En juin 2020, E. Macron, recevant les propositions des membres de la « Convention citoyenne pour le climat », s’est déclaré « favorable » à la réécriture de l’article 1 de la Constitution en insistant sur la dimension fondamentale de ce dernier[1]. Tous les élèves de France auront, sans doute, entendu au moins une fois tout ou partie de cet article tel qu’il est actuellement rédigé :
Article 1 de la Constitution de la Ve République La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, Source : Légifrance (site consulté le 18 décembre 2020). |
Quels élèves pourront comprendre ce qui constitue, dans le texte, un des cinq piliers de la République : « Son organisation est décentralisée. » ? Chaque personne attirée par une question, quelle qu’elle soit, regrette qu’elle ne soit pas assez enseignée. Mais il ne s’agit pas ici de préoccupations d’un champ disciplinaire, plutôt de ce qui a été mis en exergue par les représentants de la Nation. Si l’École française a pour but de permettre aux élèves de se forger une culture citoyenne et d’être à même de comprendre la société dans laquelle ils vivent, les programmes scolaires contemporains se donnent-ils les moyens de cette ambition ?
Cette question est d’autant plus d’actualité que le Président de la République ne fait pas mystère de son souhait de « changer profondément l’organisation de l’État » (allocution du 14 juin 2020, thème déjà abordé dans le deuxième sujet soumis aux Français lors du « Grand débat national » lancé en janvier 2019[2]).
Que doivent savoir les bacheliers de l’organisation territoriale de la République et de ses transformations ? Que connaîtront des communes, des départements et des régions ceux qui auront, plus ou moins brillamment, terminé leurs études secondaires ?[3]
Le contexte de la réforme « Bac 2021 »
Suite à l’élection d’Emmanuel Macron en 2017 (candidat, il avait promis « Nous moderniserons le baccalauréat. »[4]), une réforme de cet examen a été lancée avec comme objectif le « bac 2021 ». Cela a conduit le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, à transformer assez largement la scolarité au lycée à la fois dans son organisation et dans ses contenus. En 2019, de nouveaux programmes sont publiés pour l’ensemble des disciplines enseignées au lycée (sections générale et technologiques). Il s’agit ici d’étudier le contenu de deux disciplines obligatoires, dans lesquelles la dimension civique est particulièrement mise en avant : l’Enseignement Moral et Civique (EMC) ainsi que l’Histoire-Géographie.
Les « programmes officiels » ne constituent pas, loin s’en faut, la totalité des enseignements reçus par les élèves. Ils composent néanmoins la seule trame obligatoire. Nous souhaitons nous interroger à ce qui s’impose, théoriquement, à chaque enseignant concernant la question de l’organisation territoriale française.
Quelles notions pour comprendre l’organisation territoriale française ?
Quelques notions et objets géographiques font l’armature conceptuelle et concrète de l’organisation territoriale française. La décentralisation, d’abord. Du fait de sa place dans la Constitution mais, également, de sa dynamique contemporaine et toujours en progression (depuis les années 1980 principalement). Face à cette décentralisation, la déconcentration ; moins connue mais outil majeur de l’administration du territoire. Ces deux notions, la décentralisation (donner des compétences à des acteurs représentant un territoire infra-national) et la déconcentration (déléguer des pouvoirs à un représentant de l’État, qui les exerce sur un territoire donné), sont mises en œuvre, en France, à différents niveaux.
Les acteurs qui bénéficient de la décentralisation sont appelées collectivités territoriales (on pouvait parler, auparavant, de collectivités locales) et sont dotées de compétences. Pour les territoires qui sont le siège d’un pouvoir déconcentré, on préférera parler de circonscription administrative. En France, trois échelons majeurs existent : la commune, le département et la région. On pourrait, éventuellement, mentionner également le canton (mais qui n’est qu’une circonscription électorale), l’arrondissement (qui est une circonscription administrative mais pas une collectivité) et, avec un statut un peu particulier, les intercommunalités qui sont des entités formant, avec les communes, le bloc communal.
