BNF, site François-Mitterrand 17 mai 2013-3 août 2013

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Serge Marteau, dessin extrait de son voyage à Londres, 1952


Après le très grand succès de l’exposition sur les cartes marines (23 octobre 2012- 27 janvier 2013), le département des Cartes et plans de la BNF nous propose une autre très belle exposition, cette fois-ci sur les carnets de voyage, à partir d’une centaine de rapports de voyage produits dans le cadre des bourses Zellidja. Les documents présentés dans la galerie des donateurs de la BNF (site François-Mitterrand) ont été choisis parmi les quelque 3000 rapports qui ont été donnés à la BNF en 2010-2011, ils nous renseignent sur le regard porté sur le monde par la jeunesse française pendant plus d’un demi-siècle. Dessins et photographies illustrent des journaux de route qui racontent autant d’expériences initiatiques en France, en Europe, mais aussi en Afrique, en Amérique et en Asie. Et au bout du voyage…il y a la découverte de soi !

L’aventure des bourses de voyage Zellidja

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Pour beaucoup d’entre vous, le nom de Zellidja est inconnu. Il est parfumé d’exotisme mais que cache-t-il ? Simplement la générosité d’un mécène, Jean Walter, architecte renommé qui, ayant fait fortune grâce à l’exploitation de mines de plomb à Zellidja (Maroc), décida d’utiliser une partie de sa fortune pour permettre à des jeunes (16 à 20 ans) de partir à l’aventure, dans un cadre bien défini : voyager seul pendant au moins un mois, n’utiliser que l’argent de la (modique) bourse attribuée ou celui gagné en travaillant pendant le voyage, fournir au retour un rapport sur le sujet proposé au départ, ainsi qu’un journal de route et un livre de comptes. Jean Walter, qui avait lui-même, jeune, découvert une partie de l’Europe en solitaire, voulait ainsi promouvoir une forme d’initiation à la vie par la découverte de l’ailleurs et par la rencontre de l’autre.
Les premières bourses furent attribuées en 1939. La guerre stoppa cette initiative généreuse qui redémarra en 1946, sous le patronage de l’Education Nationale. J’ai eu la chance d’être sélectionné en 1957. Dans tous les lycées, en classe de première ou en terminale, les candidats devaient présenter un projet à leurs camarades de classe qui désignaient le meilleur, transmis alors au Ministère à Paris pour la sélection finale. A cette époque, il y avait 250 bourses de premier voyage. Les 50 meilleurs rapports permettaient à leurs auteurs d’obtenir une deuxième bourse pour, suivant le même principe, réaliser un second voyage, dont le sujet était laissé à l’entière liberté du bénéficiaire. C’est ainsi qu’ayant étudié la construction des voitures dans une usine allemande, qui m’avait embauché comme aide-mécano, et mon rapport ayant été primé, je partis l’année suivante pour le Sénégal étudier la construction des routes en milieu tropical.
Depuis 1946 les bourses Zellidja ont connu des vicissitudes, notamment après le décès accidentel de Jean Walter en 1957. Mais, dans le cadre d’une Fondation créée grâce à l’argent laissé par Jean Walter, elles ont connu un profond renouveau à partir de 2004. Alors qu’initialement elles avaient été réservées à des jeunes hommes, elles sont maintenant ouvertes à tous et les jeunes filles sont même, certaines années, majoritaires.
Toute cette aventure, qui a permis à des milliers de jeunes de découvrir le monde dans des conditions certes difficiles, mais combien exaltantes, a été racontée dans un livre passionnant1 écrit par Jean-Pierre Clerc, « Z » 1959 et ex-journaliste au Monde, et qu’il a complété ensuite par une analyse des voyages réalisés : « Z : dix mille voyages initiatiques »2. A titre personnel je ne peux qu’être reconnaissant à Jean Walter de m’avoir mis le pied à l’étrier pour parcourir et découvrir le monde, tâche que je n’ai pas encore terminée.

Marcel Cassou

Les rapports de voyage

Le jeune homme qui se lance dans l’aventure Zellidja doit remettre à son retour un rapport en trois parties : un journal de route, un rapport d’étude sur le thème choisi et un carnet de compte s. Ce rapport de voyage est évalué, non seulement sur la façon dont il traite le sujet, mais aussi pour ce qu’il révèle du caractère du boursier, de son esprit d’initiative et de sa valeur morale.

 

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Paul Oudart, dessin de son itinéraire auvergnat pour étudier l’art roman, 1955

Paul Oudart, élève à l’Ecole normale de Douai, choisit en août 1955 de faire un voyage à vélo en parcourant environ 1500 km sur les terres auvergnates. Son idée est d’étudier l’art roman, ce qui n’est pas sans étonner les prêtres qu’il rencontre, surpris de l’intérêt d’un instituteur laïc pour l’art sacré. En dehors de rencontres et de découvertes, parfois inoubliables (comme …le saint-nectaire), il retient surtout de son voyage Zellidja l’importance des qualités mentales pour mener à bien son projet, sans compter l’influence qu’il a eu sur son orientation professionnelle.

