Éric Chol, Gilles Fontaine, Il est midi à Pékin, Fayard 2019

La Chine nous fascine depuis toujours. Les titres d’ouvrages qui lui sont consacrés en témoignent : Quand la Chine nous précédait, Quand la Chine s’éveillera, etc. Aujourd’hui, nul ne l’ignore, la Chine veut redevenir l’empire du Milieu. Elle veut effacer les « 150 années d’humiliations » (1799-1949) vécues sous les dominations coloniales des Occidentaux et des Japonais.
Le 1er octobre 1949, est proclamée la République Populaire de Chine. Pékin retrouve son statut de capitale et pour assurer l’unité nationale, Mao Zedong décide de supprimer les 5 fuseaux horaires en vigueur depuis 1912, au profit d’un seul, celui de Pékin. Actuellement, une même pendule règle la vie quotidienne de 1,4 milliard de Chinois sur les 5 000 km d’Est en Ouest de l’empire du Milieu.
Xi Jinping l’affirme : « Les pays qui ont tenté de poursuivre leurs objectifs de développement par l’usage de la force ont échoué. C’est ce que l’histoire nous a appris. La Chine s’est engagée à maintenir la paix et à construire une communauté de destin pour l’humanité ».
Ces paroles, brutales, illustrent la volonté du Dragon, aujourd’hui bien éveillé, de rattraper puis de dépasser la puissance des Etats-Unis.

L’ouvrage, Il est midi à Pékin, est écrit par
– Eric Chol, directeur de la rédaction de l’Express, correspondant à Hong Kong de 1996 à 1999,
– Gilles Fontaine, rédacteur en chef de Challenges, qui a réalisé de multiples reportages en Chine depuis une quinzaine d’années.
Ce livre comporte 38 chapitres qui analysent selon les 24 fuseaux horaires de la planète les implantations chinoises les plus stratégiques, les plus variées, les plus pharaoniques.

Le projet, grandiose, s’inscrit dans le programme Belt & Road Initiative des « Nouvelles Routes de la Soie », qui rappellent le temps où les caravanes de chameaux traversaient l’Asie et le Moyen Orient pour faire parvenir jusqu’à Venise les soieries, les épices et les porcelaines les plus fines.
La dictature communiste chinoise a tout appris du grand capitalisme occidental. Elle tisse une immense toile d’araignée planétaire pour acquérir les ressources dont elle a besoin (matières premières, terres agricoles, technologies apprises dans les plus prestigieuses universités anglo-saxonnes) et partout, elle injecte des milliards de dollars pour construire des routes, des voies ferrées, des ports, des aéroports et des câbles sous marins pour se relier à ses principaux clients et fournisseurs. Elle affirme que ce projet sera « gagnant gagnant ».
Le Tigre chinois adopte partout la même stratégie :
1er temps : l’offensive de charme
2ème temps : la réalisation des projets dans un entre soi chinois et leur sécurisation par des bases militaires
3ème temps : la mise en place du piège de la dette auprès des banques chinoises, afin que désormais les pays concernés obéissent au doigt et à l’œil et adoptent « une mondialisation à la chinoise ».

