitations, à la différence du réchauffement. Les 8 mois de neige varient peu, mais l’été sec est de plus en plus chaud : la température est donc le paramètre principal.

3. Les glaciers fragilisés sont-ils plus dangereux ?

P.R. : Oui, les glaciers s’adaptent aux variations climatiques et connaissent des modifications morphologiques qui créent des risques. Le recul du front de glace met en surplomb la partie amont et provoque des détachements de blocs de glace ou des écroulements en masse, des vidanges de poches d’eau ou de lacs morainiques.

4. Combien faut-il pour que se forme la glace ?

P.R. : La glace se forme par compression mécanique, le tassement des cristaux de neige élimine progressivement l’air et augmente la densité de 0,5 à 0,9 environ. Il faut environ 5 ans, jusqu’à 10 selon les conditions climatiques.

5. La disparition des glaciers n’entraîne-t-elle pas une perte d’identité ? Comment les populations locales se représentent-elles les glaciers ?

P.R. : Il arrive que des gens extérieurs aux Pyrénées ignorent l’existence de ses glaciers, il faut pratiquer cette montagne pour les connaître. Pour les pyrénéens, comme pour les autres montagnards, le glacier est le symbole de la montagne, associé au sommet et au dernier étage montagnard.

6. Qu’allez-vous faire dans 20 ou 30 ans ?

P.R. : Notre association s’appelle « moraine », qui est un dépôt glaciaire…

Compte-rendu établi
par Jean-Marc PINET
et revu par Pierre RENÉ 

Les illustrations de ce compte-rendu proviennent surtout de l’Association Moraine ou du livre de Pierre RENÉ « Les glaciers pyrénéens ». Certaines ont été trouvées sur Internet.