L’expression ‘lieu saint » pose la question de la relation entre une notion géographique (la localisation) et une notion religieuse (la sainteté).
Extra-terrestre, le divin échappe par principe à la géographie : il n’a pas de lieu ; mais toutes les religions et les mythologies ont, ou ont eu, sur terre, leurs lieux saints ou leurs sites sacrés. En amont de cette distinction qu’il faudra expliciter, s’impose une question fondatrice : d’où procède cette nécessaire territorialisation du divin ?
Ces lieux, parfois communs à plusieurs divinités, ont-ils partout le même statut ? Selon les religions, les mythologies et les époques, les multiples modalités de la territorialisation du divin impliquent des rapports différenciés de l’homme au monde.
La territorialisation du divin
Le lieu saint comme interface entre le divin et l’humain
Les mots saint et sacré ont de fait une signification commune. Le mot saint est traduit de l’hébreu (quados) par hieros en grec, dans la Bible des Septantes (II° s. av. J.C.). Les deux mots ont la même étymologie latine (sancire): ce qui est séparé, délimité, circonscrit, voire interdit (on se déchausse à l’entrée d’un mosquée, Moïse retire une sandale devant le buisson ardent), intouchable (Ouzza est terrassé pour avoir touché à l’Arche d’alliance, Zeus foudroie Sémélé qui le regarde), inviolable (l’église de la Nativité est le refuge ultime des Palestiniens), et même invisible (l’image est au cœur des querelles théologiques). Ce sont là des valeurs éminentes propres au divin, qui le mettent à part de l’homme.
Mais, selon que l’on est croyant ou non, l’homme est créature du divin, ou, à l’inverse, secrète celui-ci : le divin suppose l’homme qu’il a créé ou qui l’a créé. Quel que soit le sens de la relation entre le divin et l’humain, il y a relation : ce qui est séparé de l’homme est aussi lié à lui, et la religion relie les hommes au divin (religare) autant qu’elle les rassemble entre eux (religere). Le lieu saint est peut-être la manifestation terrestre de ce passage, de cette interface entre le clos et l’ouvert, l’interdit et l’accessible, le divin et l’humain, le lieu d’altérité par excellence.
(suite…)