Depuis quelques mois maintenant, les Cafés géographiques sont sur Facebook. Et, comme tous ceux qui s’y sont essayés, ils reçoivent des publicités « ciblées ». Passons sur le fait que Facebook propose nécessairement à toute personne qui aurait sélectionné, pour son profil, le sexe féminin, des publicités sur les régimes (une femme aurait comme « nécessairement » des kilos à perdre)… Passons également sur la dangerosité des régimes proposés. Mais intéressons-nous aux représentations et à la géographie de la maigreur.

Un compte Facebook inscrit en France reçoit de telles images : la maigreur comme critère esthétique de beauté.Puisqu’on vous dit que c’est un secret d’« Hollywood » ! La symbolique de ce haut-lieu de la production cinématographique et sérielle est ici évoquée pour rappeler que la maigreur est devenue un des arguments de marketing et de beauté hollywoodiens. Des actrices ont récemment fait connaître, via les réseaux sociaux notamment, leur désaccord sur les retouches de leur corps pour les affiches de leurs films. Dernier exemple médiatique en date : Ashley Benson critiquant en décembre 2013 les retouches de l’affiche de la saison 4 de la série dans laquelle elle joue, Pretty Little Liars, depuis son compte Instagram. Pourtant, de la maigreur hollywoodienne (à laquelle s’ajoute son corollaire, l’absence de rides) à la maigreur des pays dits du Sud, il existe bien une géographie différenciée, formatée par nos représentations.

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Exemple de publicité « ciblée »
Source : Facebook.

Un élève dans le secondaire voit, dans les manuels scolaires de géographie, une autre image de la maigreur : celle des pays dits du « Sud » qui est associée à la pauvreté. En cours de littérature, il étudie également Nana d’Émile Zola, dans lequel il apprend que Nana perd toute sa beauté en devenant, à la fin du roman, maigre et rongée par la maladie, alors qu’elle devait son succès à ses formes pulpeuses, signes de beauté. En histoire de l’art, il découvre des femmes nues peintes pour et avec leurs formes, là encore symboles de leur éclat. Et, dans les manuels d’histoire, il apprend que longtemps, dans notre propre société, la grosseur, associée à l’abondance, était un signe de beauté. Pendant bien plus longtemps que le « règne de la maigreur ».

« Comparaison des situations alimentaires » Source : « La situation alimentaire au Tchad et aux Etats-Unis », Le Livre scolaire, Histoire-Géographie 5e.

« Comparaison des situations alimentaires »
Source : « La situation alimentaire au Tchad et aux Etats-Unis »,
Le Livre scolaire, Histoire-Géographie 5e.

Si l’on en croit les images ainsi véhiculées, une géographie de la maigreur se dessine : esthétique recherchée dans les Nords et signe de mal-développement dans les Suds. Pourtant, partout dans le monde, la maigreur (on ne parle pas là des personnes minces, mais bien de celles qui sont en dessous du poids « minimum » pour leur taille) pose de nombreux problèmes de santé à ceux qui en souffrent. Aspect fort bien expliqué dès lors qu’il s’agit des Suds : la maigreur, liée à une sous-alimentation et/ou une malnutrition, provoque de nombreux risques sanitaires.

Le pourcentage de femmes dont l’indice de masse corporelle est insuffisant ou excessif dans un rapport de la F.A.O. : un indice calculé seulement pour les pays dits du « Sud » Source : Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (F.A.O.), 2001, L’état de l’insécurité alimentaire dans le monde 2000 [PDF], p. 12. Pourtant, si l’insécurité alimentaire est associée, dans notre imaginaire, aux Suds, une nouvelle forme d’insécurité alimentaire émerge dans les Nords, autour de ce « règne » des régimes forcés et excessifs qui sont devenus un argument commercial pour de nombreux produits, y compris pour ceux vendus dans les pharmacies ! « Problème considéré comme marginal, la maigreur est peu étudiée en France »[1]. Et pourtant, celle-ci s’impose comme une « norme » de la beauté, diffusée depuis les hauts-lieux de la mode (que sont les podiums des défilés) et du cinéma (et notamment Hollywood).

Le pourcentage de femmes dont l’indice de masse corporelle est insuffisant ou excessif dans un rapport de la F.A.O. : un indice calculé seulement pour les pays dits du « Sud »

Source : Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (F.A.O.), 2001, L’état de l’insécurité alimentaire dans le monde 2000 [PDF], p. 12.

