Il y a plusieurs mois, l’agence Look voyages proposait un séjour en République Dominicaine (7 nuits pour 990 euros). Proposition assortie d’une image séduisante: on y voit une petite île tropicale coiffée de cocotiers, soulignée d’une suggestion aguicheuse : « Vivez dans une carte postale ».Sous-entendu : c’est ici que vous aurez la chance de vivre pendant ces dix jours ; voyez le paysage que nous vous offrons ! Le séjour offert est bien situé en République Dominicaine, une des grandes Antilles. Mais cette image est-elle vraiment en République Dominicaine ou bien n’importe où sous les tropiques ?
D’ailleurs on ne nous propose pas de vivre huit jours en République Dominicaine mais de passer ce séjour dans une carte postale.
Ce faisant on s’efforce de faire coïncider deux mythes, celui de l’île tropicale et celui de la carte postale.
Dans une île, le séjour est nécessairement paradisiaque, surtout si son climat nous épargne les désagréments du froid, ce qui est le cas dans les îles tropicales.
Sylvie Brunel, dans sa « Géographie amoureuse du monde » (J.Cl. Lattès 2011) nous a cependant averti, à partir de son expérience familiale dans les îles Gambier, que l’île tropicale peut aussi signifier ennui, isolement, monotonie, maladies spécifiques. Il est vrai que son aïeul y avait été affecté comme gendarme et que sa grand-mère y avait contracté le paludisme, échappé à mille autres maux et trouvé le temps long.
Ici au contraire tout n’est que luxe, calme et volupté.
Aussi bien ne s’agit-il pas d’habiter une île au sens plein du terme, mais d’y vivre le temps d’un séjour limité, de la consommer goulûment pendant une semaine.
Le mythe de l’île tropicale rencontre ici celui de la carte postale.
Nous ne sommes plus dans un lieu précis, même pas en République Dominicaine mais dans une carte postale.
La carte postale est née dans la seconde moitié du XIX° siècle. Elle a bientôt dépassé son rôle d’outil de correspondance personnelle signifiant à la famille ou aux amis qu’on pense à eux au cours d’un voyage dont la carte est censée montrer les attraits. Elle signifie aussi par la même occasion le lieu où l’on passe les vacances et participe de la « distinction » au sens où l’emploie Pierre Bourdieu : il s’agit de faire connaître le privilège dont on bénéficie, celui de vivre un moment au jardin d’Eden. Enfin elle est un moyen de promotion touristique d’un site ou d’une région.
Le terme « un paysage de carte postale » est devenu synonyme de paysage idéal : ce qui suppose un processus délibéré de fabrication : du réel au paysage, puis du paysage à l’image de telle sorte que cette dernière soit commercialement attirante. Les composantes en sont simples : la plage déserte, le cocotier et le soleil.
Grande fabrique paysagère dont le tourisme balnéaire se nourrit.
Michel Sivignon