Carte postale du Pinde (Grèce)

Le pope aux fourneaux, le barman chez les moines

 

La taverne, le pope et sa femme Photo : Michel Sivignon (juin 2007)

La taverne, le pope et sa femme
Photo : Michel Sivignon (juin 2007)

Nous fûmes dans le Pinde, « rocs inaccessibles et précipices affreux ».

A Mouzaki on nous avait dit de nous arrêter à l’hôtel de Pétrilon dont on nous garantissait le confort. On est passé devant sans le voir. Arrivés au village, on demande où manger et on nous a dit que deux km plus loin, juste après la fin de la route goudronnée, il y avait un bon restaurant. On a du bien faire 5 km au-delà du goudron sur une route déserte et on a découvert une superbe bâtisse en surplomb sur la rivière avec un grand parking et des tas de voitures. De part et d’autre de la porte des grandes couronnes mortuaires accrochées sur des piquets. Le patron est sorti pour nous dire qu’il regrettait mais que c’étaient les obsèques de son père. Il nous a conseillé d’aller juste un tout petit peu plus loin dans un village au-dessus de la route.

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Repas turc
Repas géographique animé par :
– Christian Boudan, auteur de l’ouvrage Géopolitique du goût. La guerre culinaire, PUF, 2004
– Michel Sivignon, géographe émérite à l’Université Paris-X Nanterre
– Gilles Fumey, géographe de l’alimentation à l’Université Paris-Sorbonne

Gilles Fumey présente le repas et la soirée en indiquant que la cuisine turque est considérée comme l’une des quatre plus importantes cuisines du monde (avec la chinoise, la mexicaine et la française), et beaucoup pensent qu’elle est plus importante que notre cuisine quant à son influence. Ce soir, nous avons avec nous deux invités qui vont nous parler de la cuisine turque et l’une de ses épigones, la cuisine grecque. Christian Boudan est un passionné de cuisine et il a écrit deux livres sur ce sujet. Le premier, Géopolitique du goût, traduit notamment en turc (ce qui permet de souligner au passage que les Turcs sont un peuple très gourmand et passionné de cuisine). Le deuxième invité, Michel Sivignon, est spécialiste de la Grèce. Il est aussi le premier animateur des repas géographiques, dont le premier avait été, en 1999, un repas grec (nous avons dégusté, depuis, plus d’une trentaine de repas géographiques). Nous verrons ce soir si ces deux nations, qui entretiennent des rapports conflictuels, peuvent dialoguer par l’intermédiaire de la cuisine.

Pour Christian Boudan, la cuisine turque est un « vaste sujet, qui plonge loin ses racines dans le temps ». Il se rappelle avoir fréquenté, dans les années 1960, les deux restaurants « grec oriental » qui existaient alors au Quartier latin. Christian Boudan précise d’emblée qu’il n’existe pas une mais des cuisines turques. La cuisine d’Istanbul est liée à la Méditerranée, avec beaucoup de poissons, alors que la cuisine d’Erzurum, dans l’est du pays, se rapproche de celle des steppes de l’Asie centrale. Nous avons donc affaire à des mondes culinaires très différents selon les régions dont on parle.

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Le vin et les écriv(a)ins
Les étudiants de Paris-Sorbonne (association Urbams), Vincent Marcilhac et Gilles Fumey (organisateurs des dégustations) avaient invité Sylvain Détoc, enseignant la littérature à l’Université Paris-IV Sorbonne.

« Buveurs très illustres… » C’est par ces mots d’une délicieuse insolence que François Rabelais apostrophait en 1534 les lecteurs de Gargantua. Quelques lignes plus loin, à la fin du prologue, Rabelais avouait avoir écrit lui-même les aventures de son célèbre géant sous l’influence du vin. Les toutes premières pages de ce livre carnavalesque plaçaient donc la littérature sous le signe d’une franche ébriété, rassemblant auteur, lecteurs et buveurs en une seule communauté et invitant chacun d’entre eux à une dégustation d’une drôle de nature : une fête bachique qui permettrait en quelque sorte de passer gaiement du vin aux écrivains, et vice versa.

