La ville de Saint-Dié-des -Vosges pendant le FIG. https://www.fig.saint-die-des-vosges.fr/  

 

En cette année de pandémie un certain nombre d’évènements ont été purement et simplement annulés. Mais le FIG de Saint-Dié-des-Vosges a fait de la résistance et mérite un grand coup de chapeau !

Certes, sur les deux thèmes prévus, un seul a survécu, le pays invité (le Portugal) ayant disparu de l’affiche. Au départ, la thématique de cette 31ème édition est consacrée au(x) climat(s). A l’arrivée, la Covid-19 s’est largement invitée dans le débat.

Les cieux étaient maussades, mais cela n’a pas dissuadé les intervenants de maintenir leur venue dans les Vosges et de faire des prestations souvent de grande qualité. Ci-dessous sont résumées les interventions que j’ai pu suivre à titre personnel.

■ Concours Carto

 

Cette association fête ses 10 ans d’existence. Elle est très jeune mais extraordinairement inventive et ses mérites sont reconnus puisque Christian Grataloup a accepté d’être leur président d’honneur. Il a participé aux débats qui se sont tenus tout en haut de la Tour de la Liberté de Saint-Dié.

 

Olivier Godard, président de l’association Concours Carto a donné la parole à trois enseignants qui valorisent la carte comme outil géographique d’excellence. Trois types d’exercice sont proposés aux élèves, de l’école primaire, de collège et de lycée. Toutes les classes participantes envoient leurs meilleures cartes, les analysent et organisent un championnat. En 2019-2020 plus de 3 000 élèves ont participé aux concours. Entre des croquis mettant en scène la mondialisation ou le développement durable, il y a aussi place pour l’imaginaire.

Rémi Guédon a choisi de faire cartographier quelques régions « en chemin vers la mondialisation », dans la cadre du programme de géographie. Nous ont été présentées des cartes du Dakota du Nord, de Calabre, de la région de Buenos-Aires, enfin du Golfe Persique (en général on dit le golfe Arabo-Persique ou tout simplement le Golfe, en langage diplomatique). Les cartes sont présentées avec une légende « en bonne et due forme » et c’est déjà impressionnant.

Anaïs Le Thiec a choisi de faire cartographier des territoires imaginaires, à partir des classes de CM1. Il fallait oser, ils l’ont fait ! Voici quelques exemples : des territoires pour manger mieux demain ; habiter la planète Mars ; habiter sous la mer ; imaginer la ville de demain…

L’exemple le plus frappant fut : cartographier les discriminations au collège. Une page blanche était donnée aux élèves qui devaient porter dessus tous les bâtiments du collège : salles de classe, salle de sport, réfectoire, escaliers, toilettes. La légende devait insister sur les lieux perçus comme sécurisés et les lieux où l’on se sentait mal, voire en danger. Travail très instructif pour les élèves entre eux, pour les enseignants et pour le personnel administratif.

Les quelques dizaines de personnes venues en haut de la Tour ont été plus qu’impressionnées par le résultat. Cette initiative pédagogique devrait être proposée à tous les élèves et même aux adultes entrant dans la vie active. Elle sollicite « tous les neurones ». Dans cette activité les élèves les moins brillants d’ordinaire ont souvent été les meilleurs. Cet exercice leur a permis de franchir bien des obstacles en se révélant « une boîte à outils ».

– Enfin, Marie Masson a proposé un 3ème type d’exercice : comment transformer un texte en carte. Des « célébrités » comme Delphine Papin (journaliste au journal Le Monde) ou Florence Aubenas ont proposé des textes à connotation géographique. Les élèves devaient en faire la synthèse dans une légende puis une carte. Les résultats ont encore une fois sidéré la salle.

