Michel Sivignon a disparu au printemps dernier.

Parmi les multiples facettes de son œuvre de géographe, la rubrique « Le Dessin du Géographe » du site internet des Cafés Géographiques tient une place à part qui révèle un peu une face cachée de son talent. Par-delà une grande érudition, un souci de recherche des nœuds entre géographie, histoire et cultures, il prenait le dessin comme un moyen de développer une géographie spontanée (comme il l’a décrite dans un texte de Géographie Humaine de 2016).

Michel Sivignon croqué par Roland Courtot au cours de l’excursion de géographie rurale en Thessalie en 2001 (Le Dessin du Géographe n°81, 2020)

« Le Dessin du Géographe »

Michel Sivignon a créé avec Roland Courtot cette rubrique originale portée par les Cafés Géographiques. Au demeurant peu académique, cette série est destinée à mettre en valeur les croquis et dessins dont nombre de géographes anciens ou plus récents se sont servi pour explorer un paysage, nourrir leurs analyses ou pour illustrer leur propos. La série compte désormais une centaine de livraisons.

Si Michel Sivignon dessinait beaucoup à côté de ses recherches de géographie rurale, historique et culturelle, il n’a, par modestie, publié aucun de ses dessins dans la rubrique du dessin du géographe. Le seul qu’héberge le site de l’association des Cafés Géographiques se trouve sur une autre rubrique, celle des cartes postales.

Un caïque à Volos (Grèce).
Aquarelle de Michel Sivignon publiée dans la rubrique « cartes postales » des cafés géographiques en 2006

A côté de ses recherches de géographie rurale, historique et culturelle, Michel Sivignon dessine beaucoup. Mais ses dessins ne figurent pas dans la rubrique. Quelques croquis de voyage au japon et en Italie qui nous ont été confiés par Michèle, son épouse, pourront ici illustrer son talent.

Michel Sivignon a développé une géographie sensible. Le dessin est pour lui un outil formidable pour appréhender le monde qu’il parcourt. De la Thessalie autour de son ancrage à Volos, jusqu’aux aux nombreux voyages de recherche ou de loisirs, le carnet et le crayon sont ses outils. Sa perception s’attache à donner sens aux paysages, aux constructions ou aux pratiques sociales. Son regard éclaire aussi les personnages qu’il pouvait croiser. Et il a du talent pour exécuter rapidement des paysages ou des scènes observées. La palette de Michel est variée. Dessinateur infatigable, son œil accroche ce qui éclaire la scène, et son trait est plein de générosité et d’humour.

Paysages

Au cours d’un voyage au Japon, voici la région d’Hiroshima

Une aquarelle réalisée à partir sommet de l’île de Itsukushima, en face d’Hiroshima. Quelques arbres au premier plan, quelques îlots dans la mer du Japon, un lointain de collines. Le paysage est simple et apaisé. Il s’accompagne de notes évoquant la bombe atomique de 1945 et l’histoire d’une survivante. Ces quelques phrases font entrer dans la mémoire directe du bombardement.

 

Un croquis d’Osaka vue d’une tour

La vue du centre-ville d’Osaka à travers Google Earth

Un petit croquis rapide pour une vue plongeante depuis une grande tour située au-dessus de la « gare gigantesque » d’Osaka, trace un faisceau d’autoroutes urbaines et de ponts ferroviaires sur la rivière. On devine une rame de train, les rives vertes au milieu d’un monde tours qui se concentrent sur les deux rives du fleuve. Cette sorte de gribouillis place les éléments du centre-ville avec son réseau d’autoroutes.

Scènes de vie sociale et culturelle

Un dessin de rizières étagées sous le grand sanctuaire shinto de Ise près de Matsuaka (à l’Est d’Osaka). Le cayon retient un temple mineur intégré dans le paysage rural. Une image pour comprendre la culture à travers un paysage. C’est l’économie du trait, qui donne force au schéma dans un paysage reconstruit.
Des personnages croisés dans le train pour Ise et  des notes sur la culture Shintoïste.
Le dessin rapide reste moins intrusif vis-à-vis du sujet qu’une photographie prise à la volée. Le crayon présente des personnages dont la silhouette se télescope avec les notes éparses dans une recherche des traces de l’histoire culturelle japonaise

Des scènes de vie quotidienne

Une scène matinale dans le train vers Takamatsu (dans l’île de Sikoku) et un tampon des portes du parc de Ritsurin crée à l’époque Edo.
Cette image montre le souci de saisir un moment de la vie japonaise entre vie quotidienne et sites culturels.

