Introduction

Claire PORTAL est maître de conférences en Géographie à l’Université de Poitiers. Elle étudie les formes du paysage (géomorphologie) et leur patrimonialisation soit les processus qui permettent d’identifier et de reconnaître des paysages remarquables qui conduisent à la protection, à la conservation et à la valorisation des formes du relief. Ses recherches s’intéressent à l’ouest de l’Europe et plus largement au monde occidental. Sa présentation va être l’occasion de comprendre l’invention d’une nouvelle forme de patrimoine associée à l’attribution de nouvelles valeurs aux roches et des paysages géomorphologiques. Nous verrons comment les géopatrimoines sont apparus et comment ils sont valorisés.

La présentation porte ainsi sur la patrimonialisation des roches mais surtout des formes de reliefs. On a souvent cru que les roches et plus largement les formes de reliefs étaient indestructibles parce que très anciennes et non vivantes. Cependant, dans les années 1990, des « lanceurs d’alertes » géologues et géomorphologues ont montré que leur destruction entraine la disparition irréversible d’un héritage indispensable pour la compréhension de l’histoire de la planète et de l’histoire des hommes, roches et reliefs résultant d’une histoire naturelle mais aussi culturelle.

La présentation a été structurée en quatre points :

I – Patrimoine géologique, patrimoine géomorphologique et géodiversité
II – Un patrimoine naturel, reflet de l’histoire de la Terre
III – Un patrimoine culturel, témoin des interactions Nature/Sociétés
IV – Evaluer, conserver et transmettre les géopatrimoines

I- Définir les concepts

La géologie, c’est une science qui a pour objet d’étude la terre et particulièrement de la lithosphère (composition et déformations des roches).

La géomorphologie est une science qui a pour objet la description et l’explication des formes du relief terrestre, continental et sous-marin.

Ces deux sciences sont des sciences de terrain (observations, relevés) et de laboratoire.

La prise de conscience que les héritages géologiques et géomorphologiques pouvaient disparaître apparait dans les années 1990 en Tasmanie. Des chercheurs se sont alors penchés sur la manière dont ils pourraient protéger ces héritages abiotiques donnant ainsi naissance à la notion de géodiversité définie comme «  la variété, la diversité des caractéristiques géologiques (substrat), géomorphologiques (relief) et pédologiques, leur combinaison, leurs systèmes et leur processus. Elle inclut des témoins de la vie passée, les écosystèmes et l’environnement de l’histoire de la terre comme les processus atmosphériques, hydrologiques et biologiques agissant de façon récurrente sur les roches, les formes du relief et les sols. » (Zwolinski, 2004)

Plus largement, il s’agit de déterminer les liens entre les sciences de la terre, la vie sauvage et la société au sein d’un environnement ou d’un système, dans l’objectif de protéger les héritages géologiques et géomorphologiques. La déclaration internationale des droits de la mémoire de la terre a été signée à Digne-les-Bains en 1991 et l’UNESCO intègre ces nouveaux patrimoines depuis 2015 dans son programme Sciences de la terre, impulsant une reconnaissance à l’échelle internationale.

II – Les géopatrimoines, reflets de l’histoire de la Terre

Les géopatrimoines reflètent l’histoire de la terre et l’histoire des sciences.

Un des évènements les plus importants datent des années 1860 et des expéditions menées par John Weslay Powell dans le grand Canyon et au cours desquelles le terme « geomorphic geology » est apparu : le major Powell identifie le fleuve Colorado comme étant l’agent d’érosion créateur du Grand Canyon mais il découvre aussi qu’en creusant la roche, le fleuve a fait apparaitre des strates qui révèlent une histoire et un âge qui permettent de reconstituer l’environnement passé du plateau du Colorado.

Différentes notions sont essentielles pour comprendre la création des géopatrimoines :

  • la notion d’échelle à la fois temporelle et spatiale est associée à la création des reliefs (tectonique et morphogenèse) et dont les formes s’observent à la fois dans le grand paysage ou à des échelles macroscopiques.
  • la notion d’héritage : les roches et les formes de reliefs ont évolué au cours du temps en raison de différents processus. Ils constituent un témoignage de la mémoire de la Terre, de sa formation et de son évolution. On peut dès lors reconstituer les paléopaysages et leur histoire à partir de la compréhension des formes paysagères actuelles.

III – Un patrimoine culturel, témoin des interactions Nature/Sociétés

Le paysage « désigne une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations » (Convention Européenne de Florence (2000) dont les roches et les reliefs constituent l’armature. La perception des reliefs est ainsi associée à celle des paysages, ce qui leur attribue une forte dimension culturelle.

Les paysages et les formes de reliefs ont suscité l’intérêt des peintres et des artistes (voir par exemple l’importance des reliefs et de la géologie dans la composition des peintures), puis des photographes, via la carte postale notamment. Le cinéma va être également un vecteur important de diffusion de paysages géomorphologiques emblématiques (les western et Monument Valley aux Etats-Unis).

