Brèves de comptoir

Les brèves de comptoir  sont des textes courts qui rendent compte de l’actualité sur les sujets les plus divers. Nous sommes convaincus que le regard du géographe peut apporter du sens à la compréhension d’un monde complexe dont la globalisation croissante brouille les repères traditionnels.

Décentrer le regard. Ce que la guerre en Ukraine fait aux sciences sociales

L’intervention d’Anna Colin Lebedev à l’Institut Catholique de Paris, ce 7 mars 2024, n’est pas une analyse supplémentaire sur le conflit russo-ukrainien. Cette enseignante-chercheuse, maîtresse de conférences à l’université Paris-Nanterre, se définit comme sociologue politique, spécialiste de ce qu’on appelle encore couramment le monde post-soviétique. Son objectif est de démontrer comment l’agression russe dès 2014 en Crimée remet en cause les grilles de lecture de l’histoire de la Russie puis de l’URSS utilisées par le monde académique occidental et particulièrement français. Ces grilles de lecture proposées par la Russie, plus facilement accessibles, la remettent toujours au centre. Ce sont donc des spécialistes de la Russie que les médias ont invités pour analyser l’« opération militaire spéciale » de Vladimir Poutine. On a pris un regard russe pour considérer l’Ukraine (c’est ce même regard qu’on applique aux pays d’Asie centrale, du Caucase…anciens membres de l’Empire).

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Paysans français, paysans indiens : mêmes combats ?

A quelques jours du Salon de l’Agriculture, le monde agricole français (et même européen) n’en finit pas de manifester son mécontentement. Au même moment, à des milliers de kilomètres de là, des dizaines de milliers de paysans entendent profiter de la tenue prochaine des élections générales en Inde pour converger vers New Delhi afin de protester contre leur situation actuelle. Les contextes sont certes différents mais néanmoins il existe des aspects communs aux deux événements, des aspects relatifs aux raisons de la colère et aux méthodes utilisées pour faire pression sur les autorités. (Lire la suite…)

Les Cafés géo ont 25 ans.
Rendez-vous dans 25 ans. En 2048.

Utopie ? Dystopie ? Difficile de choisir pour imaginer ce que nous pourrions être dans un quart de siècle. Car en 1998, nous n’aurions pas imaginé les centaines de Cafés géo qui se sont réunis à Paris et ailleurs. Nous n’aurions pas imaginé les voyages, poussés par la curiosité de quelques-uns d’entre nous, des voyages-cultes notamment sur une… des très antiques Routes de la Soie.

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Aux îles

Aurélia Coulaty, Clément Thoby, Aux îles, Actes Sud, 2023

Le goût du voyage géographique peut être suscité par un guide, un documentaire, un ouvrage spécialisé mais aussi par un « beau livre ». Les amoureux des îles pourront choisir leur destination après avoir lu l’album écrit par Aurélia Coulaty et illustré par Clément Thoby, Aux Îles (1). L’auteure, écrivaine et artiste polyvalente, a approfondi sa passion du voyage et de l’« ailleurs » en consacrant son master de lettres modernes à Nicolas Bouvier (2). Dans Aux Îles, elle entrelace informations géographiques (sur l’environnement particulièrement), récits mythologiques, références littéraires et impressions subjectives.

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Prix du Livre de géographie 2024

Le Prix du Livre de géographie des lycéens et étudiants sera décerné en 2024 à un des ouvrages cités ci-dessous.

Gilles Fumey, Alexandre de Humboldt. L’eau et le feu, Double ligne, 2022.

Raphaël Mathevet et Roméo Bondon, Sangliers. Géographies d’un animal politique, Actes Sud, 2022.

Basile Michel, Les quartiers culturels et créatifs, Le Manuscrit, 2022.

Marion Tillous (dir.), Espace, genre et violences conjugales, ce que révèle la crise de la Covid 19, GéoTraverses, 2022.

Nephtys Zwer (dir.), Ceci n’est pas un atlas, Éditions du commun, 2023.

Un prochain colloque sur l’Intelligence artificielle à Albi
Nos amis d’Albi nous informent de la tenue d’un colloque, les 5 et 6 octobre 2023 sur “l’IA et les Institutions publiques”, au campus de Champollion à Albi. Vous pouvez vous inscrire grâce au lien https://www.univ-jfc.fr/agenda/colloque-intelligence-artificielle-et-institutions-publiques-enjeux-controverses-et

 

Le programme se trouve sur la page des Cafés d’Albi.
Prix du Livre de Géographie des Lycéens et Etudiants 2023

Le prix du Livre de Géographie des Lycéens et Etudiants est une création récente (2020), destinée à faire découvrir et aimer la géographie à travers une sélection annuelle de cinq ouvrages reflétant la diversité de la discipline. Les deux premières éditions avaient récompensé en 2021 Sylvie Lasserre pour Voyage au pays des Ouïghours (Editions Hesse, 2020) et en 2022 Camille Schmoll pour Les damnées de la mer (La Découverte, 2020).

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La guerre en Ukraine : l’onde de choc marine

Le dernier Mardi de la mer (1), organisé par l’Institut catholique de Paris (ICP) et l’Institut français de la mer (IFM), a traité d’un aspect de la guerre en Ukraine peu abordé par la presse : ses conséquences maritimes, tant du point de vue géopolitique qu’économique. Participaient à cette conférence l’amiral Oudot de Dainville, la juriste spécialiste du droit international de la mer Alina Miron et le géographe Paul Tourret, directeur de l’Institut Supérieur d’Economie Maritime (ISEMAR) (2).

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L’Afrique, Atouts et périls
Questions internationales, n°115, septembre-octobre 2022

Questions internationales, n° 115, septembre 2022

Le dernier numéro de Questions internationales (1) est consacré à l’Afrique, continent peuplé de 1,4 milliards d’habitants répartis en 54 Etats. En article d’introduction, Sabine Jansen s’attache d’abord à réfuter les idées reçues généralement attachées à ce continent : sous-estimation de la taille due à la projection de Mercator, relative faiblesse de la population malgré une image de surpopulation, migrations essentiellement intra-africaines plus qu’extra-continentales. Elle analyse les principaux maux dont souffre l’Afrique qui présente le paradoxe d’associer pauvreté et abondance des ressources (1/3 des ressources naturelles du monde). Absence de démocratie, forte dépendance à l’égard de l’extérieur, agriculture incapable de nourrir la population…tous ces thèmes sont développés dans les articles du magazine. (Lire la suite…)

Démographie et géopolitique

Selon les projections démographiques de l’ONU, le seuil de 8 milliards d’êtres humains a été franchi le 15 novembre 2022. N’oublions pas que le cap du milliard d’habitants n’a été atteint qu’en 1800. C’est dire l’accroissement considérable du nombre d’humains sur la Terre en un peu plus de deux siècles ! Dans leur scénario moyen les Nations unies prévoient que nous serons 10 milliards en 2050 et à peine plus à la fin du XXIe siècle (prévisions de 10,4 milliards). Nous pouvons dire qu’une période unique de l’histoire démographique est en train de s’achever.

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Russes et Ukrainiens : la nation ukrainienne existe-t-elle ?

Un café géo passionnant est programmé mardi 15 novembre 2022 de 19h à 21h au Café de Flore (Paris 6e). Le titre en est Russes et Ukrainiens, les frères inégaux, reprenant exactement le titre du livre de l’historien autrichien Andreas Kappeler publié en Allemagne en 2017 et qui vient d’être traduit en français chez CNRS Editions. L’intervenant de la soirée sera Denis Eckert, géographe, directeur de recherche au CNRS, qui a traduit l’ouvrage. Celui-ci est une géohistoire de la relation entre Ukrainiens et Russes en même temps qu’un modèle de réflexion historique.

 

 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Russes et Ukrainiens : la métaphore des frères dans deux ouvrages d’histoire récents

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Festival International de Géographie
de Saint-Dié-des-Vosges 2022
Déserts

Affiche du FIG 2022. http://fig.saint-die-des-vosges.fr

 

Au Festival de géographie de Saint-Dié, qui fêtait sa 33e édition, je suis allée, par la thématique des déserts attirée. L’infinie complexité des espaces désertiques a été décortiquée par des intervenants passionnés. Le Portugal était le pays invité.

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Le Programme des Cafés Géographiques de Paris, saison 2022-2023

Le programme des Cafés géo de Paris, fixé en ce début de saison, marque la reprise d’un rythme de rencontres mensuelles après la crise sanitaire qui a longuement perturbé nos activités en 2020 et 2021. Il traduit la volonté des responsables de l’association de témoigner de la diversité de la géographie, une discipline qui s’avère très utile pour rendre compte des transformations du monde contemporain. Cela dit, nous n’avons pas invité des intervenants en puisant dans le seul vivier des géographes puisque nous avons obtenu le concours d’un sociologue, de plusieurs historiens et même d’une architecte devenue une importante responsable dans le domaine de l’énergie.

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Prix du Livre de Géographie des Lycéens et Etudiants

Créé en 2020, le Prix du Livre de Géographie des Lycéens et Etudiants récompense un ouvrage de géographie qui s’adresse notamment au public des lycéens et des étudiants en classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) et à l’Université. Ce sont des lycéens et étudiants encadrés par un enseignant qui votent chaque année pour désigner le livre lauréat.

L’association des Cafés Géographiques qui soutient cette belle initiative est heureuse d’annoncer le résultat du Prix 2022. Il s’agit de l’ouvrage de Camille Schmoll Les damnées de la mer. Femmes et frontières en Méditerranée (éditions La Découverte, 2020). Et cela d’autant plus que nous avons eu le privilège d’un entretien exclusif avec Camille Schmoll au sujet de ce beau livre. Cet entretien a été publié sur notre site et peut être suivi dans la rubrique « Les vidéos » (Les Cafés Géo » Visioconférence n°4 : Camille Schmoll parle des migrations féminines en Méditerranée (cafe-geo.net).

Les routes maritimes arctiques : une nouvelle utopie ?

Le réchauffement climatique et la croissance des échanges entre Extrême-Orient asiatique, Europe et Amériques ont entrainé un intérêt nouveau pour les régions polaires qui sont restées pendant longtemps le domaine de l’imaginaire et le terrain de jeu d’héroïques aventuriers. Aujourd’hui on en évalue les ressources, la navigabilité et les objectifs des Etats qui y exercent une certaine souveraineté, parfois avec quelque inquiétude.

C’est dans ce cadre que s’est récemment déroulé à la Cité des Sciences de Paris un colloque intitulé « Régions polaires : quels enjeux pour l’Europe ? ». Toutes intéressantes, les interventions ont porté sur les questions climatiques, la faune, les ressources minières aussi bien que sur l’imaginaire et les difficultés psychologiques à supporter l’isolement d’un hivernage dans une station de l’Antarctique. Nous avons choisi d’évoquer la communication de Hervé Baudu, professeur en Chef de l’Enseignement maritime, spécialiste de la navigation dans les glaces. (Lire la suite…)

L’Ukraine aux Cafés géo

Nous nous réjouissions de recevoir, le 8 mars prochain au Flore, Cédric Gras, géographe, grand voyageur (1), et excellent écrivain. De nombreuses questions suscitaient notre curiosité : rapport entre voyage et écriture, nécessité du temps long pour appréhender un lieu, goût des confins et des frontières, dilection particulière pour le monde russe de Mourmansk à Vladivostok. Il y a vécu plusieurs années dont cinq en Ukraine où il dirige l’Alliance française de Donetsk en 2014 lorsqu’intervient la révolution de Maïdan. Son expérience des déchirements qui affectent alors le Donbass sécessionniste est transposée dans un roman, Anthracite (2). Très affecté par la situation actuelle de l’Ukraine, Cédric Gras a décidé de s’y rendre. Nous le retrouverons à son retour pour un café consacré à ce pays.

1) Membre de la Société des Explorateurs Français
2) Anthracite, Paris : Stock, 2016

Café géo de Chambéry- Annecy : programme de 2021-2022

 

Le mercredi 13 octobre à 18h00, nous accueillerons Hervé Théry (Directeur de recherche émérite au CREDA) pour un Café géo sur “Les quatre capitales du Brésil” (Le passe sanitaire sera demandé.)

 

 

 

 

 

 

Le mercredi 10 novembre, à 18h, Franck Ollivon (Docteur en géographie, AGPR à l’Ecole Normale Supérieure) nous fera découvrir le champ encore méconnu de la géographie carcérale dans son Café géo “Au bord de la liberté : éléments de réflexion pour une géographie du « milieu ouvert » pénitentiaire.”

Si la prison continue d’occuper le cœur du système pénal français, l’immédiat après-guerre a initié une longue période de réforme de l’institution judiciaire qui se prolonge encore aujourd’hui. Les alternatives à l’incarcération dites « peines en milieu ouvert » se sont ainsi développées à travers différents dispositifs – travail d’intérêt général, mise à l’épreuve, bracelet électronique… Toutefois, ces peines qui se déroulent hors de l’espace carcéral interrogent : au prix de quels ajustements les lieux ordinaires du quotidien se voient-ils investis de la double mission de punir et de réinsérer l’individu ? Que disent de nos sociétés ces modes de contrôle à l’air libre auxquels elles recourent ?

 

 

 

Et le mercredi 15 décembre, de nouveau à 18h, Emmanuelle Surmont (Docteure et agrégée de géographie, Enseignante au lycée des Lumières de Mamoudzou)s’intéressera aux enjeux de protection de la biodiversité à Mayotte dans son Café géo “Mayotte : une île à protéger. Le parc naturel marin de Mayotte : un merritoire de la protection original“.

 L’outre-mer français concentre 80 % de la biodiversité nationale et près de 10 % de la biodiversité mondiale. Mayotte, petit archipel situé dans le canal du Mozambique est un territoire à la biodiversité marine exceptionnelle : le lagon abrite plus de 200 espèces de coraux, 400 espèces de mollusques et près de 250 espèces de poissons. A cela s’ajoute une impressionnante mégafaune : baleines à bosse, dauphins, dugongs et tortues marines. Un parc naturel marin (PNM) de 69 000 km² y a été mis en place en 2010 afin de protéger la biodiversité et d’assurer un développement raisonné de l’espace et de l’île.  Deuxième PNM de France et premier en outre-mer, la mise en place de ce parc marin répond à des enjeux écologiques, mais aussi et surtout politiques. En effet, en sus de respecter ses engagements internationaux pris et réitérés lors des différentes COP et sommets, les gouvernements successifs cherchent à réaffirmer la souveraineté française sur un territoire disputé, bien que départementalisé en 2011. La biodiversité de Mayotte est également mise en avant à la fois comme une opportunité de développement économique (écotourisme, pêche durable) pour un territoire marginalisé, où 77 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté national. Dans ce café géo, je souhaite montrer l’usage politique qui est faite de ce parc marin, avec ses contradictions et ses limites. Des « merritoires » de la protection originaux et parfois concurrents se mettent en place, poussés par des acteurs aux objectifs divers.

Des lieux entre mémoire, géographie et imaginaire (3) : La route de Leh (Inde)

Une route. Pas une autoroute, une voie express, un périphérique, mais une route étroite, sinueuse, au bitume mal ravaudé. C’est pourtant cette route qui relie deux univers opposés, celui des jardins luxuriants des miniatures mogholes à celui des terres minérales et arides des hautes terres himalayennes. Parmi les peu nombreuses routes transhimalayennes, la NH 1D conduit de Srinagar, capitale d’été du Cachemire, à Leh au cœur du Ladakh, le « pays des hauts cols ».

