Christophe-Toussaint Soulard, Pascale Scheromm et Camille Clément
Chercheurs à l’INRA, UMR Innovation, Montpellier.

 

Comment se met en place l’agriculture urbaine dans un contexte qui n’est pas traditionnellement celui de l’agriculture ?

 

I. L’agriculture urbaine : de quoi parle-t-on ?

 

L’agriculture urbaine, c’est l’ensemble des activités de production de denrées alimentaires (ou d’autres denrées notamment ornementales, fourragères, médicinales etc.) qui vont être pratiquées dans l’espace urbain ou en périphérie.

Les agricultures urbaines peuvent concerner toutes les productions végétales et animales. Les pratiquants agricoles sont très divers : certains sont des professionnels, d’autres des amateurs. Par ailleurs des associations voire même des institutions s’investissent dans cette activité. L’agriculture urbaine peut se pratiquer sur sol ou sans sol : sur les toits ou sur les murs des maisons par exemple. Les agricultures urbaines sont souvent des agricultures sociales et militaires : elles renvoient à des projets liés, par exemple, à l’éducation alimentaire, à l’insertion sociale par l’emploi, à l’amélioration de la santé physique et mentale. Par ailleurs, les projets d’agriculture urbaine sont souvent des projets de mobilisation citoyenne pour permettre de conserver des espaces de production dans le tissu urbain. De nombreux projets en effet prônent l’idée que l’agriculture urbaine est un moyen pour permettre aux populations défavorisées de produire et de développer une alimentation de qualité.

  • Agricultures des villes : un peu d’histoire

Agriculture et ville sont intimement liées. Les villes en effet sont nées en même temps que l’agriculture au Néolithique. Plus tard, dans l’Antiquité alors que les villes se développent, leurs périphéries vont être mises en culture et ce, de plus en plus loi pour nourrir une population grandissante et pour faire face à l’épuisement des sols. Au Moyen-Âge les villes sont des centres de commerce et notamment des centres de commerces alimentaires et des centres d’approvisionnement en biens pour les campagnes. On observe y observe cependant une agriculture intramuros toujours présente en cas de famine, en cas de catastrophe, d’incendie, etc.

L’urbanisation du XIXème siècle va transformer ce lien entre ville et agriculture : un dualisme va s’instaurer avec le développement des villes. Si l’on continue à produire à proximité des villes, dans les couronnes maraîchères, des produits frais difficiles à conserver et transporter, l’approvisionnement se fait néanmoins et majoritairement de plus en plus à distance. Au XXe siècle, la déconnexion entre les villes de plus en plus tertiaires et l’agriculture se précise, cette dernière se développant dans des bassins marqués par des systèmes agro-industriels dominants. La proximité de l’agriculture avec la ville n’est plus nécessaire car l’agriculture s’est développée sur des logiques de marchés nationaux et internationaux indépendamment des marchés de proximité. Il y a donc une déconnexion entre une ville et son agriculture à proximité. Les villes vont s’étendre sur des territoires ruraux, autrefois agricoles, qui deviennent périurbains.

 

  • 21e siècle : phase de nouvelle reconnexion entre la ville et l’agriculture ?

Aujourd’hui alors qu’il est question de développement durable et donc de « ville durable », assiste-t-on à une reconnexion entre la ville et l’agriculture ?

 

Les agricultures urbaines héritées

De nombreuses agricultures urbaines sont des agricultures héritées.

Certaines se trouvent au cœur des villes : c’est le cas à Istanbul en Turquie. Dans cette grande ville en effet, des jardins irrigués et cultivés fournissent une production agricole commercialisée dans l’environnement local. Ils ont été aménagés il y a plus de mille ans tout le long des remparts du centre historique. Ces jardins très productifs sont des espaces investis socialement par les populations du quartier qui viennent s’y divertir et menées des activités autour des cultures produites. Les sont cependant aujourd’hui menacés par l’urbanisation et la pression foncière et immobilière.

