Compte rendu, Café Géo de Montpellier – 17 janvier 2017
Aurélie Delage -Maître de conférences en aménagement et urbanisme – Université de Perpignan.

Une personne sans domicile fixe en train de fouiller des poubelles, une jeune femme à l’allure chic : c’est la première image que l’on peut présenter de l’extrême polarisation sociale de New York et des inégalités que l’on perçoit dans  LA ville globale.

On y retrouve les disparités spatiales et ethniques classiques aux E.U: la périphérie (suburbs) de NYC est occupée par une population blanche et aisée qui s’installe dans les nouvelles banlieues modernes laissant une population plutôt noire dans le centre-ville où le bâti se dégrade (Skid Row).

Pourtant, ces dernières années, les nouvelles  générations manifestent un intérêt plus  marqué pour les quartiers centraux, leurs équipements et les ressources urbaines qu’ils offrent.  La mobilité intra-urbaine est, depuis peu valorisée, les  plus jeunes préférant  désormais la marche à pied à la voiture. Les classes les plus aisées quant à elles, regagnent les centres villes et alimentent un processus de  gentrification qui repousse parfois les plus pauvres vers les périphéries.

La ville globale : fondements de la puissance de New York City

Son ouverture sur la façade Atlantique et la navigabilité de la rivière Hudson sur de longues distances vers l’intérieur ont donné à NYC le rôle de porte d’entrée historique. Elle est au XIXème un véritable point de passage pour les migrants accueillis au sud de Manhattan. Au XXème siècle, ce site favorable permet au port commercial de NYC d’être une place financière forte.

Désormais, cette ville est connectée avec le reste du monde par des aéroports importants (JFK), elle concentre une exceptionnellepuissance financière (ONU, Trump tower, skyline de NYC) et fait montre d’une puissance culturelle au  rayonnement international (The Metropolitan Museum of Art, The Guggenheim Museums and Fondation). Le domaine du divertissement est également très présent à NYC (séries TV, films, spectacles) et la ville utilise de manière habile ce puissant  soft power pour véhiculer son image hors des Etats-Unis. Cette concentration des attributs et des fonctions de commandement en fait  une ville globale (S.SASSEN).

La ville duale : ségrégations socio-ethniques.  

Les données des statistiques ethniques de NYC, une fois  cartographiées montrent des ségrégations spatiales évidentes avec différents degrés de métissage.  En leur superposant les cartes des revenus médians par ménage on montre une corrélation forte entre les poches de pauvreté et les minorités ethniques, les plus forts revenus étant plutôt caractéristiques des « blancs ». Des cartes évolutives permettent de montre que certains territoires comme le Bronx accueillent de plus en plus de populations noires alors que des quartiers comme Manhattan se « blanchissent ».

 

La ville duale : les « supertall skycrapers », espaces des super riches

L’heure est à la construction d’immeubles de très grande hauteur dans les interstices de la ville ou à la place des bâtiments à l’abandon.  Surplombant la ville, ces appartements onéreux sont achetés par des investisseurs  étrangers, souvent chinois ou canadiens. Il s’agit souvent de placements spéculatifs qui peuvent rester vacants une grande partie de l’année. La création de ces cellules vides a des conséquences sur les prix du foncier mais également sur le fonctionnement économique local : ces investisseurs ne consomment pas sur place et ne paient pas d’impôts. Au plan environnemental, on peut décrire une nouvelle forme d’inégalité environnementale : ces tours très hautes sont capables de faire de l’ombre aux espaces environnants et tout particulièrement aux habitations en contre-bas. Une portion très restreinte et très riche de la population monopolise ainsi  la lumière sans se préoccuper des problèmes d’ombrage au sol. Une façon pour les classes les plus aisées de vampiriser des aménités de la ville (la vue et l’exposition).

La ville duale : marginalité socio-spatiale

Une enquête à NYC (Survey HOPE) permet d’avoir quelques données sur la  population marginale la plus défavorisée. Elle consiste à comptabiliser les personnes qui sont dehors pendant la nuit la plus froide de l’année et permet de conclure à une baisse des sans domiciles fixes (SDF) ces dernières années et un développement des  hébergements d’urgence. Il semble que leur chiffre ait baissé de 12 % entre 2015 et 2016 et de 36 % entre 2005 et 2016.