L’aventure commence par un séjour paisible dans la ville qu’aurait fondée Ashoka il y a plus de 2000 ans. Située à 1760 m d’altitude, Srinagar offre une villégiature fraîche en été à ceux qui veulent fuir la touffeur de la vallée du Gange et de la plaine du Penjab. Rois bouddhistes, empereurs moghols, maharajas hindous puis colons britanniques en ont goûté l’atmosphère. (Lire la suite…)

Des lieux entre mémoire, géographie et imaginaire (2) : Soglio, Suisse

Soglio (© myswitzerland.com)

Loin de la Genève des banquiers et de la Zurich des psychanalystes, il existe une Suisse où la rigueur germanique se colore de fantaisie italienne, où les italophones vont prier au temple. C’est dans les Grisons, le Val Bregaglia, qui, depuis l’époque romaine, a été parcouru par troupes et marchands franchissant les Alpes centrales entre la plaine du Pô et la vallée du Rhin [1]. Et au cœur du Val Bregaglia, un lieu unique attend le voyageur sur une terrasse aménagée, Soglio, que le peintre Giovanni Segantini a imaginé comme « le seuil du paradis ».

On peut arriver à Soglio par Chiavenna et franchir la frontière italo-suisse, mais on préférera la route d’Engadine à partir de Sils-Maria, bourgade au charme suranné qui a su retenir Nietzsche [2] et séduire Proust [3]. Du col de la Maloja (1845m), on plongera, par des virages serrés, dans le Val Bregaglia. Dans cette vallée glaciaire très creusée, plusieurs bourgades s’étalent le long du cours torrentueux de la Maira. L’une d’elles, Stampa, est célèbre pour y avoir abrité la naissance d’un des sculpteurs les plus attachants du XXe siècle, un sculpteur qu’on associe surtout à la vie trépidante du Montparnasse de l’entre-deux-guerres mais qui a façonné dans le bronze de ses statues les reliefs dentelés des massifs granitiques voisins, Alberto Giacometti. (Lire la suite…)

Des lieux entre mémoire, géographie et imaginaire (Moka, Yémen)

Moka, un mot, deux noms. Celui d’un breuvage parfumé qu’on boit dans de petites tasses de porcelaine et celui d’un port situé sur la Mer Rouge au sud de la Péninsule arabique.

Avant d’arriver à Moka, sur la côte aride de la Tihama, le voyageur venu de l’intérieur aura traversé les monts Sarawat aux pentes raides découpées dans des roches volcaniques. Du haut de replats étroits il aura surplombé des terrasses verdoyantes accueillant arbres fruitiers, vignes et céréales. Il aura trouvé de l’ombre entre les hautes maisons des villages aux fenêtres cintrées, construites en gros moellons ou en argile séchée ; les femmes qui portent la clef autour du cou, en sont les gardiennes. Il sera entré dans des écoles où le maître aura désigné sur une carte son pays d’origine à des petits garçons portant à la ceinture un jambiya (poignard courbe) en carton. A la sortie d’un bourg, il aura longé un enclos étroit dans lequel un homme, accroché au grillage, cherchait à attirer son attention par des mimiques grotesques…prison rurale ou asile de fous, on ne sait pas.

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Frontières des territoires, frontières de l’intime

La crise sanitaire du coronavirus n’en finit pas de bousculer nos manières de vivre, nos habitudes et nos croyances. Alors que débute en France le deuxième confinement, dans un entretien au Figaro paru le 3 novembre 2020, l’écrivain-géographe Sylvain Tesson nous propose sa vision des frontières, celles des territoires comme celles de l’intime (Lire la suite…)

A mes élèves, en mémoire de mon collègue

Ce lundi matin vous serez en vacances et je ne serai pas face à vous pour vous poser la question, devenue rituelle : « Quel élément d’actualité de la semaine écoulée vous a marqué ? Quelle analyse pouvez-vous en proposer à vos camarades ? ». Ce lundi matin un de mes collègues d’Histoire-Géographie ne sera pas penché sur ses copies ou ses livres pour préparer ses cours, il manquera à l’appel. Pour vous et pour lui, en son absence et en son honneur, je poursuivrai l’exercice de la revue de presse, comme toujours, en deux temps.

 

Les faits, pour commencer.

Situons les faits : Conflans Sainte Honorine est une commune proche, peut-être à 25 kilomètres de notre lycée, dans notre département. Cependant, ici, la distance géographique n’a que peu d’importance, nous pourrions être à 1 000 km que nous ne serions pas moins stupéfaits. Conflans est la ville du confluent de la Seine et de l’Oise, c’était, ce vendredi 16 octobre, le confluent de la haine et de la barbarie. En sortant du collège, un de mes collègues professeur d’Histoire-Géographie, dont je ne connais que le nom, Samuel Paty, a été assassiné. Son bourreau lui a tranché la tête.

Quelques jours plus tôt, Monsieur Paty faisait un cours sur la laïcité et la liberté d’expression, comme des milliers d’autres enseignants et comme nous l’avons fait les semaines passées ; Monsieur Paty faisait son métier. Pour illustrer son cours, il a utilisé, entre autres, quelques caricatures du prophète de l’islam, Mahomet, publiées par l’hebdomadaire Charlie Hebdo dont les journalistes ont été sauvagement assassinés en 2015 par des terroristes islamistes.

Les élèves sont rentrés chez eux, ils ont raconté et résumé leur journée à leurs parents. Un d’eux a considéré que l’utilisation de ces caricatures n’était pas à son goût. Une vidéo de ce parent d’élève critiquant vivement l’enseignant a circulé très vite sur les réseaux sociaux, il était explicite : « vous avez l’adresse et le nom du professeur pour dire STOP ». Il a été entendu par un jeune homme de 18 ans, Russe d’origine tchétchène et bénéficiant, en France, du statut de réfugié. Ce dernier a revendiqué l’assassinat au nom d’Allah.

 

L’analyse, pour expliquer et tenter de donner du sens est, dans l’immédiat, presque impossible.

Il faudra du temps et de multiples éclairages pour comprendre cet acte. Je ne peux pas fournir d’explication sur le geste de l’assassin. A défaut d’analyse, la seule chose que je puisse tenter c’est un travail introspectif. Je peux vous inviter dans la coulisse et vous dévoiler un peu le travail d’un enseignant car nous nous ressemblons, nous autres professeurs d’Histoire et de Géographie. Aujourd’hui, je suis Samuel Paty et Samuel Paty est votre professeur. Titre de la leçon : Éducation Morale et Civique, Liberté d’expression et laïcité.

Esquissant le portrait de l’impertinent Triboulet face à François Ier puis le tableau tragique des guerres de religion, le professeur mêle l’anecdote et la grande Histoire pour éveiller la curiosité et introduire son sujet sur la liberté d’expression. La classe est saisie, l’enseignant tient son public. Il progresse chronologiquement et s’arrête sur les temps de grâce : les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, liberté d’opinion et liberté d’expression, et les temps de disgrâce : 1852, Victor Hugo condamné à l’exil pour sa défense de la République. Pour garder l’attention de la classe, le professeur varie le rythme et le ton de sa voix, il se déplace et pose son regard sur tel ou tel élève. Solennel, il rappelle la grande loi de 1881 qui consacre la liberté d’expression sous toutes ses formes. Il explique néanmoins que la Liberté, si belle soit-elle, ne peut être absolue et que le législateur républicain interdit la diffamation, l’insulte, l’appel à la violence et les outrages.

Le premier temps, celui de la didactique, a permis de dresser le cadre. Il faut maintenant susciter, chez l’élève et dans la classe, un questionnement : qu’en est-il de cette liberté d’expression aujourd’hui ? En République, régime dans lequel la politique est une « chose publique », comment s’articulent libertés individuelles et libertés collectives, aspirations spirituelles et loi commune ? Les élèves ne peuvent pas rester passifs et l’enseignant mobilise ses archives et des trésors d’imagination pour faire émerger une réflexion critique. Inévitablement il sera question des atteintes à la liberté d’expression dans les régimes politiques dictatoriaux mais également des atteintes à la liberté du fait de la religion. Il faut construire un débat avec les élèves et, pour cela, déranger les certitudes. Le professeur a choisi les documents, les questions, pesé les mots. Puis, il a lâché sa feuille pour réagir aux propos d’un élève, pour recadrer un comportement ou pour sourire à une intervention facétieuse. Au fond, un élève fronce un sourcil, si le professeur le voit, celui-ci pourra l’aider à formuler une question, c’est déjà un enjeu pédagogique considérable car il peut être difficile de faire réagir un élève qui ne dispose que quelques centaines de mots de vocabulaire. S’il y arrive, il tentera de se mettre à sa portée pour expliquer, sans jamais céder à la facilité de la simplification.

Il reprend ses notes et revient sur ce cadre structurant qu’est la loi de 1905 sur la laïcité. Il sait qu’il devra affronter l’appréhension de quelques élèves sur le sujet. Il prend le temps d’en dégager la force : non, il n’y a pas d’un côté le politique et de l’autre le religieux mais une République qui garantit la liberté de conscience et encadre l’exercice des cultes, il en rappelle la grandeur : la garantie d’une liberté pour ceux qui croient au ciel et pour ceux qui n’y croient pas, il en explique la fragilité : la tentation permanente de débordement du religieux sur le politique et de l’annexion du religieux par le politique.

Le débat reprend, il s’agit de battre en brèche les idées reçues, faire comprendre et, autant que possible, faire aimer les valeurs de la France Républicaine car ce qui est au cœur du sujet c’est que les élèves puissent saisir l’équilibre fragile entre la liberté d’expression et le respect des convictions. Les documents sont de solides ancrages, le professeur s’appuie sur les questions des élèves et ouvre la voie, face Nord, sur une ligne de crête : de chaque côté des pentes excessives. Il sait que le vertige guette : depuis qu’il enseigne, l’intolérance, sous le manteau de l’islam radical, frappe et tue. Face à lui, ses élèves viennent des quatre coins du monde, leurs repères culturels sont parfois très éloignés des idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité. Mais il est là, Monsieur Paty, pour leur transmettre cet héritage grandiose aujourd’hui vacillant.

La cloche sonne et les élèves rangent déjà leurs affaires. Sur le tableau noir il efface les mots République, laïcité, loi, religion, sacré, satirique, humour, respect… Dans la tête d’un enseignant les questions se bousculent après un cours : ai-je réussi à transmettre les grandes idées ? Et cet élève qui n’a pas parlé aurais-je dû aller le chercher ou ai-je eu raison de le laisser suivre en silence ? Aurais-je le temps de faire mon évaluation, corriger les copies, lire cette nouvelle publication sur le sujet ? Aurais-je encore assez d’énergie pour terminer ma journée ? Il aime ses élèves et veut leur donner le meilleur.

Bientôt, les élèves seront en vacances, cela lui donnera du temps pour lire et réfléchir aux prochaines séances. Monsieur Paty a pris son cartable, il a éteint la lumière, il est parti.

 

Pierre Méheust, Professeur d’Histoire-Géographie dans les Yvelines, 18 octobre 2020.

 

 

La classe dépasse toujours ses quatre murs

Ce titre m’a été soufflé par un ami universitaire pour ajouter une accroche géographique au beau texte de Pierre Méheust reproduit ci-dessus. Il renvoie à différentes échelles spatiales qui permettent d’enrichir la réflexion quand on cherche à comprendre ce qui se joue en classe, en particulier dans l’échange entre le professeur et les élèves qui ont grandi dans des contextes différents. Evoquons tout d’abord l’échelle locale avec le lieu d’implantation du collège et les lieux de résidence du professeur et des élèves. Avec l’échelle régionale, nationale et même supranationale, on peut penser aux parcours géographiques des uns et des autres depuis leur naissance, à leurs représentations et à leurs connaissances nourries par les différentes formes de savoir, par les familles, les amis, les médias, les réseaux sociaux, etc. Tous ces espaces interviennent d’une façon ou d’une autre dans les consciences en action entre les quatre murs de la classe…

Daniel Oster, 25 octobre 2020

 

« Le déni français ». Un débat tenu à l’IMA.

L’Institut du monde arabe (Photo ©IP3 PRESS/MAXPPP)

Depuis 2015 l’IMA organise des Journées de l’Histoire en partenariat avec les Rendez-vous de l’Histoire de Blois. Cette année le thème est « Révoltes et Révolutions ». Par un hasard tragique, les interventions du 18 octobre 2020 portaient sur   « Le rôle de la religion », deux jours après l’exécution d’un professeur d’histoire-géographie par un militant salafiste. Un « Face à face » modéré par Béatrice Giblin, géopolitologue,  a permis à l’historien Pierre Vermeren de présenter son ouvrage Le Déni français (1), dont il a débattu avec Ali Bensaad, géographe et professeur de géopolitique.

Ce déni, c’est celui de la montée de l’islamisme politique radical. Déni qui rappelle à l’historien l’attitude de l’État algérien qui avait occulté, il y a trente ans, la dimension politique de l’islamisme (2).  met en cause d’une part l’attitude de certaines élites françaises, d’autre part la politique arabe des différents gouvernements français.

Naïveté, ignorance, compromission. C’est en ces termes qu’il qualifie les prises de position d’une partie de la Gauche, de l’Église catholique et de chercheurs et intellectuels. A la base la culpabilité liée à la décolonisation et particulièrement à ce qu’on n’osait pas appeler alors la « guerre d’Algérie », soutenue par la majorité des partis politiques, et qui n’a pas été condamnée par l’Eglise catholique.

Après les Accords d’Evian, de Gaulle s’efforce de se réconcilier avec les pays avec les pays arabes et apporte ainsi un soutien total à des régimes dont on veut ignorer le caractère dictatorial (3). Pour Ali Bensaad, la politique arabe de la France est une réminiscence du fantasme colonial alors  que le deuil d’un désir colonial n’est pas fait.

 

Pourquoi le désir de constituer, en France,  une société assimilatrice qui n’avait pas fonctionné en Algérie a-t-il en partie échoué ?

Dans les années 60, la charge de l’immigration est confiée à l’État algérien. Ce choix politique, valable tant que l’immigration était conçue comme temporaire (retour au pays après constitution d’un petit pécule), est maintenu à la fin des années 70 alors que le droit au regroupement familial change la nature de l’immigration (4). Après la guerre civile algérienne (voir note 2), c’est au Maroc qu’est confiée de plus en plus la tâche de s’occuper de la population immigrée et, plus récemment, à la Turquie (5). On reste, en France, figé sur le schéma de l’Islam colonial, l’Islam des marabouts imprégné de soufisme, majoritaire au Maghreb (6).  La salafisation (7) de l’Islam aussi bien dans les pays musulmans que dans les pays d’accueil, n’est pas comprise. Ali Bensaad insiste sur le gros impact des riches pays du Moyen Orient sur les associations, notamment sportives, qu’ils financent, et qui ont un très fort rayonnement dans les banlieues.

Pierre Vermeren explique aussi qu’une partie des élites françaises, aveuglées par le mythe du développement économique des États nouvellement créés, n’ont pas compris que les immigrés sont beaucoup plus riches que les populations du Maghreb. Ceux-ci sont donc utiles à leur pays d’origine qui n’a pas intérêt à leur intégration.

 

Ces observations peuvent servir de base – avec celles de beaucoup d’autres de sociologues, géopoliticiens, politologues, théologiens…- à notre réflexion : quel sens donner à un assassinat commis en France pour des raisons religieuses en ce début de XXIème siècle.

 

Notes :

1). Pierre VERMEREN, Le Déni français. Notre histoire secrète des relations franco-arabes, Albin Michel, Paris, 2019.

2). En décembre 1991 l’annulation des élections législatives anticipant la victoire du FIS (formation militant pour la formation d’un Etat islamique) entraîne une guerre civile très meurtrière entre le gouvernement algérien et des groupes islamistes armés (AIS et GIA). Selon les historiens cette « décennie noire » prend fin entre 2001 et 2005.

3). En juin 1967, de Gaulle condamne la guerre-éclair qu’Israël vient de mener contre l’Egypte, la Jordanie et le Syrie (Guerre des six jours).

4). Le décret donnant droit au regroupement familial est adopté le 29 avril 1976 (gouvernement Chirac).Il est suspendu par le gouvernement Barre  puis consacré par le Conseil d’Etat en décembre 1978.

5). La Direction turque des affaires religieuses (Diyanet) contrôle plus de 200 mosquées en France, nommant les imams et organisant les pèlerinages à La Mecque.

