Le 8 juin 2016, les Cafés Géo de Lyon accueillent Stéphane Merle, docteur et chargé de cours à l’Université de Saint Etienne. Le lieu est inhabituel : il s’agit du café du Rize, puisque ce lieu villeurbannais accueille une exposition « Bouge ! » sur les aménagements sportifs et la ville. La thèse de Stéphane Merle soutenue en 2007 porte à la fois sur les aménagements et les spectacles sportifs. La géographie du sport est une sous-discipline encore peu représentée. Jean-Pierre Augustin et ses différentes productions ont joué un rôle majeur dans la reconnaissance de l’objet scientifique « sport ». Le propos vise à embrasser différents champs comme l’économie, la sociologie ou le droit du sport. A deux jours de l’Euro, il s’agit d’évoquer l’impact des grands événements sur les stades, tant en termes de nombre que de morphologie.

Les Cafés Géo accueillent ensuite Joffrey Dassonville qui va nous parler du rôle du speaker dans un stade.

  1. Les enjeux sportifs

Pour commencer, il s’agit de se focaliser sur le spectacle sportif, notamment à travers le regard du spectateur. Le spectacle sportif peut être divisé en deux types : les grands événements sportifs (Euro, coupe du monde…) dans des lieux différents et les championnats professionnels. Ces deux types ne génèrent pas les mêmes enjeux. L’Euro est géré à l’UEFA qui impose un cahier des charges et des normes. En France, en 2010, la taille moyenne d’un stade de l’élite de 30 000 places, contre 45 000 places en Allemagne. Les stades français de plus de 40 000 places sont alors au nombre de cinq, contre quinze en Allemagne. Lors de la coupe du monde de 1998, peu de travaux avaient été réalisés : le stade de France avait été le seul stade majeur (420 millions d’euros des 600 millions d’euros investis pour les stades). En Allemagne, en 2006, les choix effectués avaient été bien différents.

L’Euro 2016 a engendré 1,7 millions d’euros d’investissement sur dix villes. En 2009, il y avait dix-sept villes françaises candidates à l’accueil d’un match. L’UEFA avait prévu neuf stades (plus trois en réserve). Face à l’ampleur du cahier des charges, des communes n’ont pas candidaté : il faut rappeler que 80% des équipements sportifs en France sont communaux. Nantes est la première à se retirer, parlant de caprice de l’UEFA. Strasbourg se retire en 2010, le club descendant dans la division inférieure. Rennes avec 29 500 places se retire face aux 40 millions d’euros nécessaires pour atteindre les 30 000 places. En 2011, la fédération retient neuf puis onze stades, avant que Nancy se retire également ensuite (suscitant alors des candidatures provisoires et abandonnées, à Metz ou à Dijon). Saint-Etienne a fait le choix de rénover son stade et non de construire ex nihilo, tout comme le parc des Princes qui, dans un contexte qatari, est parvenu à être un stade de l’Euro, sans agrandissement.

Il y a un danger à organiser un spectacle dans des stades qui risquent d’être ensuite vides. Ces « éléphants blancs » existent aujourd’hui en Grèce ou au Portugal. L’espoir est d’avoir plus de spectateurs. L’Euro 2006 a généré une hausse des spectateurs lors des matchs en Allemagne : 42 000 en moyenne. Cela pose des questions en termes de « culture de l’abonnement ». Il n’y a pas de vraie culture urbaine de « supportérisme », sauf dans quelques villes comme Marseille et Saint-Etienne. Le nombre d’abonnés fluctue fortement, notamment en fonction des résultats du club. Les mouvements ultra jouent un rôle important, mais la politique nationale tend à les « pacifier », souvent par la répression. Il y a assez peu de politiques préventives. Ce rapport aux supporteurs pose question. De plus, les supporters VIP sont de plus en plus visés : des milliers de place en loge sont créés. Depuis l’Euro 2008, les places VIP (5 000 places) génèrent plus de recettes que les places des supporters classiques. A Saint-Etienne, depuis 2013, les spectateurs sont toujours 30 000 : les travaux n’ont pas généré une hausse de leur nombre, le taux de remplissage baisse alors.

  1. Quelle rentabilité pour ces grands stades ?

Depuis 2008, l’Etat demande des rapports pour étudier la rentabilité : rapport Besson, rapport Séguin… En avril 2016, une grande conférence sur le sport professionnel fait le même constat sur les difficultés du sport : il propose notamment le passage à un modèle privé – public. Il y a aujourd’hui seulement trois stades privés de football et quatre en rugby. Lyon en fait partie.

Le dernier match du Parc OL de la saison 2016 a généré 25% des recettes à Gerland sur une saison. Les recettes en billetteries sont vues comme un levier. Les investissements privés sont une source importante. Le naming vise à donner son nom à un stade souvent sur des contrats de 2007. Le premier date de 2008 au Mans avec le MMA Arena. En 2016, le stade Vélodrome deviendra l’Orange Vélodrome pour 3 millions d’euros par an sur dix ans. A Bordeaux, cela rapporte deux millions d’euros par an. A Lyon, on attend encore pour le naming : 12 millions d’euros étaient espérés, les montants risquent de baisser.