Pourtant, si l’insécurité alimentaire est associée, dans notre imaginaire, aux Suds, une nouvelle forme d’insécurité alimentaire émerge dans les Nords, autour de ce « règne » des régimes forcés et excessifs qui sont devenus un argument commercial pour de nombreux produits, y compris pour ceux vendus dans les pharmacies ! « Problème considéré comme marginal, la maigreur est peu étudiée en France »[1]. Et pourtant, celle-ci s’impose comme une « norme » de la beauté, diffusée depuis les hauts-lieux de la mode (que sont les podiums des défilés) et du cinéma (et notamment Hollywood).

« La maigreur, un problème mal connu un France »

La maigreur, définie par un IMC inférieur à 18,5 kg/m2, est plus un indicateur de description de l’état nutritionnel d’une population que d’un individu. Il est particulièrement utile dans les pays en développements ou en temps de crise, parce qu’il cerne un problème de malnutrition, voire de sous-nutrition. Dans les pays en développement, les problèmes de maigreur sont souvent associés à des problèmes de malnutrition. Dans les pays industrialisés, où règne la sécurité alimentaire, cet indicateur renvoie davantage à des problèmes de santé aussi différents que des troubles du comportement alimentaire (anorexie), des maladies endocriniennes ou métaboliques (hyperthyroïde, diabète), des maladies chroniques (cancers), infectieuses (sida) ou neurologiques (maladie de Parkinson) et d’alcoolisme. Cet indicateur est particulièrement difficile à interpréter pour la population jeune qui, d’une façon générale, souffre peu de ces affections et dont la maigreur est passagère. Problème considéré comme marginal, la maigreur est peu étudiée en France. On dispose toutefois de deux enquêtes réalisées en 2000 : la première montre que 4,6 % des adultes des deux sexes déclarent un rapport poids/taille qui les range dans la catégorie maigre ; la seconde, portant sur les 20-75 ans, calcule une prévalence masculine de 1,3 % et une prévalence féminine de 7,8 %. (…)

On considère que deux groupes de population sont particulièrement exposés :

– la population féminine, particulièrement les jeunes, plus touchée par des troubles du comportement alimentaire et plus exposée aux modèles contemporains de maigreur, voire de maigreur ;
– la population âgée touchée par la dénutrition (malnutrition protéino-énergétique).

Source : Marie-Laure Kürzinger, 2006, Atlas de la santé en France, vol. 2 « Comportements et maladies », John Libbey Eurotext, pp. 94-95.


La maigreur en France : une géographie très contrastée Source : Marie-Laure Kürzinger, 2006, Atlas de la santé en France, vol. 2 « Comportements et maladies », John Libbey Eurotext, pp. 96.

La maigreur en France : une géographie très contrastée
Source : Marie-Laure Kürzinger, 2006, Atlas de la santé en France, vol. 2 « Comportements et maladies », John Libbey Eurotext, pp. 96.

Alors que la maigreur est tant présentée dans les Suds, pourquoi est-elle rarement évoquée dans les Nords ? La géographie de la maigreurne pourrait-elle être pensée autrement quecomme un facteur supplémentaire justifiant la ligne de clivage Nord/Sud ? « Le trait serpente sur nos cartes scolaires, traverse continents et océans, s’insinue entre les États, les sépare incidemment en deux ensembles opposés et finit son tour du monde en ayant divisé celui-ci en deux moitiés qui n’ont que peu à voir avec les hémisphères malgré le nom donné à cette vision dichotomique du globe: Nord/Sud »[2]. Cette ligne est-elle pertinente pour penser la maigreur ? Il est certain, au moins, que la limite Nord/Sud s’impose dans nos représentations de la maigreur. Géographie de la « beauté » d’un côté, géographie de la souffrance d’un autre : la manière dont on perçoit les corps dessine une géographie de l’inégalité qu’il conviendrait de replacer au cœur de la réflexion sur nos représentations.

Bénédicte Tratnjek


[1]Marie-Laure Kürzinger, 2006, Atlas de la santé en France, vol. 2 « Comportements et maladies », John Libbey Eurotext, p. 94.

[2] Vincent Capdepuy, 2007, « La limite Nord/Sud », Mappemonde, n°88, n°4/2007, rubrique « L’image du mois », en ligne : http://mappemonde.mgm.fr/actualites/lim_ns.html