J’ai choisi de rester à la campagne, dans un village du pays de Caux, en Normandie, situé à 2 km de la Manche pendant la période de confinement du printemps 2020. Je résidais dans un ancien moulin, abandonné par la rivière, au Bourg Dun, commune de 420 habitants.
Cette expérience dans un espace resserré d’un rayon de 1 km, entre une vallée arborée, les vallons abritant les hameaux et le plateau, a entraîné une certaine réceptivité aux objets du paysage et aux voisins croisés de temps en temps mais restés à distance. D’où cette petite égo-géographie un peu particulière, centrée sur les paysages et diluée dans le temps.
J’ai pu suivre les progrès du long printemps, avec les floraisons décalées du cerisier, des poiriers puis des pommiers. Les oiseaux nichant dans les arbres et des visites surprises de mésanges, de pouillots, de pics épeiches, puis la venue des canards migrateurs. Le temps est resté beau, frais et sec pendant plus de trois mois.
Le confinement rural s’est poursuivi dans la continuité du temps, marqué par d’infimes changements dans un paysage à la fois clos par des « fossés » plantés de grands hêtres qui cernent les villages et les clos-masures, et un paysage ouvert en « plaine ». Les grandes parcelles remembrées du plateau, où les herbages ont été remplacés par des cultures depuis la mise en place des quotas laitiers, sont cultivées pour le blé, la betterave et le maïs fourrage et le lin. Sur les sols nus travaillés par les engins, et préparés pour les semis, les cultures ont levé formant des grandes taches vertes plus ou moins tendres. Chaque marche a permis de voir dans les champs la croissance rapide du blé ou du lin. Autour des habitations, après la floraison des fruitiers, les arbres nus se sont couverts peu à peu de feuillages épais et variés.
Ma chance est d’avoir pu parcourir des chemins aux horizons ouverts sous le vent de Nord-Est. L’avancée des travaux agricoles était marquée par la silhouette des gros tracteurs s’affairant sur une terre assez sèche. Car le printemps a été sec, très sec. Les routes étaient vides, les marchés déserts puis fermés. Les trajets quotidiens étaient mesurés, pour aller à pied chercher le pain, pour aller apercevoir la mer depuis la falaise de craie. Les rencontres au milieu des champs sont restées rares et à distance.
Le progrès des cultures depuis les labours, les semis, le démarrage des cultures dans les champs et la mise en pâture des bêtes, ont donnée à cette saison une dimension infinie, que j’ai appréciée au point de rester un mois de plus dans ma campagne pour voir les prémices de l’été et le début des récoltes.
L’ambiance n’était pas vraiment au dessin. De la campagne, j’ai essayé de traduire en gravure deux scènes de « la plaine » puisque c’est ainsi que les Cauchois nomment le plateau.
Les labours en billons ont été réalisés par une charrue « fraiseuse » pour faciliter les semis de pommes de terre. La parcelle est située dans un léger vallon qui a incité l’agriculteur à disposer les billons dans le sens de la pente, afin d’éviter la concentration du ruissellement. D’où la perspective en éventail des sillons situés à l’arrière-plan. Derrière l’horizon, sont les falaises que l’on ne voit pas.
Le lin est une culture importante de cette région, elle figure en bonne place dans les revenus des agriculteurs. Cette activité déjà développée au 18ème siècle, était associée aux petits ateliers de teillage et de tissage dans les villages. Le lin, organisé par des coopératives dynamiques, assure désormais une part importante du revenu des exploitations. Sa brève floraison des champs de lin qui ondoient dans le vent, enchante les paysages de la mi-juin., avant que ne commence l’arrachage.
Au début juillet, le premier arrachage du lin se fait sur la fourrière alors que le centre de la parcelle poursuit sa maturation. Les rangées de tiges posées au sol commencent à rouir grâce à l’alternance de pluie et de soleil pendant l’été. Mais cette année, le lin est resté trop court, faute de pluie, et le marché s’est effondré puisque les entreprises chinoises ont cessé leurs achats en raison de la crise sanitaire. Le pays de Caux est la première région productrice de lin d’Europe, mais les filatures ont fermé les unes après les autres depuis 30 ans. Seul le teillage, c’est-à-dire la première préparation de la fibre, subsiste. L’essentiel de la production est désormais filé en Chine avant de revenir sous forme de tissu pour la confection en Europe.
En plaine, les bandes de lin exposés aux intempéries donne au paysage une géométrie saisonnière. La silhouette de l’éolienne est devenue banale sur ces plateaux. Elles ont été élevées sans organisation rationnelle, suivant les projets des opérateurs, les souhaits de communes et les résistances des associations d’opposants.
Enfin lorsque les contraintes ont été élargies, mes marches ont pu me mener jusqu’à la mer, pour parcourir la grève au pied des falaises de craie. J’y ai retrouvé les pêcheurs qui vendent leurs prises au sortir du bateau.
Ce long séjour normand m’a replongé dans les classiques régionaux, mesurant la distance par rapport à la thèse de Jules Sion sur les paysans de Normandie orientale (1910), ou retrouvant une partie des transformations évoquées par Armand Frémont dans son bel ouvrage sur les paysans de Normandie (1981).
Ces images des champs sont des gravures : les traits sont incisés à la pointe sèche dans des plaques de plastique. La dernière est d’une autre facture, c’est une eau-forte creusée par l’acide sur plaque de métal. J’ai pu réaliser les tirages à la presse dans un atelier après mon retour à Paris. Cela n’a pas la spontanéité d’un croquis réalisé sur le motif, mais intègre les traits de plusieurs croquis. Les tirages cherchent à traduire une ambiance plus qu’une analyse des formes. Par rapport aux photos ou aux dessins préparatoires, il y a nécessairement une interprétation qui force le trait.
Charles Le Cœur, janvier 2021