Week-end (7 et 8 septembre 2019) organisé pour les Cafés Géographiques par Micheline Huvet-Martinet en prolongement du café géo du 14 décembre 2017 (voir https://cafe-geo.net/tag/micheline-huvet-martinet/).
Le sel, généreusement dispensé à l’état naturel, a joué un rôle essentiel dans les diverses cultures humaines. Indispensable aux êtres vivants, présent dans chaque foyer, il est le condiment par excellence ; il permet de conserver les aliments tout en jouant un rôle biologique essentiel dans l’équilibre de l’organisme. Consommé par tous quotidiennement, il a aussi une valeur rituelle, symbolique, voire magique.
Le sel est devenu tellement banal de nos jours que le consommateur ne se préoccupe guère de sa provenance alors qu’il fut autrefois très recherché : notons que les grandes civilisations antiques (Mésopotamie, Egypte, Chine) se sont épanouies à proximité de régions où le sel abondait.
En France, les ressources en sel sont quasiment inépuisables et nous sous-utilisons nos capacités de production. La place importante des sels marins (environ 40% de la production) provenant des salins méditerranéens mécanisés est une originalité. Les temps de la concurrence entre sels méditerranéens et sels atlantiques sont révolus. Actuellement la production de toute la côte atlantique demeure modeste et marginale (environ 4% du sel français) mais jouit d’une très bonne image car destinée uniquement à l’alimentation.
Le pays de Guérande s’étend sur les communes regroupées dans la communauté d’agglomération de Cap Atlantique entre Loire et Vilaine et est délimité à l’est par la Grande Brière. Il présente des paysages anthropiques originaux, alliant l’eau et la mer ; il constitue aussi une entité ethnographique et linguistique en étant la partie bretonnante la plus orientale de l’ancien Duché de Bretagne.
Notre déambulation, centrée sur la thématique du sel s’est concentrée sur la presqu’île guérandaise avec ses marais salants (de Guérande à Batz-sur-mer en passant par Saillé) et son espace portuaire du Croisic.
UN ESPACE PORTUAIRE ORIGINAL : LE CROISIC
Un grand merci à Laurent Delpire, Conservateur départemental des antiquités et objets d’art, pour nous avoir fait partager sa passion pour l’histoire de sa cité.
Des quatre ports du Pays Guérandais : Guérande, Mosquer, Le Pouliguen, Le Croisic, ce dernier est le plus important. Labellisée « Petite cité de caractère » en 2006, la ville, tout comme Batz-sur-mer s’est développée sur un ilot granitique séparé du continent jusqu’au Xe siècle. Des flèches sableuses ont progressivement rattaché les deux cités au continent. Son nom vient du breton Kroazig qui signifierait lieu de la petite croix.
Un site exceptionnel, entre Loire et Vilaine, protégé par une ceinture dunaire qui a isolé une zone maritime constituée par deux bras de mer (les Traicts, petit et grand), véritable mer intérieure qui s’enfonce dans les terres en alimentant en eau de mer une vaste vasière aménagée progressivement en marais surtout à partir de l’époque carolingienne.
La cité était totalement enclavée jusqu’au milieu du XIXe siècle : on n’y accédait que par la mer. Un passeur a assuré la traversée à partir de la pointe de Pen-bron (longue flèche sablonneuse) jusqu’en 1873, sinon on pouvait traverser à pied le désert de sable à marée basse. Le chemin de fer n’arrive qu’en 1879.
Trois éléments ont donné son caractère à la cité :
- La mer : les traicts (bras de mer) au nord, la côte sauvage au sud
- Les marais salants alimentés par les traicts.
- Le lest contenu dans les navires marchands étrangers, remplacé par le sel au retour, a façonné la cité en étant utilisé comme matériau de construction pour les quais (en remplacement des grèves), les maisons et l’aménagement du port.
Au Moyen Age, c’est Guérande la grande cité locale. Ce n’est qu’au XIVe siècle, après la guerre de succession de Bretagne, que Le Croisic entre dans l’histoire par l’édification d’un château fort et de remparts, s’affirmant en face de Guérande, progressivement déclassée par l’ensablement de son port. Elle demeure toutefois la ville tutélaire.
Il s’est développé alors le long du golfe intérieur du Grand Traict, avec un agencement particulier : divisé en plusieurs bassins ou chambres par des jonchères. A l’origine, le port n’est qu’une succession de grèves ; les quais ont été construits progressivement avec le remblai. La physionomie actuelle date des travaux importants réalisés par le Duc d’Aiguillon, gouverneur de Bretagne en 1750.
SEL DE GUERANDE ET SALAGE DE LA PECHE AU CŒUR DE LA PROSPERITE DE LA CITE
Au XVIe siècle le port est au cœur du Baienfahrt (voir plus loin) mais commerce aussi avec l’Irlande et l’Espagne. L’activité commerciale avec les pays du Nord est d’autant plus active que les élites locales marchandes et maritimes se sont converties au protestantisme.
Au XVIe siècle, la ville compte environ 4000 habitants dont 400 marins, une centaine de navires est alors enregistrée au port du Croisic. La bourgeoisie locale, qui administre la cité comme une petite république grâce aux franchises et privilèges accordés par le Duc puis régulièrement reconnus par le Roi après l’annexion, arme aussi pour la course à l’époque moderne et pour la pêche à la morue depuis la découverte de Terre-Neuve, embarquant le sel en fond de cale.
UNE ARCHITECTURE QUI TRADUIT LA RICHESSE ANCIENNE DE LA CITE
Le centre du Vieux Croisic recèle près de 60 maisons anciennes de qualité dans le quartier médiéval près de l’église Notre Dame-de-Pitié et le long du port.
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Dans le Vieux Croisic, édifices XVe siècle avec pans de bois en sapin, parfois peints en rouge minium et présentant pignons sur rue en encorbellement avec rez-de-chaussée en granit. © M. Huvet-Martinet |
Le long du front de mer, constitué des quais faits de terre-pleins gagnés sur la mer se pressent les maisons de marchands et négociants du XVIIe siècle : toits à croupes à 4 pignons et balcons en fer forgé.
