Cafés géographiques de Montpellier du 26 janvier 2016 au Gazette Café.

Nous tenons à remercier avant tout Olivier Clochard pour sa venue ce soir. Docteur en géographie et chargé de recherche au CNRS (UMR Migrinter, Poitiers), il est spécialiste des migrations et à ce titre est membre de Migreurop, « réseau européen et africain de militants et de chercheurs dont l’objectif est de faire connaître et de lutter contre la généralisation de l’enfermement des étrangers et la multiplication des camps, dispositif au cœur de la politique d’externalisation de l’Union européenne » (extrait de www.migreurop.org). Après avoir rédigé Atlas des migrants en Europe. Géographie critique des politiques migratoires (éditions 2009 et 2012) sujet compliqué et sensible, brûlant d’actualité, Olivier Clochard poursuit ses recherches actuellement à Calais où il avait fait sa thèse mais aussi à Chypre et sur d’autres terrains (Bruxelles, Marseille).

L’intervention s’organise en 3 parties : 1) ce qui est nécessaire pour voyager, 2) les restrictions aux frontières, 3) la question des réfugiés.

I/ Des visas pour voyager ?

Il y a environ 230 millions de migrants actuellement, sans que soient compris dans ce chiffre les réfugiés. Les pays qui accueillent le plus de migrants internationaux sont : les Etats-Unis (45,8 millions), la Fédération de Russie (11 M), l’Allemagne (9,8 M). La France arrive en 7e position (7,5 M). Mais chaque pays a une histoire migratoire qui lui est unique. Ainsi il faut rappeler qu’au XIX° siècle ce sont les Européens qui partaient : l’Irlande, frappée par la Grande Famine (1845-1852), avait connu le départ d’au moins un tiers de sa population vers le Nouveau Monde. La France fait partie elle aussi de ces pays qui ont une histoire migratoire importante. Sur le premier graphique, nous pouvons voir que la dislocation de l’URSS a provoqué le départ de nombreuses personnes. Les récentes migrations vers et en Europe ne sont pas un fait nouveau, tout comme dans le monde. Les Emirats Arabes Unis sont, par exemple, aujourd’hui l’un des pays qui vit grâce à la venue de ressortissants étrangers. Au Qatar, 80% de la population est étrangère. Rfce à Tristan Bruslé qui a travaillé sur les Népalais migrant vers cet Etat.

Les politiques européennes légifèrent avant même que les migrants aient commencé de voyager (référence aux travaux de Didier Bigo). Il y eut en effet un gros travail de l’Europe sur la question des visas européens, se basant sur une uniformisation de ces derniers. A partir de 2001 ces visas permettent ainsi à l’ensemble des ressortissants étrangers de voyager. Il est demandé aux consulats de veiller au « risque migratoire » (personnes célibataires, avec antécédents…). Par exemple, un algérien ne peut voyager dans l’espace Schengen sans un visa en cours de validité. Sur la carte de Nicolas Lambert, nous pouvons voir deux ensembles : le premier présente des pays qui concentrent 17% de la population et 73% des richesses mondiales. On peut voir que la mobilité y est importante, les citoyens de ces pays pouvant circuler avec plus de facilité, la plupart du temps sans visa. Le second ensemble présente les pays concentrant les 83% de la population mondiale et 27% des richesses. Cet ensemble a peu ou pas accès aux premiers pays et des dispositifs tentent d’en empêcher les mobilités. C’est pour freiner l’arrivée de demandeurs d’asile. Le décalage est indécent avec le Liban qui accueille aujourd’hui 1 million de réfugiés. Un visa pour l’UE coûte 60 euros. Rapporté au niveau de vie de certains pays, c’est beaucoup. La population des pays riches a donc plus de facilité théorique à voyager. (Source: Néocarto)

