Quelles sont les similitudes entre les dessins des géographes et ceux d’autres professions, les architectes par exemple ? Le dessin du géographe n° 88 abordait déjà cette question à travers des exemples pris dans l’espace méditerranéen. Ici, il s’agit de se pencher sur la façon dont le géographe Jacques Pezeu-Massabuau dessinait l’architecture.
En effet, Jacques Pezeu-Massabuau (1930-), s’est beaucoup penché dans la seconde moitié du XX° siècle sur les cas des maisons japonaises et chinoises. Dans ses travaux il défendait notamment l’idée, réinterrogée aujourd’hui (Pelletier, 2022), que la maison japonaise traditionnelle était inadaptée à son milieu et notamment aux tremblements de terre et aux typhons, ou encore aux rigueurs de l’hiver. Il cherchait donc à en rendre compte à l’aune d’autres critères : esthétiques, techniques, économiques, sociaux… Un élément d’explication tenait par exemple à l’histoire du peuplement de l’île, en provenance du sud-ouest : la maison japonaise pouvait se lire comme un héritage d’origine tropicale.
Dans deux articles des années 60 des dessins illustraient ce propos. Certains peuvent se rapprocher de ceux qu’auraient livré à la même époque un architecte (fig.1), avec une attention fine à la structure de la maison (pannes, chevrons, voligeage etc.). D’autres, dans une démarche plus spécifique à la géographie, appuient le raisonnement en jouant sur les échelles spatiales : aux plans de maisons suivent ceux des complexes architecturaux, des vues de rues, de villages. Et la réflexion se poursuit naturellement à plus petite échelle par la carte. Les dessins illustrent aussi les disparités en fonction du niveau social, mais aussi les différences entre milieu urbain et rural (fig.2). Enfin, une comparaison et un parallèle entre maison chinoise sur pilotis du Yunnan et maison japonaise permet de donner de la substance à la thèse de la diffusion d’un modèle architectural (fig.3).
Fig. 1 — Structure de la maison japonaise. 1. Fondations (tamaishi). — 2. Sablière basse [dodai). — 3. Lambourde [ashigatame). — 4. Nuki. — 5. Solive (neda). — 6. Parquet. — 7. Poutre maîtresse (honbari). — 8. Sablière haute (Aera). — 9. Pannes (moya). — 10. Chevrons (taruki). — 11. Voligeage (nojiita). — 12. Bardeaux (kokeraita). — 13. Tuiles (kawara). — 14. Poutre faîtière [типе). — 15. Tatami. — 16. Seuil rainuré (shikii). — 17. Linteau rainure (kamoi). — 18. Shôji. — 19. Fusuma. — 20. Nageshi. — 21. Ramma. — 22. Plafond suspendu. — 23. Toit de la véranda. — 24. Plafond de la véranda. — 25. Fenêtres vitrées coulissantes (garasudo). — 26. Tokonoma. — 27. Tokobashira. — 28. Shoin. — 29. Chigaidana. |
Figure 2 — Les habitations urbaines (en haut) et rurales de style tibétain, d’occupation indifféremment tibétaine ou chinoise ; toits en terrasse ou couverts en chaume abritant une solide construction de pierre. |
Fig. 3 — La maison chinoise sur pilotis. A. – Type archaïque de la région du Yunnan (d’après M. Liu Tun-Chen). — B. – Type moderne (Taiwan) ; la maison japonaise des villes semble dérivée directement de ce type. |
Notice biographique
Jacques Pezeu-Massabuau, né en 1930, agrégé d’histoire-géographie, docteur ès-lettres, a réalisé de nombreuses études sur les thèmes, souvent croisés, de l’Extrême-Orient, de l’habitat, de l’urbanisme, du confort, et de Jules Verne. Il a abordé ainsi, comme géographe, des sujets qui ont trait également à l’architecture, l’urbanisme et l’anthropologie. Il a vécu, enseigné, participé à des actions d’aménagement au Japon.
Simon Estrangin octobre 2023
Bibliographie indicative
2017, BONNIN P., PEZEU-MASSUBAU J., Façons d’habiter au Japon, CNRS
2014, PEZEU-MASSUBAU J., Trente-six manières d’être chez soi, un art de vivre universel menacé, L’Harmattan
2013, Jules Verne, les voix et les voies de l’aventure, L’Harmattan
2007, Construire l’espace habité, l’architecture en mouvement, L’Harmattan
2003, Habiter, rêve, image, projet, L’Harmattan
2002, Du confort au bien-être, la dimension intérieure, L’Harmattan
2001, La maison, espace réglé, espace rêvé, Belin
1983, La maison, espace social, PUF
1977, Pays et paysages d’Extrême-Orient, PUF
Les dessins ci-dessus sont extraits des deux articles suivants :
1966, PEZEU-MASSUBAU J., « Problèmes géographiques de la maison japonaise.», Annales de Géographie, t. 75, n°409, pp. 286-299 ;
1969, PEZEU-MASSUBAU J., « Les problèmes géographiques de la maison chinoise », Cahiers d’outre-mer. n° 87 – pp. 252-287 ;
Pour aller plus loin sur la maison japonaise :
2022 PELETIER P., « la maison japonaise, un quiproquo géographique », La Géographie, n°1587, PP. 20-25