On peut replacer la controverse sur le Crazy Horse Memorial dans le cadre plus large des affrontements mémoriels qui ont lieu dans les États où des peuples autochtones ont été refoulés, massacrés, confinés par des colons venus d’Europe entre le XVII et le XIX siècles (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande…). Ils ne représentent plus aujourd’hui que des groupes très minoritaires (5% pour les Aborigènes australiens, 7% pour les Maoris néo-zélandais). Au cours du XX siècle, les gouvernements ont tergiversé sur la politique à mener à leur égard : assimilation ou maintien des structures tribales ? Avec la fin du XX siècle et le début du XXI est venu le temps de la repentance officielle [1] et des aménagements juridiques.

Dans ces États où les victoires des uns se sont effectuées sur l’humiliation des autres, comment commémorer les grands moments du passé ?

On a vu qu’aux États-Unis la réalisation du Crazy Horse Memorial était bloquée depuis des décennies à cause des querelles juridiques et culturelles opposant Lakotas et État fédéral. Nous pouvons citer un autre exemple de mémorial indigène, en Australie, dont l’installation n’a pas entrainé les mêmes conflits.

L’annonce de grandes fêtes en l’honneur du bicentenaire de la colonisation européenne de l’Australie, en 1988, a provoqué la colère des Aborigènes. L’Australia day, jour de la fête nationale, est pour les Aborigènes le « jour de l’Invasion ». Aussi ont-ils demandé à un des membres de leur communauté, Djon Mundine, conseiller artistique de la Terre d’Arnhem centrale, de concevoir un mémorial  en hommage aux victimes autochtones de la colonisation britannique qui n’ont pu recevoir les rites mortuaires. 43 artistes aborigènes ont réalisé une installation monumentale qui reprend les codes de l’art funéraire traditionnel : 200 cercueils en bois creux décorés de symboles constituent un carré traversé par une allée centrale qui reproduit le trajet de la Glyde River (ou Bhundoo) et qui évoque le symbole du Serpent arc-en-ciel à l’origine de la création du peuple aborigène. Cette œuvre, le Torres Strait Islander, se trouve actuellement à la National Gallery of Australia à Canberra.

 

Le Mémorial aborigène (National Gallery of Australia, Canberra) Collection Search National Gallery of Australia

 

Même si en 2005 la presse australienne a pu faire état d’une controverse – certains doutant de la pertinence d’un monument de résistance autochtone près du mémorial australien de la guerre -, le mémorial est bien accepté et est considéré comme une œuvre majeure de l’art aborigène.

A Canberra comme dans le Dakota du Sud les deux mémoriaux rappellent la violence des Blancs contre les peuples indigènes qui vivaient dans les territoires qu’ils ont colonisés. Mais en Australie le caractère d’œuvre d’art, internationalement admirée, du Tores Strait Islander l’emporte, semble-t-il, sur sa signification politique.

Michèle Vignaux, janvier 2021

 

[1] En Australie, on peut citer le « discours de Redfern » prononcé par le Premier ministre, Paul Keating, qui reconnait les nombreux torts faits aux Aborigènes dans le passé. L’ultime reconnaissance symbolique intervient en 2008 avec les excuses conjointes du Premier ministre Kevin Rudd et du chef de l’opposition Brendan Nelson.