Cet ouvrage, publié en 2024, a été réalisé par Thomas Snégaroff et Romain Huret, qui ont déjà publié dans la même collection,  [Les Arènes / France Inter],  un ouvrage sur Israël Palestine  – Anatomie d’un conflit (2024).
Les Cartes et infographies sont réalisées par Delphine Papin, responsable de ce service au journal Le Monde, aidée par Floriane Picard, cartographe au journal Le Monde. Les Textes complémentaires sont Lucie Rondeau du Noyer.
L’interrogation des auteurs de cet ouvrage est plus que jamais nécessaire en ce début d’année 2025 : les Etats-Unis ont-ils une démocratie modèle ou s’agit-il de l’histoire d’un rêve a bout de souffle ? En 30 questions-réponses, les auteurs de l’ouvrage nous donnent des clés pour comprendre la situation présente. Six chapitres se succèdent, et s’articulent sur 6 dates jugées fondamentales, chronologiquement de 1776 jusqu’à l’assaut contre le Capitole en 2021.


Chapitre I : 1776, la peur de la démocratie

« Rappelez-vous, la démocratie ne dure jamais longtemps. Elle gaspille, s’épuise et se meurt. Il n’y a jamais eu de démocratie qui ne se soit suicidée ».  Cette lettre de John Adams, date du 17 décembre 1814. Cette critique étonne de la part de Adams, qui est l’un des Pères Fondateurs de la République et homme des Lumières .

 En 1776, les treize colonies britanniques d’Amérique se révoltent contre une série de taxes imposées par le Parlement britannique, dont la célèbre taxe sur le thé.
C’est le général Washington qui mène les troupes patriotes à la victoire et c’est Thomas Jefferson qui rédige la déclaration d’indépendance le 4 juillet 1776, le 4 juillet devenant le jour de la Fête nationale.
Les troupes françaises du général Lafayette avaient contribué à la victoire des patriotes, pour se venger de la perte des colonies d’Amérique après la guerre de Sept Ans (1756-1763) contre les Anglais.
La Constitution de 1787, rédigée à Gettysburg, prévoit la séparation des trois pouvoirs : exécutif / législatif / judiciaire. Elle précise aussi que chaque Etat doit envoyer 2 sénateurs au Congrès quel que soit le nombre d’habitants. Elle a connu depuis 27 amendements, dont la suppression de l’esclavage en 1865 et le droit de vote des femmes en 1920.

De 1863 à 1865 se déroule la Guerre Civile ou Guerre de Sécession, entre les Etats nordistes et les Etats sudistes. En 1865 est votée, l’abolition de l’esclavage (il y a alors environ 4 millions d’esclaves)
Mais en 1877, se mettent en place des lois de ségrégation dans l’espace public, dans les Etats Confédérés du Sud. Des panneaux proclament partout « Negroes and dogs not allowed » (interdit aux nègres et aux chiens). Ces panneaux d’une extrême violence  sont « justifiés » par les Sudistes qui affirment qu’il existe deux populations égales mais séparées.
Cette discrimination ne va disparaître que dans les années 1960, après de nombreuses manifestations et de sit-in en faveur de l’intégration des Afro-Américains. Les manifestants sont violemment dispersés, certains même sont emprisonnés comme Martin Luther King. Mais en 1964 et 1965, deux lois assurent l’intégration définitive des Afro-Américains et c’est en 2008 que Barak Obama fut élu président de la république. Il a souvent rappelé qu’il était issu de la « middle class » afro-américaine, qui s’affirme dans les années 1970.
Mais ces avancées, en ce début du XXI ème siècle, sont remises en cause, à l’encontre des fractions les plus pauvres de la population. Une Amérique raciste subsiste.

Chapitre II : 1898, la tentation impériale

Depuis les années 1920, les historiens ont emprunté l’expression de Gilded Age (âge du toc) à Mark Twain pour désigner la période entre la fin des années 1870 et la fin des années 1890 aux Etats-Unis. Elle est caractérisée par une forte croissance économique, une immigration massive et le creusement des inégalités.
Dans les années 1870, les Américains sont occupés à la conquête de l’Ouest, avec des compagnies ferroviaires, des industries minières. De grandes entreprises voient le jour, des trusts ou des robber barons (barons voleurs). La plus célèbre est la United Fruit Compagny qui s’impose jusqu’au Honduras et au Guatemala.
Les 13 Etats initiaux conquièrent les terres sises au-delà du Mississipi et atteignent le Pacifique avant la fin du XIX ème siècle. Les populations amérindiennes sont enfermées dans des réserves.
La doctrine Monroe (1823) va rester valide jusqu’à la fin du siècle : elle condamne toute intervention européenne dans les affaires des Amériques, tout comme celle des Etats-Unis dans les affaires européennes.
Ce n’est qu’en 1898, avec l’intervention à Cuba qui est alors sous l’emprise de l’Empire espagnol, que les Etats-Unis mettent fin à l’isolationnisme. Ils mettent en avant leur volonté d’aider les démocraties.