Nous avons recherché l’ensemble de ces termes dans les programmes officiels évoqués plus haut.
Intercommunalité, déconcentration : des notions majoritairement absentes
Tout d’abord, un certain nombre d’entre eux sont tout simplement absents : la déconcentration, les intercommunalités, les cantons, les arrondissements et les compétences (dans le sens de compétences des collectivités) n’apparaissent à aucun moment. Pour les derniers cités, on pourra arguer d’un aspect technique et non primordial dans la compréhension des phénomènes territoriaux. Pour la notion d’intercommunalité et, surtout, de déconcentration, cela est plus surprenant.
L’organisation territoriale française repose, justement, sur une dualité de l’action publique territoriale, à la fois par les représentants de l’État (la déconcentration) et par les représentants des citoyens du territoire en question (la décentralisation). Il paraît d’autant plus surprenant que la déconcentration soit absente des programmes alors qu’elle était justement au cœur d’un chapitre dans les anciens programmes de la voie de STI2D (Sciences et Techniques de l’Industrie et du Développement Durable, publiés en 2011), accordant une large place aux territoires de proximité et que le terme est lui aussi présent dans les programmes d’EMC du cycle 4 (classes de 5e, 4e et 3e).
Concernant l’intercommunalité, il s’agit d’un phénomène qui, bien qu’ancien (fin du XIXe siècle), s’est accéléré depuis la fin du XXe siècle et touche aujourd’hui toutes les communes françaises. Ne pas le mentionner dans les programmes officiels fait prendre le risque d’une lacune dans le bagage scolaire des élèves.
Certains termes sont mentionnés mais pour désigner des espaces ou un processus historique, non la situation contemporaine : la Commune de Paris de 1871 (Histoire, Première Générale) et la départementalisation de l’Algérie à partir de 1848 (Histoire, Premières). Le terme de départements apparaît en Terminale Générale seulement pour désigner un espace : les départements d’outre-mer. Les occurrences du terme « région » ne font quasiment jamais référence à la collectivité territoriale. Aucune mention n’est faite des compétences des acteurs que sont les collectivités ou les autorités déconcentrées. Ne sont pas non plus évoquées les dynamiques de recomposition du « mille-feuille » territorial français, pourtant déterminantes dans la compréhension des acteurs intervenant dans les aménagements des territoires du quotidien.
Il est frappant de voir combien la logique, pourtant largement spiralaire[5], des programmes d’Histoire-Géographie, n’a néanmoins pas donné lieu à une reprise, dans les programmes officiels, de la notion abordée au cycle 3 (CM1-CM2-6e) des « territoires de proximité » pour montrer à la fois leur importance, leur complexité et leur dimension réellement géopolitique.
Une notion plusieurs fois évoquée : la décentralisation
Au-delà de la question de l’occurrence des termes, seuls deux programmes évoquent l’organisation territoriale française. Il s’agit du programme d’EMC de Seconde et d’Histoire-Géographie de Terminale Générale. À chaque fois, le biais pris est celui de la décentralisation.
En Seconde, au mieux, une partie d’une séquence durant à peine quelques heures peut être attribuée à l’enjeu de l’organisation territoriale. Un des domaines au choix s’intitule « L’espace d’exercice des libertés : d’une « République indivisible » centralisée à une organisation décentralisée ; la démocratie locale ; la Nation et l’Europe. ». Il peut se voir attribuer au mieux quatre ou cinq heures[6]. Le programme de Seconde présente donc bien une ouverture sur le sujet mais cela nécessite que ce thème soit choisi et cette question approfondie par l’enseignant dans un temps très contraint, alors que l’EMC est normalement tournée vers un « projet d’année » rendant complexe la mise en cohérence de tous les points du programme.