© Photos M. Huvet-Martinet
DECLIN ET RECONVERSION AU XIXe siècle
Trois facteurs menacent la prospérité du Croisic :
– le Blocus continental napoléonien qui ruine le commerce atlantique
– le déclin des activités salicoles
– les difficultés puis l’arrêt des campagnes de pêche sur Terre-Neuve.
La reconversion va s’opérer autour :
- des activités balnéaires liées au développement précoce du tourisme dès 1840-50 avec la construction de la jetée, l’aménagement d’une plage et du premier hôtel pour touristes. En 1847 s’ouvre l’hôtel des bains. Musset et Ingres fréquentèrent alors la station. Plus tard, face à l’essor de La Baule, Le Croisic s’orientera vers un tourisme plus familial et médical avec les premières colonies de vacances et un sanatorium héliomarin.
- Autour de la pêche à la sardine, du développement des conserveries, puis de l’ostréiculture, de la conchyliculture. En 1878 fut créée la première criée sur une jonchère puis en 1982 la nouvelle criée. L’arrivée du chemin de fer en 1879 et la construction de nouveaux quartiers permirent de maintenir une certaine activité de commerce maritime.
Actuellement, Le Croisic vit du tourisme et des activités balnéaires qui font que la ville passe de 4100 habitants l’hiver à 25 000 l’été. Le dynamisme est aussi assuré par la conchyliculture et la pêche. Les parcs produisent 2500 t/an de coquillages, essentiellement des palourdes (vénériculture) et des coques (cérastoculture) dont 65% sont vendus en Espagne. Aujourd’hui 23 bateaux se consacrent à la pêche aux crustacés et aux poissons de ligne.
LES MARAIS SALANTS
La saliculture exige des conditions naturelles spécifiques et un savoir-faire sophistiqué.
Des conditions naturelles contraignantes
Il faut barrer le fond d’une anse occupée par une vasière littorale, établir une prise d’eau, faire circuler cette eau d’un bassin à l’autre sur de vastes étendues de terrain où, sous faible épaisseur, elle va, en s’évaporant grâce à l’énergie gratuite du soleil et du vent se saturer en chlorure de sodium qui, en se cristallisant, se dépose alors sur les surfaces préparées à cet effet. Il faut donc de l’espace, un sol plat et imperméable, un climat favorisant l’évaporation avec peu de précipitations pendant quelques mois par an.
Le pays de Guérande présente ces conditions favorables du point de vue topographique, géologique et hydrographique avec un apport d’eau douce et des marées de grande amplitude mais il est à la limite climatique septentrionale même si on a autrefois persisté à vouloir pratiquer la saliculture plus au nord, jusque dans le golfe du Morbihan.
Un principe chimique simple mais un savoir-faire très subtil
Si le principe de la saliculture est à priori simple : associer la mer salée (25g/l à Guérande) à des sources d‘énergie naturelle (soleil + vent) pour l’évaporation, la mise en œuvre est délicate, compliquée, d’où son apparition tardive dans l’histoire de l’humanité. La production comporte deux phases successives : concentration saturation d’eau de mer puis cristallisation après une longue préparation.
Origine des marais salants
La chimie de la saliculture a été empiriquement comprise très tôt mais elle demande de la part du paludier un savoir-faire élaboré au cours des temps. On attribue généralement au génie romain sa mise au point mais c’est en Chine que le procédé est le plus anciennement attesté.
Marais salants guérandais : un des plus anciens systèmes agricoles maritimes atlantiques.
Sur la côte atlantique et plus particulièrement à Guérande, on est passé progressivement de techniques gauloises d’évaporation de l’eau de mer par le feu à la technique solaire, probablement au tout début de l’ère chrétienne, sous le contrôle des Romains conquérants. C’est attesté par le champ lexical paludier d’origine latine dans une région devenue ensuite brittophone après l’arrivée des migrants bretons en Armorique après le Ve siècle.
C’est à l’époque mérovingienne et surtout carolingienne que le marais salant s’élabore puis se développe considérablement à la fin du Moyen Age.
Fonctionnement d’un marais salant
Les eaux salées ne contiennent du chlorure de sodium (Na Cl) que pour 80 %. Les 20 % restants sont constitués d’autres chlorures qu’il faut éliminer en utilisant le principe chimique de la cristallisation fractionnée des chlorures. C’est pour tirer parti du décalage des plages de précipitation que tous les salins comportent une série de bassins où chlorures et sulfates se déposent au fur et à mesure que l’eau purifiée se sature en élevant sa concentration : le salinier veille toutefois à éviter précocement la précipitation des chlorures et sulfates de magnésium, très bénéfiques par leur effet catalyseur au moment de la cristallisation finale du Na Cl. Si cette précipitation se fait précocement, on dit à Guérande que le marais « cuit » endommageant la récolte. Le paludier doit alors « rafraîchir » son marais en injectant de nouvelles eaux vierges.
Le plus difficile : le minutieux réglage de l’eau
Quelle hauteur mettre en fonction des vents, de la température, de la saturation… ? Les paysages typiques sont liés au long parcours de l’eau de mer qui est parfois complexe et s’organise autour de deux grands types de bassins facilement identifiables, délimités par de forts talus d’argile :
– les réservoirs : étier, vasière, cobier
– les bassins de chauffe : fards, adernes et œillets.
L’eau de mer arrive en manœuvrant une trappe par l’étier, chenal d’alimentation relié à la mer et qui alimente, à l’occasion des marées de vive-eau (environ 2 fois /mois), la vasière, bassin de décantation et vaste réserve d’eau pour une ou plusieurs salines. Le cobier est un bassin intermédiaire, sorte de réserve secondaire. Le tour d’eau est un canal de conduite d’eau, longeant le talus de la saline qui va mener l’eau aux surfaces de chauffe interne : d’abord les fards, puis les adernes, réserves journalières de saumure destinées enfin aux œillets, bassins de cristallisation peu profonds (2 à 3cm) où se fait la récolte. Le sel récolté est amassé en petits tas d’environ 2m de diamètre : les mulons.