Théodore Roosevelt (1859-1919) fait alors sien un proverbe africain : « Parle doucement et porte un gros bâton ».
Le poids de la religion reste fort jusqu’à aujourd’hui et les Etats-Unis se croient volontiers porteurs d’une mission civilisatrice. Ainsi, c’est pour lutter contre le communisme, « ce fléau antichrétien » que l’on justifie l’intervention au Vietnam (1955-1975).
C’est aussi pour apporter la démocratie dans le monde arabe que les Etats-Unis interviennent en Irak en 2003, dans la 2ème guerre du Golfe, en présentant Saddam Hussein comme un deuxième Hitler.

Chapitre III : 1941, l’adieu à l’isolationnisme

En 1940 naît le Comité America first, dont le porte-parole le plus éminent est l’aviateur Charles Lindbergh. Il prône l’isolationnisme et s’oppose à tout soutien direct à l’effort de guerre britannique. Il s’oppose aussi à l’immigration juive et catholique, venues d’Europe de l’est et du Sud. C’est certainement la face la moins connue du prestigieux aviateur !
Mais c’est dès 1921, que des quotas sont mis en place car l’Amérique doit rester « wasp » c’est-à-dire blanche, anglo-saxonne et protestante. C’est aussi dans les années 1920 qu’émerge le KKK (Ku Klux Klan) qui s’oppose à l’abolition de l’esclavage.

Le 7 décembre 1941, l’attaque surprise de la base américaine de Pearl Harbor (Hawaï) par les Japonais remet tout en cause. Immédiatement le Comité America first se dissout et l’ensemble de la population et de ses élites industrielles (Ford, Dupont de Nemours) soutenues par le Royaume Uni et le Canada s’engagent dans la guerre. Le projet Manhattan (1942-46) va développer des activités d’ingénierie militaire, d’enrichissement de l’uranium et d’espionnage.
Il faut attendre 2016 pour que les Etats-Unis reviennent à une volonté d’isolationnisme ou de partage des tâches dans le cadre de l’OTAN. La reprise du slogan par Donald Trump ne vient pas de nulle part … A chacun revient de prendre en charge sa défense !

Chapitre IV : 1968, une guerre civile culturelle

En 1968, Richard Nixon, sur le point de gagner les élections présidentielles, estime que l’Amérique est malade.
Les hippies revendiquent l’héritage de l’Amérique des pionniers, allant parfois jusqu’à quitter les villes pour recréer des communautés rurales où l’on prône l’amour libre. Les féministes, qui ont obtenu le droit de vote en 1920, reprennent le combat pour l’égalité des droits. Le mouvement atteint son maximum d’influence lors du festival de musique de Woodstock en 1969.
Nixon, élu en 1969, est réélu en 1972, mais il fut emporté par le scandale du Watergate en 1974. Le Watergate est le nom d’un hôtel où se réunissaient les opposants politiques à Nixon et qu’il décide de placer sur écoute.
En interne, la violence politique n’a jamais cessé : émeutes raciales de Watts en 1962 dans les quartiers noirs des grandes villes ; assassinat de Martin Luther King en 1968 à Memphis, puis la même année de Bobby Kennedy, le frère  de J.F. Kennedy.
Après Nixon, Jimmy Carter (1977-1981) arrive au pouvoir. C’est un démocrate. Nixon puis Carter ont dû faire face aux deux chocs pétroliers de 1973 et 1979.
Aux élections suivantes, Ronald Reagan, un républicain, l’emporte et se présente comme le sauveur de la démocratie et le retour à la prospérité. Il fut d’abord un acteur renommé d’Hollywood, qui sut promettre la fin de « l’âge des ténèbres ».Il fut réélu pour un deuxième mandat (1984-1988). Son slogan favori est : « Dans la crise actuelle, l’Etat fédéral n’est pas la solution à nos problèmes. C’est l’Etat fédéral qui est le problème ». Il s’empresse donc de réduire le nombre de services sociaux et les programmes d’aide. Vous l’avez bien compris, Donald Trump ne fait que reprendre le discours de Reagan… n’oublions pas qu’il fut lui-même présentateur de shows à la télévision.
A propos de Martin Luther King (1929-1968)-  « I have a dream »
Grand lecteur de Thoreau et de Gandhi, il combat pour l’égalité des droits et son obtention par l’action non violente, dont la désobéissance civile. Il demande en 1955, le boycott des bus de Montgomery après que Rosa Park a refusé de céder sa place à un Blanc. Citations :
« Aujourd’hui, dans la nuit du monde et dans l’espérance de la Bonne Nouvelle, j’affirme avec audace ma foi dans l’avenir de l’humanité.
Je refuse de croire que les circonstances actuelles rendent les hommes incapables de faire une terre meilleure.
Je refuse de croire que l’être humain ne soit qu’un fétu de paille ballotté par le courant de la vie, sans avoir la possibilité s’influencer quoi en que ce soit le cours des événements.
Je refuse de partager l’avis de ceux qui prétendent que l’homme est à ce point captif de la nuit sans étoiles du racisme et de la guerre, que l’aurore radieuse de la paix et de la fraternité ne pourra jamais devenir réalité.
 La vie, même vaincue provisoirement, demeure toujours plus forte que l’amour.
Je crois que, même au milieu des obus et des canons, il reste l’espoir d’un matin radieux ».

