76ème Café de géo de Mulhouse
« Penser le monde avec des cartes »
D’après L’Atlas global (Les Arènes, 2014)
6 mai 2015, Maison Engelmann Engels café. Librairie 47°Nord

Gilles Fumey, Professeur de géographie culturelle à l’université Paris-Sorbonne, Chercheur au CNRS

Les co-auteurs de l’atlas se sont posé deux questions :

  • Comment parler du Monde avec une représentation intelligible au temps des atlas numériques ? Google Earth bouleverse notre pratique de la carte. Surtout pour les plus jeunes qui n’auront, dans quelques années, rarement eu contact avec la carte papier.
  • Quel récit du Monde pouvons-nous construire ? Laissons-nous toujours l’Occident au centre de nos représentations ? Il nous faut « désoccidentaliser » notre manière de voir le monde.

On part du travail de Christian Grataloup, selon lequel la cartographie est une convention. Faut-il en changer ? Non pas, comme on aimerait le faire, mettre en ordre le monde, mais bien exposer les désordres. De manière visuelle. Et que cette exposition soit l’engagement d’une pensée destinée à lever des lièvres plus qu’à relier des pensées éparses.

Certes, le globe est une figure fascinante, totémique. Il porte avec lui l’idée de totalité, mais pourtant le Monde est très fragmenté. Et, surtout, depuis 1969, on ne va plus le voir du dedans. Mais du cosmos. Révolution ! Car la planète bleue paraît tout d’un coup très fragile. D’aucuns y voient le point de départ de nos visions de l’environnement aujourd’hui. Qui insiste sur l’enveloppe atmosphérique, la bulle, les océans….

Quel est le parti pris dans l’Atlas ?

On constate que l’Europe a imposé sa lecture du monde. Et on produit alors des cartes sur un premier chapitre sur le Monde avant l’Occident. Avec des auteurs inattendus : Jean-Louis Tissier sur le peuplement du Monde, Benoît Antheaume sur le peuplement d’un océan (celui du Pacifique). Les Amérindiens sont étudiés par Emmanuel Lézy qui retient qu’ils n’étaient pas qu’au Sud. L’Afrique au Moyen Age, l’Eurasie d’avant l’Europe sont là aussi.

Christian Grataloup a, dans la foulée de ses travaux sur la mondialisation, décortiqué la manière dont l’Europe fait main basse sur le Monde. Comment comprendre des phénomènes comme la traite africaine, avec la profondeur temporelle requise. Comment s’établissaient les contacts avec les empires ? Nouveauté : les mondes imaginaires avec Jules Verne qui a une vraie pensée spatiale, et Corto Maltese avec Tintin dont les mondes imaginaires sont une mine pour comprendre le récit de l’époque.

L’Atlas prend ensuite le parti d’un emballement de l’Europe et ses épigones dans la prédation. Sur des thèmes controversés comme le changement climatique, l’énergie, les terres agricoles, il y a une avidité incroyable qu’il faut mettre en perspective. Olivier Milhaud situe l’obsession américaine d’enfermer dans ce contexte. Benjamin Lysaniuk piste les virus qui prennent l’avion, Fabrizio Maccaglia les criminels des mafias. Cela marque clairement où se situent les combats : sur la santé (avec l’obésité ?), les libertés ?

Pourtant, l’actuel discours sur la mondialisation tend à faire croire que le Monde serait en voie d’unification. Erreur ! Le commerce, les langues, la distribution entre actifs et non-actifs, les nationalismes résistants, l’Internet, l’alimentation, l’information, tout donne à penser que Babel prend le dessus, que les zones grises (Méditerranée, etc.) pourraient gagner des espaces.

Alors, comment lire le Monde ? Il faut faire le pari de replacer le Monde dans sa longue durée. En interrogeant l’anthropologue Philippe Descola qui situe quatre ontologies permettant de partir des physicalités et intériorités destinées à sortir l’Occident de son exception naturaliste. Comment penser le non-humain ? Faut-il suivre Emmanuel Todd et ses systèmes familiaux ? Sa découverte de la patrilinéarité de l’Ancien Monde qui ouvre un champ considérable de recherches ?

Faut-il enfin, encore et toujours, par la carte donner à voir l’espace et le temps : Jacques Lévy conçoit une « chronocartographie » des villes très impressionnante. Et implacable dans son raisonnement.

Enfin, pour ne rien gâter, Patrick Boucheron, le médiéviste de Sienne, rebat les cartes que Braudel avait maniées au milieu du XXe siècle. Avec son style, son talent, son exigence, il conclut en « imaginant Atlas heureux ».