L’eau circule par gravité en ouvrant ou fermant des trappes
La concentration augmente progressivement pendant ce long parcours : de 30 à 50 g/l dans la vasière, la salure monte à 80 g/l dans le cobier pour une température d’environ 27°, puis à 80 à100 g/l dans les fards, 250 g/l pour 32°dans les adernes pour atteindre finalement 300 g/l dans les œillets où le sel est récolté et amassé en petits tas : les mulons. On estime de 2 à 3 semaines le temps nécessaire à la formation du sel à travers ce long labyrinthe.
La Saliculture : une activité agricole qui n’utilise pas de mécanisation lourde ni d’apport de produits chimiques
Comme en atteste tout le vocabulaire qui y est associé (en allemand le marais est nommé Salzgarten), on récolte le sel, on cueille la fleur de sel…Les différents travaux au fil des saisons peuvent être comparés aux travaux des champs occupant le paludier par des travaux parfois ingrats toute l’année, alors qu’il a mis son sel au sec. Il doit exécuter une foule de travaux coïncidant chacun à une saison précise : en automne et hiver, quand le marais semble abandonné car il repose sous un épais manteau d’eau de mer et de pluies mêlées, toutes les digues sont noyées pour les protéger des tempêtes et du gel. C’est l’époque où il faut curer les vasières, dur labeur réalisé tous les deux ans en communauté et exécuté maintenant par une motopompe et par une chenille. C’est aussi l’époque du nettoyage des chenaux. Au printemps, après avoir vidangé les différents bassins, il faut reconstituer les circuits d’eau, réparer les digues, refaire les ponts d’accès de l’eau entre les différents bassins puis préparer les œillets.
Chaussage des œillets au printemps juste avant la récolte. Très délicat travail de réfection du sol des œillets. Il s’agit de décaper l’œillet en le débarrassant de ses limons vaseux accumulés pendant la morte saison. Il s’agit souvent d’un travail collectif. M.Huvet-Martinet, L’aventure du sel, 1995, ed.OF © Maison du Paludier, Saillé |
Paysages typiques guérandais faits d’un dédale complexe de canaux, portes et bassins à l’abri de digues protectrices sur une vingtaine de kilomètres intégrant un étang naturel comme déversoir pour la vidange des eaux mères au moment des grandes marées. La saliculture est dévoreuse d’espace : il faut 7 fois plus de terrain de parcours que de surface de chauffe/ cristallisation. Au gré de ce long parcours l’eau prend une coloration rosée sous l’effet de micro-algues qui la colonisent. L’une d’elles, la Dunatliella salina, dégage en mourant cette couleur rouge et ce parfum de violette si caractéristique des marais guérandais |
Le gros sel gris se récolte quotidiennement à la belle saison en fin de matinée et/ou d’après-midi suivant les conditions météorologiques
Un art subtil exigeant habileté et force. Le paludier tire le gros sel gris déposé au fond de l’œillet avec son las, long râteau de bois à manche souple appuyé sur son épaule. Il hisse le sel sur la ladure, petit bourrelet d’argile en forme de lune. Le las ne peut excéder 4 à 5 m et détermine la taille des œillets (environ 7m x10m) |
Mulon de sel fraichement récolté. Le « roulage » c’est à dire l’évacuation vers les zones de stockage dans les salorges se fera plus tardivement, soit à la pelle et brouette, soit de plus en plus souvent avec des tracteurs. |
La « Fleur de sel » ou sel menu. Le « caviar » des sels
Cette délicate pellicule de cristaux naturellement blancs, fins et légers au lieu de se déposer au fond de l’œillet remonte « à fleur d’eau » pour se cristalliser quand soufflent les vents secs d’est. Cette production ne représente que 1% de la récolte mais elle est maintenant hautement valorisée pour ses qualités gustatives remarquées par quelques grands chefs. La fleur de sel, se vend 10 fois plus cher que le gros sel gris.
Le lousse qui permet la cueillette de la fleur de sel est différent du grand las. Il est constitué d’une planchette au bout d’un manche plus léger et plus maniable. |
Autrefois, la fleur de sel appartenait aux femmes qui la cueillaient après avoir observé avec patience sa formation. Elle était alors peu estimée. Destinée à la consommation locale et domestique, elle constituait le salaire des « porteresses ». Elle se cueille délicatement avec le lousse et se dépose avec précaution dans un panier d’osier. Il faut faire vite car la moindre perturbation amène sa perte en la précipitant vers le fond. |
Grandeur, déclin et renouveau de la production et du commerce du sel en Pays Guérandais depuis le Moyen Age
Trois considérations ont conditionné autrefois le marché du sel :
- La consommation est universelle et insubstituable ; elle est considérable dans les sociétés d’ancien type, et évaluée à 18kg/an/personne (dont 50% pour l’alimentation). Il faut donc un approvisionnement de 18000 t/an pour un million d’habitants
- Les zones de production sont très limitées.
- Le produit est un pondéreux volumineux difficile à véhiculer : la voie d’eau est privilégiée avant la révolution des transports par chemin de fer.
AU MOYEN AGE, LE PAYS GUERANDAIS EST AU CŒUR D’UNE ECONOMIE MONDIALE DU SEL
Avant le XIIe siècle : autarcie et autosatisfaction des besoins.
Les conditions très difficiles de transport conduisent dans toute l’Europe à produire du sel localement dans des conditions souvent difficiles quel que soit le coût.
A partir des XIIe-XIIIe siècles : développement des marais atlantiques en liaison avec :
- la révolution commerciale et maritime : l’amélioration des bateaux devenus plus sûrs et de plus gros tonnages ouvre un nouvel espace pour les sels atlantiques entre Loire et Gironde.