D’autres agricultures urbaines se situent en milieu périurbain. C’est le cas de la huerta de Murcia en Espagne. La huerta est en effet un modèle agricole historique des villes méditerranéennes importé par les Arabes lors de la conquête. Il s’agit d’une plaine maraîchère aménagées et irriguées grâces à des techniques hydrauliques diffusées par les Arabes permettant de produire des fruits et des légumes pour le marché urbain ou même au-delà. La proximité de cette agriculture avec la ville a permis aux populations de cultiver leurs parcelles à proximité de leur maison et de façonner un paysage typique, mi-résidentiel, mi-agricole.

Enfin, d’autres agricultures encore se trouvent entremêlées dans le tissu urbain. C’est le cas dans les régions très densément peuplées d’Asie du sud-est. Ici les villes restent traditionnellement agricoles et les habitants y produisent une partie des denrées vivrières. Se côtoient alors sur leur territoire des espaces urbains très résidentiels et très denses et des espaces urbains consacrés à la production agricole. Ce modèle de ville asiatique a été nommé par un géographe canadien « Desakota » (ce qui signifie la « ville/village ») afin de souligner la continuité entre noyau urbain et zones périurbaines.

 

Étalement urbain sur des terres agricoles : l’exemple de Montpellier 

L’agriculture à proximité des villes est aujourd’hui largement menacée par l’urbanisation. C’est surtout vrai autour des villes qui connaissent une croissance importante comme à Montpellier, notamment depuis les années 1960. Cette extension se développe beaucoup autour des noyaux périurbains entrainant ce qu’on appelle « l’étalement urbain ». Cette extension urbaine, autour de Montpellier, se diffuse sur les espaces agricoles. C’est par exemple très évident à l’Est de Montpellier (sur les communes de Castelnau-le-Lez et de Le Crès) où nous pouvons observer des formes résidentielles assez récentes construites sur des espaces agricoles, puis, plus en retrait, une plaine agricole traditionnelle du Languedoc, très convoitée compte tenu de la pression démographique et des choix résidentiels qui privilégient des implantations en milieu périurbain.

 

Péri-urbanité et agriculture : des relations assez complexes 

L’agriculture périurbaine c’est tout d’abord une agriculture de voisinage puisqu’il s’agit de pratiquer cette activité à côté de lotissements par exemple. Elle nécessite ainsi de s’adapter à la coprésence des habitants, des randonneurs, des activités équestres, etc. Ce sont des relations d’alliance et de coopération qui peuvent parfois provoquer des conflits notamment liés aux nuisances engendrées par les activités agricoles pour les résidents proches. L’activité agricole peut aussi être victime de nuisances : les vols et les vandalismes sont ainsi très courants en milieu périurbain.

 

Quand l’urbain devient ou redevient agricole

Qu’elles proviennent d’initiatives individuelle ou collective, l’agriculture reconquiert peu à peu les villes. Ainsi dans certaines villes nord-américaines, peu denses où les zones pavillonnaires dominent, des associations de quartier et/ou des agriculteurs développent des micros fermes urbaines au cœur de l’espace urbain. Par ailleurs, les jardins familiaux se multiplient dans les villes souvent à l’initiative des collectivités territoriales et sur le modèle des jardins ouvriers. Ainsi à Alès dans le Gard, la municipalité a proposé des parcelles en plein cœur du quartier populaire des Prés Saint-Jean afin que les habitants puissent y cultiver.

De plus en plus également on observe dans les villes marquées par une décroissance suite à des crises économiques, des réversibilités d’usages au sein de la ville qui recréent des espaces agricoles. Ce phénomène concerne un tiers des villes dans le monde. Les friches urbaines et/ou industrielles offrent des espaces disponibles qui peuvent alors être réhabilités pour l’agriculture. L’activité agricole qui s’y développe peut permettre aux habitants touchés par la crise de produire une partie de leur nourriture. Les paysages urbains de ces villes en récession marquées par de nombreux espaces de friches ont donné l’expression de « villes perforées ». La ville de Detroit en est sans doute l’archétype.