Ces jeunes enseignants ont montré que l’on pouvait obtenir le meilleur de leurs élèves en leur donnant une boîte à outils, un trésor pour la vie : savoir, savoir-faire et savoir-être. Se reporter au site : https://www.concourscarto.com/

 

■ Des « célébrités » à la Cathédrale : Isabelle Autissier et Jean-Robert Pitte

 

-Isabelle Autissier a été interviewée par Sylvain Kahn

Tout le monde connaît et admire cette femme qui fut la première à faire le tour du monde à la voile et en solitaire. Nombreuses sont les réponses qu’elle a faites qui méritent réflexion :

– La planète est mer plutôt que terre, l’océan est notre socle.

– La solitude choisie (par elle) suppose un travail d’équipe en amont.

– Il vaut mieux être marin que femme de marin.

– Etre un garçon manqué n’est-ce pas être une femme réussie ?

– On est la première société à penser que demain sera moins bien qu’hier.

– Je veux avoir la parole, pas le pouvoir.

A présent, c’est une militante, présidente de WWF, engagée dans la défense de l’environnement. Elle parle aux éléments, à tous les éléments, avec la sensibilité des animistes. Elle inclut, elle n’exclut pas. On ne peut pas opposer fin du monde et fin de mois, affirme-t-elle enfin.

Merci Isabelle pour cette belle leçon d’humanité.

 

Jean Robert Pitte a proposé de réfléchir sur « christianisme et climat »

Géographe connu et reconnu, secrétaire perpétuel de l’académie des Sciences morales et politiques, il est l’auteur de nombreux ouvrages. Son intervention est d’abord classique, puis bien audacieuse, surtout dans une cathédrale !

– Dans une première partie il montre l’ancrage du christianisme dans le milieu aride ou semi-aride du Proche Orient. Il part du postulat que la Nature est « naturellement » hostile à l’homme, c’est pourquoi l’homme l’a divinisée. En grand érudit il parle de Saint Paul, du peuple hébreu, de la vallée du Jourdain, de Babylone, de l’Egypte et cite Ernest Renan : « le désert est monothéiste » Il évoque le Jardin d’Eden (entouré par le désert) et le mythe du déluge, punition de Dieu. « L’eau c’est la vie ou la mort, le vin c’est la vie ou la folie. Moïse est mort en recevant un cep de vigne », affirme-t-il (le vin est son domaine de prédilection). Le climat est toujours présent dans l’Ancien testament. Jean-Robert Pitte cite le Psaume 23 : « dans tes verts pâturages tu nous fais reposer ». Il est lyrique quand il affirme : l’olive permet l’onction caressante de Dieu, le pain qui gonfle comme le ventre d’une femme enceinte, le vin c’est la joie qui fait voir Dieu.

– Lorsque le christianisme devient universel, le climat perd toute son importance. Le pape Benoît XVI en parle encore, mais pas le pape François…qui n’a rien d’un géographe !

Alors, Jean-Robert Pitte aborde l’encyclique Loué sois-tu de 2015, dédiée à Saint Paul. Il cite une phrase : « la nature, nous sommes inclus, enchevêtrés en elle. »

Mais ensuite, les propos du pape actuel sont vivement rejetés par Jean Robert Pitte. La foule présente dans la cathédrale retient son souffle. Il cite le pape et commente ses propos :

  • Parler du réchauffement climatique comme d’une préoccupation.…

Mais tout changement est préoccupant ! L’orateur rappelle le petit âge glaciaire qui correspond à l’accroissement de l’activité des hommes.

  • Affirmer une spirale d’autodestruction de l’homme…

Détruire la forêt est-ce criminel ? Que faisaient les hommes, les moines cisterciens il y a quelques siècles ?

  • Crime suicidaire du climatiseur…

Mais les papes et les grandes familles se réfugiaient à Castel Gandolfo quand il faisait trop chaud à Rome.

  • La destruction de l’environnement engendre une grande pauvreté…

Mais la grande pauvreté n’a rien à voir avec la nature, apprenez aux gens à lire et à écrire.

En conclusion, le conférencier absout quelque peu « un Pape pas du tout géographe » ! Pour un géographe, tout change tout le temps, il peut donc supporter tout ce qui lui tombe sur le râble. Seule l’ignorance entraîne la catastrophe.