« Imaginons un monde où les hommes circuleraient librement, traverseraient les frontières avec un simple passeport, sans visas, sans murs, sans zones d’attente ni centres de rétention, où les reconductions à la frontière concerneraient non plus les sans papiers, mais uniquement ceux qui porteraient atteinte à la sécurité de l’état. Ce monde existe, mais seulement pour les citoyens des pays riches rarement soumis à visas et pour les élites et fortunés des pays pauvres qui entrent dans les catégories de délivrance des visas » (Catherine Witol de Wenden, Le droit d’émigrer, 2013)

Le visa de transit aéroportuaire est également devenu une obligation. Il existe des visas de transit pour aller au Canada, et si l’on passe par Paris il faut deux visas (un pour le pays où l’on va et un autre pour transiter). Ces politiques de visa ne touchent évidement pas tout le monde de la même manière

Cette politique des visas freine les flux migratoires. Au milieu des années 2000, des officiers de liaison employés par l’Union Européenne commençaient à surveiller les modalités de contrôle et à aller former les polices des pays d’origine (tensions avec la Turquie qui refusaient que ces agents aillent sur son sol). Les directives sont multiples. Au sein de cet espace européen, on emploie le terme d’ ”externalisation” pour parler des contrôles frontaliers. Elle s’opère de trois manières :

1- Renforcer les dispositifs de contrôle en amont par les consulats.

2- Demander aux Etats de départ de renforcer la surveillance. Bernard Cazeneuve, actuel ministre de l’Intérieur, est ainsi amené à se déplacer dans des pays étrangers pour négocier avec les gouvernements en place le renforcement des contrôles afin de limiter les flux migratoires.

3- Faire appel à des opérateurs privés pour gérer les flux migratoires, enregistrer les empreintes, etc. Cela a pour conséquence de faire augmenter le coût des visas.

On observe une sorte de bipolarité du monde, avec des territoires sanctuarisés d’un côté et ceux qui ont besoin d’un visa de l’autre.

II/ Restrictions aux frontières et enfermement des migrants

Aujourd’hui, des lois de plus en plus restrictives contre les migrants sont votées. L’une des premières manifestations de ces restrictions est l’enfermement qui se décline de plusieurs manières :

1) La prison (3-4 mois par exemple). On condamne des gens pour être en situation irrégulière sur un territoire. De nombreuses arrestations sont ainsi faites à Chypre pour cette raison. On les retrouve également en Suisse : des ailes dans les centres de détention sont spécialement conçues pour les migrants en situation d’irrégularité. Le fait d’être dans ces prisons renforce l’image criminelle des migrants. Nous n’avons néanmoins pas assez de données sur ces dernières, sauf pour la France ou la Belgique. Dans les autres Etats il est plus difficile d’y avoir accès. Au total, il y aurait 700 000 emprisonné-e-s environ mais même l’Union Européenne a du mal à avoir des données précises. Un tiers seulement de ces personnes sont renvoyés dans leurs pays d’origine.

2) Les lieux d’enfermement spécifiques. Pas de statistiques officielles, obtenir des informations sur ces lieux repose sur un travail de fourmi. La durée est limitée à 18 mois mais les Etats peuvent contourner cette limitation. Approximativement 600 000 à 700 000 personnes sont enfermées chaque année dans l’Union Européenne.

3) L’usage des commissariats de police dans certains pays utilisés comme des prisons. Mais ils sont rares car ce type rétention n’est pas règlementaire. La loi de 2012 interdit les procédures pénales contre les migrants en situation irrégulière. La procédure va plus vite dans les commissariats et les gens sont expulsés au bout de 72h. La France parle d’une « retenue » de 16h pour ne pas dire garde à vue : le vocabulaire est important.

