Café géo du 30 septembre 2016 au K. Kiss Bar (Saint-Dié-des-Vosges)

Fast Cash, Fast Track, Fast and Furious… Comment la ville va plus vite ? avec Renaud Le Goix

A l’occasion du Festival International de Géographie de Saint-Dié-des-Vosges édition 2016, Renaud Le Goix, professeur de l’Université Paris 7 Paris-Diderot, a choisi un titre peu banal pour son Café géographique : « Fast cash, Fast Track, Fast and Furious … »

Debout, devant un public nombreux réuni au K. Kiss Bar, il s’est interrogé sur « Comment la ville va plus vite ? ».

Renaud Le Goix présente d’abord son expérience américaine.

Il a vécu à Los Angeles et ironise sur le tout automobile qui a couvert l’agglomération d’autoroutes… elles-mêmes saturées de voitures… alors va-t-on vraiment plus vite à L.A. ? Le tramway du début du siècle avait laissé la place à l’automobile. Aujourd’hui, le tram est de retour (depuis 1990, light rail) dans l’agglomération et jusqu’à Santa Monica (Expo line, 2012). Et depuis 1993 il y a même le métro ! Eternel recommencement !

Renaud Le Goix s’amuse ensuite (et le public avec lui) à justifier son titre « ébouriffant ». La vision du film Speed (1994) a surdéterminé sa vision de la métropole angelenos alors qu’est mise en scène les parcours de mobilité. Le film résume bien les contradictions du rapport de la métropole de L.A. et de la vitesse. Le film raconte l’épopée d’un bus de la ville de Santa Monica (Big Blue Bus) dans lequel une bombe a été placée, bombe qui doit exploser si la vitesse du bus tombe au-dessous de 55 mph. Le bus doit rouler sur des autoroutes urbaines saturées et bouchées, conduisant le spectateur dans un tour de L.A., depuis Santa Monica jusqu’au Downtown par l’autoroute 10, puis du centre vers l’aéroport LAX (freeways 110 et 105). Au-delà du prétexte initial, cette fiction rend compte d’une réalité vécue par de nombreuses métropoles américaines, les pressions exercées par le lobby automobile (les constructeurs automobiles, les industries pétrolières, les entreprises de pneumatique…) dans les années 1930 pour y supprimer les réseaux de tramway (ces firmes sont condamnées en 1959). L’argument développé est que le transport en commun est trop lent et gêne le transport automobile… Aujourd’hui, le mouvement est inverse avec le retour des transports en commun dans les grandes métropoles américaines mais aussi dans les métropoles européennes.

Renaud Le Goix évoque ensuite Fast and Furious (dont le premier opus est dédié à la ville de Los Angeles) film qui raconte un concours de voitures entre gangs rivaux, infiltrés par des policiers. Le réalisateur du film s’est tué peu après au volant d’une Porsche … à grande vitesse.

Fast Cash : ce sont de petits distributeurs de billets (installés par une entreprise appelée Fast Cash) partout présents sur les lieux de consommation, qui permettent à tout instant d’avoir de la monnaie pour de petites transactions. Ces guichets automatiques signalent la vitesse de circulation de l’argent.

Le géographe nous apprend enfin que les Fast Track sont des voies réservées au covoiturage sur les autoroutes urbaines et sont bien souvent payantes. Ainsi la vitesse a un coût pour l’usager : les plus aisés font du covoiturage sur les Fast Track alors que les plus pauvres prennent le bus. La comparaison s’impose en France entre les TGV et les cars « Macron ».

Au fond, il s’agit pour Renaud Le Goix de nous faire réfléchir d’une part sur la façon dont la vitesse pose la question de l’inclusion ou de l’exclusion sociale. Aller plus vite pour qui, comment et avec quels moyens ? Mais il tente aussi de montrer que la vitesse est l’objet de discours performatifs à l’origine de la captation de la rente. Créer des infrastructures de transport renforce l’accessibilité, démultiplie la vitesse de déplacement et provoque des phénomènes spéculatifs qui s’organisent autour de ces points d’accès. Enfin, Renaud Le Goix s’interroge sur la question de la méthode de travail en géographie urbaine : comment étudier des phénomènes qui ont des temporalités différentes ?

Analyser un paysage qui change et la vitesse du changement (dans le cas précis le phénomène de gentrification), appelle une méthode. Selon Villanueva, Benson et Cobian qui ont étudié différents quartiers de New York [1], la méthode la plus adaptée pour étudier le changement social est la marche, la déambulation, les pérégrinations. Capturer la vitesse suppose de déambuler pour analyser les changements de l’espace.

Quand on veut regarder comment la ville va plus vite, le géographe est confronté à un vrai problème. On travaille souvent, en géographie, sur des stocks plutôt que sur des flux, sur des unités immobiles plutôt que sur des vitesses. Les informations sur les vitesses de circulation sont relativement difficiles à avoir et à analyser.