- l’expansion démographique et urbaine qui crée un marché important de forte demande. Les conditions favorables permettent l’expansion des salines guérandaises qui disposent d’un hinterland intérieur demandeur de sel.
- le développement des pêches maritimes notamment du hareng dans l’Europe du Nord, puis de la morue au large de l’Irlande.
- la généralisation de la conservation par salaisons.
Les poissons à saler sont au Nord, le sel disponible au Sud sur le littoral atlantique.
L’Europe du Nord et l’Atlantique Nord constituent des zones déficitaires d’appel par l’insuffisance de leur production de sel : la saline de Lüneburg en Basse-Saxe qui a longtemps bénéficié d’un monopole en Europe du Nord, ne peut pourvoir aux énormes besoins des pêcheries.
La pêche a offert un des plus grands débouchés au sel de Guérande dans toute l’Europe chrétienne occidentale. Toutes sortes de poissons salés sont présents sur les tables tant des élites que des classes populaires le vendredi et pendant les 40 jours de carême.
Dès le XIIIe siècle les navires de Hambourg descendent vers les rivages bretons et la Baie de Bourgneuf. Puis, ce sont les navires anglais, hollandais, hanséates et prussiens qui viennent régulièrement se ravitailler en Saltbay, bayesout. Ainsi nommait-on, sous le terme générique de sel de la Baie, tout gros sel gris marin des marais atlantiques. A Londres aussi 80% du sel utilisé vient de la « Baie ». Les ports de la Baie (Guérande surtout) ne disposant pas ou très peu de navires au long cours avant le XIVe siècle, ils sont tributaires des flottes étrangères venues se ravitailler.
Mise en place du Baienfahrt
Ainsi nomme-t-on le parcours qui conduit par convois annuels les blés polonais et divers matériaux de construction pour chantiers navals vers les côtes de la mer du Nord (surtout destinés aux populeux Pays-Bas) puis vers l’Atlantique. Au retour, les navires repartent chargés de vin et surtout de gros sel gris vers les rivages hollandais et tous les ports hanséatiques de Hambourg à Lubeck, Stettin, Dantzig et Riga.
Les blés jouent un grand rôle dans le calendrier de navigation des flottes qui ne quittent les ports du nord qu’une fois que les récoltes à exporter y sont parvenues : il fallait bien calculer pour gérer les trois contraintes des récoltes du blé à l’Est, de celles du sel à l’Ouest et de l’hivernage au nord de novembre à janvier. Le transport des sels avait d’abord été confié aux flottes hanséates essentiellement prussiennes, mais à partir du XIVe siècle et XVe siècle, les Bretons y prennent une part plus active. A la fin du Moyen Age, les exportations de sels bretons vers la France, la Bretagne et l’étranger sont aux mains des Guérandais organisés autour de quatre ports : Guérande, Le Croisic, Le Pouliguen, Mesquer. Les exportations se font aussi vers l’Irlande, pour ses salaisons de morue, beurre, saumons, harengs, viande de porc et de bœuf. La moitié des navires bretons qui fréquentent l’Angleterre sont alors guérandais.
Une telle demande étrangère, à laquelle il faut rajouter celle d’une grande partie du royaume de France, pousse à l’extension du nombre des salines françaises du littoral atlantique. C’est évident et bien documenté pour Guérande à partir du XIIIe siècle par Gildas Buron. (Buron Gildas, La Bretagne des marais-salants, 2000 ans d’histoire, Morlaix, Skol-Vreizh, 1999, pp 87-107) Même si on ne connaît pas avec exactitude les quantités de sels de Baie commercialisées, on peut affirmer qu’elles étaient considérables et supposaient une production massive liée à l’augmentation des surfaces mises en culture essentiellement du XIIIe au XVIe siècle.
Les Ducs de Bretagne ont été des acteurs dynamiques en investissant jusqu’au XIIIe siècle puis sont devenus promoteurs jusqu’à l’annexion du Duché en confiant aux seigneurs laïcs des friches pour leur mise en valeur. Gildas Buron estime que des productions annuelles de l’ordre de 20 000 tonnes devaient être courantes au début XVIe siècle.
Ainsi, au Moyen Age la Bretagne a dominé et son sel gris s’est répandu partout en Europe. C’est l’âge d’or du commerce breton grâce aux toiles mais aussi au sel qui fonde la prospérité économique du pays de Guérande et ce encore bien après l’annexion du Duché au royaume de France.
A l’ÉPOQUE MODERNE : PERMANENCES ET MUTATIONS
- Renforcement des Bretons à partir du XVIe siècle dans le Baienfahrt.
- Moindre présence des Hanséates dès le début XVIIe siècle.
- Arrivée massive des Hollandais qui s’imposent alors avec mise en place progressivement d’une segmentation du long courant d’exportation des sels de la Baie vers la Baltique en deux tronçons : une rupture de charge en Zélande permet de mieux gérer les contraintes du calendrier. Un premier segment contrôlé par les Bretons conduit le sel et autres marchandises des ports bretons vers la Zélande et un autre segment contrôlé par les Hollandais remonte plus au nord vers la Baltique après avoir franchi le détroit du Sund. Une partie de ces sels, ceux qui se déchargeaient en Zélande notamment, étaient raffinés par les Hollandais pour satisfaire la demande en sels blancs, vendus parfois frauduleusement pour du sel de Lüneburg. En effet, dans la zone hanséate, les gros sels gris marins (Baiensaltz) étaient en concurrence avec les sels blancs ignigènes des salines continentales, principalement celle de Lüneburg. Cependant ses sels, les Travensalz (ainsi nommés car ils gagnaient la Baltique par Lubeck et la Trave), ne pouvaient concurrencer les sels bretons qui valaient globalement moitié prix arrivés en Zélande.
- Ouverture de nouvelles routes avec les fortes demandes de l’Irlande pour ses salaisons et surtout le développement des grandes pêches à la morue sur Terre-Neuve qui assurent la prospérité du Croisic. Les Guérandais ravitaillent aussi les greniers à sel du roi d’Espagne en Galice et Asturies.