Enfin, l’agriculture se développe dans les villes par poldérisation ou hors-sol. Ainsi à Saint-Louis du Sénégal par exemple de nombreux agriculteurs maraichers qui ont perdu leurs terres traditionnelles en raison notamment de leur salinisation, ont reconstitué des sols en remblayant des zones inondées et en utilisant, pour cela, les nombreux déchets plastiques disponibles. Ils ont ainsi recréé une agriculture maraîchère qui fait des émules car la commune connaît grâce à cette poldérisation une progression considérable de ses surfaces agricoles. Les agricultures hors-sol se développement également, sur les toits par exemple comme à Paris ou au Caire. Dans cette dernière grande métropole il n’est pas rare de voir des vaches laitières élevées sur les toits en terasse de la médina. D’autres types d’agricultures hors sol se développent dans des containers ou dans des pots (« Edible Landscape ») dans le cadre d’initiatives privées à vocation commerciale ou vivrière.

            Toute l’histoire de l’agriculture urbaine montre un lien tenu entre ville et agriculture marqué par des complémentarités mais aussi des concurrences. L’agriculture urbaine a souvent été une solution de résilience. On a ainsi connu depuis 2008 un développement des activités agricoles urbaines dans les villes des pays d’Europe du sud. Cette agriculture urbaine est aussi très liée à un mouvement de contestation du modèle agricole industriel. Elle peut relever aussi de politiques publiques qui visent l’aménagement durable, des projets de santé et d’emploi, etc.

 

 

II. L’agriculture intra-urbaine à Montpellier

 

A Montpellier il existe une agriculture marchande professionnelle avec des vignobles, du maraichage, des oliveraies, etc. Au nord de la ville, coexistent des parcelles liées à l’activité de recherche, des jardins partagés mais aussi un agriparc à vocation récréative.

 

  • Où se situent les espaces agricoles à Montpellier ?

Montpellier est une ville qui s’est très rapidement urbanisée. Cette urbanisation a rejeté la production agricole à la périphérie sous forme d’ilots situés aux confins de la ville. La surface des espaces agricoles représente 7% de la superficie communale. Il s’agit surtout de jardins collectifs municipaux qui sont soit des jardins partagés, soit des jardins familiaux se situant plus particulièrement à la périphérie de la ville. La ville de Montpellier a mis en place une politique de développement agricole assez active. Ainsi, chaque année, un jardin partagé est créé à la demande des riverains de différents quartiers et la ville compte 30 jardins partagés au sein de la ville.

 

  • Les acteurs de l’agriculture à Montpellier 

À Montpellier, différents acteurs coexistent. D’abord les agriculteurs qui produisent et commercialisent leurs produits en circuit long le plus souvent. Leurs terres sont soumises à une forte pression immobilière et beaucoup de ces agriculteurs sont en attente de spéculation foncière. Ce type d’agriculture est en forte régression. Aux côtés de ces agriculteurs, de jeunes agriculteurs et des citadins jardiniers se multiplient motivés par une recherche de « nature » au sein des villes et de mieux-vivre (et mieux manger). Ils pratiquent des agricultures respectueuses de l’environnement comme l’Agribio par exemple. Les profils de ces nouveaux jardiniers sont très divers et alors qu’auparavant les jardins familiaux étaient surtout entretenus par des retraités, aujourd’hui ils sont aménagés et cultivés par des personnes de tout âge et de tous milieux professionnels. Ces jardins sont souvent mis en place par la municipalité. En effet Montpellier a aménagé un « Agriparc » situé sur un ancien domaine viticole. Acquis par la municipalité, cet agriparc a pour fonction de servir de parc urbain pour l’éco quartier de proximité. Des pratiques agricoles y sont proposées aux citadins. Aux côté de cet acteur public qu’est la ville de Montpellier, des acteurs privés développent eux aussi l’agriculture urbaine. C’est le cas de promoteurs immobiliers qui font de l’existence de jardins potagers au cœur de leurs résidences leur « marque de fabrique ».

Un double mouvement est alors à l’œuvre à Montpellier

  • Un recul des espaces agricoles et de l’agriculture marchande ;
  • L’émergence de nouvelles formes d’agriculture urbaine qui incitent à développer des projets agricoles.

 

 

III. L’agriculture périurbaine autour de Perpignan : le cas de la commune de Claira

 

L’agriculture périurbaine de Perpignan est caractérisée par la multiplication de friches agricoles. Cette multiplication est notamment liée, entre autres, à la spéculation foncière qui fait que dans cette zone, de nombreux propriétaires fonciers sont en attente de l’urbanisation de leurs terres. Sur ce territoire il y a donc autant de vignes que de friches (7 000 hectares). La commune de Claira est particulièrement touchée par ce phénomène et a décidé à partir de 2008 d’agir pour résoudre ce problème.

