« Avec son beau ciel, ses maisons de brique rouge qui se reflètent dans les eaux du Tarn, ses jardins en terrasses et ses beaux ponts; avec sa place centrale bien exposée au soleil; avec sa cathédrale puissante, avec les coteaux crayeux qui la bornent et qui ressemblent aux collines du Latium, on dirait une ville italienne, faite surtout pour le culte de l’art et d’une sereine philosophie ».
Ainsi parlait Jean Jaurès, orateur inspiré, en 1888. Enfant de Castres, député des mineurs de Carmaux, il fut aussi professeur de philosophie au lycée d’Albi, celui-là même qui plus tard accueillit sur ses bancs un certain Georges Pompidou. Depuis 2010, la Cité épiscopale est classée au patrimoine mondial de l’Unesco.
Et au milieu coule une rivière
Le Tarn descend des derniers contreforts du Massif central. Il prend sa source au Mont Lozère puis arrose Millau en amont d’Albi. En aval, ses eaux vert émeraude irriguent Gaillac et Montauban, avant de confluer avec celles de la Garonne. Son lit permit longtemps un commerce fluvial, sur des gabarres à fond plat. On vit passer ici des bateaux chargés de coques de pastel (plante tinctoriale à l’origine du bleu pastel) qui firent de la région un pays de cocagne. Le port Vielh d’Albi grouillera de vie et d’activités jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Quelques gabarres circulent encore, pour le seul plaisir des touristes, entre les berges verdoyantes.
Plus tard, une « chaussée », fut aménagée en même temps qu’une écluse, toutes deux visibles au premier plan du cliché, pour laisser passer les navires. La petite chute d’eau fut utilisée par le moulin qui subsiste encore entre l’écluse et le pont.
Rivière impétueuse, le Tarn a favorisé tout au long de son cours l’usage de la force hydraulique. La Société des Moulins de l’Albigeois possédait dans la ville une minoterie et une vermicellerie qui furent actives jusque dans les années 1970. Situées au bout du pont et donc hors champ, elles abritent aujourd’hui le musée Lapérouse.
Jean-François de Galaup comte de Lapérouse, 1741-1788, fut un officier de marine talentueux et apprécié de Louis XVI. Il se distingua durant la guerre d’indépendance des Etats-Unis (1776-1783) puis surtout lors de l’expédition scientifique qu’il entreprit dans le Pacifique. Il était imprégné des idées du siècle des Lumières. Il périt lors du naufrage de ses frégates, La Boussole et l’Astrolabe, sur la barrière corallienne de Vanikoro au nord-est de l’Australie.
Le pont vieux
Construit vers 1040 « pour le profit commun de la ville et l’utilité de l’Albigeois », ce pont relie la vieille ville, dont le cliché montre la plus grande partie, à son faubourg du Bout du Pont situé hors champ. Il permit avant tout de relier pendant des siècles l’Italie et l’Espagne par la grande route de Lyon, Le Puy et Toulouse.
Pont à péage, il comportait une tour fortifiée au centre. Du XVe au XVIIIe siècle, il porta des maisons, qui furent démolies par la terrible crue de 1766. Il est construit en brique, comme le reste de la ville. Long de 151 m, il repose sur 8 arches. Sur la photo, seules les quatre arches attenant à la rive gauche du Tarn sont visibles. Des arcs en encorbellement consolident l’ouvrage.
Il est classé au patrimoine de l’Unesco. Il demeure le principal axe de communication intra-urbain, même s’il est doublé en amont par un Pont neuf, lui aussi en brique, inauguré en 1866 dans la continuité de la route royale, et en aval par un viaduc de chemin de fer (1868) destiné à acheminer le charbon de Carmaux vers l’extérieur.
La cathédrale Sainte-Cécile
Sa fantastique silhouette est célèbre dans toute la chrétienté. Elle se détache ici dans un ciel d’azur, tout en haut du versant gauche de la vallée du Tarn, à cet endroit très encaissé dans le Causse albigeois (séries sédimentaires du pourtour du Massif centra)l.
Pour comprendre son architecture il faut se remémorer l’épopée cathare. La doctrine, venue d’Orient, doit son nom au grec katharos (pur). Le « dualisme radical » s’instaure au concile de Saint Félix-Laurageais, en 1167. Au Dieu bon régnant sur un monde spirituel de lumière et de beauté s’oppose le monde matériel de Satan, qui emprisonne l’homme. Ainsi, les Parfaits doivent-ils mener une existence austère pour se libérer du Malin. Tolérée par les comtes de Toulouse, l’hérésie fut combattue par la prédication, puis par l’Inquisition. Après l’assassinat du légat pontifical en 1208, Innocent III appela à la croisade, dirigée par Simon de Montfort. Les massacres vont se succéder jusqu’en 1229, date de la signature du traité de Paris qui met fin à la croisade et rattache les terres des comtes de Toulouse au royaume de France.