- Basculement fin XVIIe siècle du commerce international du sel dans une conjoncture différente : les exportations de sels de la Baie vers le Nord glissent progressivement de la zone bretonne vers les zones plus au sud. Les sels de Guérande souffrent alors de difficultés liées aux mutations climatiques, à l’envasement des marais, aux guerres, alors même que s’affirment des concurrents français et étrangers. Le Portugal, favorisé par son climat, s’affirme en produisant un sel marin compétitif quand les gains de productivité sur les transports s’accélèrent, poussant les convois nordiques à s’aventurer plus au sud. Les Hollandais achètent dans le golfe de Gascogne, au Portugal, en Andalousie, puis aux Antilles. En 1630, Louis XIII décide l’embargo sur les sels de Brouage (il craint les protestants) au moment où le roi d’Espagne taxe les sels exportés. L’Europe du Nord prend conscience de sa dépendance, les prix flambent, rendant alors compétitives les salines continentales anglaises qui commencent à utiliser le charbon pour chauffer leurs poêles. Ainsi naît le sel du Cheshire qui permet aux Anglais non seulement de devenir producteurs, mais aussi exportateurs en Europe du Nord.
- A partir de 1770-80, les exportations vers la Baltique se tassent, concurrencées par les sels anglais du Cheshire quand arrivent au Croisic les Suédois, Norvégiens et Danois.
Au total, le pays guérandais demeure une région exportatrice et productrice de premier plan ce qui s’explique aussi par son statut fiscal privilégié lié à l’exemption de la Gabelle. Les marais bretons alimentent l’actif marché clandestin du faux-saunage à l’intérieur du royaume alors que ni les sels d’exportation ni les sels destinés à la pêche française ne sont taxés. Même si la tendance longue joue contre les sels de la Baie et qu’il y a eu un certain déclin, celui-ci est tout relatif : il ne faut pas en conclure que les sels guérandais sont en crise.
Gildas Buron estime la production autour de 35 000/ 40 000 t/an au XVIIe siècle soit presque le double de celle du Moyen Age et qu’un trafic soutenu a continué d’animer les trois ports guérandais (le Croisic, Mesquer, le Pouliguen) : dans les années 1720-30, ceux-ci pèsent encore pour 45% des exportations de sels atlantiques vers la Baltique. Le Croisic aux XVIIe et XVIIIe siècles est fréquenté annuellement par 20 à 30 navires étrangers de tonnages importants venus charger dans le pays de Guérande, lieu d’approvisionnement salicole le plus proche et le plus accessible aux flottes nordiques
FIN DU GRAND COMMERCE INTERNATIONAL DU SEL AU XIXe SIÈCLE
Les réformes de la Révolution et la suppression de la gabelle auraient pu augurer une période faste pour l’activité salicole ; en fait, il n’en fut rien. Les guerres de la Révolution, le blocus continental napoléonien et les hostilités quasi permanentes avec l’Angleterre paralysèrent le commerce atlantique. La paix revenue, jamais le commerce du sel vers l’étranger ne reprendra, même si Gallois et Scandinaves continuent de venir s’approvisionner. Les sels guérandais ont perdu le marché européen et se réorientent vers le marché intérieur français qui se transforme lui aussi en conduisant au déclin de la production de l’Ouest atlantique.
Un long déclin et une lente agonie mènent à la paupérisation
La forte poussée démographique du XIXe siècle et la baisse des revenus tirés du sel installent progressivement mais durablement les paludiers dans la pauvreté.
Les raisons du déclin, qui s’accélère après 1860, sont multifactorielles :
- Manque de compétitivité face à la concurrence à la fois des sels marins étrangers (notamment ibériques utilisés par les pêcheries) mais surtout des sels français méditerranéens et des sels de mines continentaux transportés par chemins de fer. En 1846, il y avait entre 600 et 900 paludiers sur le marais de Guérande. Les sels de l’ouest atlantique et sels du Midi étaient encore de poids égal dans la production, mais la proportion s’inverse vite dans les décennies suivantes. La structure de la propriété foncière des marais, beaucoup trop morcelée, est aussi un frein aux investissements.
- Intérêt des propriétaires pour expérimenter de nouvelles activités et reconvertir leurs marais dans l’ostréiculture ou la pisciculture.
- Exode rural qui atteint aussi les paludiers attirés par de nouveaux métiers dans leurs bassins d’emplois. L’essor du port de St Nazaire et des chantiers navals, le développement du tourisme au Croisic, à Pornichet, La Baule, le Pouliguen créent des emplois dans le bâtiment et les services. La mer et la pêche suscitent aussi des vocations alors que se développent la pêche sardinière et les conserveries. Ainsi les paludiers désertent leurs œillets qui ne les nourrissent plus.
- Rôle des conflits mondiaux. La Première Guerre mondiale opère une véritable saignée démographique chez les paludiers qui ne peuvent plus vivre du marais et qui recherchent de nouveaux emplois ; après la Seconde Guerre mondiale, le marais connait comme toutes les zones rurales françaises une « dépaysannisation » avec des doubles ou poly-actifs. A Guérande, les gens du marais qui survivent sont paludiers à temps partiel. Ainsi entre 1950 et 1970, le marais de Guérande est sur le point de disparaitre alors que les habitudes alimentaires et de conservation changent (la chaine du froid s’est imposée), le prix du sel s’est effondré avec la production de sels industriels; l’espace salicole est menacé aussi par le développement du tourisme sur le littoral envisagé de plus en plus comme un espace de loisir (développement des marinas) ce qui amène une spéculation foncière qui modifie le comportement des propriétaires de marais.
Quelques chiffres témoignent de l’évolution de la situation :
- En 1840, le marais de Guérande exploitait 36400 œillets et faisait vivre 700 à 900 paludiers
- 1935, il n’y a plus que 25500 œillets ;
- Décennie 1960 : le nombre d’unités exploitées s’abaisse à 14300
- En 1973 restent 10300 œillets
- 1995 : 6000 œillets sont exploités alors que commence pourtant à s’opérer la renaissance.