Du vin, soit. Mais quel vin ? Ce petit vin blanc d’Anjou dont parle Rabelais à plusieurs reprises dans l’ensemble de son œuvre ? Ou bien le vin énigmatique de la « dive bouteille », après laquelle court Panurge dans Le Cinquième Livre ?

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Le Tokaj, enjeux patrimoniaux et juridiques d’un vignoble de prestige<
Caroline Le Goffic est doctorante en droit et allocataire monitrice normalienne à l’Université Paris-II Panthéon-Assas. Vincent Marcilhac est doctorant en géographie à l’Université Paris-IV Sorbonne.

« Le tokaj aszu donne de la vigueur à la moindre fibre de mon cerveau et ranime, au plus profond de mon âme, les étincelles enchanteresses de l’esprit et de la bonne humeur » écrivait Voltaire à propos du vin hongrois liquoreux, dont le prestige remonte au XVIIIème siècle. Les origines de ce vin, et ses rapports avec les dénominations « tokay » d’Alsace et « tocai » de Frioul-Vénétie, sont mystérieux. Il existe bon nombre de légendes attribuant des origines mythiques à ces appellations. Parmi celles-ci, on peut citer celle selon laquelle, vers 1565, des plants de pinot gris auraient été rapportés de Tokaj (en Hongrie), vers l’Alsace, par le baron Lazare de Schwendi, qui avait défendu la maison d’Autriche contre les Turcs ; ou bien celle selon laquelle le terme proviendrait en réalité d’un cépage cultivé dans le Frioul (à proximité d’un torrent appelé Toccai), apporté à la Cour du roi hongrois Bela IV au XIIIème siècle. Quoi qu’il en soit, il convient de préciser que les vins hongrois et leurs homonymes français et italiens sont très différents : vin liquoreux d’un côté, vin blanc sec de l’autre. Malgré ces différences, la dénomination a été revendiquée de part et d’autre, donnant naissance à un litige qui a été finalement tranché par la Cour de justice des communautés européennes le 12 mai 2005 en faveur des producteurs hongrois [1].

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Quel avenir pour les Balkans?

Compte-rendu du Café géopolitique du 1er février 2007
« Quel avenir pour les Balkans? »

Présenté par Sonia Jedidi
Avec Michel SIVIGNON, Professeur émérite de Géographie, Université Paris X
Amaël CATTARUZZA, Docteur en Géographie, Université Paris IV
Mirjana MOROKVASIC, Directrice de recherche au CNRS

Le Café Géopolitique qui se déroule ce soir a été préparé en collaboration avec la revue Questions internationales n°23 consacré au thème « Les Balkans et l’Europe ». En introduisant le Café, Sonia Jedidi nous rappelle l’actualité de cette problématique à l’heure où le statut du Kosovo est toujours en suspens.

Pour tenter de répondre à la question « Quel avenir pour les Balkans ? », nos trois intervenants brossent un tableau des enjeux géopolitiques des Balkans. Notre premier intervenant, Michel Sivignon, professeur émérite de géographie à l’Université Paris X, nous invite à observer les pays qui attendent en file d’attente aux portes de l’Union Européenne puis s’attache aux représentations des Européens sur cette région marquée par la guerre. Amaël Cattaruzza, docteur en géographie de l’Université Paris IV, souligne l’ambiguïté de la relation entre l’Union Européenne et les Balkans occidentaux ainsi que ses conséquences sur l’enthousiasme des populations locales. Finalement, Mirjana Morokvasic, directrice de recherches au CNRS, rappelle le sort tragique des réfugiés de l’ex-Yougoslavie et nous expose l’ampleur et  les conséquences de ces déplacements.