6). Voir sur le site le compte rendu de Jean RIEUCAU, Mohamed SOUISSI  (sous la direction de), Les lieux symboliques complexes au Maghreb et au Machrek.

7). Le salafisme est un mouvement fondamentaliste musulman né dans les années 1920 qui prône le retour à une lecture littérale du Coran et de la Sunna. Il converge avec le wahhabisme, doctrine adoptée par la famille Al Saoud au XVIIIème siècle.

Michèle Vignaux, octobre 2020

La crise sanitaire du coronavirus, un fait éminemment géographique

La propagation du virus sur le globe © Andriy Onufriyenko / Coll. Moment – Getty

 

Dès le début de la pandémie de Covid-19, nous avons eu la conviction que la crise sanitaire actuelle représentait un fait éminemment géographique. Aussi en avons-nous rendu compte dans quelques articles publiés en mars dernier sur le site des Cafés géographiques : Réflexions géographiques sur la Chine et le coronavirus (7 mars 2020), L’efficacité de la gestion de crise du coronavirus dépend-elle du régime politique ? (18 mars 2020), La crise sanitaire du coronavirus est aussi une crise écologique (25 mars 2020). (Lire la suite…)

Une belle histoire de route dans les Ardennes

Le beau texte d’Amar Ounissi qui suit a été lu par son auteur devant les participants d’un voyage dans les Ardennes qui a eu lieu du 4 au 6 septembre 2020. Ce voyage a été organisé et préparé par Maryse Verfaillie, Marc Béteille et Michel Degré pour les adhérents de l’Association des Cafés Géographiques.

 

Le site de Revin, l’emplacement de « Passerelle théâtre » dont Amar Ounissi est le directeur. Source: https://www.gralon.net/mairies-france/ardennes/association-passerelle-theatre-revin_W081002113.htm

 

Et si je n’avais pas traversé la route ?

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Géorgiques contemporaines

Récemment je suis allée « à la ferme ». Une petite promenade d’une dizaine de minutes – je précise que j’habite Paris intra-muros – suivie d’une grimpette, non d’une colline, mais d’un escalier métallique et j’étais à pied d’œuvre.

Pour quelqu’un qui a longtemps vécu dans le monde d’avant, la « ferme » évoquait la campagne, les chemins boueux, les odeurs animales. Elle était peuplée d’agriculteurs qu’on appelait encore parfois « paysans ». Ses activités étaient étudiées par les géographes dans des Précis de géographie rurale qu’on ne pouvait confondre avec des Précis de géographie urbaine. Dans le monde d’aujourd’hui tous ces repères ont disparu. Paris, comme toutes les métropoles mondiales (la présence d’une journaliste de la BBC l’attestait), se doit de posséder ce qui était un oxymore devenu un must : une ferme urbaine.

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La crise sanitaire du coronavirus est aussi une crise écologique

 

C’est « la plus grave crise sanitaire » que la France affronte depuis un siècle. Cette crise, de dimension mondiale, n’est pas seulement sanitaire, elle est également économique et financière, et son volet politique ne saurait être négligé avec ses replis nationaux et l’absence d’une véritable coordination globale. Pour les spécialistes qui réfléchissent aux liens entre la biodiversité et la santé, derrière la crise du coronavirus, il y a, à l’évidence, une crise écologique qui est en rapport avec l’anthropisation croissante de la planète et la globalisation des échanges.

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L’efficacité de la gestion de crise du coronavirus dépend-elle du régime politique ?

Le Président chinois, Xi Jinping, en visite mardi 10 mars 2020 à Wu Han, la ville où s’est déclaré le coronavirus en décembre 2019 et qui est toujours en quarantaine (https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/Coronavirus-A-Wuhan-Xi-Jinping-garde-crier-victoire-2020-03-11-1201083349).

 

Depuis le 11 mars dernier, l’épidémie du Covid-19 est qualifiée de « pandémie » par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé). Les chiffres à ce jour : 6 000 morts, plus de 150 000 personnes contaminées, 120 pays affectés. Pour l’OMS, l’Europe est devenue l’épicentre de la pandémie avec la situation la plus préoccupante tandis que la Chine semble avoir contenu le coronavirus, même si le doute persiste sur la fiabilité des statistiques officielles du géant asiatique. Les autorités de Pékin n’hésitent plus à vanter les mérites de sa gouvernance autoritaire et cela d’autant plus qu’il y a du règlement de compte dans l’air. En effet, elles dénoncent les médias occidentaux, accusés d’avoir critiqué la Chine pour sa gestion de l’épidémie dans les premiers temps de la crise sanitaire. Mais les critiques ne viennent pas seulement des États-Unis, d’Europe ou d’Australie. Jeudi 12 mars, des rapports de scientifiques chinois ont été repris par les journaux de Hongkong. Selon ces travaux, le virus aurait été identifié dès le 17 novembre dans la province du Hubei, mais l’information aurait été cachée par les cadres du Parti communiste chinois. Beaucoup d’experts pensent toujours, en Chine comme en Occident, que la Chine a perdu au moins cinq semaines au moment où le coronavirus commençait son œuvre mortifère. La raison de ce retard à l’allumage serait liée à la nature même du régime chinois : « hypercentralisation de la décision politique, obsession du contrôle social, répression de la moindre espèce de dissidence, fût-elle médicale (Alain Frachon, Le Monde, 13 mars 2020). Aujourd’hui, trois mois après le début de la crise sanitaire, la visite de Xi Jinping à Wuhan a été suivie par des manifestations contre la vie chère et le manque de soutien de l’État alors que les habitants sont en quarantaine depuis deux mois. Cela n’empêche pas la presse chinoise de dénoncer la « propagande américaine » et de souligner l’efficacité du « socialisme à la chinoise » qui a permis de gagner la guerre contre le virus.

Est-ce à dire que du côté de la démocratie libérale la gestion de la crise est plus transparente et plus efficace ? On peut en douter quand on regarde du côté des États-Unis où la démocratie dans sa version « trumpienne », autrement dit un « populisme à tendance narcissique » (A. Frachon, Le Monde, 13 mars 2020), énonce d’abord des contre-vérités d’ordre climatique, puis accuse des boucs émissaires (les démocrates, l’Union européenne). Pourtant, républicains et démocrates de la Chambre des représentants se sont unis pour adopter un ensemble de mesures exceptionnelles : gratuité du dépistage, fonds fédéraux pour les frais de santé des Américains les plus modestes, accès facilité à l’assurance chômage… Au Royaume-Uni, après le choix controversé de « l’immunité collective », le gouvernement de Boris Johnson s’est décidé à prendre des mesures drastiques. En tout cas, selon Alain Frachon, éditorialiste au Monde, le Covid-19 met à mal les gouvernements, qu’ils soient autoritaires ou démocratiques.

 

Daniel Oster, 16 mars 2020

 

 

Réflexions géographiques sur la Chine et le coronavirus

Depuis son apparition à Wuhan (Chine) à la mi-décembre 2019, l’épidémie de coronavirus a beaucoup fait parler d’elle jusqu’à inquiéter aujourd’hui (6 mars 2020) le monde entier. Le coronavirus, nommé officiellement « covid-19 » par l’OMS, a déjà causé plus de 3 400 décès tandis que le nombre de 100 000 personnes infectées dans une soixantaine de pays va être dépassé ces jours-ci. Certains n’hésitent plus à parler d’une véritable psychose collective qui se répand largement grâce à la médiatisation planétaire et la puissance des réseaux sociaux. La France n’échappe pas à cette vague déferlante malgré la gestion raisonnée des pouvoirs publics. Il nous semble qu’une réflexion géographique, même succincte et parcellaire, a toute sa place dans le flot des innombrables commentaires de toute nature que le coronavirus suscite, ne serait-ce que pour mettre en évidence quelques simples faits spatiaux qui ne manquent pourtant pas d’importance.

Après le SRAS apparu en 2003, un nouveau coronavirus est parti de Chine en décembre 2019 pour ensuite se propager dans le reste du monde (Source: https://img.medscape.com/thumbnail_library/is_200117_china_map_800x450.jpg)

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L’impact du tourisme de masse sur les sites UNESCO

 

Pour l’INSEE, « le tourisme comprend les activités déployées par les personnes au cours de leurs voyages et séjours dans des lieux situés en dehors de leur environnement habituel pour une période consécutive qui ne dépasse pas une année, à des fins de loisirs, pour affaires et autres motifs non liés à l’exercice d’une activité rémunérée dans le lieu visité. » (https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1094)

 

L’activité touristique, en croissance continue depuis plusieurs décennies, constitue un atout majeur pour le développement économique. Il crée plus de 200 millions d’emplois/an à travers le monde et représente désormais 10% du PIB mondial. Cependant, le tourisme de masse excède parfois les capacités d’accueil de certains sites comme ceux du patrimoine culturel mondial de l’UNESCO. Dans ces cas de surexploitation, des impacts négatifs interviennent sur la société, l’environnement et la culture de ces destinations. Le tourisme comprend les activités déployées par les personnes au cours de leurs voyages et séjours dans des lieux situés en dehors de leur environnement habituel pour une période consécutive qui ne dépasse pas une année, à des fins de loisirs, pour affaires et autres motifs non liés à l’exercice d’une activité rémunérée dans le lieu visité.

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Le patrimoine naturel du Monténégro : défis touristiques et enjeux de préservation

Le Monténégro est un petit pays des Balkans dont l’essor touristique résulte en bonne part d’un riche patrimoine naturel. En même temps, il est l’objet de mesures de protection importantes depuis plus d’un demi-siècle : quatre parcs nationaux, sites classés à l’UNESCO, etc.

L’intérêt du sujet réside dans les liens ambigus entre l’essor touristique, devenu très important depuis deux décennies, et la protection du patrimoine naturel. Le développement de cette protection attire une clientèle touristique avide de milieux préservés mais, parallèlement, l’afflux touristique occasionne diverses atteintes du patrimoine naturel qui nécessitent des mesures de protection susceptibles de contrôles les flux de visiteurs

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Les militaires et le changement climatique

Le changement climatique provoque partout dans le monde des analyses et des remises en question qui n’épargnent pratiquement aucun domaine. Le secteur militaire n’échappe pas à la règle. Les dirigeants politiques créent des instances de réflexion et de recherche pour mesurer l’impact du dérèglement climatique sur l’outil militaire et adapter le rôle des armées aux nouveaux défis environnementaux. En 2015, le chef d’état-major des armées françaises soulignait que les effets des changements climatiques risquaient d’accroître la nature des missions confiées aux forces armées ainsi que leur volume. Début 2019, un amiral américain déclarait devant la Commission des armées du Sénat que le changement climatique allait probablement alimenter des troubles sociaux et pourrait même menacer certaines bases militaires américaines. Le 29 août dernier, à Helsinki, les ministres de la Défense de l’Union européenne se penchaient pour la première fois sur les liens entre défense et changement climatique.

Les interventions vont davantage être orientées vers des opérations de sécurité civile en lien avec les catastrophes naturelles (Source: ministère des armées)

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Trieste, du déclin à la renaissance ?

La ville de Trieste aujourd’hui. Au premier plan, le Grand Canal construit au XVIIIe siècle qui a permis l’entrée des bateaux au cœur de Trieste. (https://www.lepoint.fr/voyages/trieste-concentre-de-culture-22-03-2011)

 

Situé au pied des Alpes dinariques sur la mer Adriatique, le port de Trieste fut longtemps le principal débouché méditerranéen du Saint-Empire romain germanique puis de l’Empire austro-hongrois. L’histoire complexe de la ville s’explique par une position en Europe au carrefour des influences latine, germanique et slave. La fondation romaine (Tergeste), la rivalité avec Venise, l’installation de nombreux juifs après 1492, l’intégration dans l’Empire des Habsbourg (port franc en 1719), constituent quelques étapes marquantes de cette histoire.

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La tour qui ne prend pas garde…

 

La Tour Jean sans Peur à Paris © Michèle Vignaux

 

Paris n’aime pas les tours. Elle adule son caractère haussmannien et se méfie de toute construction qui dépasse les six étages. Les tours du XIIIème arrondissement sont considérées comme médiocres et tout projet de tour nouvelle, même proche du périphérique, suscite les pétitions indignées des riverains et de tous « les amoureux de la capitale ».

Bien sûr il y a des exceptions. Il y a celle qui se hausse du col au milieu du Champ de Mars, exploit d’ingénieur et non œuvre d’architecte, aussi célèbre que les pyramides égyptiennes malgré son jeune âge (moins d’un siècle et demi). Il y a aussi la Tour Saint Jacques, ni très haute, ni très large, mais qui a su faire de la place autour d’elle. La tour Montparnasse n’a d’attrait que pour les clients du restaurant du dernier étage. On ne parlera pas des tours de La Défense… des banlieusardes.

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Reconstruire Notre-Dame-de-Paris. Comme les arbres, les foules monteront-elles jusqu’au ciel ?

© Studio NAB. Le projet imaginé par le studio d’architecture NAB. (Studio d’architecture NAB)

 

Il ne fallait pas attendre bien longtemps pour voir les grandes signatures de l’architecture se manifester pour la reconstruction de Notre-Dame. C’est un peu comme Le Corbusier sous les bombes de la débâcle en 1940 qui rêvait du réaménagement de la France.

Au-delà des Anciens et des Modernes, je note l’intérêt évident de « touristifier » la toiture du bâtiment en en faisant un point d’attraction, alors que la charpente avait surtout l’objectif de porter la très lourde toiture en plomb. Là où seuls les artisans et ceux qui ont entretenu “la forêt” étaient présents sous l’œil de Dieu, on va convoquer les foules.

La transparence s’impose dans notre modernité, comme pour la coupole du Reichstag, à un moment où le Ciel lui-même est devenu bien transparent. Pourquoi alors ne pas faire monter la Terre au Ciel ? diront certains, avec l’engazonnement des toitures, ou faire pousser une forêt, cette fois au sens propre dans les combles de l’édifice. A mon avis, un peu déplacé. Pourquoi ne pas imaginer une biblique arche de Noé ? Sans doute un peu étroit pour accueillir toutes les espèces menacées de disparition.

Dans les symboles, le choix collectif ou présidentiel de la reconstruction va être intéressant : va-t-on déifier l’Histoire, la Technique, l’Environnement … le Touriste ? Quelle place alors pour le Religieux, même si c’est bien l’Etat laïc qui est aux commandes et qui risque de faire peu de cas de la théologie, sinon la sienne ?

La transparence est bien la clé de ce XXIème siècle débutant, pas étonnant qu’il s’invite dans les hauts lieux de notre patrimoine : un plaisir scopique et un programme politique, voire technologique avec l’ouverture des données publiques et personnelles.

Mais peut-on opposer transparence et consistance ? Ce serait trop simple.  Le débat qui s’ouvre après les porte-monnaie va s’avérer passionnant et révélateur.

 

Antoine Beyer, avril 2019

 

 

Amour et colère de Roland Castro pour le Grand Paris

Dans une récente intervention à la Fondation Jean Jaurès, Roland Castro a usé de toute sa fougue pour dévoiler quelques points forts du rapport qu’il a remis au président de la République, il y a quelques mois, sur le projet du Grand Paris. Tout l’humanisme de ce texte est contenu dans son joli titre à la Prévert : « Du Grand Paris à Paris en grand ».[1]

Pour l’architecte passionné qui se définit comme « un artiste égaré en politique urbaine », la dernière pensée urbaine est celle des Jauressiens, telle qu’elle s’est exprimée lors du Front Populaire, dans les cités-jardins par exemple. A la situation dégradée actuelle de la métropole parisienne, il donne deux raisons principales.

La première repose sur un réquisitoire sévère contre Le Corbusier, architecte génial mais « penseur assassin », dont la Charte d’Athènes qui instaure un zonage de la ville entre quatre fonctions (habiter/travailler/recréer/circuler), est baptisée « totalitaire ».

La seconde tient à la suppression du département de la Seine en 1964, qui casse le système permettant une sorte d’unité entre communes pauvres et communes riches. Cette fois c’est la pensée technocratique de Paul Delouvrier, promoteur des villes nouvelles oublieuses de la géographie, qui est accusée.