Le Dessin du Géographe : du projet à la série

« Un certain nombre de géographes dessinent lors d’excursions sur le terrain ou de missions scientifiques. Certains en ont même fait une activité régulière, et en illustrent leur production. Mais cette activité demeure presque confidentielle. Beaucoup de dessins restent dans les tiroirs, n’ayant bénéficié que d’un regard furtif et admiratif des collègues qui jettent un coup d’œil sur le carnet. » ainsi s’ouvre la série du « Dessin du Géographe »

Le projet de la rubrique est donc de mettre en valeur des croquis de terrain ou des esquisses plus élaborées qui ponctuent les travaux de certains géographes. Cette initiative se veut à contre-courant de la tendance actuelle des universitaires à multiplier les prises de vue par photographie ou cinéma, à construire des raisonnements sur des plan zonés, des images satellitaires, des diagrammes statistiques sans lien immédiat avec le réel sensible.

Les livraisons reprennent les dessins d’anciens maitres comme des croquis de Paul Vidal de La Blache ou des blocs-diagramme de Emmanuel De Martonne, ou encore des paysages ruraux de Pierre Deffontaines. Ce sont aussi des croquis d’artilleurs qui replacent les images dans le champ de l’histoire. Ou encore des images métaphoriques illustrant des ouvrages généraux. Ainsi les Dessins du Géographe tracent une trajectoire de croquis à travers plus d’un siècle. La rubrique a offert une place à des générations différentes de géographes, des gens venus d’horizons différents (graveurs, affichistes, archéologues…), et des dessins de nature différente (caricature, illustration de manuel).  C’est un lieu de rencontre des images, des perspectives, des questionnements des géographes ou d’autres qui ont appréhendé une portion du monde par des outils graphiques. Il s’agit aussi de faire connaitre des travaux originaux à travers un outils qui n’est pas démodé, le carnet et le crayon. Il s’agit encore de susciter les gribouillis, les croquis de terrain, les schémas qui font naitre les idées par-delà le discours académique. Le carnet de terrain peut ainsi être exposé et prendre sa place dans les perspectives sensibles de l’enquête, les interrogations et même esquisser des interprétations.

La série dans sa diversité met en valeur l’outil graphique comme moyen de perception et d’échange autour des paysages ou de scènes sociales. C’est aussi un support pour des constructions ou des reconstructions, voire de modèles empiriques d’un espace.

Le Dessin du Géographe est conçu par Michel Sivignon avec Roland Courtot pour accueillir les images dans leur diversité pour en expliciter le sens. Il est finalement resté très pudique avec ses propres dessins et s’est attaché à valoriser ceux des autres. Il y avait là une vraie générosité. La rubrique, au fil des livraisons, s’est construite comme une défense et illustration du dessin. Elle a rassemblé avec une grande ouverture d’esprit des images riches de sens qui éclairent la diversité de la démarche géographique.

Michel Sivignon a ouvert une fenêtre, une belle fenêtre, où s’établit un dialogue entre géographie, culture et histoire autour de dessins plus ou moins aboutis, mais qui sont riches de sens. Ces rencontres qui passent autant par l’image que par les mots pourront se donner un bel avenir.

Nous sommes reconnaissants à Michel Sivignon de la réussite de son projet.

Une rue de Bologne (Italie) dessin et lavis de Michel Sivignon

Cette image montre l’économie du trait et le jeu des volumes pour saisir cet espace construit. La perspective inscrit l’histoire dans cette rue. Elle traduit aussi une certaine recherche esthétique.

Charles Le Cœur, Roland Courtot et Simon Estrangin, novembre 2024