Henri Delord, voyage dans le Hoggar, 1954

Henri Delord, voyage dans le Hoggar, 1954

 

 

De son côté, Henri Delord décide, lui aussi en 1955, de partager le quotidien d’une tribu touareg au cœur du Sahara. Nourri de nombreuses lectures (Pierre Benoit, René Caillié, Henri Lhote, etc.), il est attiré par un Sahara mythique et en particulier par la figure fascinante de Charles de Foucauld, au Grand Sud de cette Algérie fantasmée de l’Empire Français d’alors. Son voyage au Hoggar dure d’octobre 1955 à mars 1956, c’est-à-dire au tout début de la Guerre d’Algérie dont les rumeurs parviennent jusque dans « le Grand Sud ». Là, il se familiarise avec la culture des nomades, noue des contacts amicaux et réussit à filmer des scènes de la vie du campement grâce à une caméra Paillard 16 mm…

De la découverte du monde… à la découverte de soi

Après 1945, de nombreux jeunes Zellidja partent à l’assaut d’une modernité européenne qui prend volontiers le visage du renouveau économique, en particulier industriel, avec les grands barrages hydro-électriques en France, l’aménagement du Zuiderzee aux Pays-Bas, la reconstruction rapide de la Ruhr en Allemagne, les réalisations du « miracle économique » en Italie du Nord, etc. D’autres préfèrent les découvertes artistiques et culturelles, de la France au monde celtique en passant par l’Europe méditerranéenne ou la Scandinavie. Ainsi, Michel Body s’intéresse à l’art et à la décoration lors de son voyage de 1952 en Ecosse.

Michel Body, Art et décoration en Ecosse, 1952

Michel Body, Art et décoration en Ecosse, 1952

Même diversité pour les sujets des destinations plus lointaines, en Amérique, en Afrique ou en Asie. Pour certains boursiers se destinant à de futures carrières d’outre-mer, l’Afrique francophone attire par ses possibilités de développement économique comme par sa diversité culturelle, dans un contexte parfois troublé par la montée des indépendances. Les Etats-Unis exercent également une forte séduction sur les boursiers Zellidja, surtout lors de la décennie 1960, avec les réussites de leur modèle socio-économique mais aussi avec les manifestations de leur contre-culture.

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Alain Bouldouyre, dessin extrait de son rapport de voyage aux Etats-Unis, 1966

Non seulement les Etats-Unis, mais tout le continent américain attirent les jeunes Zellidja, des grands espaces canadiens à la création ex nihilo de Brasilia. Certains candidats sont devenus célèbres comme Dominique Lapierre et Daniel Buren partis au Mexique, Philippe Labro séjournant aux Etats-Unis pour étudier le cinéma, ou encore Serge Klarsfeld choisissant le Canada pour des recherches sur l’amiante.
Mais l’objet principal de ces bourses de voyage reste la découverte de soi à travers l’aventure de la connaissance du monde. Quand Jean-Pierre Hary décide de s’embarquer en 1954 à bord d’un chalutier, c’est pour vivre en mer, une vocation bien installée depuis le début de l’adolescence. Sur un petit bateau, dans une mer d’Irlande souvent en colère, non seulement il apprend le rude métier, épuisant et salissant, de marin-pêcheur, mais il découvre une microsociété fondée sur la simplicité, la rigueur et l’humilité qui lui donne une belle leçon de vie : « Vous savez, un navire qui fait route, au milieu de nulle part, ne doit compter que sur lui-même… Ca aussi c’est de l’esprit Zellidja. »

L’objet carnet de voyage

Incontestablement, ce sont les dessins et les photographies qui aimantent le plus le regard des visiteurs, avec parfois une grande valeur esthétique et presque toujours des qualités reflétant la sincérité et l’émotion du jeune boursier. Quelques dessins aquarellés apparaissent comme de véritables œuvres d’art malgré leur objectif principalement documentaire. D’autres dessins, influencés par des maîtres de la bande dessinée, révèlent d’incontestables talents artistiques. Ainsi, les dessins de Yann Jézéquel, parti en 2005 sur les traces de Charles-Marie de La Condamine en Equateur, font immédiatement penser au Corto Maltese de Hugo Pratt.

Un dessin de l’exposition parmi de nombreux autres (un exemple d’architecture rurale en Slovaquie)

Un dessin de l’exposition parmi de nombreux autres (un exemple d’architecture rurale en Slovaquie)

Finalement, cette belle exposition, prolongée jusqu’au 8 août, réussit son pari d’une initiation au voyage mêlant la découverte de l’altérité et la recherche de soi. Elle participe de manière originale à la mode actuelle des carnets de voyage en nous faisant connaître cette belle création humaniste « Zellidja » dont l’aventure se poursuit encore de nos jours. « Si le monde est si grand c’est pour nous voir tous en lui dispersés » (Goethe).

Pour aller plus loin :

Il n’y a pas de catalogue de l’exposition mais le numéro 1549 de la revue La Géographie (avril-mai-juin 2013), publié en partenariat avec la BNF, constitue une riche introduction à cette manifestation. En plus d’une étude fort intéressante d’Olivier Loiseaux, Conservateur en chef à la BNF, ce numéro reproduit plusieurs entretiens avec des boursiers Zellidja et nous explique aussi comment l’usage d’Internet a pu modifier et renouveler le genre du carnet de voyage.

Daniel Oster

1> Jean Walter & Zellidja : le devenir-homme, Editions Keraban, 2010

2> Z : dix mille voyages initiatiques, Editions Barakah, 2011