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Choses vues boulevard Saint-Germain, à Paris, samedi 1er décembre 2018, 14 h

Paris, Boulevard Saint-Germain, samedi 1er décembre 2018 (Cliché Michel Giraud)

Ils arrivent ! Le temps de tourner la tête, ils sont là, peut-être une trentaine, à tout casser. Non pas qu’ils cassent tout d’ailleurs, ces gilets jaunes : ils déplacent et renversent une roulotte de chantier. Un restaurateur tente bien de s’interposer, mais il est vite repoussé : « vous êtes pour le gouvernement ! », lui lance une jeune femme bien remontée. En quelques instants, le boulevard Saint-Germain est barré, dans une atmosphère de relative tranquillité. Nous sommes loin, très loin de l’avenue des Champs-Élysées, où le ministère de l’Intérieur comptait bien parquer la « peste brune »i. Loin, très loin de la police, des CRS, des grenades lacrymogènes. Égarés rive gauche, entre la montagne Sainte-Geneviève et Jussieu, ces « Gaulois réfractaires au changement »ii progressent sans slogan ni banderole, mais avec tout l’équipement réglementaire du « séditieux »iii de base : masque de plongée, masque anti-pollution, lampe frontale, sac à dos bien lesté, drapeau français. Sans même un regard vers les immeubles haussmanniens, ils s’en vont du côté du jardin des Plantes. Le restaurateur aidé de quelques riverains s’emploie déjà à remettre la baraque sur ses roues et sur le bas-côté. Et le trafic automobile reprend, à peine interrompu. Mais lundi, quel chantier découvriront les ouvriers à l’intérieur de la roulotte ?

Michel Giraud, 4 décembre 2018

i – Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, le 25 novembre 2018, lors de l’émission le Grand Jury RTL, le Figaro, LCI : “Ce ne sont pas les ‘gilets jaunes’ qui ont manifesté, c’est la peste brune. Ce n’est pas parce que vous mettez un ‘gilet jaune’ que vous ne portez pas une chemise brune en dessous“.
ii – Emmanuel Macron, président de la République française, le 29 août 2018.
iii – Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, le 24 novembre 2018.

Bannir simplismes et caricatures pour comprendre le mouvement des « gilets jaunes »

 

 

Ce petit texte est né de l’exaspération suscitée par les doctes assertions de plusieurs figures médiatiques sur l’état de la société française alors même que bien souvent elles ne font qu’asséner des schémas simplistes, voire caricaturaux. L’autre raison de son écriture, intimement liée à cette exaspération, est de contribuer à la diffusion d’un remarquable article[1] du géographe Aurélien Delpirou démontrant avec grande rigueur qu’en réalité le mouvement des « gilets jaunes » « ne reflète pas une France coupée en deux, mais une multiplicité d’interdépendances territoriales ».

Aurélien Delpirou n’a pas la prétention d’expliquer à chaud tous les enjeux qui se mêlent dans ce mouvement plus complexe qu’il n’y paraît. Il se contente de chausser les lunettes du géographe pour exploiter au mieux les différentes sources d’information à sa disposition (voir les notes de bas de page et la bibliographie des références utilisées). Pour cela il a choisi de répondre à quatre questions qui apparaissent comme autant de pistes explicatives, toutes bâties sur des oppositions binaires, « entre villes et campagnes, entre centres-villes et couronnes périurbaines, entre bobos et classes populaires, entre métropoles privilégiées et territoires oubliés par l’action publique ».

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Au commencement était le créateur ?

Un mardi midi dans le Quartier Latin à Paris. Cliché S. HERRMANN, octobre 2018

Les « géographies des sexualités ne s’attachent pas à la seule définition d’un nouveau thème de recherche, à savoir la dimension spatiale de la sexualité. Elles s’intéressent à la façon de « faire géographie », aux concepts, démarches et méthodologies utilisés au sein de la discipline et souhaitent contribuer à la redéfinition des pratiques et au renouvellement de la pensée géographique et du changement social. » (Duplan, 2012).[1] L’émergence d’une légitimité scientifique des questions du genre et des sexualités au sein de la géographie française a été tardive, en dépit des apports anglo-saxons à la recherche.  Le « sentiment de déterritorialisation des questions du genre » (Gui Di Méo, 2012) observé par certains géographes ou celle de la « dilution » dans d’autres domaines des sciences sociales (Marius et Raibaud, 2013) posent souvent la question de la légitimité géographique du sujet. Les liens possibles entre ces géographies et les travaux de la géographie française sous l’influence de la mouvance postmoderne, méritent pourtant attention.  Elles reflètent les questionnements et l’épistémologie à l’œuvre dans le champ de la géographie actuelle. Tant les démarches que les outils se rattachent à ceux de la géographie. Le texte suivant n’est ainsi pas exempt d’une dimension multi-scalaire et évoque plusieurs échelles micro-géographiques : abordant d’abord l’espace par le biais du quartier puis de la rue, le prisme se refermant sur l’échelle micro-locale de la Sorbonne. L’observation de l’espace public au prisme du genre est intéressante de ce point de vue. Si ce texte n’a pas vocation de remise en cause, il s’agit cependant  d’inciter à la réflexion et la déconstruction de la fabrique de l’urbain.

Paris, le Quartier Latin, sa myriade d’étudiants, ses Universités. En face de l’entrée -solennelle, majestueuse – d’un des susdits bâtiments historiques, le nouveau logo de Sorbonne Université trône. Rien de bien étonnant donc dans ce paysage parisien. Et pourtant, donnons-nous un instant la peine d’analyser ce visuel offert aux regards de tout un chacun dans l’espace public. On peut lire « SORBONNE UNIVERSITE Créateurs de futurs depuis 1257 ». Le travail graphique que l’on peut observer avec le choix des majuscules capitales en gras fait ressortir le nom intemporel « Sorbonne ». Il est porteur de l’identité et de la marque de l’université, rayonnant aussi bien en France qu’à l’international. De même, le choix d’intégrer la coupole de la Sorbonne symbolise une référence historique forte. Mais l’élément le plus signifiant dans le logo est le slogan en dessous. Il donne un éclairage intéressant sur l’invisibilisation de la reproduction des normes de genre.  Cette question de la reproduction des normes de genre dans l’espace public, héritée des réflexions sur la dichotomie de l’espace entre Homme/Femme et Public/privé se renouvelle dans les années 1990 avec la question de savoir comment l’hétéronormativité influence l’espace public. L’espace public et a fortiori les espaces urbains sont conçus selon les normes hétérosexuelles. La géographie avec le genre comme catégorie d’analyse s’attache à « expliciter les transcriptions spatiales des systèmes de relations hiérarchisées entre hommes et femmes » et à montrer que « … les espaces et les lieux, tant sociaux que matériels, ont été socialement construits de façon à refléter et à renforcer l’inégalité des rapports sociaux de sexe » (Dias et Blecha, 2007).

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Billet d’humeur. Brevet 2018 : une géographie simpliste et parisiano-centrée !

A l’épreuve d’histoire-géographie du brevet 2018, cette carte de France a été fournie aux candidats qui devaient la colorier et la compléter. Sans s’embarrasser de subtilité (on est au brevet !), la France métropolitaine est ici divisée en deux catégories elles-mêmes subdivisées en deux. Hormis les territoires ultramarins, la France se retrouve donc divisée en quatre ! La géographie est vraiment une merveille de simplicité ! Que ceux qui ont de mauvais souvenirs avec l’apprentissage des départements se réjouissent, aujourd’hui tout est limpide ! Cependant certains s’interrogeront sur l’utilisation des termes territoires et espaces : pourquoi les uns sont dynamiques alors que les autres sont en difficulté ? On pourra même se demander quelle logique préside à l’insertion d’un terme ou de l’autre dans la légende de la carte…

Que la France est simple, vue d’un bureau parisien ! Les habitants de Dieppe -ville de Seine maritime où le taux de chômage est supérieur à 20%- seront ravis d’apprendre qu’ils font partie du coeur économique du pays ! Ceux de Tours ou du Mans seront surpris de savoir qu’ils sont dans des espaces ruraux mal reliés (un espace rural peut-il d’ailleurs être bien relié ?) : ces deux villes, situées à des carrefours autoroutiers, sont pourtant desservies par des lignes de TGV qui les mettent à une heure de Paris ! Enfin, le département du Gers (chef-lieu Auch !!) appartient aux espaces périphériques dynamiques : en toute logique, les élèves devraient y trouver plus tard sans difficulté un emploi sur place.

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Rencontres en prison

Je suis allée en prison… de mon plein gré… et pendant quelques heures. Il n’est donc pas question ici de faire une analyse, ni même de donner un avis motivé sur l’univers carcéral. Des sociologues, psychologues et même géographes ont fait ce travail (voir la belle thèse d’Olivier Milhaud publiée chez CNRS Editions en 2017, Séparer et punir. Géographie des prisons françaises). Le but de ce petit texte est de transmettre quelques impressions ressenties lors d’une rencontre avec des détenues dans le cadre d’une expérience culturelle qu’elles ont suivie pendant un an. La prison, c’est certainement le surpeuplement, la promiscuité, des conditions matérielles et psychologiques souvent dégradantes, mais ce peut être aussi autre chose.

Le centre de détention de Réau est situé non loin d’une autoroute, au voisinage d’une banlieue banale de Seine et Marne. De loin on pourrait le prendre pour un centre de vacances avec ses bâtiments de moyenne hauteur, aux murs jaunes, enserrant des cours intérieures. Le bâtiment est récent (il a été inauguré par le président Sarkozy) ; aussi ne souffre-t-il pas de la vétusté de la plupart des prisons françaises.

Réau comprend une centrale pour les hommes condamnés à de longues peines et une partie réservée aux femmes qui y purgent de longues ou courtes peines (le faible pourcentage des femmes dans la population carcérale ne justifie pas de faire la distinction).

La coordinatrice culturelle qui introduit notre petit groupe à l’intérieur des murs, explique rapidement quelles sont les activités offertes aux détenu.e.s pour faciliter leur réinsertion future. Formations professionnelles et cours dispensés par l’Education nationale permettent à des gens dont le niveau varie de l’analphabète au doctorant d’acquérir un diplôme à leur sortie. Plusieurs activités culturelles (théâtre, arts plastiques…) sont aussi proposées. Seule une minorité souhaite y participer, mais, ici comme « au-dehors », la proportion des femmes est trois fois supérieure à celle des hommes.

Nous ne sommes pas à Réau pour suivre une conférence sur le monde pénitentiaire, ni pour faire une visite guidée, mais pour rencontrer des femmes, non parce qu’elles sont prisonnières mais parce qu’elles ont sculpté la terre pendant un an pour exprimer leurs émotions et que leurs réalisations sont exposées au cœur de la prison. L’artiste Marion Lachaise, plasticienne et vidéaste, a guidé ce travail et fait une vidéo, Antiportraits à Réau (2017), dans laquelle images et voix se combinent pour laisser entrevoir les personnalités des huit femmes qui ont participé à l’expérience. Leur parole accompagne la projection de leurs créations sur lesquelles se superposent un œil, un sourire, le coin d’une joue.

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La crise du Golfe 2017, un point névralgique de rivalités géopolitiques et multiscalaires

La crise du Golfe débute officiellement le 5 Juin 2017. L’Arabie Saoudite, l’Egypte, les Emirats-Arabes-Unis, le Bahreïn et le Yémen décident conjointement de rompre leurs relations diplomatiques avec le Qatar. Ce petit pays, au rayonnement important sur la scène internationale, est accusé d’entretenir des relations trop étroites avec l’Iran, grande rivale de l’Arabie Saoudite pour le leadership régional, et de soutenir des groupes politiques d’obédience religieuse comme les Frères Musulmans, bête noire de l’Egypte du maréchal Sissi. Des Etats comme le Koweït ou Oman, restés neutres dans cette affaire, candidatent au rôle de médiateur, sans résultat probant.

Cette crise a pour conséquence directe la mise sous embargo de l’émirat qatari, avec entre autres la fermeture de son unique frontière terrestre avec un pays voisin, l’Arabie Saoudite. Doha parvient à contourner le blocus, qui frappe notamment de plein fouet le secteur alimentaire, grâce à l’aide de l’Iran et de la Turquie. Le Qatar n’a jamais été réellement proche du voisin iranien. Dans une politique d’ouverture générale, les qataris ont toujours prôné le dialogue et l’apaisement des relations avec Téhéran. L’Iran reste cependant un allié de circonstance pour le Qatar qui cherche à s’extirper de l’isolement diplomatique dans lequel il est englué. Pour ce qui est de la Turquie, les relations remontent aux années 1970 et sont plus solides.

L’Arabie Saoudite souhaite s’imposer comme la première puissance de la région. Elle s’appuie sur sa centralité, ses importantes ressources en matière première et son influence internationale sur le plan religieux. Le Conseil de Coopération du Golfe, créé initialement pour se prémunir de l’instabilité courante au Moyen-Orient, est aujourd’hui utilisé par l’Arabie Saoudite pour assoir sa domination sur ses « petits » voisins. La concurrence de l’Iran incite l’état saoudien à se doter d’un important arsenal militaire et à soutenir en sous-main des groupes djihadistes sunnites comme l’Etat-Islamique. L’Iran soupçonne d’ailleurs très fortement son voisin saoudien pour l’attentat qui a touché sa capitale et fait 23 morts le 7 Juin 2017. Téhéran s’appuie également sur un arsenal militaire conséquent, notamment des armes nucléaires. L’Iran ne cache pas son ambition d’étendre son modèle d’islam politique à tout le Moyen-Orient. Elle peut se targuer d’être la figure de proue de nombreuses communautés chiites au Liban, en Syrie, en Irak ou à Bahreïn. Ce qu’on nomme souvent le « croissant chiite » est une invention, plutôt exagérée, du roi jordanien utilisé par ce dernier et l’Arabie Saoudite pour justifier la menace chiite.

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La pax sinisensa

Le mercredi 29 novembre 2017, s’est tenu à la Maison de la Mutualité un colloque intitulé « Les Nouvelles Routes de la Soie ». Il était organisé par l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) et l’Ambassade de Chine. Le petit texte ci-dessous n’est pas un compte rendu des communications qui y ont été données, mais une réaction subjective à quelques propos entendus.

Détail d’une carte nautique catalane représentant l’Asie du XIIIe siècle, Majorque, 1375, Bibliothèque Nationale de France, Paris (www.lemonde.fr)

Les villes historiques de Mésopotamie sont détruites  les unes après les autres par des bombes, des massacres ethniques ravagent le sud-Soudan, la menace nucléaire est régulièrement brandie par la Corée du Nord….Face au chaos du monde, l’ONU n’émet que quelques timides recommandations et les objurgations des Grandes Puissances restent vaines. Faut-il désespérer ?

Non. Une solution existe. C’est le « remède chinois ». Après la  Pax romana, limitée au monde méditerranéen, et la  Pax americana  qui voulut imposer un ordre mondial à son profit,  la  Pax sinisensa  va rééquilibrer la mondialisation économique, défendre le multilatéralisme et construire les infrastructures dont le manque est un « piège à pauvreté ». Quelques grands principes chinois encadrent ce beau programme dont le « dialogue politique », l’« esprit de construction », le « gagnant-gagnant », la « consultation »…L’ « esprit inclusif » (savoir dialoguer) des Chinois devrait rassurer tous ceux qui émettraient  quelques inquiétudes à l’encontre des intentions chinoises.

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Une publicité pour une destination touristique ensoleillée dans le métro parisien : sous la lumière, des ombres.

 

Publicité à destination des populations qui fréquentent le métro Denfert-Rochereau.
Photographie prise par Emilie Viney, 3 octobre 2017.

Le slogan publicitaire est le suivant : « Envie de plaisirs méditerranéens. Valencia, là où le soleil brille 300 jours par an ». « Vol Paris Valencia, 2H, Vols 7 jours sur 7 ».