Mais autant que l’abandon des salines, c’est la paupérisation et la dégradation des conditions de vie des communautés paludières qu’il faut souligner.
Le renouveau tardif dans les années 1970
La renaissance et la reconstruction s’opèrent comme un sursaut face à la menace qui semble conduire inéluctablement à la disparition des marais et des paludiers. Le renouveau a été rendu possible par :
- Le déclenchement des luttes et de la mobilisation dans les années 1970 : naturalistes et des paludiers s’allient pour défendre les marais contre les Salins du Midi, contre l’appétit des promoteurs immobiliers et contre les projets d’aménagement du littoral, notamment celui de la rocade de La Baule qui devait couper l’approvisionnement en eau de mer de nombreuses salines. La résistance s’est organisée autour d’un GFA (groupement foncier agricole constitué de paludiers et négociants) crée en 1972 pour bloquer la rocade et installer de jeunes paludiers. La mouvance écolo-bretonne prend une part importante à ce combat. La solidarité s’élargit grâce aux dockers, qui bloquent le débarquement des sels méditerranéens à Saint-Nazaire : la rocade ne verra pas le jour.
- La mise en place d’une formation spécialisée qualifiante. Progressivement et non sans conflits internes, le GFA s’efforce de dégager des stratégies de survie pour conduire la reprise en mains du marais. « Vivre du marais », tel est l’objectif qui impliquait de produire en revalorisant la profession. Ainsi fut créée en 1979 un BEPA (option saliculture) pour former une nouvelle génération de paludiers, administré par la chambre départementale d’agriculture de Loire –Atlantique.
- La création d’une filière économique structurée dans les années 1980. Il fallait produire certes mais il fallait surtout vendre la production en assurant aux paludiers un niveau de vie décent. Pour cela, il fallait intégrer la production artisanale du sel marin à l’économie de marché ce qui s’est traduit en 1987 par une étude de stratégie pour positionner le produit sur le marché étroit des sels de terroirs. Le sel de Guérande sortit alors de l’ère des revendications paysannes pour entrer, non sans difficultés, dans celle du marketing et de la communication. Le GPA connut alors des turbulences liées aux divergences d’opinion entre paludiers et négociants, essentiellement les Salins du Midi devenu depuis Groupe Salins (il avait racheté en 1960 la Société Salinière de l’Ouest qui contrôlait alors 75% des sels de Guérande) peu enclins à favoriser la production artisanale. Le GPA éclata et la coopérative fut créée en 1988.
Se présentaient alors trois solutions aux anciens et néo-paludiers : soit rester dans la mouvance du Groupe Salins en étant fournisseurs, salariés ou fermiers de ce gros propriétaire foncier ; soit demeurer indépendants et commercialiser seuls leur production ; soit adhérer à la coopérative. Cette dernière solution fut choisie par la grande majorité des paludiers mais quelques-uns privilégièrent leur indépendance tout en cherchant, pour certains, à se regrouper pour la commercialisation : ainsi fut fondée le groupe Trad y sel. Le sel de ceux qui restèrent ou décidèrent de rejoindre le Groupe Salins est actuellement commercialisé par les établissements le Bourdic, sous la marque « le paludier de Guérande ».
- En 1989, la création du Groupement des Producteurs de Sel par APROSELA (Asso. pour la promotion du sel de l’Atlantique) a permis de regrouper tous les acteurs de la profession (producteurs, opérateurs du conditionnement et du négoce) pour travailler sur l’amélioration de la qualité du sel marin artisanal du bassin guérandais. L’association a contribué à l’obtention du Label Rouge sur le sel marin artisanal de Guérande en 1991. En 2012, le sel et la fleur de sel de Guérande ont été les premiers sels à obtenir de la Commission européenne un IGP (Indication Géographique Protégée). Les paludiers du pays guérandais ont préservé un écosystème dont ils sont les fiers garants. Le site a été classé Grand site national en 1996, site RAMSAR et classé NATURA 2000. Il a été sélectionné pour une candidature au « patrimoine mondial de l’humanité » de l’UNESCO.
- A partir de 1995, le nombre d’œillets exploités devient supérieur au nombre de délaissés par les anciens. Depuis 20 ans, le nombre de salines exploitées a progressé de 20%. Actuellement on évalue à 15000 les œillets en culture, tous producteurs confondus. Certes la moitié de la surface est encore abandonnée mais c’est une belle remontée si on compare aux 6000 œillets de 1995. Le marais fait vivre environ 300 paludiers parmi lesquels 220 sont à la coopérative et une trentaine de femmes sont chefs d’exploitation. Il faut rajouter environ 350 emplois induits. Les paludiers ont su profiter aussi des retombées du tourisme en développant les visites de leur marais et de l’attrait des consommateurs pour les produits du terroir en valorisant la fleur de sel autrefois délaissée et en développant la vente de sels moulus, broyés, séchés et aromatisés vendus bien plus chers que le gros sel gris. Quand la récolte est bonne, grâce à une bonne météo comme en 2016 ou 2019, celle-ci monte à plus de 20000t. On considère qu’il faut exploiter une quarantaine d’œillets pour pouvoir vivre du sel. Le rendement par œillet est assez bon : 1,5t/an/œillet de gros sel gris en moyenne sur 10 ans, mais extrêmement variable. Cette nouvelle conjoncture explique la revalorisation du foncier : alors que dans les années 1970 un œillet valait 200 à 500 Francs (soit 30 à 75 €), il vaut maintenant 1000 à 1500€.
LA COOPERATIVE AGRICOLE DES SALINES DE GUERANDE EN 1988 : UN TOURNANT DECISIF
Un grand merci à son Directeur Général Ronan Loison et à Armel Jorion, paludier administrateur pour leur accueil.
La création de la coopérative en 1988 a été un tournant décisif dans le processus de reconquête du marais. Elle est au cœur de sa renaissance en permettant d’offrir aux paludiers la maîtrise complète de leur filière économique du sel du producteur au consommateur.
