Carte de la stratégie maritime de la France

La carte représente en bleu foncé les espaces maritimes formant la zone économique exclusive française. La Commission des limites du plateau continental, un organe spécifique de l’ONU, vient de donner son aval à l’extension du domaine maritime français. (https://www.journalmarinemarchande.eu/filinfo/la-france-autorisee-a-etendre-son-domaine-maritime)

Le dernier « Mardi de la mer », organisé par l’ICP en partenariat avec l’Institut de la mer, a été consacré à l’immense domaine maritime que possède la France, deuxième ZEE (zone économique exclusive) au monde après celle des Etats-Unis.

En introduction, Eudes Riblier rappelle le souci du Président Macron de faire de l’océan, « bien commun de l’humanité », le premier objectif de notre stratégie, le socle de la grandeur maritime de la France.

Premier intervenant, Jean-Louis Fillon (commissaire général de la marine) rappelle les huit ZEE françaises, trois métropolitaines et cinq ultramarines, parmi lesquelles deux ont fait plus particulièrement l’objet de ses travaux, autour de la Nouvelle-Calédonie et en Méditerranée. Dans les eaux néo-calédoniennes, la navigation a une faible place mais la sensibilité écologique est forte. 90% de la Mer de Corail ont le statut de parc naturel. Les eaux et les fonds sous-marins qui sont sous juridiction française, sont l’objet d’une attention particulière des autorités nationales qui veulent y mener une politique de développement durable. Mais il faudrait une gestion rigoureuse des moyens, ce que l’administration maritime rend parfois difficile. La situation est toute différente en Méditerranée, mer à demi fermée, malade de la surpêche, très fréquentée et bordée d’un littoral soumis à forte pression anthropique. Il est donc nécessaire de définir des aires maritimes protégées. Mais les élus locaux sont   sensibles avant tout à l’aménagement des ports, à la plaisance, au tourisme. Quant à la Marine nationale, elle y voit surtout un espace d’entrainement à partir de Toulon qui est un atout stratégique majeur. Il faudrait développer la coopération régionale, notamment avec la rive sud de la Méditerranée pour lutter contre la pollution, et pousser l’U.E. à une plus grande responsabilité dans le domaine de la pêche.

Jean-Pierre Beurier, avocat spécialisé en Droit de l’Environnement, explique les problèmes juridiques posés par la délimitation des ZEE, lorsqu’il s’agit d’îles (thème abordé dans l’article 121 de la Convention sur le Droit de la mer). Qu’est-ce qu’une île ? Un îlot, un rocher peuvent-ils donner lieu à la constitution d’une ZEE ? L’absence de peuplement n’est pas un argument. La France est présente dans quatre océans. Ses espaces marins sont peu contestés sauf à Mayotte. Les conflits de souveraineté ont été réglés par des accords :

– Avès, minuscule banc sableux situé dans la mer des Caraïbes, pouvait être revendiqué par le Venezuela, la Dominique et la Guadeloupe (qui s’y intéressait beaucoup pour la pêche). Finalement la France a accepté les revendications du Venezuela.
– Clipperton, atoll fermé dans l’Est du Pacifique nord, appartient au domaine public de l’Etat français. Cette souveraineté est reconnue aujourd’hui par le Mexique qui l’avait un temps, revendiquée.
– Les Terres australes (hors îles Eparses) ne sont pas contestées. Un accord entre la France et l’Australie prévoit même l’intervention de leurs polices croisées dans leurs zones mutuelles.
– Les Eparses, situées autour de Madagascar, ont été rattachées en 1960 à La Réunion, ce qui a provoqué la colère des Malgaches. Depuis 2007, elles constituent un des cinq districts des TAAF.
– Matthew, Hunter et les Chesterfield sont rattachées à la Nouvelle Calédonie, mais les deux premières sont revendiquées par le Vanuatu.
– Les Canadiens contestent les droits exclusifs de la France dans la ZEE de Saint Pierre et Miquelon.

En conclusion on peut dire que la France, dans ses territoires maritimes, a instauré des régimes juridiques de protection de l’Environnement (réserves, parcs marins…) qui correspondent à la politique voulue par l’ONU.

L’amiral Postec évoque les moyens dont la France dispose pour contrôler cet immense territoire maritime. Frégates, patrouilleurs, vedettes côtières, avions de surveillance, hélicoptères de sauvetage…tels sont les moyens dont dispose la Marine, en coopération avec l’Armée de l’Air et l’Armée de Terre. Quelles sont leurs missions ?