Le partenariat public privé (PPP) repose sur des durées classiquement de trente ans et implique des acteurs du BTP (Bâtiments et Travaux Publics). Les nouveaux stades (Lille, Nice, Bordeaux et Marseille) ont fait ce choix. Lyon est un stade privé, puisque les investissements publics n’ont pas porté sur le stade. Ces montages font souvent l’objet de procès : le stade de Lille implique actuellement deux procès.

Pour rentabiliser le stade, d’autres revenus liés à d’autres activités peuvent être générés, comme des concerts. A Lille, le concert de Depeche Mode a été annulé à cause des faibles températures.

Il peut également avoir un bail. A Lens, la rénovation du stade n’a pas pu s’effectuer dans ce bail, à cause des faibles moyens : la région a financé la rénovation du stade de Lens.

  1. Les enjeux politiques des stades

Le consensus politique autour de l’organisation de l’Euro en France reste fragile. Les écologistes, souvent opposés aux grands aménagements de périphérie, ne sont pas favorables à ce type d’aménagement. Des électeurs de l’extrême gauche présentent aussi des réticences.

Au niveau local, le consensus est plus faible. L’objet « stade » fait l’objet d’une instrumentalisation. La création d’un stade nécessite l’abandon d’un autre stade. Des positions partisanes se font jour. Dans les campagnes politiques, les stades apparaissent comme des enjeux.

Les grands projets se décident généralement à l’échelle des communautés urbaines. Les métropoles souhaitent afficher un grand stade vu comme positif en termes de rayonnement métropolitain. Les équipements sportifs, comme les grands musées, mobilisent des grands architectes ou des grands principes comme le développement durable, parfois comme simple communication. Ainsi, le stade de Lyon ne présente pas les panneaux solaires initialement prévus.

  1. Les stades et l’aménagement du territoire

Un stade est souvent vu comme un levier pour développer un nouveau quartier. Cette logique n’est pas typiquement française : en Allemagne l’Alliance Arena à Munich se situe dans un quartier en construction en périphérie. Les stades peuvent-ils être au cœur des métropoles ?

Cela pose des questions d’accessibilité en termes de transports en commun. A Bordeaux, le tramway ne va pas jusqu’au stade, entraînant des navettes. La ligne de tramway de Nice pour le stade est prévue dans la deuxième tranche, après 2018. Ces aménagements en termes de transport demandent du temps et de l’argent. Le stade de France a joué un rôle très important dans la requalification du quartier : cette marge, friche industrielle, cosmopolite, est devenue un pôle d’activité jouissant de deux lignes de RER et d’une ligne de métro. Wembley à Londres semble aussi une réussite. L’Arena 92 de rugby du Racing 92 se situe à proximité de la Défense pour 32 000 spectateurs pour le rugby et 40 000 personnes pour d’autres activités comme des concerts. En 2013, le stade du Havre a été créé en entrée de ville. Les localisations privilégiées se situent souvent autour des nœuds autoroutiers. Le maire de Montpellier projette un nouveau stade pour le football : le stade de la Mosson a été inondé en octobre 2014. Cet événement justifie le changement : les deux sites se situent au sud à proximité du contournement à proximité d’Odysseum. Des villes comme Saint-Etienne ou Toulouse apparaissaient parfois comme des villes n’ayant pas su saisir la chance de construire un nouveau stade en périphérie.

Le cas lyonnais a été complexe. Il y avait un attachement à Gerland en termes d’architecture ou d’accessibilité. En 2005-2007, une dizaine de sites ont été envisagées : plus de la moitié dans l’est lyonnais, l’essentiel en périphérie. Le choix de Décines a été compliqué. Différents enjeux se posent comme l’accessibilité d’un stade privé pour lequel la puissance publique a dû investir. Des oppositions fortes de la part de communes, d’habitants, d’associations écologistes… ont failli trop retarder le stade pour l’Euro. L’exemple de Lyon permet de mettre en lumière la question de l’acceptation de ce stade. Les systèmes de navette montrent que cet accès est encore loin d’une évidence. Stéphane Merle clôt alors son exposé.

Joffrey Dassonville prend alors la parole. Il est le speaker de ce nouveau stade de l’Olympique lyonnais. Il nous présente son métier. Un speaker est une fonction officielle auprès de la ligue : des procédures en termes de sécurité sont prévues. Le speaker doit être le lien entre les spectateurs dans les tribunes et ce qu’il se passe sur le terrain. Il rappelle que le 13 novembre au stade de France le speaker a joué un rôle pour gérer les spectateurs. Pour les gros matchs, l’animation commence 2h avant et peut durer jusqu’à 1h après. Pendant le match, il annonce les remplacements, les buteurs et le temps additionnel… Il est également en contact avec le délégué des arbitres. A la mi-temps et à la fin du match, il assure aussi l’animation. Il s’agit d’ambiancer : les noms des titulaires et des buteurs doivent être criés. L’essentiel de l’animation vient des spectateurs. Un bon speaker doit savoir s’effacer. Les kops ont leur propre sono : il faut les laisser s’exprimer. Il a commencé son travail avec le nouveau stade : l’ancien speaker était resté dix-huit ans. Il a beaucoup échangé avec les clubs de supporters.