Le but de la publicité est de vendre aux Parisien.ne.s qui fréquentent le métro une destination touristique. Dans « les  heures souterraines »[1] qui animent nos parcours journaliers dans le métro, que cherche à nous dire le message publicitaire ? Avec quels registres du discours fraye cette publicité ? Pourquoi, dans l’ombre du métro, les publicités des destinations ensoleillées peuvent-elles avoir des relents coloniaux ?

Que voit-on sur la photographie qui vante la destination de « Valencia » ? Au premier plan, un homme et  deux femmes. L’homme à la peau blanche est debout, porte une chemise blanche, des lunettes de soleil, une barbe et a les mains sur le volant d’un bateau à moteur. Il sourit mâchoire serrée. Il semble, derrière ses lunettes, regarder vers nous.

A la gauche de l’homme, une femme à la peau blanche se tient debout en position plus basse que l’homme. Elle porte une veste violette ouverte et un t-shirt blanc. Elle a les cheveux détachés et rit la bouche ouverte, dents visibles, en tenant d’une main une boisson jaune pétillante et de l’autre main sa veste en-dessous du sein. Son visage est tourné vers le côté en direction de l’autre femme et de l’homme.

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La Pologne face aux enjeux de mémoire

Le nouveau Musée de la Seconde Guerre mondiale inauguré à Gdansk (Pologne) en janvier 2017 (AFP PHOTO / Wojtek RADWANSKI/ www.huffingtonpost.fr)

A plus d’un an du centenaire de l’indépendance de la Pologne (proclamée le 11 novembre 1918), le gouvernement nationaliste du parti Droit et Justice (PiS) de Jaroslaw Kaczynski, au pouvoir depuis novembre 2015, entend profiter de l’occasion pour imposer sa vision de l’histoire et exploiter à son profit le sentiment patriotique des Polonais. La controverse née autour du nouveau Musée de la Seconde Guerre mondiale, construit à grands frais à Gdansk, illustre les enjeux politiques autour des questions de mémoire. Depuis la chute du communisme en 1989, la Pologne regarde son passé avec un immense intérêt ce dont témoigne par exemple, la prolifération des lieux de mémoire et des musées à visée mémorielle[1].

La question des relations judéo-polonaises

Après 1945, les nouvelles autorités polonaises sont amenées, pour légitimer leur pouvoir, à insister sur les souffrances de la nation polonaise tandis que le sort des Juifs pendant la guerre est occulté pour l’essentiel. C’est seulement dans les années 1980 qu’un débat public est engagé sur la responsabilité des Polonais à l’égard de leurs concitoyens juifs pendant la guerre. La diffusion d’extraits de Shoah, le film de Claude Lanzmann, à la télévision polonaise en 1985, contribue à l’émergence de ce débat. Mais il faut attendre la parution, en 2001, du livre de l’historien américain d’origine polonaise, Jan Tomasz Gross, Les voisins. Un pogrom en Pologne, 10 juillet 1941[2], pour donner toute son ampleur au débat national. Le thème juif occupe désormais une place essentielle, suscitant nombre d’investigations scientifiques et un déploiement mémoriel multiforme qui culmine avec l’édification du Musée d’Histoire des Juifs de Pologne, inauguré en 2014 à l’emplacement même de l’ancien ghetto de Varsovie.

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Le populisme, la géographie et la littérature

Nigel Farage, Marine Le Pen, Donald Trump, Vladimir Poutine
Photos de John Thys AFP, Geoffroy Van der Hassel/AFP, George Frey/Getty Images/AFP

Le populisme avance à marche forcée dans l’Occident développé, y compris sur des terres que l’on pensait allergiques aux discours des Le Pen, Trump et consorts. A la fois symptôme d’une détresse réelle et expression d’une illusion, il répond de façon simpliste et perverse aux difficultés des démocraties occidentales installées parfois depuis très longtemps en France, en Europe, aux États-Unis. Certains “experts” proclament déjà avec assurance que le XXe siècle a été le siècle des totalitarismes et que le XXIe siècle sera celui des populismes. Pourtant, il est encore temps de comprendre et de faire comprendre la nature profonde de ce phénomène politique qui assure vouloir sauver… la démocratie et les droits sociaux ! Dire la vérité en usant de raison et de pédagogie n’est-il pas le meilleur moyen de dissiper les artifices des faux-semblants populistes et ainsi dévoiler la réalité qui seule devrait déterminer les positionnements citoyens ?

Le populisme contemporain dans l’Occident développé

D’abord, tenter d’y voir clair dans l’émergence et la caractérisation du populisme en exploitant les travaux des historiens et des politistes. Concept vague et mouvant, le populisme a pris au cours de son histoire différents visages qui ont en commun l’exaltation du peuple. On ne s’attardera pas sur les premiers populismes apparus à la fin du XIXe siècle en Russie, en France et aux États-Unis. On se limitera à interroger le populisme contemporain des sociétés prospères d’Europe et d’Amérique du Nord, celui qui est incontestablement corrélé au dernier avatar de la mondialisation depuis les années 1980 et en plein essor depuis la crise de 2008.

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De l’utilité de la géographie pour comprendre le nouveau monde

Les victoires électorales de Donald Trump et du Brexit en 2016 annoncent-elles la fin de la mondialisation ? (Source : lesechos.fr)

L’année 2016 a enregistré des résultats électoraux inattendus dans plusieurs grands pays développés dont les plus retentissants sont l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis et la victoire du Brexit au Royaume-Uni. Parallèlement, plusieurs ouvrages récents annoncent ou espèrent la fin de la mondialisation comme ceux de François Lenglet, Jacques Sapir et Arnaud Montebourg[1]. De son côté le journal Le Monde a cherché à y voir clair en publiant une riche enquête sur la mondialisation (6 articles) en juillet 2016. L’éditorial du même journal publié le 14 novembre 2016 préfère dénoncer le fantasme de la “démondialisation”. Toujours est-il que les réalités du monde contemporain changent vite, surtout depuis la crise financière de 2008-2009. Un “nouveau monde”[2] se met-il en place ? D’une manière plus précise, l’hebdomadaire Le un titre son numéro 136 du 4 janvier 2017 Vers la fin du monde démondialisé ? Dans ce numéro passionnant un géographe, Michel Foucher, pense que “la démondialisation qui s’amorce est en réalité une désoccidentalisation de la mondialisation” tandis que l’écrivain Erik Orsenna prescrit “la géographie comme remède au simplisme politique et aux folies mercantiles”.

Quatre cycles de mondialisation selon Michel Foucher

Pour notre part nous avons publié ici même deux articles cherchant à faire une synthèse de la mondialisation contemporaine (http://cafe-geo.net/la-mondialisation-contemporaine-12/ ; http://cafe-geo.net/la-mondialisation-contemporaine-22/). Nous conseillons également la lecture du petit livre concret et rigoureux de Romain Leclerc Sociologie de la mondialisation paru en 2013 dans la collection Repères des éditions de La Découverte. Une autre lecture intéressante : le numéro 364 de janvier 2017 actuellement en kiosque de la revue Alternatives économiques avec pour titre La fin de la mondialisation ?[3]

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Jean-Pierre Raison (1937-2016)

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Jean-Pierre RAISON nous a quittés. Il nous avait rejoints une dernière fois aux Cafés-géo, lors d’un repas en décembre 2014, dans un de nos « restau-géo », malgache en l’occurrence, qu’avait animé Françoise, son épouse, spécialiste de l’histoire contemporaine de Madagascar. Tous deux avaient vécu plus de huit ans à Madagascar et sa thèse « Les hautes terres de Madagascar et leurs confins occidentaux. Enracinement et mobilité des sociétés rurales », publiée en 1984 a constitué un des travaux majeurs de la géographie tropicale de langue française, dans la lignée de Paul Pélissier qui fut son maître et inspirateur, et de Gilles Sautter. Depuis 1989 il avait été mon collègue au Département de Géographie de Nanterre, dont aux Cafés-géo nous avons accueilli bien des géographes qui étaient tous ses élèves : Alain Dubresson, Philippe Gervais-Lambony, Frédéric Landy, Emmanuel Lézy, Sophie Moreau.

Jean-Pierre RAISON avait acquis  de la société malgache une connaissance intime dont je peux témoigner moi qui ai eu la chance de le suivre dans le dédale des sentiers qui relient les villages de Hautes Terres. « Le géographe est forcément un sensuel » disait Jean-Pierre dont la curiosité était sans limites.

Au-delà de ce terrain, Jean-Pierre Raison avait été un acteur très important des débats et remises en cause qui ont animé la géographie tropicale de langue française à partir de 1960.

Un livre d’évocations, d’hommages, de souvenirs, dont le ton inattendu, est celui d’une « autre géographie » est fortement recommandé à tous : « Les raisons de la géographie, itinéraires au Sud avec Jean-Pierre Raison » Karthal, 2007                                             

Michel Sivignon  Le 21/07/2016

Alain Dubresson, son continuateur à Nanterre,  nous a autorisés à reproduire le texte qui suit.

Jean-Pierre Raison, professeur émérite de Géographie, nous a quittés dans la nuit du 16 au 17 juillet 2016. Il s’est éteint sur le sol du Livradois auquel le liait une profonde passion, partagée avec les hautes terres malgaches et les campagnes africaines. Né le 8 août 1937, ce « sédentaire contrarié », comme il s’est défini lui-même, n’a cessé de pratiquer d’incessants va-et-vient entre les institutions d’une part et ses terrains de prédilection d’autre part.

Ancien élève de l’École Normale Supérieure (Ulm) de 1957 à 1962, reçu premier à l’agrégation de Géographie en 1961, il débute sa carrière d’enseignant au Lycée Eugène Fromentin à La Rochelle. En 1964, détaché à l’Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre-mer (ORSTOM, aujourd’hui Institut de Recherche pour le Développement, IRD), il est affecté à Tananarive et y devient chef de la Section de Géographie. Nommé en 1977 Directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), il prend en charge la chaire de géographie des petits espaces ruraux. Mis à la disposition du ministère des Relations extérieures après 1981, Jean-Pierre Raison devient sous-directeur de la Recherche et de l’Information scientifique, puis il est élu professeur à l’université de Paris X-Nanterre (chaire de géographie tropicale) en 1989. Il y exerce les fonctions de Directeur adjoint de l’UFR SSA et de responsable pédagogique du premier cycle et dirige le laboratoire Géotropiques (EA 375) de 1997 à 2001.
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Le terrorisme frappe les hétérotopies

Quoi de commun entre la plage de l’hôtel de Sousse en Tunisie, la salle de concert du Bataclan à Paris, l’aéroport de Bruxelles en Belgique, le site de Palmyre en Syrie ou encore la discothèque gay d’Orlando en Floride ? Le terrorisme frappe-t-il au hasard ou n’y a-t-il pas dans ces lieux quelque chose de commun ?

Relire Michel Foucault peut permettre de répondre à ces interrogations. Lors d’une conférence au Cercle d’études architecturales donnée en 19671, Foucault fonde le concept d’« hétérotopie »2. Il distingue ainsi des lieux qui se différencient des autres car ils fonctionnent comme des « contre-espaces », des utopies localisées comme, par exemple, la tente d’indiens dans le grenier ou le lit des parents occupé par les enfants, mais aussi les clubs de vacances, les musées, les bibliothèques ou encore les bateaux. Ces hétérotopies se logent donc dans l’espace privé ou public, des espaces de l’intime ou de l’extime3.

Ces hétérotopies ont alors un autre fonctionnement : les groupes sociaux y agissent suivant des règles qui ne répondent plus ou plus totalement à celles qui peuvent s’exercer dans les espaces environnants. Dans ces espaces, les comportements sociaux et corporels sont modifiés.

Foucault explique que ces lieux servent en quelque sorte à « effacer, neutraliser ou purifier » les autres espaces. Dit autrement, les espaces fonctionnent comme des soupapes : expressions des sentiments et des émotions qui sont normés habituellement et contrôlés dans les espaces du quotidien.

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Une géographie de Marseille par Massilia Sound System

Souvent raillée, la géographie des œuvres culturelles a de nombreux détracteurs, qu’ils considèrent au mieux comme sympathique mais inutile. Il me semble au contraire que géographie et musique font bon ménage. Olivier Milhaud, au FIG de 2015, a analysé 3 chansons pour introduire à un large public la démarche géographique de manière très pédagogique. Le zoo de Vincennes (Bénébar), Telegraph road (Dire Straits) et Supplique pour être enterré à la plage de Sète (Brassens) deviennent sous l’œil du géographe : milieu, espace, territoire, les 3 « paradigmes » de la discipline. Cela m’a fait penser à une chanson, travaillée dans le cadre du sujet « Mers et Océans » pour la préparation aux concours de l’enseignement en 2014-2015.

Qu’elle est bleue, de Massilia Sound System (1993)*, peut être écoutée en géographe mais il me semble qu’elle justifie également une méthode géographique. Les couplets de cette chanson ressemblent (presque) à une dissertation d’agrégatif, avec un plan : 1-Milieu, 2-Espace, 3-Territoires. Nous avons donc ici une œuvre culturelle, issue de non-géographes, qui fait un tableau de Marseille comme un géographe. Ces « Messieurs Jourdain » de la géographie donnent du poids à la démarche géographique, qui est utile et utilisée hors du champ scientifique.

1er couplet : le milieu naturel

Description rapide de l’écosystème marin, hors de toute influence humaine. C’est la mise en place d’un « cadre naturel » immuable, avec des poissons, la dimension verticale du milieu marin, la chaîne alimentaire… Vision naïve d’une nature éternelle, que les hommes se doivent de respecter.

Pour le géographe, cela renvoie à une géographie dépassée. Une analyse de la biocénose comme s’il n’y avait pas d’êtres humain. L’opposition entre nature et culture qui transparaît dans ce couplet n’est plus considérée comme valable dans la  géographie actuelle. C’est donc un premier couplet de géographe physicien d’il y a 50 ans.

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Un bel éloge de la géographie
Le philosophe Michel Serres (Sourc:e http://www.culturebox.francetvinfo.fr)

Le philosophe Michel Serres
(Sourc:e http://www.culturebox.francetvinfo.fr)

Il aura fallu l’édition opportune1 de certaines chroniques que le philosophe Michel Serres dit à France Info le dimanche pour que je lise cette belle définition de la géographie.

“Le géographe est le pontife2, celui qui fabrique un pont entre l’histoire des peuples, portée par les sciences humaines, et l’environnement global de la planète, porté par les sciences dures. (…)

La plupart d’entre nous sont devenus des animaux d’appartement, des animaux de ville. Aujourd’hui, les médias parlent de politique3, c’est-à-dire de la ville. Et d’une certaine manière, les relations entre les hommes opposent ou relient les hommes avec les hommes, comme si c’était un jeu à deux. Les hommes contre les hommes – les riches, les pauvres ; la droite, la gauche, etc. (…)

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La France bousculée par la mondialisation. Mieux comprendre pour agir.

2015, annus horribilis pour la France. Les attentats de Paris en janvier et novembre, la crise des migrants, le chômage au plus haut, la forte poussée du Front National aux élections départementales et régionales, les interventions militaires en Afrique et au Moyen-Orient, les catastrophes climatiques…Des drames, des angoisses, des inquiétudes qui affectent la société française dans son ensemble, d’où la recherche –  parfois désespérée – de remèdes efficaces pour soigner des maux toujours plus graves, du moins pour une partie de la population du pays.

vigipirate-sentinelle

Plan Vigipirate et état d’urgence après les attentats du 13 novembre (cliché www.lefigaro.fr)

Pour beaucoup la chose est entendue : tout cela, c’est la faute à la mondialisation et les hommes politiques, à gauche comme à droite, se montrent incapables d’empêcher ou même d’atténuer ses effets pervers ! D’ailleurs, les statistiques sont là pour étayer la colère des laissés-pour-compte : les inégalités s’accroissent, la précarisation grandit, le chômage continue de monter, etc. Il faut y ajouter la dilution de l’identité nationale aux yeux de certains qui dénoncent les frontières-passoires et la perte des valeurs ancestrales.