On a donc une multitude de lieux pouvant être utilisées à des fins de rétention. Ces deux éléments participent à un phénomène de confinement au sein de l’Union Européenne. La France suite à la décision de la cour d’appel a inventé de nouvelles méthodes pour emprisonner les migrants. Pour exprimer ce sentiment de confinement on a aussi l’exemple du statut de migrants temporaires employé dans de nombreux pays. Il offre une protection de 1 ou 2 ans, mais ce statut fragilise les populations dans cette situation. C’est néanmoins un des moyens en vigueur employés par les Etats pour gérer ces populations

Le confinement se fait également à travers l’emploi. Certains secteurs comme le BTP ou la restauration misent beaucoup sur ces populations de migrants, populations corvéables à merci. Le travail domestique est aussi institutionnalisé par des agences qui recrutent des personnes étrangères pour assurer certains rouages de l’économie. En France, Colette Le Petitcorps a ainsi pu travailler dans le cadre de sa thèse sur les services à domicile effectué par des migrants à Paris. La sociologue a relevé des affiches pour recruter des migrants, par exemple. On est donc face à un système qui fragilise et exploite les migrants au lieu de les rapatrier dans leurs pays.

La Directive Retour de 2008 énonce une durée maximum de dix mois avec l’obligation d’avoir un rapport sur les migrations à l’échelle de l’Union Européenne. Le gouvernement dit que cette directive a permis d’améliorer la situation des personnes, de réduire la durée de rétention, etc. Mais le rapport n’est pas été convaincant et le réseau Migreurop est allé vérifier. Il critique cette vision en étudiant d’autres données antécédentes. Les durées sont restées identiques en Allemagne par exemple et dans d’autres pays elles ont eu tendance à augmenter (France, Espagne, Italie, Grèce) souvent de manière assez importante.

III/ La question des réfugiés

Nous avons évoqué la difficulté que peuvent rencontrer les populations pour acquérir un visa selon son pays d’origine. Mais également le risque de se retrouver enfermé lorsque l’on circule sans avoir régularisé sa situation. Ce qu’il nous faut maintenant ajouter est la question qui se pose pour des populations comme en Syrie : fuir la guerre pour ne pas y laisser sa peau, mais fuir où ?

En 2013, la politique d’accueil en Europe est révisée. On commence à banaliser l’enfermement pour le seul motif d’être en situation irrégulière. De nombreux Syriens sont dans ce cas de figure que ce soit en France ou à Chypre. Cette problématique est le talon d’Achille de l’Union Européenne car il y a des directives internationales garantissant la liberté de circulation. L’Union Européenne  essaye de la contrecarrer par des manières détournées. Pour faire face à l’arrivée de 230 millions de migrants il faut également prendre en compte les demandeurs d’asiles de l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East) et l’UNHCR (United Nations Refugee Agency). Rappelons, pour briser une idée reçue, que les personnes qui fuient la guerre ne quittent pas tous leur pays d’origine. La plupart des personnes qui fuient un conflit ne franchissent pas une frontière. Ils sont des déplacés internes.

Aujourd’hui on parle pourtant d’un afflux massif de migrants en Europe mais à l’échelle de la planète c’est peu. On ne peut pas parler d’afflux massif car si 600 000 migrants passent, on ne prend néanmoins pas en compte le vrai nombre de réfugiés.  Les pays qui « produisent » le plus de migrants sont 1) la Syrie, 2) l’Afghanistan. Les pays qui produisent des réfugiés peuvent également être des pays qui en accueillent, comme le Soudan. Les pays qui accueillent le plus de réfugiés sont 1) la Turquie, 2) le Pakistan, 3) le Liban… Il n’y a pas un seul pays européen parmi les 10 premiers. Il y a bien un choix politique qui ne veut pas être pris. Les directives actuelles viennent compliquer la situation et le système public ne répond pas à la situation. L’Union Européenne tente donc de mettre en place un certain nombre d’accords avec les pays d’origine des migrants pour établir une zone tampon autour de l’Europe. Elle met également de l’argent dans des centres de rétentions administratives participant de ce fait à l’externalisation. Enfin, un certain nombre de cartes permettent de voir qu’il y a de plus en plus de femmes et d’enfants concernés.

 

Compte-rendu rédigé par Guillaume POINSIGNON
Etudiant en préparation du CAPES Histoire-Géographie
Secrétaire des Cafés Géographiques de Montpellier
Représentant de l’association étudiante, Le Globe