Chapitre V: 2001, la démocratie brutalisée

Quelques dates des mandats présidentiels  pour se repérer
George H.W ; 1989-1993 = Républicain
Bill Clinton 1993-2001   = Démocrate
George Bush = 2001-2009 Républicain
Barack Obama = 2009-2017 =Démocrate
Donald Trump 2017-2021 = Républicain

En 1992, le politologue Francis Fukuyama publie un essai intitulé La Fin de l’histoire et le Dernier homme. Il se réjouit de la disparition de l’URSS en 1991; de la victoire des Etats-Unis dans la guerre froide  et de celle d’un ordre mondial fondé sur la libre entreprise, les droits de l’homme et le multiculturalisme. Il crée le sentiment d’une mondialisation heureuse.
En 1994 sont signés les accords de libre-échange de l’ALENA, avec le Canada et le Mexique. La Chine adhère à l’OMC  (Organisation Mondiale du Commerce) en 2001. Le libre-échange doit à présent régner partout dans le monde.
A l’extérieur des frontières, et pour imposer la démocratie, les Etats-Unis se sont engagés dans de nouvelles guerres au Moyen Orient : en août 1990, pour arrêter l’expansionnisme de Saddam Hussein, le dictateur irakien; puis en 2001 la guerre en Afghanistan contre les Talibans et en 2003 celle en Iran contre les mollahs.
Mais le 11 septembre 2001 sonne le glas de cette illusion d’optique. Le choc du 11 septembre est similaire à celui de Pearl Harbor.
Les Etats-Unis votent le Patriot Act en octobre 2001. Il limite les libertés individuelles et octroie un plus grand pouvoir de police à l’Etat fédéral qui peut mettre sur écoutes ou perquisitionner les individus soupçonnés de terrorisme.
Depuis 2001, les Etats-Unis se considèrent comme « une société en guerre ». Chacun peut (et même doit) posséder une arme puisque le pays est menacé par l’islam et par l’effondrement du monde. Environ 30 tueries de masse ont bousculé le pays depuis 1984, faisant à chaque fois entre 10 et 61 morts.

Chapitre VI : 2021, la prise du Capitole

Le démocrate Joe Biden devient président durant les années 2021-2024. Mais, Donald Trump refuse de reconnaître sa défaite et le 6 janvier 2021 il cautionne l’assaut du Capitole, où siègent les deux assemblées. Les partisans de Trump sont persuadés qu’ils viennent de sauver la démocratie, celle des Pères fondateurs.
La remise en cause des élections n’est pas nouvelle, elle a commencé dès le début des années 2000. En 2000, l’élection de Bush est contestée par Al Gore ; en 2008, celle de Obama qui est suspecté de n’être pas Américain. En 2016, la défaite de Hillary Clinton est constitutionnelle, mais elle avait eu plus de voix que Trump. Enfin, en 2020, Trump accuse les démocrates de tricheries sur les machines à voter électroniques.

Pour avoir une idée de la fragmentation actuelle des Etats-Unis, j’ai choisi de reprendre, dans l’ouvrage, un tableau et deux cartes.

 

Epilogue

La campagne présidentielle de 2024 n’a semblé obéir à aucune règle : coups de feu, coups de semonce, coups de théâtre, la démocratie est entrée dans une zone de turbulences sans fin prévisible.
Trump n’est président que depuis quelques semaines, et pas un jour ne passe sans qu’il ne décrète des choses invraisemblables qui laissent sans voix ceux qui se croyaient leurs alliés, ceux qui croyaient dans les valeurs de la démocratie américaine.

Maryse Verfaillie –compte rendu écrit le  1er mars 2025-