Année SDF
2016 2800
2015 3200
2005 4400

Cartographier leurs parcours et leurs usages des espaces reste difficile : les enquêtes montrent qu’ils pratiquent des espaces qui peuvent être des lieux-ressources : lieux de cultes, les quartiers riches, les proximités des magasins d’alimentation et les gares (lesquelles leur permettent d’avoir chaleur et sécurité). Le profil des SDF est fortement lié à l’origine raciale : beaucoup d’afro-américains mais aussi beaucoup de personnes ayant des problèmes d’addiction, des troubles mentaux et des problèmes de santé. Un nombre important de vétérans des guerres d’Afghanistan et d’Irak, en rupture psychologique et sociale sont une des catégories de ces SDF (catégorie délicate au plan politique et peu médiatisée).  Une nouvelle catégorie de  « working poor » (personnes qui ont un emploi mais qui n’ont pas assez d’argent pour se loger) a plus récemment gonflé les effectifs de ces marges sociales.

Les inégalités environnementales : une approche des  water fronts du Bronx et de Brooklyn

Une analyse comparée des water fronts de Brooklyn (quartier de Williamsburg) et du Bronx permet de conclure à de véritables inégalités environnementales.

Williamsburg : le quartier est aujourd’hui un front de gentrification, un espace de forte promotion immobilière en face de l’ïle de Manhattan. Les anciens quais de transbordement, les raffineries et autres activités industrielles et logistiques se transforment depuis les années 90 en espaces résidentiels profitant de la vue sur Manhattan et des fronts d’eau aménagés à des fins de loisir. L’accès au front d’eau est un impératif urbanistique et l’aménité paysagère est ici mise en valeur et valorisée au plan foncier.

Une analyse comparable sur les fronts d’eau du Sud-Bronx montre au contraire un surcroît de nuisances. Entre 1997 et 2005 le nombre d’infrastructures porteuses de nuisances et de pollution s’est multiplié alors que les populations des quartiers riches se mobilisaient pour les évacuer de leur espace de vie: centres de traitement de déchets, centrales électriques, marché de gros … Ainsi, les nuisances et les risques se concentrent-ils sur les espaces les moins favorisés et les plus vulnérables  sur le plan social et les plus ségrégués au plan racial.  Les fronts d’eau y sont restés soit inaccessibles soit non aménagés pour la pratique publique. Les populations y sont souvent les moins scolarisées et les moins dotées de modes d’expression politique.

Le Bronx est pourtant le berceau de contestations contre ces inégalités environnementales. La figure de Majora Carter, dans la continuité des mouvements des droits civiques des années 80 dénonçant le « racisme environnemental » est particulièrement marquante depuis le début des années 2000. Son travail militant a consisté à décrocher des financements pour retrouver une accessibilité piétonne aux fronts d’eau et à dénoncer les localisations de LULU’s (Locally Undesirables Land Uses) dans le Bronx. Par un slogan fort « Don’t move, improve », elle invite les populations du Bronx à rester dans leur quartier d’origine ou de résidence (auxquels elles sont souvent très attachées) tout en améliorant leurs conditions de vie plutôt que de partir vers des suburbs éloignés. Ce mouvement témoigne peut-être  de l’émergence de formes d’empowerment de la population locale.

Pour conclure, si la ville de NYC est l’archétype de la ville créative et de la ville globale, elle est aussi la figure de la ville exclusive et duale.  L’analyse des inégalités raciales, sociales et environnementales permet les logiques cachées de la production de la ville globale.

Complément utile de cet exposé : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/etats-unis-espaces-de-la-puissance-espaces-en-crises/articles-scientifiques/le-bronx-des-flammes-aux-fleurs

Une banque d’images commentées sur les Etats-Unis, notamment NYC : http://citiestreats.tumblr.com/

Page personnelle d’Aurélie Delage : http://art-dev.cnrs.fr/membres/?dir=aurelie.delage

Compte Rendu de  Alexis Copin. Montpellier