La découverte des grands fonds marins nourrit autant l’imaginaire des poètes que des chercheurs chez qui le mythe de l’Atlantide trouve encore quelque écho. Ils gardent encore beaucoup de leurs mystères malgré les grands progrès accomplis depuis l’époque du capitaine Nemo. Pour nous en dévoiler quelques-uns, l’ICP reçoit ce mardi 21 janvier 2025 deux représentants d’Abyssa, compagnie française d’exploration des grands fonds sous-marins, fondée en 2019 : son président Jean-Marc Sornin, titulaire d’une thèse de géologie marine et ancien chercheur à l’IFREMER, et Carla Frier.


Pour quoi et pourquoi s’intéresser à ces grands fonds où la lumière ne pénètre pas ?

Profiter de leurs richesses potentielles constitue une première réponse. Ces richesses sont d’abord biologiques avec plus de 5000 espèces répertoriées. Elles sont aussi minérales. Nodules polymétalliques, sulfures polymétalliques, terres rares suscitent bien des convoitises depuis plusieurs décennies. Mais toute activité se déroulant dans les grands fonds est supervisée par l’Agence internationale des fonds marins (1), créée en 1994 sous l’égide de l’ONU. C’est elle qui délivre les licences d’exploration-hors ZEE (2) des ressources minérales (manganèse, cobalt, cuivre, nickel) considérées comme « bien commun de l’humanité ».

Pour mieux protéger les grands fonds qui sont des milieux fragiles, on a besoin de mieux les connaître. C’est aussi le besoin d’une gestion durable qui motive leur exploration.

Avec son immense domaine maritime mondial, 11 millions de km2 répartis sur quatre océans (2ème rang mondial), la France joue un rôle important dans le domaine de la protection marine. Son savoir-faire date des années 1960/1970. Aussi l’IFREMER (3) a-t-il obtenu les premiers contrats d’exploration. Mais aujourd’hui les moyens alloués à cette activité semblent diminuer (la suppression d’un secrétariat à la mer dans le gouvernement Bayrou actuel (4) en est un signe inquiétant). Par manque de moyens notre pays risque de connaître un décrochage scientifique.

Quels moyens utiliser pour connaître les grands fonds ?

Jean-Marc Sornin fait un bref rappel historique.

Dès le 15ème siècle, les navigateurs portugais et espagnols sont capables de mesurer la température des océans, ce qui ne permettait pas de dresser des cartes sous-marines. Ce n’est qu’au 19ème siècle que sont réalisées les premières cartes des fonds marins et au début du 20ème siècle les cartes bathymétriques (5). En 1977 l’Américaine, Marie Tharp, cartographe, océanographe et géologue, publie la première carte mondiale de la topographie des fonds océaniques.

Comment mesure-t-on la profondeur des eaux ?

De l’Antiquité au 19ème siècle, on a utilisé des plombs de sonde. Aujourd’hui les outils de mesure sont nombreux, tels les carottiers multitubes, les enregistreurs acoustiques, les sonars et sondeurs multifaisceaux qui permettent de faire des mesures bathymétriques mais aussi de mesurer les anomalies magnétiques, la température et la fluidité des eaux, les courants.

 Les caméras vidéo sont d’un grand intérêt pour les biologistes et les drones sous-marins permettent une approche multi-échelle (à différentes profondeurs). Un exemple nous est donné par l’exploration du parc naturel corse à l’aide de drones qui sont descendus jusqu’à moins 2500 m. On a pu ainsi réaliser une cartographie du fond et découvrir de nouvelles espèces. L’objectif de tels travaux est de protéger et surveilles les zones naturelles.

Pour l’étude des grands fonds, la France offre un contexte porteur. A la recherche académique produite par plusieurs Instituts et Universités s’associent un écosystème entrepreneurial riche (une centaine d’entreprises) et le soutien des pouvoirs publics (cf. le plan de relance de 2020).

Notes :

1-L’AIFM (Association internationale des fonds marins) comprend des Etats défendant un moratoire d’exploitation, comme la France et le Costa Rica, et d’autres favorables à l’exploitation des ressources minières comme la Chine, le Japon et l’Inde (les terres rares utilisées pour favoriser la transition énergétique sont particulièrement visées).

2-ZEE (zone économique exclusive) : espace maritime situé entre les eaux territoriales et les eaux internationales, sur lequel l’Etat riverain exerce sa souveraineté et dispose des ressources naturelles.

3-IFREMER : Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer

4-Le poste est intégré dans un grand ministère de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche.

5-Cartes bathymétriques : cartes mesurant les profondeurs des océans et des mers et donc représentant la topographie des fonds marins.

Michèle Vignaux, janvier 2025