►L’importance des routes maritimes.
C’est la deuxième fois que la Chine se lance à la conquête des océans, 600 ans après l’expédition de l’amiral Zheng He, sous la dynastie Ming de l’empereur Yongle (1405-1433).
Plusieurs chapitres sont consacrés à la réalisation d’un « collier de perles maritimes ».
Le premier exemple est fondamental pour la Chine : elle doit pouvoir sortir de chez elle, c’est-à-dire de la mer de Chine méridionale. Mais toutes les grandes puissances sont aux aguets.
Pékin considère que les îles Spratleys et Paracel sont chinoises et se moque éperdument du droit international. Des îlots sont pourvus de ports et d’aéroports.
Et en quelques années seulement la Chine s’est dotée d’une flotte maritime forte de 600 bâtiments de combat et de soutien. Cette flotte est numéro 2 derrière l’US Navy.
Sept chapitres étudient les grandes escales portuaires sur toutes les mers du monde et dans les régions polaires. Plusieurs sont consacrés aux îlots éparpillés au milieu de nulle part mais qui détiennent des zones économiques exclusives et sur lesquelles la Chine installe des infrastructures : îles Marshall, jadis théâtre des rivalités atomiques entre Etats-Unis et URSS : îles Salomon, jadis connues pour Guadalcanal et ses GI ; île de Clipperton où flotte encore le drapeau français. On peut retenir deux exemples portuaires majeurs.
Dans le sultanat d’Oman, une zone économique spéciale a été créée en 2011 par le sultan Qabous bin Saïd. Comme ses voisins, il sait que la rente pétrolière ne va pas durer et qu’il faut au plus vite trouver d’autres ressources, à l’exemple de Dubaï ou en utilisant les splendides plages de sable qui peuvent attirer des millions de touristes en hiver.
La ville de Duqm sort de terre en 2011 et dès 2016, arrivent les investissements chinois : 11 milliards de dollars sont mis sur la table pour créer un port et une Sino-Oman Industriel City. Les Chinois arrivent de Ningxia, province autonome et musulmane de la Chine.
Stratégiquement l’emplacement est génial : à mi-chemin entre l’Inde et l’Afrique, à proximité du golfe Arabo-Persique mais en dehors du détroit d’Ormuz que les Iraniens pourraient fermer. Les auteurs de l’ouvrage précisent que les Chinois ne sont pas les premiers arrivés. Déjà se sont installés des Portugais, des Coréens, des Qataris, etc. Le sultan a autorisé la marine chinoise à y faire escale, mais il avait déjà autorisé la marine américaine à faire escale. Le sultan se proclame aussi neutre que la Suisse.
Djibouti fut pendant longtemps « la » base militaire française de la Corne de l’Afrique, dans le Territoire français des Afars et des Issas. Aujourd’hui Djibouti est un territoire indépendant, qui dès 2003, ouvre son port aux Américains, Japonais, Italiens, Espagnols.
En 2017, l’arrivée des Chinois n’est pas franchement une surprise car la position est stratégique. Elle assure le contrôle du détroit de Bab el Mandel qui permet l’accès à la mer Rouge et au canal de Suez. Cette voie maritime assure une continuité entre mer Méditerranée et océan Indien, c’est l’une des voies les plus fréquentées du monde.
Pour les Chinois, Djibouti est aussi l’accès au continent africain et immédiatement une voie ferrée est construite pour atteindre Addis Abeba. Une zone franche prend place sur le port et aussi un aqueduc pour apporter l’eau nécessaire au développement de cette zone aride.
L’implantation de la Chine dans les régions polaires est déjà très connue. Le Groenland peut contrôler la 1ère route maritime du Nord-Est qui relie directement la Chine à l’Europe.
Dans l’Antarctique, la Chine détient déjà 4 bases scientifiques dont Great Wall installée au plus près du Cap Horn. Elle rejoint les 12 pays qui s’étaient partagés le continent au traité de Washington en 1959. Aujourd’hui une cinquantaine de pays sont présents. Les routes maritimes sont bien gardées !