En Terminale Générale (notons bien que cela ne concerne donc pas les filières technologiques, soit environ 20 % des bacheliers), « L’approfondissement de la décentralisation » est l’objet d’un « Point de Passage Obligatoire » (des objets d’étude dont « Le professeur est maître [du] degré d’approfondissement »). Ce dernier se trouve dans un chapitre d’histoire intitulé « La République française » qui, en environ 3 h, doit traiter des « évolutions constitutionnelles et juridiques de la République française » depuis les années 1990. Ici encore le temps est très compté.
En fin de compte, toute la question de l’organisation territoriale française est donc résumée à l’enjeu de la décentralisation, sans que, dans les programmes officiels, cette dynamique de la décentralisation ne soit consolidée par des notions, exception faite de la notion de « collectivité territoriale », mentionnée à la toute fin du programme de géographie de Terminale (Générale, là encore) mais non rattachée à un thème ou objet précis. Le développement de ces questions est laissé à l’appréciation des enseignants, aucune obligation ne leur est faite à ce sujet. Au contraire, le temps imparti aux séquences intégrant la compréhension de ces thèmes est souvent très limité, et à partager avec d’autres sujets.
Conclusion : peut-on faire comprendre l’organisation territoriale française avec les nouveaux programmes de lycée ?
L’organisation territoriale française apparaît donc bien peu imposée par les programmes 2019 des disciplines obligatoires du lycée[7].
Pour donner aux élèves des clés de lecture suffisantes sur ce sujet, alors que le gouvernement annonce un approfondissement de la décentralisation et une réflexion large sur l’organisation territoriale, il paraît primordial que les enseignants se saisissent des points d’accroches que nous avons pu relever. En Seconde, environ 4 h peuvent être dédiées à l’approche des échelons de la gouvernance au sein du programme d’EMC, sujet qui pourra être repris en Terminale Générale lorsque sera travaillé le rôle des régions et la notion de collectivité territoriale. Il paraît important d’éviter que ces sujets passent systématiquement par pertes et profits lorsque les programmes sont difficiles à terminer.
Si la dimension civique de la culture scolaire des élèves leur paraît importante, les enseignants peuvent trouver dans les programmes quelques jalons, devenant potentiellement l’occasion de développements plus généraux, pour une approche globale de l’organisation territoriale française. Et ce, pour permettre aux futurs citoyens d’avoir des clés suffisantes pour comprendre le fonctionnement de nos institutions mais aussi pour aborder avec un bagage suffisant et un esprit critique affûté les débats qui ne manqueront pas, espérons-le, de fleurir autour de ces questions.
Gabriel Bideau, décembre 2020
[1] Ce souhait a été réaffirmé en décembre 2020 en évoquant un référendum après l’adoption d’un texte, dans les mêmes termes, par les deux chambres du Parlement.
[2] « Le deuxième sujet sur lequel nous devons prendre des décisions, c’est l’organisation de l’État et des collectivités publiques. » Lettre aux Français d’Emmanuel Macron, 13 janvier 2019, consultable ici.
[3] Pour une vision plus large des programmes de lycée en géographie, S. Genevois en a déjà proposé en bonne approche ici : http://didageo.blogspot.com/2018/11/lecture-critique-des-programmes-de-lycee.html.
[4] Source : https://storage.googleapis.com/en-marche-fr/COMMUNICATION/Programme-Emmanuel-Macron.pdf.
[5] Par enseignement « spiralaire » on désigne le fait de revenir sur un même objet ou sujet, à plusieurs reprises lors de la scolarité d’un élève.
[6] En effet, l’EMC est un enseignement auquel est alloué 18 heures dans l’année (ces dernières n’étant pas toujours effectivement réalisées, pour diverses raisons). Il est ensuite divisé en au moins quatre domaines.
[7] Pour évoquer un enseignement optionnel, la spécialité « Histoire-Géographie, Géopolitique, Sciences politiques » aurait pu être le lieu d’une étude approfondie de l’organisation territoriale française mais, malgré le volume horaire conséquent qui y est consacré (4 h par semaine en Première puis 6 h en Terminale), cette question y est encore moins abordée que dans les enseignements obligatoires).