Première mission : assurer la souveraineté française. A cet effet une première tranche de cinq Albatros du programme AVSIMAR (avion de surveillance et d’intervention maritime de l’aéronautique navale française) sera livrée en 2025. Autre mission : assurer la police des pêches dans les ZEE françaises fréquentées par des bateaux pirates. Il s’agit de véritables opérations militaires au cours desquelles la Marine nationale utilise un « engin remonte-filets » pour s’emparer des filets abandonnés par les pêcheurs illicites avant d’être arraisonnés. Cette confiscation leur cause de lourdes pertes (coût d’un filet : entre 10000 et 15000 €). La Marine procède aussi à la saisie de vessies natatoires qui donnent lieu à un trafic important en Asie. La lutte contre la drogue est active en Polynésie, dans l’Océan indien et surtout aux Antilles où la France collabore avec le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Même activité dans la lutte contre la pollution, comme l’a récemment montré l’assistance apportée à l’île Maurice suite à l’échouage d’un vraquier contenant des hydrocarbures au large de ses côtes. Lutte contre les catastrophes météorologiques comme les cyclones, sauvetages en mer, ravitaillement des zones isolées font aussi partie des missions de la Marine, aussi bien dans les eaux tropicales que dans les eaux polaires (le brise-glace l’Astrolabe assure le ravitaillement de la terre Adélie à partir de la Tasmanie mais son port d’attache est à La Réunion). La France apporte de la stabilité et de la sécurité par ses interventions dans son immense domaine maritime.

Serge Segura qui occupe depuis 2015 la fonction nouvellement créée d’Ambassadeur chargé des océans, raconte l’histoire particulière de Tromelin, à titre d’exemple de coopération régionale. Petite île plate entourée d’un récif corallien dangereux, Tromelin est située à 436 km à l’Est de Madagascar. Pourvue d’une flore peu développée et d’une faune uniquement composée de tortues et d’oiseaux, elle n’aurait guère suscité la curiosité si elle n’était devenue « l’île des esclaves oubliés ». Découverte par un navire français de la Compagnie des Indes en 1722, elle est, en 1761, le lieu du naufrage d’une frégate transportant de nombreux esclaves vers l’île Maurice. L’équipage réussit à construire une embarcation dans laquelle il s’évade, laissant dans l’île les esclaves malgaches auxquels est faite la promesse de revenir les chercher. La promesse n’est pas tenue. Ce n’est qu’en 1776 que le chevalier de Tromelin peut accoster et découvre huit survivants. Le traité de Paris de 1814 laisse subsister une ambiguïté sur le propriétaire de Tromelin (traductions française et anglaise différentes), ce qui a servi d’argument à Maurice pour réclamer en 1976 la souveraineté sur L’île. Une solution diplomatique a été trouvée entre les deux pays sans recours à une juridiction internationale. La France maintient sa souveraineté mais un accord a été signé pour cogérer de façon durable les ressources halieutiques, l’observation météorologique, les recherches archéologiques…
Notre ambassadeur chargé des océans conclut son intervention en insistant sur le « bien commun », notion morale et politique, que constitue le bon état écologique des océans. Il doit avoir sa place dans les accords internationaux. Mais à la question : « ce bien commun est-il limité à la haute mer ? », la réponse française est « oui ».

En conclusion générale, Jean-Louis Fillon nous livre quelques constats et propositions. La présence maritime française dans le monde a un caractère disparate, ce qui amène à pratiquer des politiques maritimes locales différentes. Mais l’AEM (Action de l’Etat en mer) est un facteur de cohésion. Actuellement elle dirige une quarantaine de missions relevant de tous les domaines à l’exception de la Défense. Jean-Louis Fillon souhaite le renforcement de notre présence navale car la protection de nos espaces maritimes est encore insuffisante. Il faudrait aussi accroître nos investissements. La création récente d’un Ministère de la Mer (juillet 2020) devrait faciliter ces objectifs, mais il est encore fragile car certains secteurs lui échappent encore (ports, flotte de commerce, pêche). En dernier lieu il propose la création d’un organe de concertation, un Haut Conseil de la France maritime.

Michèle Vignaux, janvier 2021