 

Deux Tables Rondes à l’espace Georges Sadoul

 

► Epidémie COVID 19 : une pandémie sous l’œil du géographe 

 

Autour de la table étaient réunis Michel Foucher, Emmanuel Vigneron, Hervé Théry, Michel Lussault et Catherine Biaggi. François Taglioni, spécialiste du risque sanitaire, animait le débat. Bien difficile de résumer un débat fait avant tout de questionnements : que sait-on ? Rien ou si peu, alors on tâtonne, avec humour… ou pas.

 

Michel Lussault s’amuse.

Pour lui le virus a été inventé par un géographe pour prouver l’importance de l’espace dans la vie humaine. Ce virus est révolutionnaire car il a réussi à arrêter l’économie, il a changé les relations de pouvoir et des superpréfets ont réussi à contraindre les hommes à vivre dans des espaces réduits ! Le coronavirus a donc réalisé une grande performance spatiale.

Il insiste sur l’hyperspatialité du virus : c’est la première pandémie planétaire car elle est synchronique. Le monde entier est grippé (sans jeu de mots) en même temps.

Prendre du risque dans un monde incertain c’est seulement prendre le risque de se tromper ! Il n’y a plus d’extériorité, on est tous exposés.

Il annonce la parution de son petit livre rouge : « Chroniques géovirales » … mais il est déjà épuisé lorsque je souhaite l’acheter au salon du livre

https://medium.com/anthropocene2050/chroniques-g%C3%A9o-virales-e144c57db628

 

Michel Foucher est toujours sérieux.

Il rappelle le temps des mobilités à cheval, à dos de chameau, dans un navire à voile puis à vapeur, et enfin en avion, mode de circulation ultrarapide. Aujourd’hui, le 3 octobre 2020, on dénombre 34 millions de cas et un million de morts dans le monde.

Il revient sur ce qui lui tient le plus à cœur : les frontières, qui sont protectrices en temps de pandémie… enfin peut-être ?

Il rappelle la date du 11 septembre 2001, celle des attentats, puis dans le même mois de septembre l’entrée de la Chine dans l’OMC. La Chine sait, dès le mois d’août 2020 qu’un virus circule à Wuhan, mais n’en fait état qu’en janvier 2020.

L’Europe sait aussi cela, mais les frontières sont ouvertes dans l’espace Schengen et l’Union européenne n’a rien prévu de collectif dans le domaine de la santé. L’Angleterre est redevenue une île et une autre question se pose : quelles sont les limites extérieures de l’UE ?  Immense question… sans réponse pour l’instant.

 

Hervé Théry parle du Brésil et particulièrement de l’Amazonie

C’est son « terrain de jeu », il peut nous montrer des cartes, avec la diffusion du virus à partir de Manaus sur le fleuve et en bateau.

Il insiste, cartes à l’appui, sur le fait que ce sont les régions les plus pauvres qui sont les plus touchées, mais aussi celles où les rassemblements évangélistes ont été importants. Dieu n’a rien protégé ! Aujourd’hui, il ne reste que 5 000 communes sans covid… celles qui sont isolées du monde.

Hervé Théry rappelle aussi fort opportunément le lien entre géographie et histoire. L’inégalité sociale devant la mort, les Romains l’avaient déjà signalée, puis les humanistes de la Renaissance. Puis il a rappelé la peste à Marseille et à Paris, qui a touché d’abord les chiffonniers, puis les bonnes des beaux quartiers.

Cependant, autour de la table, tous sont d’accord pour dire que les chiffres sont peu fiables, que les militaires, les géographes et les épidémiologistes, trois corporations qui œuvrent dans l’espace, produisent des cartes toujours dépassées.

Ils s’inquiètent aussi sur les risques qui pèsent sur la démocratie, s’interrogent sur la modification des relations en public et en vase clos. Porter un masque n’a rien d’innocent, y aura-t-il une sociologie nouvelle ? Mais la peur de l’autre est dangereuse, hier, aujourd’hui et demain.

