Café géographique de Châlons-en-Champagne,
Pour ouvrir ce Café Géo, Farid Benhamou présente l’intervenant du jour, Thierry Rebour, maître de conférences à Amiens et auteur de la « Théorie du rachat ». Son exposé reprendra une partie des idées développées dans ce livre.
Thierry Rebour prend la parole et rappelle que depuis la fin des années 60, on observe un renversement des flux migratoires notamment à l’échelle infra-régionale, les flux centripètes devenant des flux centrifuges. Ce mouvement a d’abord fait craindre aux géographes une « fin des villes » puis ceux-ci ont ensuite parlé de rurbanisation pour enfin en arriver à envisager ces dynamiques comme étant, peut-être, une nouvelle forme de croissance urbaine extensive, appelée péri-urbanisation, ex-urbanisation ou encore métropolisation.
Mais Thierry Rebour de s’interroger : et si ces flux n’avaient pas engendré une métropolisation mais au contraire une désurbanisation, fille d’un exode urbain ?
Déclin urbain, renouveau rural
Pour illustrer son propos, il entreprend d’étudier en premier lieu le cas français. Les chiffres fournis par l’INSEE illustrent une augmentation de la population urbaine entre 1954 (24 millions) et 1999 (44,8 millions), population au sein de laquelle Thierry Rebour distingue une population des pôles urbains en stagnation alors que la croissance de la population périurbaine est impressionnante (d’un niveau proche de 0 en 1954 à 3 millions en 1975 puis 9,5 millions en 1999), à tel point qu’elle semble responsable à elle seule de la « croissance urbaine ».
Concernant la population rurale, son niveau le plus bas se situe entre 1968 et 1975, soit aux environs de 14,3 millions, pour remonter à 14,7 millions en 1990. Seulement, à cette date, l’INSEE change son référentiel ; cette manipulation a pour conséquence de provoquer une stagnation voire une baisse artificielle de la population rurale qui serait en forte augmentation sans la modification citée plus haut. Cette population rurale, continue d’augmenter de 1975 à 1999 pourrait être évaluée à 15 millions de personnes si l’INSEE n’avait pas modifié la donne. D’ailleurs les ZAU, de création récente, vont dans le sens d’une sous-évaluation de cette population dans la mesure où elles introduisent une définition fonctionnelle et non plus spatiale. Dans le même temps, à délimitation constante, la population urbaine ne progresserait plus que par extension de la péri-urbanisation.
La question, pour Thierry Rebour, est de savoir si cette péri-urbanisation est une poursuite de l’urbanisation. Il remarque que ces territoires périurbains ont de faibles densités, de 200 à 700 h/km², pour des territoires supposés urbains. En outre, 6 millions de Français vivent dans ce que l’INSEE qualifie de « rural profond périurbain ». Ces zones sont constituées, outre les pôles urbains (et leurs 5000 emplois), de leurs satellites et des satellites de ceux-ci à condition que 40% des actifs travaillent dans les pôles urbains.
Comment l’INSEE justifie-t-il ce redécoupage ? Pour l’institut, les néo-ruraux auraient conservé une mode de vie urbain ce qui transformerait donc les espaces ruraux en espaces urbains. Mais Thierry Rebour fait remarquer que dans ce cas, pourquoi ne fait-on pas le même raisonnement pour le 19ème siècle ? Pourquoi l’arrivée de ruraux dans les villes à cette époque n’aurait-t-elle pas transformé de la même manière les espaces urbains en espaces ruraux ? En fin de compte, si l’INSEE n’avait pas procédé à ces retouches, on compterait environ 38 millions d’urbains et 20 millions de ruraux en France.
Ce renouveau rural, tout comme la stagnation ou le déclin urbain, n’est pas spécifique à la France. Thierry Rebour, reprenant les chiffres de François Moriconi-Ebrard évalue, pour la période 1970-2000, la croissance urbaine relative (croissance de la population urbaine – croissance de la population totale) dans les pays développés entre -2 à +7% alors que dans les pays en développement, il avance une fourchette de +15 à +60%. Pourtant certains auteurs, comme V Dupont, et T.Mc Gee, assimilent la péri-urbanisation des pays développés à celle des pays en développement en faisant de l’automobile l’une des causes explicatives de cette péri-urbanisation. Mais il y aurait là confusion entre les stocks et flux.
Dans les pays développés, les noyaux péri-urbains sont alimentés par le départ des habitants des villes, via des flux centrifuges, vers les campagnes ; dans les pays en développement, l’exode rural alimente une suburbanisation et non une péri-urbanisation, via des flux centripètes.