Ces éléments constitutifs d’une nature abiotique sont ainsi progressivement reconnus en tant que patrimoine (les artéfacts et mentifacts de F. Choay), relevant d’un processus rythmé par cinq étapes (G. Di Méo) :

  • Une prise de conscience (sociale, scientifique, ici géologues et géomorphologues) dont découle une prise de décision et la mise en place d’un
  • inventaire, afin de connaître l’héritage. De cet inventaire découle une
  • sélection des éléments qui seront reconnus comme étant patrimoniaux, selon différents critères (géosites et géomorphosites pour les géopatrimoines).
  • protéger ces géopatrimoines et de mettre en place des modalités de conservation (géoparcs, réserves naturelles géologiques etc.) afin de préserver l’intégrité des patrimoines mais aussi de les
  • valoriser, exposer et vulgariser afin de transmettre les connaissances qui y sont associées (faire connaître et reconnaître).

IV – Mise en valeur et espaces de valorisation

Les chercheurs se sont penchés sur la question de la mise en valeur de ces patrimoines et sur les modalités de transmission des connaissances. L’idée est de rester le plus fidèle à l’information scientifique tout en étant compréhensible par le plus grand nombre. L’enjeu est donc de bien choisir ce que l’on dit et comment on le dit et de rendre les documents supports fonctionnels (exemple des dépliants de randonnées). Les outils, les moyens doivent être associés à des discours adaptés au public ciblé. Différents outils de communication sont utilisés :

  • visuels (livres et revues)
  • radiophoniques (émissions scientifiques et géographiques)
  • télévisuels
  • Internet

Selon F. Tilden (1957), les projets d’interprétation se basent sur l’analyse poussée :

1) des potentiels du territoire (en termes de ressources patrimoniales, historiques, socioculturelles, paysagères et immatérielles – contes et légendes, chansons, recettes, ambiances – et de ses contraintes, d’accessibilité notamment) ;

2) des publics visés ;

3) des objectifs et des messages retenus.

Conclusion

La conclusion aborde le cas du département de l’Hérault et des modalités de connaissance et de valorisation des géopatrimoines mises en place par les scientifiques, collectivités territoriales, etc.

Discussion

Question : J’ai été frappée par le nombre de fois qu’apparaissait le terme géologie ou géologique. Est-ce que les géomorphologues arrivent à faire entendre leurs points de vue sur ces géopatrimoines ?

Réponse : De plus en plus, d’autant plus que les deux sciences se sont appropriés les géopatrimoines de concert : la création des géoparcs a été impulsée par l’association d’un géologue et d’un géomorphologue. Dans un premier temps, se sont des géologues qui ont porté la dynamique avec les inventaires patrimoniaux, mais les géographes et les géomorphologues y ont toutes leur place, notamment avec l’invention des géomorphosites. En France, l’Inventaire National du Patrimoine Géologique sélectionne un grand nombre de site géomorphologique et des géomorphologues ont été sollicités pour y participer.

Question : Est-ce que la valorisation des géopatrimoines est compatible avec certains sites non accessibles ?

Réponse : Dans l’inventaire des sites géologiques, certains sites sont accessibles au public et d’autres sont référencés comme confidentiels et ne sont pas connus du public, mais ce n’est pas la majorité. Concernant la fréquentation touristique, je pense que plus les gens sont informés, plus ils prendront conscience de la nécessité de préserver ces espaces.

Question : Je ne sais pas si c’est en lien avec le sujet de ce soir. Avez-vous des informations concernant les enjeux des ressources naturelles comme l’exploitation des sables ? Les universitaires sont-ils associés aux grands groupes « bétonneurs » ?

Réponse : Je ne travaille pas directement sur ces sujets, je n’ai pas d’informations réelles à vous communiquer. Je sais juste qu’après l’exploitation de ressources minières – sables ou autres, l’entreprise exploitante est tenue de réhabiliter le site, de lui redonner une image « verte ».

Question : Les géopatrimoines anthropiques par l’homme de A à Z font-ils partie de ces démarches de géopatrimoine, comme les étangs par exemple? Y’a-t-il des processus de conservation de ces paysages ?

Réponse : Souvent, ces paysages sont protégés, non pas en fonction du type de relief, mais pour ce qu’il représente du point de vue archéologique ou écologique. Dans la réserve naturelle nationale du Pinail dans la Vienne, les anciennes meulières se sont remplies d’eau et constituent des habitats pour une biodiversité très riche. C’est une réserve naturelle maintenant mais à la base, ces mares sont bien des reliefs artificiels.

Question : Y’a-t-il en milieu urbain des patrimoines géologiques identifiés, mis en valeur ou protégés ?

Réponse : Oui, le BRGM et le Muséum d’Histoire Naturelle éditent des itinéraires géologiques. Ils mettent surtout en valeur les roches via les bâtiments, les matériaux de construction, les processus d’érosion et de restauration. En géomorphologie, il y a des études scientifiques menées sur les origines des sites des villes, notamment en lien avec l’archéologie.

Compte rendu réalisé par Kossi LOUMONVI, Doctorant en géographie de la santé, membre de l’association Le GLOBE.