Une étude a été d’abord diligentée par la mairie et réalisée notamment par des étudiants sur une partie de la commune. Elle a montré que 40% des terres situées au nord de la commune était en friche. La mairie de Claira a alors décidé d’embaucher une animatrice foncière pour discuter avec les propriétaires fonciers afin d’essayer de les convaincre de remettre en agriculture leurs parcelles. L’animatrice va s’appuyer pour cela sur l’association de chasse locale qui avait déjà constaté ce problème puisque la multiplication des friches agricoles avait un impact sur le gibier.

Parallèlement la mairie a acheté et réhabilité 4 hectares de terres pour proposer un modèle de réhabilitation des friches. Elle va notamment réhabiliter des moulins. Cette première étape du projet s’étend de 2008 à 2012. Au total, 4,5 hectares de terre ont été achetés par la mairie, 15 hectares de 17 propriétaires différents ont été remis en culture pour des cultures cynégétiques principalement, une association communale pour la promotion du blé panifiable a été créée. Au final, 24 000€ ont été investis par la mairie et par la maison de la chasse pour remettre en état ces zones propices à l’agriculture.

En 2012, l’équipe de Claira va présenter son projet à l’assemblée générale de la coopérative des éleveurs « Les piémonts du Canigou » : 7 éleveurs sont intéressés pour venir cultiver des terres en friches à Claira afin d’y cultiver des plantes fourragères et d’améliorer leur autonomie fourragère. Ce sont des petites exploitations qui ont peu de terres et ce sont souvent des éleveurs qui se sont installés hors contexte familiale agricole.

Le projet est un succès et il est relativement médiatique. Il a bénéficié d’un financement de 2013 à 2016 de 73 000€, la mairie s’étant notamment s’engagée à payer la remise en état des 33 premiers hectares des premières cultures ce qui coûte entre 650 et 950€ l’hectare. Au final, de 2012 à 2017, 90 nouveaux hectares sont remis en culture grâce à ce projet et 52 propriétaires fonciers sont mobilisés. Ce projet a tellement pris d’ampleur qu’il a « débordé » sur une commune voisine. Celle-ci a proposé 20 nouveaux hectares de terres à cultiver. En tout, plus de 117 hectares ont été remis en culture en 10 ans et 250 000€ investis par la mairie notamment pour payer l’animatrice foncière pendant toute la période. A cette somme s’ajoutent 27 000€ investis par la maison de la chasse qui a contribué au projet et aux investissements réalisés tout au long de celui-ci.

Ce succès n’a pas été sans quelques difficultés cependant, liées en particulier aux acteurs en jeu. Ces difficultés sont notamment dues au fait d’avoir recours à des commodats, c’est-à-dire à des contrats gratuits permettant la mise à disposition de la terre pour un certains nombres d’années. Or ce type de contrat place les éleveurs dans une précarité foncière incompatible avec les aides de la PAC (Politique Agricole Commune) à la bio qui demande une stabilité de la culture sur au moins 5 ans. Or, les propriétaires fonciers refusent très souvent de signer des commodats de 5 ans au profit de ceux d’1 ou 3 ans. Seulement 17% d’entre eux ont signé des contrats de 5 ans. Autre difficulté : les exploitations sont situées loin de la zone de culture fourragère.

Dès lors ce projet de réhabilitation de terres agricoles en milieu périurbain doit faire face au défi de sa pérennité dans un contexte où les financements n’ont pas été renouvelés encore et dans un contexte de renouvellement à la mairie. Il a mis en lumière l’intérêt partagé de la réhabilitation de friches agricoles pour les éleveurs et pour les chasseurs en particulier dans un contexte périurbain où de nombreuses terres restent à l’abandon en attendant de devenir éventuellement constructibles.

 

 

Compte rendu rédigé par Pierre-Félix VAUTRIN, vice-président de l’association des étudiants en géographie Le Globe de l’Université Paul Valéry de Montpellier.