► Les routes terrestres ne sont pas moins nombreuses et permettent tout autant que les routes maritimes d’importer les matières premières nécessaires au développement de la Chine et d’exporter des produits finis. Ces routes irriguent les continents et rejoignent les routes maritimes du « collier de perles » : ces corridors accumulent les infrastructures. Retenons trois exemples :
Duisburg, sur le Rhin, est le plus grand port terrestre du monde. Ce hub multimodal reçoit 80 % des trains en provenance de Chine en 2019. Plus de cent sociétés chinoises y sont installées et la cité allemande est liée depuis 1982 par un accord de jumelage avec la ville de Wuhan, autre port terrestre, désormais suspecté d’être le point de départ de la pandémie qui affecte la planète depuis 2020.
Un train mesure en moyenne 700 mètres de long et peut embarquer 50 conteneurs chargés de matériels électroniques et informatiques. Il sillonne les anciennes routes de la soie empruntées par les marchands du IIème siècle av. J.-C. jusqu’au XIVème siècle. Il fait plusieurs escales, retenons celle de Khorgos, au Kazakhstan.
Ville sortie de terre en 2009, à la frontière entre la Chine et le Kazakhstan, elle est le point de passage obligé entre Orient et Occident. En 2019, 180 trains sont passés par la gare ferroviaire de Khorgos. Ils ont desservi, entre autres, la Pologne, l’Allemagne, la France (Lyon).
Le Kazakhstan, ancienne république soviétique, est grand comme 4 fois la France mais dans ses steppes désertiques ne résident que 19 millions d’habitants. Xi Jinping a noué une ribambelle d’accords (pour 30 milliards de dollars) avec son homologue car cette Asie centrale regorge de richesses dont 40 % de la production mondiale d’uranium, du pétrole et du gaz, etc.
Enfin le contrôle de cette région aussi riche que stratégique assure la mise en valeur des provinces de l’Ouest chinois (Xinjiang, Tibet, Yunnan). Le Xinjiang, jadis Turkestan chinois, est aussi cette région peuplée de Ouïgours contraints malgré eux à un développement forcé lié à ces routes qui transportent des matières premières et énergétiques qui ne demandent qu’à être transformées au passage. Nul n’ignore aujourd’hui que plus d’un million de personnes travaillent dans des camps qui rassemblent aux camps de sinistre mémoire de la 2nde Guerre mondiale.
A partir de Kachgar, ville stratégique de l’extrême ouest du Xinjiang, où en 1904, les Russes et les Anglais se partageaient le monde (on peut encore y voir les consulats de ces deux puissances), les Chinois réalisent un CPEC (China Pakistan – Economic Corridor) qui permet d’atteindre l’océan Indien : ce corridor comporte des routes, des voies ferrées, des lignes électriques.
Signalons que la traversée du Pakistan et en particulier de la province du Balouchistan n’est pas de tout repos pour les Chinois. Ici aussi on s’insurge contre leur venue et de nombreux attentats sont fomentés contre les « colons chinois ». Si bien que le corridor est gardé par des soldats chinois et que des professionnels de la sécurité sont venus, sur le modèle américain d’Erik Prince et de sa société Blackwater, assurer la sécurité ! La société chinoise Frontier Services Group, basée à Hong Kong a noué des liens financiers étroits avec Blackwater, entreprise militaire privée.

Les routes terrestres et maritimes permettent d’acquérir toutes les denrées nécessaires au développement de la Chine : du bois en Sibérie Occidentale, des produits laitiers en Israël, du cobalt dans la République populaire du Congo, du poisson dans le Golfe de Guinée, de l’uranium au Groenland, du pétrole au Venezuela, etc. Bien d’autres voies vont permettre à la Chine de se positionner tout en haut du podium.

►La puissance par le soft power
Le soft power est défini comme instrument d’influence avec des moyens non coercitifs, c’est-à-dire sans faire la guerre. Aujourd’hui se sont les nouvelles puissances économiques qui le convoitent, dont la Chine. Citons quelques exemples proposés dans cet ouvrage.

En Inde, où les classes moyennes s’étoffent (comme en Chine) on ne rêve plus que de voyages. Le géant chinois Ctrip, spécialiste des voyages en ligne, vient de s’installer à New Delhi. Il a juste imité le modèle du géant californien Oracle !
Au Zimbabwe, la Chine peaufine son savoir faire dans le secteur de la télésurveillance. Son leader, Hangzhou Hikvision Digital Technology, détient ¼ du marché planétaire : il est présent dans les stades de football en Allemagne, dans les aéroports français, dans les forces de police au Royaume Uni. Toujours à Harare se développe la technologie de l’intelligence artificielle pour la reconnaissance faciale, en particulier sur les smartphones. Souriez, vous êtes flashés !

Dans la pampa argentine se construit une base spatiale chinoise qui a réussi l’exploit de faire atterrir Chang’e 4 sur la face cachée de la Lune. Est-elle seulement scientifique ?
Une surveillance électronique planétaire est déjà assurée par les Five Eyes (USA- RU – Canada – Australie –Nouvelle Zélande) et par l’Europe à partir de l’Ecosse. Souriez, vous êtes toujours plus surveillés !
Des antennes 5 G de la marque chinoise Hua Wei, ont été déployées dans la région de Montpellier. Un accord entre Hua Wei et Monaco Télécom (détenue à 55 % par le français Xavier Niel) a été signé sur la 5 G…
En matière de cyberespace, cinquième terrain d’opérations militaires après la terre, la mer, le ciel, et l’espace, les deux seules grandes oreilles planétaires sont encore la Chine et les Etats-Unis.