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Repas couscous
Repas géographique animé par :
Pierre Gentelle, directeur de recherches au CNRS
Gilles Fumey, maître de conférence (géographie culturelle de l’alimentation) à l’université Paris-Sorbonne

Nous sommes dans un restaurant berbère algérien, qui n’est donc pas décoré à la marocaine : ni tapis ni mosaïques, ni chichi arabisant. C’est simple, paysan, rustique. Pas de doute, nous devrions rêver de l’Atlas ! Nous remercions Pierre Gentelle pour avoir déniché l’adresse. On a tous une perception hyperbolique du couscous. Il est de la famille des plats « universels » (pots-au-feu, choucroutes, tajines, etc.), très en vogue actuellement, car ils sentent le terroir, autre chose que les portions sans goûts de l’industrie agro-alimentaire. C’est l’un des plats préférés des Français qui le connaissent depuis peu (Provençaux exceptés). Mais le couscous a tellement de qualités :

– il est socialisant. Pas de couscous, tout seul, un soir devant la télé ! il est religieux, ce qui veut dire consommé lors des fêtes religieuses, car il signifie l’abondance. Pour les Français qui ont vécu au Maroc, comme Pierre Gentelle en témoigne, le couscous est la fête de la fête !
–  Il est identitaire car le Maghreb le revendique. Et manger du couscous, c’est voyager au Maghreb avec cette irremplaçable odeur de cumin. Il est « construit » par les hommes (pour la viande) et les femmes (pour les légumes et, surtout la semoule qu’il fallait rouler sur les cuisses !).
– Il est modulable et, donc, adapté à l’individualisme des pratiques d’aujourd’hui : le couscous n’existe pas, ce qui existe, c’est le couscous que je mange qui ne sera jamais le même qu’hier ou demain.
– Enfin, ses origines sont mythiques. Même si l’expansion du temps des Arabes est bien connu, son berceau n’est pas identifié. En réalité, il est comme tous ces plats d’assemblage, de partout et de nulle part, jusqu’à ce qu’un peuple l’ait adopté, célébré comme son plat préféré. A moins que la technique permette d’identifier par un « couscoussier » retrouvé dans des fouilles archéologiques, une origine égyptienne, contestée par les Berbères et les Soudanais. Un autre indice est donné par Rabelais : a-t-il mangé du couscous en Provence lorsqu’il dit avoir mangé un « coscaton à la mauresque » ? C’est très probable.

couscous

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Vins du Nord, vins du futur ? Les vins face au réchauffement climatique
Dégustation avec Gilles Fumey, maître de conférences de géographie à l’université Paris-IV, organisée par l’association Urbams et Vincent Marcilhac, doctorant en géographie.

Les vins allemands et du nord de l’Europe ne sont pas très connus. Ce sont les vins les plus septentrionaux qui soient et ils se développent encore vers le Nord : des vignes sont plantées aujourd’hui à Maastricht (Pays-Bas) et les Danois commencent à s’y mettre, mais en petite quantité, donc nous n’en parlerons pas encore. Avec le réchauffement climatique, les vignes vont se développer en Allemagne, une des régions les plus peuplées du monde. Et les vins voir leur qualité s’accroître. C’est pourquoi nous conseillons de boire ce que personne ne boit encore aujourd’hui. Les gens du Nord ne vont pas se contenter d’acheter des vins à l’extérieur, ils vont en faire, de plus en plus, et à leur goût. Soyons attentifs à ce qui se passe sur les bords du Rhin et au-delà. C’est le sens de notre dégustation de ce soir.

Weinberg, dans la vallée du Rhin Source : www.rheintal-ultra.de

Weinberg, dans la vallée du Rhin
Source : www.rheintal-ultra.de

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Carte postale du Hoggar

Le matin du monde

carte-postale-hoggar

      Hoggar, Avril 2006.

Un paysage rudéral se répète d’instant en instant et de pas en pas jusqu’à l’obsession. Cailloux, blocs, rochers, graviers, sables et rocailles à perte de vue : rien qui fixe l’attention dans ce vide primordial, mais le regard est prisonnier d’un chaos minéral et monochrome de laves sombres et d’arène bistre, ponctué d’ombres noires. Du col de Téhen Tarit, il plonge vers le fond d’un chaudron calciné par un feu disparu et un soleil tout-puissant. Cette vision d’outre monde est une expérience du sublime : je marche sur la croûte terrestre.

Selon Hésiode, le Chaos de la cosmogonie grecque fut le premier être, qui enfanta d’abord Erèbe et Nyx, l’Obscurité et la Nuit, avant Gaïa, la Terre. « Au commencement, dit la Genèse, Dieu créa le ciel et la terre : or la terre était informe et vide et les ténèbres couvraient l’abîme ». Une même formulation des origines inaugure les deux mythes : la béance du gouffre, le défaut de lumière, l’absence de formes, le noir sans couleur. L’enfer ? « Non, me dit Maryvonne émerveillée, c’est le matin du monde ».