- Chargée de l’achat, du stockage, du conditionnement et de la commercialisation, elle regroupe aujourd’hui 220 paludiers exploitants, installés sur 70% des salines en activité, qui s’engagent à apporter chaque année, individuellement toute leur récolte à la coopé. Cette mise en commun obligatoire constitue le fondement de l’organisation. En échange, la coopé leur assure d’acheter la totalité de leur récolte à un prix garanti que la récolte soit abondante ou faible.
- La capacité de production est de 13 000t/an mais la récolte est soumise à de très fortes variations en fonction des conditions météo : elle peut varier de 100kg à 3 tonnes /œillet.
- A de 24 millions €. Elle contrôle 60% de la production de la presqu’île.
- Les paludiers, membres de la coopérative, élisent en Assemblée Générale leur conseil d’administration constitué de 14 membres qui désignent leur président, actuellement Charlotte Lefeuvre. Le C.A. travaille en collaboration avec le Directeur de la coopérative, actuellement Ronan Loison qui dirige les 75 employés de la coopérative.
Le sel des coopérateurs est commercialisé sous le label le Guérandais. La qualité a été dès l’origine la préoccupation essentielle aujourd’hui attestée par plusieurs labels et certificats :
– I.G.P (indication géographique protégée) garantit l’origine et la qualité
– Label rouge certifie la qualité supérieure
– Nature et progrès garantit des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement
Le sel le Guérandais est traité et conditionné sur place :
- Il est simplement trié et tamisé afin de retirer les impuretés.
- Il n’est ni raffiné ni lavé
- Naturellement riche en magnésium, en calcium et en fer, il ne reçoit aucun additif.
- Il se décline en plusieurs gammes principalement six autour du gros sel gris, sel fin, fleur de sel.
La coopérative mène une active politique commerciale de marketing pour affirmer le Guérandais sur tous les marchés, y compris à l’étranger et aussi comme « sel de la gastronomie ». Le « Guérandais » est partenaire privilégié et fournisseur d’un grand nombre de maitres cuisiniers, de restaurateurs et de chefs étoilés.
Crée à l’initiative des paludiers, Terre de sel est la filiale et la vitrine de la coopérative. C’est un espace d’exposition, une boutique proposant les sels « le Guérandais » et des produits du terroir de qualité.
GUERANDE (16 300 habitants) : La « Carcassonne » bretonne.
Même si la présence de l’Homme y est attestée au Néolithique, les signes avérés de l’existence de la localité actuelle ne se retrouvent qu’à l’époque mérovingienne. La première référence écrite connue sous le nom de Guérande date de 854.
- Une cité médiévale importante des Ducs de Bretagne qui la chérissaient. Sa position stratégique sur le rebord d’un plateau granitique (50m) lui permettait d’assurer la surveillance et la protection des marais qui l’entourent. Ce fut une ancienne châtellenie dépendant directement du Duc qui tira d’ailleurs de très bons revenus des salines dont il encouragea l’extension. Elle connut successivement au Moyen Age des périodes de prospérité mais aussi des heures sombres notamment lors de la guerre de succession de Bretagne au XIVe siècle. En 1342 elle fut, ainsi que le Croisic, mise à sac ce qui explique qu’il n’existe, mis à part les piliers romans de la collégiale St Aubin, aucun vestige antérieur à cette date.
- Guérande fut choisie pour signer les deux traités de 1365 et 1381mettant fin à cette guerre et inaugurant « l’âge d’or » que connaît la cité à la fin du Moyen Age : elle compte alors 3000 habitants. Une nouvelle enceinte fortifiée est construite. La cité se développe autour du commerce du sel et du vin et se dote d’une flotte maritime. Guérande était alors une ville importante, faisant partie du douaire de la Duchesse Anne qui s’y réfugia en 1488 au décès de son père François II pour éviter la peste qui sévissait à Nantes. La duchesse a entretenu des liens privilégiés avec Guérande durant son règne. Pendant tout le Moyen Age, Guérande conserve une prééminence judiciaire, militaire, religieuse et fiscale reconnue par le duché de Bretagne et l’évêché de Nantes.
- A partir du XVe siècle, le déclin s’amorce une fois Anne mariée au roi de France et les Ducs partis de Bretagne. Sans doute, le sel est-il toujours de bon rapport ainsi que le vin du pays et les navires fréquentent son port. Mais, c’est une économie fragile et d’assez faible rapport malgré les quantités importantes commercialisées. L’esprit d’entreprise se tourne plutôt vers le Croisic, le Pouliguen et Nantes qui sont des concurrents d’autant plus redoutables que le port s’ensable à partir du XVIe siècle alors que les navires de plus gros tonnages demandent plus de tirant d’eau
- C’est la fin de sa puissance maritime même si au XIXe siècle on signale qu’on y charge encore du sel dans les navires qui remontent les étiers mais le port de Guérande a vécu. La disparition de la vigne et la suppression de son collège de chanoines sous la Révolution affaiblissent encore Guérande, avant qu’elle ne connaisse un nouvel essorrécemment dû au tourisme.
En effet Guérande est une belle cité médiévale close qui attire les touristes pour y flâner dans ses ruelles pavées. Avec ses 1300m de remparts, ses quatre portes et ses six tours, l’enceinte urbaine de Guérande est l’une des mieux conservées de France et la plus complète de Bretagne. Elle a obtenu le label de « Ville d’art et d’histoire » en 2004.
MUSEE DES MARAIS SALANTS A BATZ-SUR-MER : l’héritier d’un des plus anciens musées des arts et traditions populaires de Bretagne.
Un grand merci à Gildas Buron, conservateur, pour nous avoir fait visiter avec passion et compétence son musée.