Construite au lendemain de la croisade contre les Albigeois, la cathédrale devait symboliser la grandeur et la puissance de Rome. Dans plusieurs autres villes de la région l’épopée cathare se termina dans un bain de sang et partout la réponse de l’Eglise fut la construction de gigantesques cathédrales-forteresses en brique rose.
Pouvoirs des signes et signes du pouvoir
Ici, tout oppose avec une force extrême la rigueur externe de la cathédrale et le luxe de l’intérieur de l’édifice.
Le rejet extérieur du luxe est délibéré, pour mieux lutter contre l’hérésie. Ainsi la brique fut choisie parce que moins chère que la pierre. Mais la puissance de l’Eglise s’affirme par la hauteur du clocher, tour de guet haute de 78 mètres qui s’appuie sur les remparts de la ville pour mieux la dominer. Le style utilisé est le gothique méridional : une nef unique bordée de chapelles appuyées sur des contreforts et terminée par un chevet polygonal. Il s’agit donc d’un art militant : puissance de l’Eglise contre les Cathares et puissance des méridionaux contre les gens du Nord, le roi et la langue d’oil.
Le luxe de l’intérieur est stupéfiant : jubé de pierre qui a survécu au concile de Trente, gigantesque peinture du Jugement Dernier, peintures Renaissance de la voûte, superbe statuaire du chœur, etc.
Le Palais de la Berbie
Berbie est la déformation du nom occitan Bisbia, qui signifie « évêché » et qui a donné naissance à « bisbille », autrement dit, querelle sans importance entre évêques.
Sur le cliché, il s’étend au pied de la cathédrale et jusqu’au Tarn. Il occupe tout l’espace en arrière du pont La résidence épiscopale ne le cède en rien à la splendeur de Sainte-Cécile : appareillage de brique rouge, remparts et donjon ! Sur la photo, au milieu du versant et un peu surélevé par rapport au pont on peut observer le chemin de ronde, sur le dernier à pic avant la berge. Il porte aujourd’hui une promenade ombragée reliée à une tourelle d’angle. La cour intérieure –non visible- est devenue un jardin dessiné par Le Nôtre. Ce palais, depuis 1922, abrite le musée Toulouse-Lautrec, enfant du pays, descendant des comtes de Toulouse et l’un de nos plus grands peintres de mœurs.
Aujourd’hui, Albi est une ville moyenne d’environ 50 000 habitants.
Chef-lieu du Tarn, elle est dotée d’une université Champollion, située derrière la cathédrale. Elle offre une filière géographie et un Café géo. Son Centre culturel occitan vient de lancer un référendum sur le nom souhaité à la future grande région Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon et une large majorité a choisi Occitanie…Ce nom était inconnu d’un large public il y a quarante ans. Depuis octobre 2015, une mappemonde datée du VIIIe siècle, trouvée dans le trésor de la cathédrale et qui représente l’ensemble du monde connu à cette époque, a été classée au patrimoine de l’Unesco.
Albi a su conserver en son centre un des plus beaux panoramas urbains de France grâce à l’unité de la brique et des maisons à toit presque plat. Les tours qui émergent ici ou là sont celles des hôtels particuliers des marchands de pastel qui ont fait de la région « un pays de cocagne » au XVIe siècle.
Elle appartient à cette chaîne de villes roses qui, par Gaillac, Lisle, Rabastens ou Lavaur*, aboutissent à Toulouse. Les variations de la lumière suscitent à l’infini des nuances qui captivent l’œil et l’esprit.
Maryse Verfaillie, novembre 2015
* Lavaur présente de nombreuses similitudes avec Albi : un haut lieu de l’hérésie cathare, une cathédrale forteresse qui se mire dans les eaux de l’Agout, un jardin dessiné par Le Nôtre et un enfant du pays également marin, Emmanuel de Las Cases (1766-1842). Il a publié un Atlas historique et fut l’un des compagnons de Napoléon à Sainte-Hélène. Il a recueilli les témoignages de l’empereur déchu, publiés dans le « Mémorial de Sainte-hélène », qui fut l’un des best-sellers du XIX ème siècle.