Le soft power chinois s’implante aussi dans tous les segments de la vie culturelle, de la gastronomie à l’art contemporain.

La Chine s’investit dans la gastronomie, sous toutes ses formes. Le fondateur d’Alibaba, Jack Ma, est venu à Pauillac et depuis, pas moins de 154 châteaux bordelais sont détenus par des Chinois. Rassurez-vous, ils ne détiennent encore que 3% des surfaces viticoles du bordelais.
Un autre aspect à retenir : la multiplication des Instituts Confucius sur la planète.
Fondés en 2004, ils se sont propagés à toute vitesse : on en compte plus de cent aux Etats-Unis, 15 en France. Ils enseignent le chinois et le culture chinoise en s’associant avec des partenaires locaux. Ils sont l’équivalent des Instituts Goethe en Allemagne ou de l’Alliance française. Mais ils transmettent aussi une propagande sans limites, si bien que la France a fermé celui de Lyon.
Confucius (551-479 av- J.C.) a délivré une doctrine politique et sociale qui dit que : les femmes doivent obéir aux hommes, les cadets aux aînés, les fils aux pères et les sujets à leurs dirigeants. Jusqu’en 1911, le système des examens en vigueur en Chine était fondé sur l’étude du corpus confucéen. Les dirigeants actuels ont trouvé très commode de les remettre en vigueur.
La Chine joue un rôle de plus en plus important dans les institutions internationales : à l’ONU, elle est devenue le deuxième contributeur au financement des opérations de maintien de la paix après les E.-U. En conséquence des casques bleus chinois sont présents dans les zones de guerre. De nombreux postes à haute responsabilité leur sont confiés.

L’ouvrage ici résumé dévoile l’immense toile d’araignée que la Chine tisse sur les 24 fuseaux horaires. Le projet grandiose des « Routes de la soie », à plus de 1000 milliards de dollars est aussi délibérément ambivalent : il n’en existe aucune carte officielle. Mais il vise à redonner à l’empire du Milieu le premier rang parmi les grandes puissances
Partout à la manœuvre, affirmant que chaque contrat est « gagnant-gagnant » la Chine prend au piège de la dette tous ceux qui ne peuvent rembourser. Le yuan est devenu une devise de référence à côté du dollar. La suprématie digitale est déjà acquise.
On prête à Napoléon la prophétie suivante : « quand la Chine s’éveillera le monde tremblera ». Alain Peyrefitte en avait fait le titre d’un ouvrage publié en 1973 chez Fayard.
Xi Jinping est l’homme le plus puissant de la planète mais il est mortel. Et la Chine peut aussi être perçue comme un colosse aux pieds d’argile. Deux éléments sont à prendre en compte.
La démographie d’abord : la politique de l’enfant unique a permis le décollage économique, mais il faut qu’il y ait 2 enfants par famille pour assurer le renouvellement de la population. Xi Jinping le demande à présent à ses compatriotes, mais la population vieillit et, en 2100, on ne comptera plus peut-être que 700 000 millions de Chinois au lieu de 1,4 milliard aujourd’hui.
Si la Chine avance à pas de géants, c’est parce qu’elle a confisqué la démocratie. Aujourd’hui s’opposer au Tigre c’est s’exposer à une répression féroce. Mais demain, les Chinois seront-ils toujours aussi obéissants ?

Cette carte est issue d’un numéro Hors-Série du Monde [40 cartes pour comprendre la Chine] publié en janvier 2021. Elle permet d’actualiser les derniers projets chinois. Delphine Papin, responsable du service infographie du Monde et Francesca Fatttori (cartographe) évoquent dans ce dossier comment la Chine est devenue le nombril du monde : la conquête ne se fait pas par les armes, mais par les bulldozers et l’aménagement du territoire. La carte ici reprise est celle réalisée par Hao Xiaoguang.

 

Maryse Verfaillie, mai 2021