Débat animé par Nancy Meschinet de Richemond (Maître de conférences-HDR, UMR GRED, université Paul-Valéry-Montpellier III et IRD), le mardi 2 avril 2013 à 19h30 au café Riche

Dans une ambiance festive et chaleureuse, Caroline Calandras, Professeur en classes préparatoires au lycée Joffre de Montpellier, nous présente Nancy Meschinet de Richemond dont l’intervention porte sur les inondations méditerranéennes d’hier à aujourd’hui. L’exposé est enrichi d’un diaporama dont les photos, schémas et cartes viennent illustrer le propos.

Plan de l’intervention :

1. Une inégale répartition dans le temps et l’espace

1.1. Comment définir une inondation méditerranéenne ? exemples de 2002 et 1940

1.2. Des faits : l’irrégularité des crues

1.3. Types de répartition des dommages : inondations torrentielles et pluviales

2. Des inondations, témoins de l’hybridation Société/Nature

2.1. Une sous-représentation des inondations pluviales dans les archives

2.2. Des choix politiques de gestion du XVIIIe siècle qui se traduisent par une répartition des tâches entre l’Etat et les populations locales : à l’Etat la lutte contre les inondations importantes par débordement, aux villageois la lutte contre les inondations pluviales localisées

2.3. L’accroissement récent et massif des enjeux dans les zones à risque : (re)découvrir les vulnérabilités fonctionnelles

3. Faire face aux inondations : « l’indemnisation » témoigne des transformations de la société du XVIIIe siècle à nos jours.

3.1. Une indemnisation qui devient essentiellement financière

3.2. Du sinistré sujet du roi au sinistré citoyen, statut de l’aide

3.3. D’une perception empirique et globale à une approche plus théorique et sectorielle ?
Les inondations constituent un risque majeur sur le territoire national comme régional. En Languedoc-Roussillon, il est avéré pour 1132 des 1545 communes de la région et pour 25 % de la population.

L’Observatoire des risques naturels en Languedoc-Roussillon dresse un bilan des victimes des inondations depuis 100 ans : « on note 7 évènements majeurs en Languedoc-Roussillon : 1907, 1933, 1940, 1958, 1999, 2002 et 2003, auxquels on pourrait ajouter 1988 pour la ville de Nîmes. A chaque fois, les pluies dépassent 400 mm/jour sur plusieurs centaines de km² voire près de 2 000 km² comme en septembre 2002. Les dégâts sont toujours très impressionnants et le nombre de tués significatifs (35 victimes dans l’Aude et les Pyrénées Orientales en 1999, 23 victimes dans le Gard en 2002) ».

Au-delà des images spectaculaires relayées par les médias, les inondations méditerranéennes ont marqué des générations. Par son travail d’analyse de cas d’inondations survenus depuis le XVIIIème siècle, Nancy Meschinet de Richemond s’interroge sur un éventuel phénomène d’aggravation et d’augmentation des risques d’inondations ces dernières années. Elle montre que les inondations sont difficiles à prévoir (il n’y a pas de relation entre la quantité d’eau qui tombe et la montée des cours d’eau), qu’il n’y a pas d’homogénéité dans le temps (exemple de Sommières). Deux exemples sont significatifs : l’inondation des 17-19 octobre 1940 qui a frappé les Pyrénées orientales et celle de 2002 dans le Gard.

Entre le 16 et le 19 octobre 1940, entre 1000 et 2000 mm d’eau sont tombés sur les pentes du massif du Canigou (soit 2,5 fois la moyenne pluviométrique annuelle). Le bilan des victimes est terrible : 42 morts côté français (dont 25 victimes à Amélie-Les-Bains) et plus de 300 morts en Catalogne espagnole.

Dans la nuit du 8 au 9 septembre 2002, des pluies abondantes d’une rare violence gonflent les cours d’eau du Gard qui débordent rapidement, provoquant des inondations, des coulées de boue, et des dégâts d’une ampleur exceptionnelle. Il est tombé plus de 680 mm à Anduze en 24h. Environ 3000 entreprises, de nombreuses exploitations agricoles et plus de 7000 habitations, principalement dans des lotissements récents, ont subi des dommages qui se chiffrent à 1,2 milliards d’euros.