 

► A propos du climat social : retour sur les gilets jaunes

 

Autour de la table étaient réunis Aurélien Delpirou, Eric Charmes, Alexis Spire et Karine Clément. Le débat était animé par Gilles Fumey. Il a pris pour emblème un lieu, devenu espace de rencontre : le rond-point.

 

Né d’une contestation de la taxe carbone fin 2019, le mouvement des gilets jaunes a mis au cœur du débat politique des questions spatiales importantes, tant sur le plan des mobilités (comment diminuer la consommation d’énergie fossile sans augmenter la précarité des ménages) que des inégalités socio spatiales (y a-t-il des territoires oubliés des politiques publiques ?).

Eric Charmes explique la naissance du mouvement chez des périurbains : l’acquisition d’une maison en situation périurbaine est moins onéreuse qu’en centre-ville, mais cela nécessite une voiture. Si on additionne l’emprunt pour la maison, la taxe foncière, le péage et l’essence, alors on devient pauvre et en plus on est désigné comme mauvais citoyen puisqu’on gaspille l’espace (avec la maison individuelle) et on le pollue !

Karine Clément s’est beaucoup impliquée dans les ronds-points et son témoignage traduit son empathie avec ces gens qui n’avaient jamais manifesté, qui avaient une utopie concrète, égalitaire, irrévérente. Ils affirmaient « on ne peut pas à la fois baisser son froc et se serrer la ceinture ». Ils rejetaient toute idéologie mais les mouvements politiques les plus extrêmes ont tenté de récupérer les gilets jaunes. Karine rappelle au passage que tous les propriétaires d’un véhicule motorisé ont un gilet jaune à bord.

Alexis Spire se place sur le terrain miné de l’impôt. Les gilets jaunes refusent de payer l’impôt dans la mesure où pour maintenir son niveau de vie alors que les salaires n’augmentent pas, il faut diminuer le taux d’imposition. Pourtant, en France, l’impôt sert d’abord à diminuer les inégalités puisqu’il redistribue l’argent versé par les citoyens les plus riches aux profits des plus pauvres, exemptés d’impôt direct. Oui, mais voilà, il existe aussi des impôts indirects, qui pèsent sur tous…

Aurélien Delpirou aborde la question sous l’angle de « la revanche des territoires ». Il y aurait Paris et ses élites mondialisées, accaparant les services de qualité et les autres espaces, la « diagonale du vide », les périphéries, zones oubliées par les services publics.

Il donne l’exemple du département des Vosges qui est 6 fois mieux doté par habitant que celui de la Seine-Saint-Denis. Le choix de l’exemple des Vosges…à Saint-Dié des Vosges, n’est pas innocent, tout le monde l’a bien compris.

Aurélien insiste quand il rappelle que c’est oublier un peu vite que les inégalités existent partout, les pauvres vivent aussi dans l’habitat dégradé des centres urbains. Le dogme de l’égalité territoriale est une utopie, il reste l’injonction à l’hypermobilité. Il conclut : il faut arrêter de dire qu’on est pauvre et qu’il faut plus de sous. Demander la charité est humiliant. La première préoccupation doit être le « reste à vivre.

Ce débat, comme les précédents, s’est fait avec beaucoup de retenue, dans une salle réactive mais pas hostile.

 

■ Des livres et des expositions

–  Au FIG, il y avait comme de coutume, un Salon du Livre dédié à la géographie et aux géographes.

– Parmi les expositions on retiendra celle proposée par Simon Estrangin, Roland Courtot et Michel Sivignon : le dessin du géographe, une des rubriques à succès du site des Cafés géographiques. Ceux-ci publieront un article à ce sujet et réfléchissent à montrer cette exposition à Paris.

 

Il faut venir à Saint-Dié des Vosges l’an prochain. Le festival se déroulera du 1er au 3 octobre 2021 avec le « Corps » pour thème et « Europe (s) comme pays invités.

 

 

Maryse Verfaillie, octobre 2020