Quelle est la part de responsabilité du politique ? Celui-ci peut-il inventer de nouvelles recettes pour créer du lien social ou le populisme seul est-il capable de se présenter comme une alternative à un système en crise ? Ce qui est certain c’est qu’il est nécessaire de conceptualiser pour comprendre la réalité complexe  d’une France pleinement engagée dans un processus de mondialisation toujours croissante. Mieux comprendre pour agir, établir un bon diagnostic pour ensuite soigner et guérir si possible.
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Des lieux et des émotions. Les attentats du 13 novembre à Paris et leur suite.
Recueillement et émotion à Rennes, place de le mairie, lundi 16 novembre à midi (www.ouestfrance.fr)

Recueillement et émotion à Rennes, place de le mairie, lundi 16 novembre à midi (www.ouestfrance.fr)

Les événements tragiques qui ont affecté Paris et Saint-Denis vendredi 13 novembre ont suscité une émotion considérable, non seulement en France mais dans le monde entier. Me rendant à Bordeaux le 15 novembre pour assister – comme tous les ans – au Festival du film d’histoire à Pessac, j’ai ressenti une atmosphère très particulière ce dimanche matin dans le hall de la gare Montparnasse : beaucoup de monde en partance mais un calme surprenant et beaucoup d’empathie dans les attitudes et les conversations. A mon arrivée en Gironde, j’apprends que le Festival de Pessac, qui devait se dérouler cette année sur le thème du Proche-Orient, était finalement “reporté” pour des raisons de sécurité. Lundi 16 novembre, à midi, s’est tenue à Pessac comme dans toute la France une cérémonie, simple et brève mais très émouvante, pour rendre hommage aux victimes des attentats de Paris. L’après-midi, me promenant à Bordeaux près de l’Ecole nationale de la magistrature, je constate que plusieurs personnes, à la fois émues et  volontaires, sont présentes sur l’un des lieux où la compassion spontanée s’est traduite par des bougies allumées, des fleurs et des inscriptions de solidarité. Je pense alors au sujet du dernier café géographique qui s’est tenu le 13 octobre dernier à Paris : “Géographie des émotions, émotions des géographes”. Ce thème avait été choisi pour saluer l’initiative du département de géographie de l’ENS d’organiser un séminaire sur les émotions. Citons des extraits de la présentation faite  par Pauline Guinard et Bénédicte Tratnjek, les deux responsables du séminaire : “Dans le cadre de ce séminaire, nous nous demanderons ce que les émotions permettent, au géographe, de comprendre à la manière dont on pratique et on se représente les espaces et nous envisagerons, en retour, ce que la géographie et les géographes peuvent avoir à dire sur les émotions. Comment le géographe peut-il rendre compte de ses émotions et de celles des autres ? Les émotions sont-elles un simple biais des enquêtes de terrain qui seraient certes à prendre en compte mais toujours en vue de les dépasser ou constituent-elles, au contraire, un objet d’étude géographique à part entière ? “

Je précise tout cela, non pour illustrer les objectifs mentionnés ci-dessus, mais simplement pour dire comment l’idée m’est venue de rédiger ce petit texte qui entend associer certains lieux à des émotions diverses en lien avec les événements dramatiques du 13 novembre.

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Déluge mortel sur la Côte d’Azur. Réflexions sur une catastrophe naturelle.
Biot, le 4 octobre 2015, au lendemain des précipitations record de la nuit (source : www.ouestfrance.fr )

Biot, le 4 octobre 2015, au lendemain des précipitations record de la nuit
(source : www.ouestfrance.fr )

La cause est entendue : le cocktail changement climatique/urbanisation galopante s’est révélé dramatique une fois de plus. Rien que durant les deux dernières décennies, cinq catastrophes d’ampleur comparable ont déjà ravagé le Midi méditerranéen français et cette sixième catastrophe s’est abattue avec une rare violence sur l’une des portions les plus urbanisées et densément peuplées du littoral français.

A chaque fois, entre en jeu un phénomène climatique extrême que les spécialistes qualifient d’ « épisode cévenol », avec ses pluies brèves et intenses occasionnant des crues rapides et très vite monstrueuses. Ces épisodes qui affectent tout l’arc méditerranéen, depuis l’Espagne jusqu’à la Croatie en passant par la France et l’Italie, surviennent le plus souvent à la fin de l’été et au début de l’automne. A ce moment-là, l’air chaud chargé d’humidité en provenance de la Méditerranée remonte vers l’Europe et se heurte alors aux reliefs montagneux tels que les Alpes ou les Pyrénées. En s’élevant rapidement cet air chargé de vapeur d’eau se refroidit et se transforme localement en précipitations intenses et parfois diluviennes (à Cannes, il est tombé 107 mm d’eau en une seule heure le 3 octobre dernier entre 20 heures et 21 heures !).

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La canicule et le Spitzberg
Le miroir d’eau de Bordeaux sous la canicule, juillet 2015 (source : www.20minutes.fr)

Le miroir d’eau de Bordeaux sous la canicule, juillet 2015 (source : www.20minutes.fr)

La canicule est au rendez-vous de l’été 2015, cela ne fait aucun doute. Paris a même battu son record historique du 28 juillet 1947 avec 39,7 degrés Depuis le début du mois de juillet, les fortes chaleurs n’ont pas vraiment quitté le Sud-Est et une grande partie de la France a subi une nouvelle vague de chaleur du 15 au 18 juillet. Des pannes de train et d’électricité perturbent la vie quotidienne de nombreux Français, des pics de pollution à l’ozone se succèdent. Les autorités politiques ont pris un maximum de précautions pour éviter la catastrophe de l’été 2003. Si les touristes ne semblent pas affectés par cette situation climatique, il n’en va pas de même pour d’autres secteurs comme l’agriculture. Même à Chablis où la vigne en a vu d’autres, les grappes de raisin commencent à souffrir de la sécheresse prolongée. L’affaire est entendue, le changement climatique augmente la fréquence et l’intensité des vagues de chaleur en France comme dans le reste du monde. La Conférence de Paris sur le climat prévue en décembre 2015 a du pain sur la planche, elle qui doit élaborer un nouveau texte pour remplacer le protocole de Kyoto venant à expiration en 2020.

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2015. Elisée Reclus, la géographie et le génocide arménien

En ces temps de commémoration des massacres qui ont amené au génocide arménien, il n’est pas inutile de revenir sur les textes des géographes qui ont abordé la question arménienne.

Commençons par Elisée Reclus. Après lui, une orientation scientiste de la géographie, une forme de pudeur devant ce qui est supposé du domaine du choix personnel et non pas de la science, et aussi un souci parfois exclusif du lien avec la géographie physique donnèrent à la littérature géographique un tout autre ton.

l-homme-et-la-terreElisée Reclus (1830-1905), un des géographes les plus importants de son temps, publie les 19 volumes de sa « Nouvelle Géographie universelle » chez Hachette de 1876 à 1894. Cet ouvrage lui vaut une grande célébrité internationale.

A partir de 1895, il rédige un autre grand ouvrage, « L’Homme et la Terre », qui est publié en feuilleton périodique puis en 6 volumes par la Librairie universelle de Paris, pour l’essentiel après sa mort de 1905 à 1908. Cet ouvrage innovant de géographie sociale appliquée à l’histoire de l’humanité se joue des cloisonnements disciplinaires de l’histoire et de la géographie de son époque.

 

 

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Comprendre la réforme régionale en France

Retrouvez en vidéo l’entretien réalisé par Jacques-Benoît Rauscher pour le site Montésinos avec Maryse Verfaillie, agrégée de Géographie et auteur avec P. Stragiotti de La France des Régions (Bréal, 2000).


Prise de vue et montage : Jacques-Benoît Rauscher
© Montesinos.fr

Les mystères (ou les trompe-l’œil) de l’Ourcq

Au promeneur naïf qui flâne le long du bassin de La Villette et du canal de l’Ourcq un jour d’hiver gris et brumeux, le paysage urbain rappelle certaines pages de Simenon ou l’atmosphère des films de Marcel Carné. Ecluses de Jaurès du début du XIXe siècle, gros pavés irréguliers des quais de Loire et de Seine, silhouette massive des anciens entrepôts des Magasins généraux, grosse péniche à la coque décolorée…Plus en amont, sur une rive du canal, un pêcheur à casquette, sans âge. Un monde immobile ? En fait un des lieux les plus dynamiques et les plus « branchés » de Paris.

Le bassin de la Villette de la Rotonde de la Villette (à gauche sur le plan) au pont levant de Crimée (à droite sur le plan) (site tourisme93.com)

Le bassin de la Villette de la Rotonde de la Villette (à gauche sur le plan) au pont levant de Crimée (à droite sur le plan) (site tourisme93.com)

Les soirs d’été, les pavés sont recouverts de couvertures et de toiles bariolées où viennent s’asseoir, voire s’allonger, des jeunes gens, plutôt cadres qu’ouvriers. Les plus soucieux de confort ont une chaise basse en alu. On y mange des sushis, de petits sandwichs ou on prend l’apéro avant de dîner dans un des restaurants qui entourent le bassin, anciennes guinguettes dont on a gardé le caractère vintage. Autre projet possible pour la soirée, une séance de cinéma dans une des douze salles des deux MK2. Hésitation entre un film d’auteur ou un blockbuster…le « Zéro de conduite » vous fait traverser le bassin en quelques minutes du complexe du quai de Loire à celui du quai de Seine. Les structures métalliques des anciens portiques en fonte rappellent bien le passé industriel du quartier, mais un passé intégrant aussi la fiction et l’imaginaire. « T’as de beaux yeux, tu sais » et autres célèbres répliques sont taguées en couleur sur les murs. Les ouvriers de ce quartier qui fut laborieux et populaire, ne pouvaient y avoir que la tête de Gabin.

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Syriza, la crise grecque et la géographie

Ainsi donc, la Grèce a vécu le 25 janvier 2015 un dimanche électoral de folie : plus de 800 correspondants de presse du monde entier pour assister à la victoire de la Coordination de la Gauche Radicale, dite en grec Syriza. Attention portée à la Grèce, mais aussi crainte (ou espoir) d’une contagion à l’ensemble de l’Europe.

Les outils classiques du géographe (l’analyse de la différenciation spatiale) sont-ils adaptés et efficaces pour rendre compte de la crise et de la réponse du corps électoral ?

Un « tag » sur un mur à Volos : « Je n’ai pas de rêve , je vis le moment présent »

Un « tag » sur un mur à Volos : « Je n’ai pas de rêve , je vis le moment présent »

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Cabu et les serres d’Auteuil
Dessin de Cabu, mai 2012 dessin-cabu-auteuil-03

Dessins de Cabu, mai 2012

Ces trois dessins de Cabu s’inscrivent dans le contexte de mobilisation citoyenne née en 2010 pour sauver les serres d’Auteuil, menacées par le projet d’extension et de modernisation de Roland-Garros soutenue par la Mairie de Paris. En mai 2012, notre ami Jean-Louis Tissier, professeur émérite de géographie à l’Université de Paris 1-Panthéon-Sorbonne, membre du Comité de soutien des serres d’Auteuil, s’était chargé de montrer  le site des serres d’Auteuil au dessinateur Cabu, soucieux d’apporter sa contribution à la mobilisation citoyenne.

 

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Le parcours géographique des épidémies : des certitudes pour le sida, des incertitudes pour Ebola

monde-ruban-sida

L’Organisation mondiale de la santé (OMS)  a institué en 1988 une Journée mondiale de lutte contre le sida. Depuis cette date celle-ci  est organisée tous les 1er décembre pour sensibiliser les différents acteurs et l’opinion internationale aux moyens les plus appropriés à la lutte contre la pandémie. Dans le même temps les avancées de la recherche permettent une connaissance grandissante du fléau jusqu’à pouvoir reconstituer aujourd’hui son origine et les étapes de sa diffusion.

La revue américaine Science a publié le 3 octobre dernier un remarquable travail scientifique permettant de reconstituer le parcours géographique du sida (VIH ou virus de l’immunodéficience humaine) depuis son apparition dans l’actuelle République démocratique du Congo dans les années 1920.[1]

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Du verbe habiter et de ses usages
Habiter la ville, habiter le monde, habiter…

Habiter la ville, habiter le monde, habiter…

Maurice Le Lannou définissait la géographie comme la science de l’homme-habitant (La géographie humaine, 1949). Il fut vivement pris à partie par Pierre George qui lui reprocha son angélisme. Pour ce dernier, l’homme était un producteur et un consommateur, point de vue strictement matérialiste qui n’avait que faire d’une dimension psychologique de la relation de l’homme avec son environnement. Par là Le Lannou se rapprochait de Gaston Bachelard et faisait le lien avec l’anthropologie sociale, sans d’ailleurs la mentionner spécialement. Il n’était pas un théoricien.

Habiter appartient à un registre officiel et administratif. Dans les parlers populaires des campagnes, en langue d’oïl,  on dit demeurer ou rester et non pas habiter. Aux Antilles, une habitation est une propriété, le mot implique ici une dimension juridique. Habitare disait Le Lannou est en latin la forme fréquentative de habere : c’est posséder dans la durée.

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La loi anti-tabac et l’espace des sociétés

Depuis une trentaine d’années, la cigarette n’est plus en odeur de sainteté. Autrefois prônée, comme pendant la guerre, pour ses vertus sur la respiration (!), l’industrie du tabac est aujourd’hui très limitée dans sa communication, en particulier en France. Loin de moi l’idée de remettre en cause l’avancée sanitaire, mais cela va au-delà désormais : la guerre est déclarée à l’encontre des fumeurs. Avec des espaces faits pour eux, qui changent l’espace de chacun, voici une petite géographie face à la fumée.

Concentration de mégots sur les rails de la ligne C du RER  (Photo Yohan Lafragette)

Concentration de mégots sur les rails de la ligne C du RER  (Photo Yohan Lafragette)

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Des suffixes en géographie

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En préparation du CAPES, on nous enseigne beaucoup de vocabulaire pour penser en  géographe. Pendant que mes collègues historiens essaient d’ingérer ces mots parfois  barbares, j’ai réfléchi à ce jargon.

Il me semble que le radical reste, mais que le suffixe change pour analyser les objets en géographie. Urbanisme, urbanisation, urbanité, en 30 ans, nous passons de l’idéologie aux processus puis au concept. Qu’est-ce que cela nous apprend sur la géographie ?

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Géographie de l’amour

Comme chaque année, l’approche de la Saint-Valentin déverse, dans toutes les vitrines, son lot de roses pourpres et de cœurs vermeils. Pourtant, la place de l’amour dans la ville est plus que jamais discutée, si l’on en croit la pénalisation croissante de la prostitution, ou l’opprobre (quasi) généralisée (mêlée d’une pointe d’admiration) guettant toute célébrité qui s’écarterait de son devoir conjugal.

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Sentiment d’attachement fort à une personne (ou un objet, quoique nous excluions cette forme d’amour de notre propos) ou acte qui concrétise ce penchant, l’amour est à la fois fascinant et secret. Fascinant, pour des populations repues d’austérité et assoiffées de merveille. Secret, pour des amants qui toujours recherchèrent les lieux les plus isolés pour s’adonner à leur passion charnelle.

C’est donc à cette ambiguïté géographique de l’amour que nous nous attacherons.

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Qui est le plus pauvre du monde ?

José Mujica, le « président le plus pauvre du monde »

José Mujica, le « président le plus pauvre du monde »   

Madagascar, le pays le plus pauvre du monde ?

Madagascar, le pays le plus pauvre du monde ?

Première bonne nouvelle de l’année, selon Michael Bloomberg, le maire de New York, Bill Gates est redevenu l’homme le plus riche du monde avec plus de 78 milliards de dollars en poche, et de nombreux médias ont répercuté cette importante information. Nous voilà soulagés ! C’est qu’il nous a fait peur en 2012, Bill Gates, détrôné qu’il fut par le Mexicain Carlos Slim, symbole des pays émergents qui détrônent l’Amérique… En jetant des milliards par les fenêtres pour essayer de  rendre le monde plus équitable, Bill Gates prenait pourtant un risque. Les résultats de l’année 2013 ont montré que l’investissement était au contraire juteux !