Thierry Rebour conclut cette première partie de son exposé en distinguant trois types de flux migratoires infra-régionaux :
*les flux centre-ville/banlieue, identifiés en premier dans les villes anglo-saxonnes au début du 20ème siècle, au cours desquels s’opère une substitution capital-travail. L’intensité du capital s’accroît dans les centres-villes tandis que celle du travail diminue ; dans les banlieues, l’intensité du capital diminue alors que celle du travail augmente ; mais l’intensité des facteurs de production est partout en augmentation.
*Une croissance centrifuge indirecte, alimentée par des flux centripètes qui s’arrêtent aux marges des villes à cause d’une densité trop forte ou d’une rente foncière trop élevée .Cette dynamique existait dans les pays développés jusqu’aux années70. Elle existe encore aujourd’hui dans les PVD et les NPI. L’exode rural y nourrit aujourd’hui la suburbanisation.
*Les flux centrifuges directs de l’agglomération vers les campagnes péri-urbaines. Les habitants que perdrait la ville correspondrait à ce que gagnerait le péri-urbain. Ces trois types de flux sont souvent confondus en raison de raisonnements erronés que Thierry Rebour aborde dans la deuxième partie de sa conférence.
Les causes de la péri-urbanisation
En premier lieu vient le rôle attribué par certains à l’automobile pour expliciter la péri-urbanisation. Mais est-on en présence d’une cause ou d’un moyen de la péri-urbanisation ?
Selon les données de François Moriconi-Ebrard, il n’est pas possible d’observer une relation étroite entre le moment où les populations s’équipent en automobile et la mise en place d’une dynamique de péri-urbanisation. L’accession massive des ménages à l’automobile s’opère bien avant le renversement des flux migratoires. L’exemple américain vient appuyer cette affirmation car l’existence de 30 millions d’automobiles en circulation avant la deuxième guerre mondiale ne produisit pas une péri-urbanisation mais une suburbanisation. Plus récemment, dans le croissant périphérique américain (plus fréquemment nommé Sunbelt), le renversement migratoire s’esquisse seulement à partir de 2006-2007 or l’équipement des ménages en voitures n’y est pas moindre que dans le Nord-Est.
Autre type de théorie avancée pour justifier la péri-urbanisation, celle des choix individuels. Les néo-ruraux choisiraient sans contraintes l’habitat péri-urbain arbitrant, comme le suggère le modèle d’Alonso, entre coût de transport et coût du foncier. Ce modèle est désormais rejeté par la plupart des scientifiques et, en réalité, il apparaît que la rente foncière et les prix de l’immobilier dans le centre jouent désormais un rôle de « pompe refoulante » vers les campagnes péri-urbaines des pays développés.
Si on opère un changement d’échelle pour s’intéresser à l’échelle nationale, les mêmes réflexions conservent tout leur sens. Ainsi la théorie de la Sunbelt s’appuie elle aussi sur la théorie des choix individuels : les cols blancs, à la recherche du soleil, s’installeraient au Sud et à l’Ouest des Etats-Unis, les entreprises les suivant sans rechigner. Ce concept ne résiste pas aux réalités climatiques et économiques des Etats-Unis :
– Situer Seattle (250-300 jours de pluie par an) et le vieux Sud (2 mètres de précipitation annuelle) dans la Sunbelt est un non-sens. Au-delà, rapatrier ce concept en France (Bretagne) et en Angleterre (bassin de Londres) le discrédite encore un peu plus et Thierry Rebour de regretter sa présence dans de nombreux manuels du secondaire et du supérieur.
– Pire, cette théorie suppose une mobilité du capital attachée et soumise à celle du travail ce qu’aucun néo-classique n’avait osé prétendre.
On serait plutôt en présence d’un cas illustrant la même dynamique migratoire centrifuge à l’échelle nationale, les flux se dirigeant du centre vers la périphérie, des villes vers les campagnes, des régions urbanisées vers les régions rurales toujours sous l’influence de la rente foncière et son rôle de « pompe refoulante ».
Si les prix fonciers ont peu varié entre 1945 et 2000, suivant en cela l’inflation moyenne, l’immobilier a lui fortement augmenté, entraîné par la hausse des prix, et la baisse des volumes de la branche du BTP à partir de 1969. Toutes les branches de la production physique, dans les pays développés depuis les années 60/70, ont suivi une évolution similaire, mais décalée dans le temps : le passage d’une dynamique de type, augmentation des prix et des volumes, à celle associant, à l’inverse, augmentation des prix et baisse des volumes. Selon les spécialistes, les pays furent touchés à des époques différentes : Royaume-Uni (années 60), France, Belgique, Nord des Etats-Unis (années 70), Allemagne (année 80), dragons asiatiques, Californie (années 90) et bientôt le croissant périphérique dans les années 2000.
Tout se passe donc comme si les rendements devenaient progressivement décroissants dans les pays développés. Or les rendements croissants millénaires avaient toujours produit plus d’agglomération et d’urbanisation. Les rendements décroissants produiraient donc logiquement de la désagglomération, voire de la désurbanisation.