La vitesse peut se lire d’abord par la lecture minutieuse du paysage, de son évolution et des signaux ténus qui s’en dégagent. Un paysage est produit, un paysage est fonctionnel. Les travaux de Don Mitchell (2008) le montrent [2]. Un paysage est produit : il faut savoir interpréter les formes de production. Un paysage est fonctionnel : face à un aménagement quel qu’il soit, il y a une volonté rationnelle qui l’anime. Enfin, aucun paysage n’est local : les références sont globalisées (les modes urbanistiques sont de plus en plus répandues).

Le modèle américain s’est diffusé partout dans les grandes métropoles. Il inspire aussi le modèle du Grand Paris.

Le projet du Grand Paris pose deux problèmes :

– D’abord, celui de l’accessibilité des populations qui vivent en petite couronne et pour qui il y a un déficit d’accès aux transports en commun avec des liaisons radiales et de nombreuses difficultés pour effectuer des déplacements de périphérie à périphérie. Entre les nouvelles gares du Grand Paris, la vitesse sur les voies sera en moyenne de 45 km/h (comme sur la ligne 14), alors qu’ailleurs on ne dépassera pas les 25 km/h en moyenne.

– Le deuxième problème est lié à la création de nouveaux quartiers organisés autour de gares géantes. La société du Grand Paris crée les conditions institutionnelles de la maîtrise foncière avec une multitude d’outils (PLU, création de société foncière publique, préemption foncière dans un rayon de 100 m si nécessaire…) et permet de capturer ainsi la rente foncière (liée aux gains de valorisation foncière) pour financer les travaux et les infrastructures. Des zones mixtes et denses de logements et d’emplois vont être construits : ils génèreront beaucoup d’impôts puisque ces processus vont conduire à la gentrification de ces sortes de ZAC. Il existe donc un hiatus entre la volonté d’accroissement de l’accessibilité pour les populations de la petite couronne qui ont subi l’éloignement et la mise en place de conditions institutionnelles et de création d’infrastructures qui organisent le changement social de la petite couronne (processus de gentrification et de débordement des logiques foncières et financières du centre de Paris). La vitesse change les conditions sociales des quartiers. Si des ménages plus riches arrivent, la base fiscale permettra de rembourser plus vite le coût des opérations.

Quels prolongements ? Le système est gagé sur la fiscalité future… celle des générations futures… n’est-ce pas moralement contestable ? Deuxième remarque : s’il subvient une crise des subprimes, comme aux Etats-Unis, assistera-t-on aux mêmes conséquences, c’est à dire à l’expulsion de leur maison de 12 millions de ménages depuis 2008 ?

Les modèles urbains circulent vite (notamment les modèles de circulation du capital en ville).

Le discours sur les Smart Cities associe le plus souvent des promoteurs immobiliers, des fournisseurs d’énergies et des gestionnaires de réseau d’infrastructure de transports. L’objectif est la mise au point d’un système d’optimisation des flux, d’optimisation de l’utilisation des infrastructures et des équipements. Dans un certain nombre de ville, le terme de Smart City est un mot valise qui permet de capter des potentiels de croissance là où ils existent encore. A Tokyo, la ville est en décroissance et le secteur immobilier qui ne se porte pas très bien a trouvé des niches permettant de trouver de la croissance. Introduction de nouveaux types d’appartement et de logement sous couvert de l’étiquette Smart. La capture de la vitesse par des collectivités territoriales et des FTN fait ainsi partie de logiques financières.

Renaud Le Goix expose un processus qui concerne les acteurs de l’immobilier, à savoir les banquiers et les assureurs. Nommés acteurs non ancreurs (Theurillat, 2009) [3], ils apportent l’argent pour financer l’immobilier. Mais sur le terrain, ce sont des promoteurs locaux qui sont à la manœuvre… et qui sont en quelque sorte franchisés. En cas de problème, ce sont eux qui payent la casse…  avant de la faire payer aux autres.

Maryse Verfaillie & Joseph Viney

Les Cafés géographiques ont organisé une journée sur Boulogne-Billancourt en septembre 2016 et sur les opérations pharaoniques en cours sur les quartiers du Trapèze et du Pont de Sèvres. On peut en trouver le compte rendu avec le lien suivant :

http://cafe-geo.net/iles-en-seine-en-aval-de-paris/

[1] Joaquin Villanueva, Pablo Benson, Martin Cobian (2016), « Capturing Urban Change: Contrasts, Lapses, and Contradictions », ACME: An International Journal for Critical Geographies, Vol 15, n° 3

[2] Don Mitchell (2008), New axioms for reading the landscape: Paying attention to political economy and social justice. In, James L. Wescoat and Douglas M. Johnston (eds.), Political economies of landscape change: Places of integrative power. Dordrecht, The Netherlands: Springer, pp. 29-50.

[3] Thierry Theurillat (2009), « La ville négociée: entre financiarisation et durabilité », GREP Working papers, Neuchâtel: Université de Neuchâtel

http://www2.unine.ch/Jahia/site/socio/op/edit/pid/20998.