Deux types d’inondations se détachent :

  • Les inondations torrentielles qui touchent notamment les affluents des grands cours d’eau. Les dégâts sont en général dispersés dans l’espace. L’inondation d’octobre 1940 a provoqué des dégâts importants en plaine et ponctuels sur les versants, selon la pente, l’exposition et l’intensité des pluies.
  • Les inondations par ruissellement pluvial urbain qui trouvent leur origine dans les orages violents en zones urbanisées ; l’inondation du 3 octobre 1988 à Nîmes a coûté 610 millions d’euros.

La gestion des inondations méditerranéennes telle que nous la connaissons et la concevons aujourd’hui n’est pas apparue brutalement il y a quelques décennies. Elle s’appuie au contraire sur une longue histoire au cours de laquelle le « jeu des acteurs » mais aussi les mutations sociales et politiques de la France ont façonné progressivement la situation actuelle. Lorsque l’on consulte les archives, on s’aperçoit que les inondations fluviales sont sous-représentées. C’est le résultat d’un choix politique datant au moins du XVIIIème siècle : en cas de catastrophe régionale, l’indemnisation des inondations dues au débordement des fleuves est privilégiée au détriment des inondations pluviales. Ce choix conduit à indemniser davantage les plaines dont la santé économique est essentielle au développement économique de la région que la montagne. Les dommages liés au ruissellement pluvial sont pris en charge par les communautés villageoises mais ne sont pas indemnisés par l’Etat contrairement aux débordements des eaux. Ces choix ont implicitement perduré au XIXème siècle.

Avec le temps, la vulnérabilité face aux inondations augmente et change. Les effets des inondations sont ainsi le plus souvent amplifiés par l’urbanisation, l’implantation d’activités industrielles et commerciales, l’imperméabilisation des sols, la réduction de la capacité de rétention naturelle des sols en zone rurale par la suppression des haies et des forêts, notamment sur des terrains en pente…

De plus la perception du milieu et des risques associés a été bouleversée : on est passé d’une perception globale et empirique des risques intégrés à l’histoire locale à l’exigence d’une maîtrise absolue des catastrophes. Mais d’un autre côté, la vulnérabilité du territoire est fortement influencée par la connaissance et la culture du risque de la population. En effet, plus les connaissances des habitants concernant les risques auxquels ils sont soumis sont grandes, plus ils seront aptes à éviter de se mettre dans des situations dangereuses et à réagir correctement lors de la survenance d’un phénomène dangereux.

Ainsi l’évolution quantitative et qualitative des indemnisations est surtout liée aux changements politiques et administratifs plus qu’aux catastrophes elles-mêmes.

Débat
1 – Avez-vous étudié les inondations au Maghreb ?

J’ai étudié les risques d’inondation par tsunamis (source historique du XVIIIème siècle). Les informations sur cette catastrophe délivrent des informations qualitatives qui insèrent l’événement dans un système de valeur de l’époque notamment religieux (volonté divine). La plupart des sources ont été perdues car il y a peu de sources écrites.

2 – Existe-t-il des mythes autour des inondations ?

L’exemple le plus intéressant est le mythe de la poche d’eau et du séisme. Suivant ce mythe, la pluie n’est pas à l’origine des inondations. Ce sont plutôt des poches d’eau qui suite au séisme « crèvent » dans la montagne. Ce n’est pas complètement faux car dans les savoirs antiques le cycle de l’eau est un cycle souterrain et non pas lié aux précipitations. Le mythe de la poche d’eau est lié à des savoirs très anciens (antiquité). Il est amusant de noter qu’en 1990, lors de l’inondation de la vallée du Tech, 83 % des habitants de la région pensaient que l’inondation n’était pas avant tout liée aux précipitations.

3 – Dans les communes, les travaux de mémoire sont-ils réactivés ?