Il existe donc une dynamique centrifuge à toutes les échelles : régionale (la péri-urbanisation), nationale (du centre vers la périphérie) et même internationale (des délocalisations). Concrètement, l’érosion des revenus du travail provoque une fuite vers les espaces périphériques, la dynamique étant identique pour les PMI/PME ou les grandes entreprises les plus rapidement touchées par la crise.
Au total, les dynamiques centrifuges signifient une hausse des densités péri-urbaines pouvant aller jusqu’à la fusion d’agglomérations modelant ainsi une expansion urbaine, par agrandissement des espaces définis comme urbains, mais dont la densité fléchit. La croissance urbaine devient donc de plus en plus extensive. Dans l’hypothèse où cette dynamique se poursuivrait à long terme, il est impossible d’envisager une croissance urbaine alimentée par des flux centrifuges.
En conclusion, Thierry Rebour assène quelques idées fortes :
*Le renversement des flux migratoires à toutes les échelles dans les pays développés mérite mieux que les théories uniscalaires des choix individuels, de l’automobile ou de la Sunbelt
*Rattacher cette dynamique centrifuge à la crise économique longue dans les pays développés permet une explication globale multiscalaire. Là où les rendements sont croissants, l’urbanisation se poursuit (PVD, NPI), mais là où des rendements sont devenus décroissants (grands pays développés), on peut donc utiliser, non pas de péri-urbanisation, mais de désurbanisation.
*Les PVD et NPI, où les rendements sont encore croissants, ne connaissent donc pas un tel renversement spatial, mais risquent d’y être confrontés une fois le grand développement atteint.
*La dynamique centrifuge n’a aucun équivalent dans l’histoire proche, ni même depuis l’an mil. Il ne s’agit pas de jouer les Cassandre mais d’observer objectivement la dynamique spatiale réelle. Dans ce cas, on doit remonter à la chute de l’Empire romain pour retrouver une telle dynamique centrifuge généralisée ainsi que des rendements partout décroissants.
Débat
Jérôme Dunlop Peut-on penser que la situation décrite dans ton exposé pourrait s’expliquer par une mauvaise application de la Théorie Néo-Classique ?
Thierry Rebour Je doute qu’une quelconque politique économique puisse avoir des effets macro à long terme. Les dynamiques économiques et spatiales sont par nature déséquilibrées. La Théorie Néoclassique, dans la mesure où elle décrit une situation d’équilibre, n’a d’intérêt que pour confronter les déséquilibres de l’économie réelle à cette « optimum ».
Jérôme Dunlop Quelle prospective quant à l’évolution des productions et des prix ?
Thierry Rebour Dans la Théorie du Rachat, je démontre que si la production et les prix vont l’amble, il y a nécessairement un déversement exogène de valeur sur le marché. Sans cette source exogène de profit, production et prix divergent. Le maintien d’un taux de profit suffisant a besoin d’inflation (non pas de dévaluation monétaire mais de valorisation des produits), donc de baisse de la production selon la loi de l’offre et de la demande. Cette situation quasi-naturelle implique donc des rendements décroissants. Seul le déclenchement d’un nouveau processus de Rachat permettrait une convergence des prix et des volumes et des rendements croissants. Dans le temps long historique, deux facteurs de production ont été successivement « rachetés », c’est-à-dire totalement monétisés : Le travail, durant l’Antiquité esclavagiste, et la terre, durant la phase médiévo-capitaliste. Il reste donc à « racheter » le troisième facteur, la capital. Paradoxalement, les marchés de capitaux sont aujourd’hui des marchés de troc (on y échange des titres contre des titres). Le lien entre la finance et l’économie réelle devra s’étendre à toutes les couches sociales si l’on parle de « Rachat réel du capital ». Autrement dit, chaque titre devrait avoir une contrepartie productive réelle, donc la propriété serait partagée plus équitablement dans toutes les classes de population.
Colette Renard-Grandmontagne Que peut-on dire du retour au centre observé depuis les années 1990 ?
Thierry Rebour Cette tendance est de trop court terme et d’intensité trop faible pour pouvoir en tirer des conclusions définitives. Dans les chiffres, le solde migratoire continue d’être négatif aussi bien pour les centres-villes que pour les banlieues. Il est vrai que ce solde migratoire a tendance à devenir moins négatif dans les centres (je parle naturellement des pays développés). Toutefois il est possible que se mette en place une dynamique duale qui verrait une frange étroite et aisée de la population effectivement revenir vers le centre des villes, tandis que la majorité de cette population continuerait de se péri-urbaniser. Enfin, les variations violentes du prix du pétrole peuvent, aussi bien que les variations de la rente, faire évoluer la dynamique migratoire à court terme. Cela peut-être la cause de ces variations parfois étranges des soldes migratoires.
Compte-rendu : Cyril Froidure