Jean-Marc PINET.

Que reste-t-il de l’apartheid ?

La Victoire, 15 novembre 2006
Café géographique animé par Christophe Sohn, chercheur au Centre d’Etudes de Populations, de Pauvreté et de Politiques Socio-Economiques (CEPS) – Luxembourg.

La question est vaste, et pour l’appréhender, j’ai choisi de présenter les logiques et les processus à l’oeuvre, plutôt que de dresser un inventaire de l’état actuel de la société post-apartheid et de ses espaces.

En fait, la question qui sous-tend ce sujet a trait au rapport entre permanence et changement. En apparence, c’est une question assez simple puisque les termes du couple semblent bien définis. En réalité, l’affaire est plus complexe, notamment parce qu’il s’agit de la mutation d’un système social. On sait pertinemment que les structures du réel, les règles et les normes qui gouvernent l’action des acteurs sociaux et les représentations collectives évoluent selon des temporalités différentes.

Pourquoi se focaliser sur les villes ? Tout d’abord parce que les villes sont le lieu où la politique d’apartheid s’est traduit de la manière la plus forte, mais aussi parce que c’est en ville que les mutations contemporaines sont les plus significatives.

Avant de passer dans le vif du sujet, quelques remarques liminaires apparaissent nécessaires.

1/ Il faut d’abord revenir rapidement sur la notion d’apartheid et définir ses principes, la manière dont cela a été appliqué en Afrique du Sud et en Namibie.
2/ Il faut également rappeler quelques grandes dates, situer l’apartheid dans son contexte historique.

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Géographie de la truffe : le luxe est dans le terroir
Depuis la fin du XVIIIe siècle, la truffe est devenue un symbole du luxe alimentaire. La rareté et les qualités aromatiques de la truffe noire en font un produit de luxe atypique dont le prestige repose autant sur le principe de distinction que sur la réputation gastronomique. On la trouve sur les cartes des plus grands restaurants des métropoles des pays développés. Utilisée comme accommodement ou ornement dans la haute cuisine traditionnelle, elle est devenue un élément central du plat dans la nouvelle cuisine. Son prix élevé suscite la fraude et la convoitise. L’internationalisation du marché de la truffe renforce l’opacité de la filière trufficole, avec la concurrence accrue de la truffe chinoise depuis 1994. Une diversification de la production de truffes en Europe et une labellisation garantissant avec transparence l’origine géographique et la variété de la truffe sont nécessaires pour faire face à la sous-production structurelle et la concurrence déloyale. Le désenclavement opéré par l’amélioration du réseau routier à la fin de l’Ancien Régime et l’apparition du chemin de fer a permis de construire la notoriété des « truffes du Périgord » à Paris, leur conférant le statut de « spécialité régionale de qualité », qui se consolide dans la deuxième moitié du XIXe siècle avec l’émergence du tourisme gastronomique. Aujourd’hui, la patrimonialisation de la truffe se poursuit : face à la mondialisation des marchés alimentaires, elle est perçue comme un produit du terroir, participant à la construction d’une identité alimentaire locale ou régionale. Cette patrimonialisation s’opère d’abord sur le registre environnemental, en définissant les truffières comme des paysages emblématiques dont la conservation s’inscrit dans la lutte contre les incendies de forêts et dans l’entretien des milieux ruraux marqués par la déprise agricole. La promotion de la truffe comme produit de terroir passe ensuite par la construction historique de son ancrage géographique, que ce soit au travers des noms de pays ou des mythes alimentaires dont Brillat-Savarin s’est fait l’écho. Sa valorisation dans le cadre du développement local se fait par les marchés aux truffes, les fêtes de la truffe, les musées de la truffe, ainsi que par l’essor de l’agro-tourisme et du tourisme gastronomique.

Richerenches, le plus gros marché aux truffes en France Photo : Vincent Marcilhac

Richerenches, le plus gros marché aux truffes en France
Photo : Vincent Marcilhac

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