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Géographie de la maigreur : réalités et représentations

Depuis quelques mois maintenant, les Cafés géographiques sont sur Facebook. Et, comme tous ceux qui s’y sont essayés, ils reçoivent des publicités « ciblées ». Passons sur le fait que Facebook propose nécessairement à toute personne qui aurait sélectionné, pour son profil, le sexe féminin, des publicités sur les régimes (une femme aurait comme « nécessairement » des kilos à perdre)… Passons également sur la dangerosité des régimes proposés. Mais intéressons-nous aux représentations et à la géographie de la maigreur.

Un compte Facebook inscrit en France reçoit de telles images : la maigreur comme critère esthétique de beauté.Puisqu’on vous dit que c’est un secret d’« Hollywood » ! La symbolique de ce haut-lieu de la production cinématographique et sérielle est ici évoquée pour rappeler que la maigreur est devenue un des arguments de marketing et de beauté hollywoodiens. Des actrices ont récemment fait connaître, via les réseaux sociaux notamment, leur désaccord sur les retouches de leur corps pour les affiches de leurs films. Dernier exemple médiatique en date : Ashley Benson critiquant en décembre 2013 les retouches de l’affiche de la saison 4 de la série dans laquelle elle joue, Pretty Little Liars, depuis son compte Instagram. Pourtant, de la maigreur hollywoodienne (à laquelle s’ajoute son corollaire, l’absence de rides) à la maigreur des pays dits du Sud, il existe bien une géographie différenciée, formatée par nos représentations.
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Le caviar fait la fête
Le caviar reste un produit de fête prestigieux même si la géographie de sa production a bien changé depuis deux décennies (source : www.caviarpassion.com )

Le caviar reste un produit de fête prestigieux même si la géographie de sa production a bien changé depuis deux décennies (source : www.caviarpassion.com )

Chaque année en décembre, les pages des magazines consacrées aux repas de fêtes n’omettent rien des différentes variétés de caviar qui doivent figurer sur les meilleures tables. Le caviar garde son aura de mets de luxe malgré de profondes transformations dans sa production et sa commercialisation. Là aussi, la mondialisation est passée par là et, pour prendre un seul exemple,  le caviar made in France livre depuis quelques années une bataille impitoyable au caviar made in China. De leur côté, ignorant la part de marché croissante accaparée par les supermarchés, les grandes maisons qui commercialisent le produit aux œufs d’or (noir, gris ou brun) ne sont pas en reste en matière de compétition en fourbissant leurs armes, à grands renforts de communication et de nouveaux rituels de dégustation.

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La lingerie à l’épreuve de la mondialisation
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La lingerie est un secteur économique qui se porte bien à l’échelle mondiale (Source : L’Express.fr)

 Cette année encore, le 13 novembre 2013 à New York, le défilé de la marque de lingerie californienne Victoria’s Secret a été l’occasion d’un grand show à l’américaine  avec  casting de rêve et mise en scène spectaculaire, une véritable célébration des sous-vêtements parmi les plus affriolants. Dans quelques semaines, en janvier 2014, cette fois-ci à Paris, le Salon international de la lingerie réunira pendant trois jours de très nombreux professionnels du secteur tout en drainant un important public de visiteurs. Dans notre monde globalisé, le marché de la lingerie se porte bien et même très bien, en France comme dans le monde.

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Une région française peut-elle anticiper le changement climatique ?

prevoir_pour_agir195 pays de la planète, réunis à Varsovie dans le cadre de la Convention des Nations Unies sur les changements climatiques, viennent péniblement de se mettre d’accord sur un compromis fixant la feuille de route des grandes échéances qui doit conduire à un accord mondial sur le climat en 2015. Dans le même temps, depuis de nombreuses années déjà, de réels efforts sont entrepris à l’échelle locale, particulièrement sur les continents européen et américain, pour faire face à l’impact du changement climatique.

Ainsi, en France, la région Aquitaine mène dans le cadre de son Plan Climat-Energie une politique volontariste en faveur des énergies renouvelables, de la sobriété énergétique et des transports durables. L’objectif du conseil régional est de diviser par 4 les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050. Dans cette perspective, une mission pilotée par le climatologue Hervé Le Treut et réunissant de très nombreux scientifiques vient de publier un rapport après deux années de travaux et d’expérimentations. Ce rapport représente la première étude de ce type et de cette envergure jamais menée par une région française, mais le conseil régional d’Aquitaine n’a pas attendu les recommandations de cette publication pour conduire depuis plusieurs années diverses actions visant à consolider des filières industrielles capables de relever le défi climatique.

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La représentation de la conquête de l’Ouest investit le Nord

the_frontier_in_american_historyLe concept de frontier attribué à Frederick Jackson Turner au tournant des XIXe et XXe siècles a encore de beaux jours devant lui. Définie comme la limite du monde civilisé en 1935 dans The Frontier in american history, la frontier de Turner est un concept associé à un espace (ici l’Ouest américain) doté d’une nature qu’il faut dompter pour pouvoir ensuite aménager le territoire nouvellement conquis. Aujourd’hui, la frontier (que les géographes ne traduisent pas en français pour la distinguer de la frontière comme limite de souveraineté) nous permet d’évoquer des espaces pionniers qui, selon la formulation de Roger Brunet, « avancent dans l’inconnu ». C’est donc sans surprise que l’on y retrouve l’Arctique. Le sujet en géographie n’est pas nouveau, il est  d’ailleurs présent dans les programmes de l’enseignement secondaire.

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Guerlain ou les territoires du luxe français
La nouvelle boutique Guerlain des Champs-Elysées

La nouvelle boutique Guerlain des Champs-Elysées

Guerlain,  l’un des fleurons du luxe français, vient de rouvrir sa boutique historique à Paris. Entièrement rénovée par l’architecte Peter Marino, la boutique est désormais dotée d’un restaurant animé par le chef étoilé Guy Martin.

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Le match Boeing-Airbus arbitré par les compagnies du Golfe

salon_aeroLe 13e salon aéronautique de Dubaï a ouvert ses portes le 17 novembre 2013 et, dès le premier jour, il  a enregistré un montant record de commandes qui profite surtout à l’américain Boeing avec son nouveau long-courrier Boeing 777X. Mais l’européen Airbus tire également bénéfice de ces commandes historiques grâce notamment à son A380, le plus gros avion civil de transport de passagers actuellement en service. C’est du jamais vu. Ce sont les trois principales compagnies du Golfe qui sont à l’origine de cet événement. Emirates de Dubaï, Etihad d’Abu Dhabi et Qatar Airways ont commandé pour environ 140 milliards de dollars dans ce qui s’avère être une nouvelle manche du match Boeing-Airbus, après le salon du Bourget qui avait vu la victoire de justesse de l’avionneur européen sur son rival de Seattle. La bataille entre les deux constructeurs se concentre désormais sur les long-courriers alors qu’elle a longtemps porté sur le marché des appareils moyen-courriers.

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Géographies au coin d’un banc

Deux personnes devisent dans un parc. A l’ombre d’un arbre, elles échangent sur les mérites et les atouts dudit parcet du banc sur lequel elles sont installées.

Puis la conversation dévie sur la Guadeloupe. L’un de nos protagonistes, un jeune homme, en est originaire, du moins c’est ce que l’on croit comprendre ; l’autre, une dame âgée, explique que sa fille est en partance pour l’île. « L’insulaire » entreprend de lui dépeindre la terre d’origine de son père: « C’est une île tropicale, ajoute-t-il, avec sable fin, mer bleu turquoise, cocotiers, soleil à volonté ». « Le monde n’est pas seulement tel qu’il est mais aussi tel qu’on se le représente à travers un imaginaire géographique ». Mais ces atouts sont réels comme le rappelle Jean-Christophe Gay dans « Les cocotiers de la France. Tourismes en outre-mer ».

« Pourquoi ne partez-vous pas avec votre fille ? » demande le jeune homme ; la distance et l’avion lui font peur dit-elle. Ce petit paradis terrestre est à portée de tir, selon lui, puisque finalement on y est en huit ou dix heures selon que l’on prenne un vol charter ou régulier. Finalement Pointe-à-Pitre en avion est plus proche que Marseille en voiture !  Mais question coût, la donne change car un vol aller/retour fin juillet-début août sur Air France s’élevait à plus de mille euros minimum.

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Loup, où es-tu ?

La grande mouvance de l’écologie célèbre les 20 ans du retour du loup en France. En 1993, la revue Terre Sauvage avait été la première à annoncer ce retour, après que le premier loup eut été aperçu l’année précédente dans le Mercantour, venant d’Italie. Le grand canidé a depuis lors traversé les autoroutes et même le Rhône, atteint les Cévennes, le Jura, les Vosges, a été repéré dans le Morvan. 250 individus sont recensés aujourd’hui. Bien que la Convention de Berne, signée en 1979, assure sa protection, il s’agit d’un retour encore timide, car ce carnivore était mille fois plus présent sur le territoire français au XIXe siècle. L’homme s’est livré à une chasse sans merci, liquidant en masse : 1 200 loups tués dans la seule année 1850, le dernier ayant été abattu voici quelques dizaines d’années.

Selon Buffon, Canis lupus est naturellement grossier et poltron, mais il devient ingénieux par besoin et hardi par nécessité. Lorsque la maraude lui résiste, il revient souvent à la charge. Les chiens se carapatent, les brebis sont mangées et les bergers se désolent et crient au loup. Entre toucher les primes d’assurance et équiper les chiens de garde de colliers défensifs, le choix est fait. Choix différent de celui des éleveurs italiens, qui ont affaire à dix fois plus de loups : ils n’ont pas d’assurance et des brebis qui font du lait, et qui rentrent donc chaque soir à la bergerie, à la différence des moutons à viande français, qui couchent dehors.

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Do you speak touriste ? Nous, nous préférons parler Géographie !

Mi juin 2013, la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) Paris Île-de-France et le Comité régional du tourisme Île-de-France (CRT) ont lancé un site Internet à destination des professionnels du tourisme : Do You Speak Touriste ?. Le site propose ainsi aux professionnels du tourisme des fiches par nationalité, pour les aider à se comporter de manière adéquate avec les touristes. Douche froide pour celui qui regarde ce site qui semble être une parodie de nombreux sketchs humoristiques sur les clichés nationaux.

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Corée du Nord : la carte et la pomme (de la discorde ?)

Avant les attentats de Boston, l’actualité médiatique était « monopolisée » par la Corée du Nord : les annonces du nouveau dirigeant, Kim Jong-Un, concernant l’escalade de menaces contre les Etats-Unis ont amené beaucoup d’articles de presse, plus ou moins éclairés, sur la possible attaque du territoire étatsunien. Parmi les commentaires, les photographies officielles dévoilées à la presse du monde entier ont fait couler beaucoup d’encre. Si certains médias ont eu la décence d’utiliser un point d’interrogation1, d’autres2 seront nettement moins prudents, et titreront, sans point d’interrogation, combien « la Corée du Nord dévoile des secrets militaires sur des photographies officielles ». Pourtant, la source commune de tous ces articles de presse, l’AFP (dont la dépêche titrait avec le point d’interrogation), avait déjà publié, deux jours plutôt, sur son blog Making-of, un décryptage des photographies nord-coréennes présentant le matériel militaire, montrant combien les dites photographies n’étaient que d’évidents montages.

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Habebamus papam

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11 février 2013, le pape Benoît XVI annonce qu’il va rendre son tablier. L’âge l’a rattrapé. Il range au placard mitre de Pie IX, chasubles brodées de poissons et férule pontificale. L’événement est rare mais des précédents existent. Il l’a annoncé dans un discours en latin. Mais curieusement, son compte twitter n’annonçait toujours pas la nouvelle à 16h alors que les sites d’informations en ligne consacraient une bonne partie de leur page d’accueil à son départ. Ne reste plus qu’à trouver un remplaçant pour Pâques à chacun sa quête, un pape pour l’Eglise catholique, les œufs pour les enfants.

Mais qui pour remplacer le pape ? De quelle nationalité ? De quel continent ? Libération se faisait l’écho des favoris des bookmakers pour emporter la mise : le cardinal ghanéen Peter Turkson, le cardinal italien Angelo Scola, le Canadien Marc Ouellet, puis un Autrichien, un Hondurien… André XXIII aurait ses chances, selon Odon Vallet, tout comme d’autres Européens. Bref, la « compétition » semble ouverte même si les « candidats » européens semblent les plus nombreux (une liste de candidats).

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L’Australie entre imagination et découverte, à propos de « L’âge d’or des cartes marines », exposition à la BNF

L’Australie entre imagination et découverte, à propos de « L’âge d’or des cartes marines », exposition à la BNF (23 oct 2012-27 janvier 2013).

Le 4 novembre 2011 a été vendu aux enchères, à Richelieu-Drouot par Pierre Bergé et Associés, un exemplaire d’un ouvrage qui rassemble des relations de voyages du 17° siècle et d’époques antérieures. Une carte l’accompagne, Terre australe découverte l’an 1644, reproduite ici, c’est tout bonnement la première carte de l’Australie en français, dans l’état des connaissances de l’époque. Inutile de dire que ce livre a été vendu pour une somme rondelette : 14.000 euros. Peut-être un collectionneur australien ?

La carte de Melchisédec Thévenot est mentionnée comme référence première dans une légende de carte manuscrite de l’Océan Pacifique (Joao Texeira Albernaz 1649)  à l’exposition de la Bibliothèque Nationale de France en cours d’octobre 2012 à janvier 2013 ; .

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Retour sur une mémoire de géographe. 5 Juillet 1962 L’indépendance de l’Algérie.

Je me rappelle très précisément le 5 juillet 1962.

Une imageme revient, celle de la descente en avion sur Oran :le survol des bidonvilles interminables,  proches de l’aéroport, ponctués de figuiers et partout surmontés ce jour là de drapeaux verts et blancs, innombrables. L’affaire était pliée; une nouvelle ère commençait. C’était une chose d’avoir manifesté pour la paix en Algérie durant mes années d’étudiant et c’était tout autre chose d’assister  à ce bouleversement, la fin de 130 ans de colonisation française. Le paysage de la nouvelle Algérie, au sens propre, me sautait aux yeux.

Ce jour-là, après une permission en France,  j’avaisà Marseille pris l’avion pour Oran,afin de rejoindre Sainte Barbe du Tlélat, petit village de colonisation de l’Oranais. Làse trouvait mon nouveau corps, en l’occurrence un régiment de cuirassiers où je venais juste d’être affecté. J’y fus le cothurne de  Marc Augé qui se préparait à une carrière d’ethnologue ; il avait déjà pris langue avec Claude Lévi-Strauss.

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Les Saxons de Transylvanie : musique baroque et disparition d’une minorité.

Un article du Monde (Dimanche 5 Juin-Lundi 6 Juin 2011) intitulé de manière maladroite « La musique baroque, identité roumaine » traite de la découverte, dans des églises abandonnées de Transylvanie (Roumanie) de partitions du 17° et 18° siècle, qu’un musicologue local, Kurt Philippi, s’emploie à sauver.

Les églises sont celles de la communauté saxonne de langue allemande installée là à partir du 13° siècle et convertie au luthérianisme au moment de la Réforme.

Eglise et village fortifié saxon de Harman, Transylvanie.  (photosM.Sivignon)

Eglise et village fortifié saxon de Harman, Transylvanie. (photosM.Sivignon)

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Pierre, notre si cher ami

Pierre Gentelle est décédé le 4 octobre 2010.