En termes d’équipements, le nouveau stade offre de nombreuses possibilités. La sonorisation du nouveau stade est exceptionnelle et adaptée au nombre de spectateurs, mais le stade doit rester animé par les tribunes. Il a un réalisateur en régie qui lui parle dans l’oreillette : il a un micro casque pour parler avec la régie et un micro pour parler au stade. Quand l’ambiance est forte, il faut s’adapter. Les écrans géants font 80 m². 25 000 connexions wifi sont possibles en plus de la 4G. Une application existe pour voir des ralentis, pour regarder des statistiques, pour commander de la nourriture dans un des 300 points de retrait. Pour chaque match, il prévoit l’animation des 2h d’avant, minute par minute. Il apporte un contenu : il faut avoir autant d’informations que devant la télévision. Tous les outils permettent d’être tout aussi bien lotis que chez soi. Des concerts ont pu être organisés après le match. Ce nouveau stade génère de la nouveauté : une nouvelle ambiance et de nouvelles pratiques du match sont produites.

Merle précise qu’à Saint-Etienne les groupes ultras ne se coordonnent pas vraiment avec le club. Les groupes de supporters ont des visions différentes de ce qu’est un stade en termes d’ambiance et d’animation.

Le débat avec la salle commence.

Un nouveau stade engendre-t-il de nouvelles recettes ?

JD Dans le nouveau stade, il y a un séminaire d’entreprise par jour. Il y a 6 000 places de loges contre 1 500 avant à Gerland. Ces places rapportent beaucoup d’argent : c’est environ 2 000 euros une loge. Elles sont actuellement remplies à 70%. Les loges peuvent être louées tous les jours, avec une conciergerie : cela peut fonctionner comme un bureau. Ce modèle économique fonctionne par le moment.

SM Ce mode de développement repose sur des logiques métropolitaines : il faut des acteurs notamment des entreprises avec d’importants moyens financiers. Les recettes sont souvent dépendantes des résultats sportifs. La cotation en bourse de l’OL n’a pas changé : il n’y a pas eu d’effet stade. L’investissement du stade est colossal. L’objectif ludique vise à diversifier le modèle économique.

JD Le parc Hôtel aura son hôtel Hilton, son bowling, son karting… La proximité de l’aéroport devrait permettre d’avoir des activités de séminaire au sein du parc. Le centre d’entraînement a son nom : c’est le Groupama OL Training Center. Les jeunes et les féminines joueront sur ce stade qui accueillent 1 500 spectateurs. L’académie porte le nom de Groupama. Il y a une diversification des revenus.

SM Le stade reste une vitrine. Il faut assurer un niveau sportif important. La « starisation » peut coûter très cher.

JD En termes de diversification des revenus, il faut souligner le rôle du football féminin. Les féminines à l’OL attirent des supporters avec plus de 20 000 spectateurs pour le dernier match de la saison 2016, ce qui est supérieur à la fréquentation moyenne en France dans les stades pour le football masculin.

Comment devient-on speaker ?

JD J’ai fait 15 ans d’animation radio, notamment sur NRJ. Je reste très lié à la radio : je ne suis pas speaker à plein temps. Suite à un casting, quatre candidats ont dû proposer un dossier sur l’animation dans le stade, avec notamment une entrée « 2.0 ». J’ai alors été sélectionné.

Des anciens stades ont-ils été patrimonialisés ?

SM Des stades peuvent être classés, notamment comme monument historique. La patrimonialisation peut aussi reposer sur des aspects plus immatériels ou symboliques. Aujourd’hui, le stade de Gerland vide coûte de l’argent. A Saint-Etienne, le stade privé a généré une opposition forte liée à l’impossible abandon de Geoffroy Guichard. A Nice, l’ancien stade était proche du centre ville dans un complexe sportif paysager : en 2017 le stade devrait être détruit au profit d’un stade de quartier. Le stade est alors oublié. En rugby, la tendance est à la délocalisation des grands matchs : il n’y a pas le même attachement au stade, notamment du fait des structures parfois inadaptées et de fusion de stades. Il faut aussi souligner qu’il y a une distorsion entre la réalité économique du football avec une hausse des prix des places et le risque de perdre l’esprit du stade autour des supporters. Il y a des confrontations de visions qui peuvent générer des conflits.

Quelles sont les relations entre les supporters et les présidents ?

JD Les relations entre le président et les supporters sont très bonnes : le président va sur le stade. C’est très important pour l’ambiance.

N’y a-t-il pas une déconnexion plus forte entre les stades et la ville ?

SM Il y a parfois une fermeture du stade, même s’il reste dans la ville. A Geoffroy Guichard les supporters ne souhaitaient pas les changements architecturaux du stade, notamment en termes de fermeture. Les stades sont de plus en plus couverts comme à Marseille.

 

Compte-rendu réalisé par Emeline Comby relu et amendé par les intervenants.