La « Porteresse », sculpture monumentale en bronze, œuvre du sculpteur breton Jean Fréour (1919-2010). Devant le musée, elle rend hommage aux femmes du marais qui évacuaient traditionnellement le sel avec leur gède (30kg de sel) sur la tête avant l’introduction des brouettes dans les années 1950. Toujours court vêtue et pieds nus pour ne pas abimer la ladure, les « porteresses » sont rétribuées le plus souvent par le sel menu (fleur de sel). La pénibilité du travail, souvent effectué de nuit, est encore dans toutes les mémoires. |
Ce musée intercommunal fondé dès 1887, sous le nom de musée des anciens costumes, par Adèle PICHON, une religieuse fille de paludiers, consciente de la disparition d’un mode de vie, fut un des premiers musées ethnographiques. Etabli dans une ancienne salorge, totalement rénové, il a réouvert ses portes en 2013 sur une surface de 1500m2. Il est devenu un centre d’histoire et d’ethnologie du sel atlantique et présente une collection riche et variée de 9000 objets parfois insolites dans le cadre d’un parcours interactif. Musée de territoire entre Loire et Vilaine, il est la mémoire patrimoniale de cet espace et lieu de transmission de cette culture des « gens du sel ». Il s’oriente autour de trois thèmes :
- L’histoire du sel et le « sel en question ».
- Histoire des activités salicoles de Guérande. A noter une excellente vidéo projetée sur double-écrans qui décrit le fonctionnement d’une saline, la gestion de l’alimentation et de l’écoulement de l’eau de mer dans une multitude de canaux ainsi que les gestes de la récolte. Aussi une carte intéressante sur les voies du commerce international du sel et une approche très pédagogique des routes du sel, du transport du sel et du travail des sauniers. Un lavoir à sel grandeur nature est aussi présenté avec une création sonore composée de bruit d’eau, de craquement de bois, de poulies et de sel mouillé qui fait revivre la machine.
- La société du marais avec la vie quotidienne des communautés paludières du Moyen Age au XIXe siècle. Les reconstitutions de l’habitat paludier au XIXe siècle ainsi que la présentation des costumes typiques (rassemblés très tôt par A. Pichon) des « gens du sel » témoignent de l’originalité et de la richesse de la vie paludière.
Lavoir à sel reconstitué par l’Ecole Centrale de Nantes à partir de modèles anciens (ci-dessous) © Coll. Musée des marais-salants – CAP Atlantique
Dès le 18e siècle, la blancheur des sels industriels ternit la réputation des gros sels gris de l’Atlantique auprès des salaisonniers européens. Le négoce répond à la concurrence en développant le lavage en saumure pour éliminer les infimes parties argileuses adhérant aux cristaux de gros sel gris. Encore en fonctionnement au milieu du 20e siècle, les “lavoirs à hélices” de Guérande sont un héritage du machinisme triomphant dans la saliculture atlantique.
Tenue de saunier : marchand de sel au XIXe siècle Le costume est le vêtement de corporation : braies et sarrau blanc sont emblématiques des sauniers de Guérande. Les souliers sont de peau jaunâtre. Habituellement coiffés d’un bonnet de laine, les sauniers le retiraient en entrant dans les bourgs ou villages pour arborer le célèbre chapeau noir à larges bords. Il manie le fouet de touche à main droite pour conduire les mules. |
Les sauniers de Guérande en route. En tenue traditionnelle de travail ils organisent le transport et la distribution des sels. Les mules, le plus souvent en convois, sont chargées systématiquement de 150 kg de sel pesés au poste de douane à la sortie du marais.
Paludiers et paludières en grands costumes de fête (abandonnés fin XIXe siècle) « qu’ils ne portent que quand ils sont de noces, ou de procession de la Fête Dieu »
Couple de mariés Aquarelle de J.B Peytavin, 1828. © Coll. Musée des marais-salants – CAP Atlantique |
L’habit de travail tout de blanc (proche de celui des sauniers) avec ses amples braies et sa blouse est tenue pour exotique par H.de Balzac (qui a séjourné à Batz) et décrit les paludiers au début de Béatrix : « cette riche nature (celle de Guérande) … a pour cadre un désert d’Afrique bordé par l’océan…où les jours de soleil, les paludiers, vêtus de blanc font croire à des Arabes vêtus de leurs burnous… ».
L’habit de fête, surtout pour les hommes, avec ses couleurs vives et le chapeau à larges bords à une seule corne, traduit le caractère affirmé de cette culture originale des gens du sel. La blouse blanche des paludiers au travail est remplacée par une chemise à col rabattu sur laquelle s’empilent plusieurs gilets de drap de couleur disposés en étage dont la dernière, de drap gros bleu, sous une veste plus foncée noire ou brune. Le chapeau est essentiel. La position de sa corne aurait traduit la situation familiale : à droite pour le célibataire, à gauche le jour des noces, derrière pour l’homme marié, devant pour le veuf.
Les femmes portent une coiffe de batiste, une collerette de dentelle, un corset de drap blanc bordé de velours de couleur qui fait ressortir l’éclat des manches rouge écarlate.
Les mariées empilent les jupons assez courts laissant voir des bas de laine rouge.
La gravure ci-dessous représente aux côtés de l’homme en habit de fête, une jeune « porteresse », court vêtue, pieds nus avec sa gède sur la tête, et derrière un paludier en tenue blanche de travail.
Reconstitution d’un intérieur paludier : lit à quenouille, armoires à gâteaux, à lait, vaisselier…Mobilier peint d’une peinture rouge au minium de plomb, sans doute pour protéger le bois de la corrosion du sel
Armel Jorion (paludier, membre de la coopérative) et Gildas Buron (conservateur du Musée des Marais salants à Batz-sur-mer)
NB : Armel Jorion (paludier, membre de la coopérative agricole des marais de Guérande) et Gildas Buron (conservateur du Musée des Marais salants à Batz-sur-mer) ont animé une déambulation dans le marais (samedi 7 septembre 2019). Gildas Buron a rédigé un compte rendu qui est publié sur le site des Cafés Géographiques.
Compte rendu rédigé par Micheline Huvet-Martinet, octobre 2019