Tu te rappelles, Pierre, nous étions dans un café boulevard de Sébastopol, c’était peu après l’an 2000. Tu me prends au mot en disant que tu pourrais un jour tenir une lettre qui s’appellerait la Lettre de Cassandre. Pourquoi Cassandre, car on ne choisit pas un pseudo au hasard. « La famille des Atrides s’impose à qui s’adresse à la famille universitaire. Mieux vaut être situé sur les marges qu’au centre, pour conjurer un sort qui donne tort à qui cherche à “voir”. Raison garder plutôt qu’avoir raison, beau programme, n’est-ce pas ? »

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Superbe programme, en effet, Pierre ! 128 lettres de Cassandre. Du Moyen-Age et son goût de la numérologie, 128 est un total qui nous est parvenu aussi par l’édition, les Que sais-je ? et autres petits opus à lire vite ou à déguster. 128 « micro-nouvelles », sous forme d’une lettre qui veut aller plus loin que la démonstration scientifique. Comme tous les pédagogues, tu aimes les commentaires, les digressions pour « ébranler » l’esprit du lecteur. Pour « faire penser, plutôt que penser » mais en reprenant – bien dans ton style – ce que tu ne voudrais pas qu’on prenne à l’absolu : « penser quand même un peu, mais sans édifier ». Là, Pierre, tu sais bien que ce n’est pas tout à fait ça : car tu veux séduire et, bien sûr, rattraper ce qui t’a peut-être le plus manqué dans ta vie professionnelle : les étudiants. Que de cohortes d’apprentis géographes aurais-tu séduits, fouaillant dans leurs certitudes, là où ça fait mal. « Pour que ça avance » aimais-tu nous dire.

Tu étais géographe parce que la géographie devait rassembler pour toi, peut-être du fait de tes multiples vies du Maroc à Paris, en passant par presque tous les pays d’Asie orientale et du Moyen-Orient, l’ensemble des questions que tu te posais. Qui d’ailleurs t’a donné ces lunettes-là pour lire le Monde ? Qu’importe ! « Tout est géographiable » disais-tu, « du Japon à mon immeuble, de l’odeur au circuit imprimé. » Tu l’as montré 128 fois et avec quel talent ! Tu étais au meilleur de cette « forme », tu as laissé aller, comme tu le souhaitais.

Terriblement perspicace jusqu’au dernier instant de ta vie, tu avais deviné qu’on changeait d’époque. Tu es le premier à te lancer dans une nouvelle collection de DVD sur les grandes villes du monde. Tu sentais que faire de la géographie imposait de changer d’outil, d’utiliser tous les ressorts de ce qui arrivait avec la révolution numérique. Combien de fois nous sommes-nous « frités » sur le fameux terrain. C’était presque de l’ordre de la croyance pour toi, cette « vérité du terrain » dont, soudainement tu te méfiais car la vérité était pour toi une trop grosse chose pour appartenir au terrain. Mais qu’une « nouvelle carte du monde » soit en train de s’écrire sous nos yeux, tu en tâtais tous les signes dans les médias qui te faisaient bouillonner le sang !

Cette touche personnelle, ces « fragments du monde, par toi entrevus ou connus, d’où le “je” est parfois inévitable », c’est ta « touche » : ce parfum de révolte, ce grondement du cœur et de l’esprit qui fouaillent la matière de l’espace pour en faire surgir une idée qui peut changer le monde.

Voici ce qu’écrit ton ami Jean-Dominique Merchet de Libé, qui partageait avec toi l’amour des morilles au vin jaune : « Pierre était un homme joyeux, la parfaite antithèse de l’austérité universitaire. Il pouvait faire rouler sous la table ses commensaux lorsqu’il racontait ses aventures féminines à l’Université de Pékin. Homme de gauche, mais sans chapelle, Pierre Gentelle gardait de sa longue scolarité au Prytanée une image contrastée des militaires : un vieux fond d’antimilitarisme mâtiné d’un intérêt pour ce monde dont il s’était éloigné mais sur lequel il ne manquait pas de m’interroger[[http://secretdefense.blogs.liberation.fr/defense/2010/10/]]. »

Et voici d’autres fleurs qui fleurissent en cet automne, car ta vie n’a pas de saisons, elles viennent de Marc, notre premier webmestre au Café : « Pierre était devenu un acteur des cafés déployant deux facettes qui rendait chacune de ses présences magnétiques : celle du conteur et celle du charmeur. Il n’y en a pas deux comme Pierre pour placer l’assistance dans le loess de la Chine des canaux, dans le chaos épique de la société afghane, ou dans le charme ubuesque d’un village du Henan. Pierre savait instinctivement tout ce qui peut faire l’attrait et l’animation d’un café et au delà, rendre la géographie séduisante. »

Pierre, tes lettres de Cassandre sont des cadeaux sublimes que nous allons lire et relire. On va déjà relire ce que tu écrivais au retour du festival de Saint-Dié où tu houspilles tout le monde et prend congé de nous par une pirouette. Comme ce matin du 4 octobre 2010 où tu es descendu, rue de Turin, goûter au frais d’une dernière baguette de pain avant ton petit café et entamer ta nouvelle vie. Pierre, merci !

Gilles Fumey

Un mot aussi du Réseau Asie

Pour les cent premières Lettres de Cassandre

La Grèce, pas si balkanique que ça (décembre 2008)

Les quartiers centraux des grandes villes grecques sont depuis le 6 décembre 2008 le théâtre d’affrontements violents ; des sièges de banques sont mis à sac, des magasins sont pillés,des postes de police attaqués. Des foules considérables de jeunes et très jeunes gens manifestent. A l’origine de ces troubles, la mort d’un jeune homme à Athènes tué par une balle tirée par un policier.

Il y a d’une part ces événements, leur déroulement, cette vague qui s’est répandue dans tout le pays. Et puis il y a l’analyse qu’en fait la presse d’Europe occidentale et singulièrement celle de notre pays.

La presse est d’abord allée chercher dans le stock des stéréotypes. Par ignorance sans doute mais aussi par paresse. Dans le Journal du Dimanche du 14 décembre, Nicos Aliagas, un Grec, écrit: « Le Grec vit avec ses mythes depuis la nuit des temps, avec résistance et indolence ». Ce genre de lieu commun n’explique rigoureusement rien. Pas plus que cette affirmation : « le Grec est un animal politique ».Mais cette référence est véhiculée par les Grecs : « Vivez votre mythe en Grèce », proclamaient il n’y a pas longtemps  dans le métro parisien de gigantesques affiches éditées par le très officiel Office du Tourisme Hellénique, sur fond d’île cycladique coiffée d’une chapelle.

L’autre stéréotype est balkanique. Il a donné « balkaniser » et balkanisation ». Les Balkans seraient porteurs, depuis toujours, d’un mélange de violence et d’archaïsme.

Il s’agit d’un avatar d’un autre stéréotype, celui d’orientalisme, tel que décrit et décortiqué par Edward Saïd (« L’orientalisme, l’Orient créé par l’Occident. » Le Seuil 1980).

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Émeutes et géographie : les événements de Grèce

ELes émeutes qui secouent la Grèce depuis plusieurs jours ne surprennent guère les Grecs eux-mêmes et ceux qui suivent l’actualité de ce pays. Depuis deux ans déjà, les étudiants étaient particulièrement inquiets de la politique suivie par le gouvernement conservateur de Kostas Karamanlis, au pouvoir depuis 2004 et confirmé par les législatives anticipées de septembre 2007. Une loi, accompagnée d’une modification de la Constitution autorise désormais l’ouverture d’universités privées en même temps qu’une série de dispositions modifie le fonctionnement des universités (évaluation des enseignants, fin des distributions gratuites de manuels etc.…). Depuis deux ans, l’année universitaire est hachée de grèves et de manifestations. Ce mécontentement profond et diffus est relayé par l’agitation lycéenne, dans un pays où les études et les diplômes apparaissent à beaucoup de familles comme la seule possibilité de promotion sociale. Les familles investissent des sommes énormes dans l’éducation des enfants : les lycées sont doublés d’établissements privés, les frondistiria qui fonctionnent l’après midi et le soir et où on répète les leçons du lycée. On trouve ce système même dans les petites bourgades équipées d’un établissement secondaire. Les études supérieures engagent d’autres frais : on vend communément à la campagne des terrains bien placés pour un  futur usage touristique,  pour permettre de financer des études à l’étranger. Les Grecs sont les Européens qui vont le plus volontiers étudier hors de leurs frontières.

C’est qu’en Grèce l’accès à l’enseignement supérieur est soumis à un numerus clausus

Chaque année en juin, un concours national dit « panhellénique» classe les candidats et la  note obtenue les amène dans un établissement qui peut être situé à l’autre bout du pays et pour des études qui peuvent avoir un rapport lointain avec leurs souhaits. A ce titre les lycéens sont précocement préparés à cette perspective de rude compétition, d’où leur facile mobilisation politique. Les établissements de leur côté recrutent à un niveau de notes d’autant plus élevé que leur réputation est bonne. Il est fort difficile d’entrer à l’Ecole polytechnique d’Athènes où à la faculté de médecine de Salonique et beaucoup plus facile d’entreprendre des études de biologie à Igoumenitsa en Epire. Aussi bien de nombreuses places disponibles demeurent-elles vides dans des établissements de peu de renom, pendant que beaucoup vont étudier aux Etats-Unis ou en Angleterre si la famille est fortunée, en Italie, en Bulgarie ou Roumanie dans le cas contraire.

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Mai 1968, vu de la Grèce des colonels.

J’aurais dû être fortement touché par mai 68. Ce ne fut pas le cas.

En mai 68, nous étions en Grèce, où nous étions arrivés en octobre 67. Nous allions y rester jusqu’en octobre 1970. La Grèce était sous la botte des colonels depuis le 21 avril 1967. C’étaient donc les premiers mois de la dictature.

Dans le centre des Sciences Sociales où nous étions détachés, Pierre-Yves Péchoux et moi-même, nous nous trouvions aux premières loges pour assister à l’installation du nouveau pouvoir. Nous avions vite compris ce que signifiaient les mots de dictature, prison, liberté : il suffisait d’observer ce qui se déroulait sous nos yeux.

La question s’était posée à nous : fallait-il continuer et donner en quelque sorte notre caution indirecte à ce nouveau régime ? J’avais répondu par l’affirmative, tous mes amis grecs pensant que nous pouvions être beaucoup plus utiles en restant sur place qu’en quittant le pays.

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Le calcaire et le terroir. Gustave Courbet, peintre géographe
Le calcaire et le terroir. Gustave Courbet, peintre géographe

A l’occasion de l’exposition au Grand Palais (Paris) 13 octobre 2007-28 janvier 2008. Metropolitan Museum of Art (New York) 27 février – 18 mai 2008. Musée Fabre (Montpellier) 14 juin – 28 septembre 2008.

« Un bâtisseur, un rude gâcheur de plâtre, un broyeur de tons » (Cézanne, à propos de Courbet)

 

Portrait de l’artiste, dit Le désespéré, 1844-1845 Coll. particulière

Portrait de l’artiste, dit Le désespéré, 1844-1845
Coll. particulière

Ils n’étaient pas peu surpris, les quatre étudiants qui planchaient ce début de juillet 2002 à la bibliothèque de l’Institut de géographie de Paris : ils passaient l’agrégation et voici qu’on leur donne à traiter les « paysages du calcaire ». Cartes géologiques, photos de lapiaz, bloc-diagramme de l’érosion karstique, textes et, in fine, une reproduction d’une peinture de Gustave Courbet (1819-1877), Le gour, exposée au Musée d’Orsay. Je me souviens avoir assisté à l’un des exposés à la fin duquel un membre du jury demande à l’impétrant : « Finalement, cette toile avec ce trou noir au pied de la falaise, cela ne vous fait pas-il penser à un autre tableau ? ». Le candidat avance prudemment une réponse on ne peut plus géographique : « L’Origine du monde ? – Monsieur, répond l’interrogateur pour clore la séance, nous vous remercions ».
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La mondialisation de la finance ou un bien curieux match Chine – Etats-Unis

Pour cette rentrée 2006 qui s’ouvre à Saint-Dié sur l’Amérique, Gilles Fumey prévient : la géographie de l’argent et de la finance peut donner une idée de la position de l’Amérique dans le monde aussi bien qu’une géopolitique des Etats. Un sujet qui n’a pas intéressé beaucoup de géographes depuis Jean Labasse. Pourtant, quelle leçon que ce fordisme planétaire !

Parmi les ressources dont dispose le monde aujourd’hui, lesquelles sont rares et abondantes ? L’argent ou l’emploi ? A l’échelle mondiale, l’argent est très abondant, notamment parce que la dépression mondiale du début des années 2000 a été stoppée par une injection forte de liquidités. A la même échelle, l’emploi, lui, est autrement plus rare au point que les pays riches utilisent à plein régime l’immense cohorte de Chinois, et d’Asiatiques en général, qui offrent du travail à coût très faible. Du côté des riches, l’argent, du côté des moins riches, l’emploi. Ce Yalta économique du monde a été écrit et mis en œuvre par George Bush et Alan Greenspan qui a quitté la Réserve fédérale en janvier 2006. Ce tandem riches/pauvres sur lequel sont assis les Etats-Unis (devant) et la Chine (derrière) assure pour l’année 2007 toute l’énergie qu’il faut pour maintenir la croissance. Mais cet équilibre financier n’est atteint qu’en joignant les besoins des Américains (en argent) et ceux des Chinois (en travail). (Lire la suite…)

Philippe Descola et la géographie, après le café-géo.

Pour entrer dans la pensée et le travail de Philippe Descola, le géographe peut commencer par « Les lances du crépuscule » (Terre humaine, Plon) . Le prologue, très fourni, donne à mon sens la description la plus sensible et la plus juste de ce coin d’Amazonie équatorienne, avec ses bourgades commerçantes décaties, souvent d’origine ancienne mais sans passé visible et les Indiens qui déambulent maladroitement sur les trottoirs chaotiquesavant de rejoindre leur forêt. Dans cette description, Descola fait de la géographie parce qu’il  a besoin, avant de pénétrer dans les mythes des Indiens Achuar, de décrire les rapports qu’ils entretiennent avec le monde qui leur est extérieur : les autorités, la ville.

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Archives – Brèves de comptoir

Au nom de la rose, Cyril Froidure, 09 février 2013
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Watican 2.0, Cyril Froidure, 11 décembre 2012
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Obama-Romney, l’archipel et le gruyère, Manouk Borzakian, 05 décembre 2012
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Made in…, Cyril Froidure, 28 novembre 2012
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L’histoire et la géographie malmenées sur twitter, Bénédicte Tratnjek, 21 novembre 2012
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Nay Pyi Taw quèsaquo ?, Cyril Froidure, 7 novembre 2012
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Les risques de l’escalade, Cyril Froidure, 29 septembre 2012
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En attendant Rio, Agathe Maupin, 17 août 2012
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Postérité olympique, Cyril Froidure, 17 juillet 2012
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Mai 2012 – Nouvelles de Grèce, Michel Sivignon, 18 juin 2012
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UPM ou la mer du milieu en rade, Cyril Froidure, 07 mai 2012
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Quand Sarko a un trou à sa géo…, Gilles Fumey, 17 avril 2012
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Vivez dans une carte postale !, Michel Sivignon, 6 avril 2012
http://cafe-geo.net/vivez-dans-une-carte-postale/

L’Inde ou la footbalisation heureuse, Michel Giraud, 1 mars 2012
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Tout sauf prof de géo !, Gilles Fumey, 23 février 2012

Evidences picardes, Cyril Froidure, 18 février 2012

Chine – Corée du Nord : une frontière passoire ?, Gilles Fumey, 06 février 2012

« Alésia ? Connais pas Alésia ! », Bénédicte Tratnjek – mercredi 1er février 2012
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En voie de disparition…, Cyril Froidure – mardi 17 janvier 2012
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Oh oh oh ! AAA ?, Cyril Froidure – dimanche 18 décembre 2011
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Le métro parisien par le bout du nez, Gilles Fumey – jeudi 24 novembre 2011
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Breaking news, broken geography, Cyril Froidure – jeudi 10 novembre 2011
breaking-news.pdf

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