Plusieurs exemples me viennent à l’esprit. Les cartes des zones inondées en 1940 sont aujourd’hui réutilisées par les services de l’équipement. Autre exemple, à Sommières, il y a un décalage entre la mémoire des habitants qui fixent les niveaux d’inondations grâce à des repères inscrits sur les murs mais souvent effacés (2ème étage des habitations) et les autorités qui utilisent des macarons d’Etat ; le Syndicat Interdépartemental du Vidourle (le SIAV) a ainsi entrepris la pose de repères de crues pour garder en mémoire le risque d’inondation et informer les populations sur les grandes crues historiques du Vidourle. Il y a donc un conflit de légitimité du territoire entre les habitants et les autorités.

Compte-rendu rédigé par Vincent Lahondère

QUELQUES CHIFFRES :

Une crue se définit par un débit 6 à 10 fois supérieur au module (module = débit moyen annuel), (pour comparaison : module SEINE à Paris = 266 m3/s ; crue 1910 = 2.400 m3/s pour un bassin versant en amont de Paris de 45.090 km²). Inondation de NIMES le 3 octobre 1988 : 610 millions d’euros de dégâts (conversion Francs => euros) Aujourd’hui, ça serait 940 millions d’euros (chiffres, DREAL Gard, 2013)

Exemples des fleuves des Pyrénées orientales : Inondation des 17-19 octobre 1940 dans les Pyrénées de l’est : événement de référence encore aujourd’hui pour l’aménagement. Des événements comparables ont eu lieu en octobre 1763 et le 24 août 1842. Entre 1.000 et 2.000 mm d’eau sont tombés en 4 jours (16 au 19 octobre) sur les pentes du massif du Canigou (soit plus de 2,5 fois la moyenne pluviométrique annuelle !). Ces inondations catastrophiques ont fait 42 morts côté français (dont 25 victimes à Amélie-Les-Bains) et plus de 300 morts en Catalogne espagnole.

  • La TET = 120 km de long (de 2100 m d’alt.) Bassin versant = 1.350 km² (1.300 km² à Perpignan), débit (Q) moyen annuel à Perpignan = 12,2 m3/s

Q10 = débit de temps de retour 10 ans, Q100 = débit de temps de retour 100 ans

Q10 = 1.100 m3/s et Q100 = 2.500 m3/s

En 101 ans, (1876-1982) = 64 crues dommageables

A Perpignan en 1940, Q = 3.600 m3/s (5,6 m de hauteur d’eau)

  • Torrent du BOULES (petit affluent de rive droite de la Têt, en amont de Perpignan) = 30 km de long Bassin versant = 120 km²

Descend de 1.778 m à 180 m d’altitude

Module (Q moy) maxi = 1,26 m3/s en octobre 1940, Q = 800 m3/s

  • Le TECH = 82 km de long BV = 750 km²

débit moyen annuel à Amélie-les-Bains = 6,2 m3/s

Q10 = 1.700 m3/s et Q100 = 3.500 m3/s = Q de 1940 à Céret

  • L’ AGLY = 80 km de long (de 2500 m d’alt.) Bassin Versant = 1.120 km²

Q moy annuel à Rivesaltes = 7 m3/s (5 m3/s à Caramany)

Q10 = 1.100 m3/s et Q100 = 2.500 m3/s (idem Têt pour Q10 et Q100)

En 1940, Q max à Rivesaltes = Q75 = 1.450 m3/s et 5,60 m de hauteur d’eau

indemnisation-financiere-nationale-inondation
L’évolution de « l’indemnisation financière nationale » des victimes d’inondation en Roussillon de 1740 à 2010. Nous mettons l’expression entre guillemets pour en souligner le caractère anachronique. (source : N. Meschinet de Richemond, mémoire d’HDR, 2012, p. 115)

lettre-viguierDes choix politiques aux conséquences archivistiques et géographiques… qui se font encore sentir de nos jours. Source : N. Meschinet de Richemond, mémoire d’HDR, 2012, p. 63.

 

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Plan des surfaces reconnues comme submersibles en 1996 et espace inondé en 1940 : bassin aval du Boulès (Bouleternère à Millas). Source : N. Meschinet de Richemond, thèse, 1997.