Ce café géographique, programmé le mercredi 25 novembre 2015, a été animé par Aloys NDAYISENGA, chef du département de géographie de l’université de Bujumbura. En 2010, il a soutenu une thèse intitulée « La reproduction d’un système paysan à travers les revenus extérieurs à l’exploitation : le cas de la région du Bututsi au Burundi ». Elle a été réalisée au laboratoire « Dynamiques Rurales », à Toulouse.

Introduction

Petit État de la région des grands lacs (environ 28 000 Km²), le Burundi est peu connu des Français et des Européens en général. Cette méconnaissance est même utilisée à des fins comiques : à la fin du film à succès « Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu », Christian Clavier présente son acolyte, avec lequel il voyage en fraude dans un train de la SNCF, comme le ministre des finances burundais ! De façon moins « légère », les Occidentaux se souviennent que deux de ses principales composantes « ethniques », les Hutus et les Tutsis, se sont affrontés dans un génocide particulièrement meurtrier dans la première moitié des années 1990. Ils ont découvert plus récemment, et en même temps que les membres de la diaspora vivant sur le « Vieux Continent », le déclenchement d’une nouvelle crise politique, dont les origines semblent se trouver dans la réélection contestée de Pierre Nkurunziza, en 2015. L’objet de ce café géographique était donc de débattre et d’apporter, en toute modestie, quelques pistes d’interprétation de ce blocage politique. Deux questions ont guidé le propos de l’intervenant et structurent ce compte-rendu : Pourquoi le « pays des mille collines » fait-il face à un nouveau cycle de violence, après ceux de 1972 et 1993 ? Et quelles sont les perspectives d’accalmie à moyens termes ?

Un territoire élevé, sous-urbanisé et uni autour d’une langue

En se limitant aux aspects généraux, le Burundi peut être subdivisé en trois grands ensembles topographiques :

  • L’Ouest du pays est cisaillé par une profonde ride, dans laquelle se trouvent le lac Tanganyika et la capitale : Bujumbura. C’est une partie du « Rift Albertien », appelée localement Imbo, et dont l’altitude n’excède jamais 1000 mètres.
  • Cette dépression est interrompue vers l’Est par une crête acérée, qui présente les plus hauts sommets du territoire (les massifs du Heha, du Teza ou encore du Twinyoni culminent tous à plus de 2600 mètres) et sépare le bassin hydrographique du Congo de celui du Nil.
  • La crête Congo-Nil est raccordée à l’Est du pays par des plateaux, qui s’affaissent doucement en direction de la frontière tanzanienne. Les « cuvettes » du Bugesera et du Kumoso, situées aux confins orientaux du territoire, ne dépassent pas 1400 mètres d’altitude.

Le climat varie en fonction de ces grands traits morphologiques : à Bujumbura, par exemple, les amplitudes thermiques annuelles sont faibles (3 à 4°C) et les précipitations moyennes avoisinent 840 millimètres sur douze mois.

Photo 1. Un paysage typique du Burundi (Cliché utilisé par Aloys Ndayisenga lors de sa présentation)

Photo 1. Un paysage typique du Burundi
(Cliché utilisé par Aloys Ndayisenga lors de sa présentation)

Cet espace, au relief tourmenté et à la météorologie clémente, est l’un des plus densément peuplés d’Afrique subsaharienne (379 habitants au km²), bien que sa population se soit longtemps concentrée et se concentre encore dans les campagnes : un célèbre guide de voyage fait d’ailleurs du Burundi « le lieu idéal pour découvrir la paysannerie africaine ». Les indicateurs d’urbanisation y sont effectivement extrêmement bas : à peine 11 % des Burundais vivent en ville, treize centres urbains seulement comptent plus de 10 000 âmes, alors que l’écart de population entre Bujumbura (600 000 habitants) et la seconde agglomération du pays est de 17,5. Le Burundi se distingue aussi d’autres États africains par son unité linguistique : les citoyens de toutes les provinces partagent le Kirundi comme mode de communication, à l’instar du Kiswahili, qui assure l’intercompréhension entre les diverses régions du Kenya ou de la Tanzanie. Le Burundi est donc dans une situation inverse à celle du Cameroun par exemple, où le nombre de langues locales s’élève à 240 et où tout voyageur est obligé d’user soit du français, soit de l’anglais, s’il veut dialoguer avec ses compatriotes qui viennent d’autres villages. Mais la cohésion linguistique du Burundi n’a pas empêché l’apparition de clivages, comme le prochain paragraphe tente de le démontrer.

Les processus de construction identitaire

Avant la colonisation européenne, des différenciations sociales existaient déjà au Burundi : la population s’identifiait alors plus à des clans (souvent nommés en référence à des animaux, comme celui de l’éléphant ou du mouton) qu’à des « ethnies ». Ces dernières sont le résultat de la période coloniale, pour deux raisons essentielles.

Premièrement, elles sont le fruit d’une réaction à l’intrusion européenne : les autochtones se sont réfugiés dans ce qu’ils avaient de plus viscéral, dans leur passé propre, dans des représentations et attitudes communes, dans leurs mythes fondateurs, en quelques mots, dans des groupes resserrés autour d’une identité, en opposition avec l’« étranger » occidental. Deuxièmement, les ethnies sont l’héritage de l’entreprise coloniale de fixation des individus et de délimitation de circonscriptions administratives, qui coïncidaient vaguement avec des espaces « ethniques » antérieurs. Le but était bien sûr de « diviser pour mieux régner », comme l’enseigne un adage bien connu. La littérature coloniale a largement contribué à renforcer la dichotomie entre les Tutsis et les Hutu en associant à chacune de ces entités des attributs et, plus crucial encore, en leur donnant une réalité historique. Ainsi, au Burundi, les Tutsis furent apparentés aux Hamites, peuple légendaire qui serait originaire d’Éthiopie ou d’Egypte, et qui aurait progressivement soumis les Hutus, dont les racines seraient bantoues. Un autre postulat de l’ethnologie coloniale les présente comme des envahisseurs qui se seraient succédé dans le temps, tout en s’engageant dans des activités socioprofessionnelles bien tranchées : les uns se seraient consacrés à l’élevage de bovins, pendant que les autres auraient privilégié l’agriculture. Toutefois, ces hypothèses typiques de certains courants de l’anthropologie du XIXème siècle n’ont jamais été validés scientifiquement, ni par l’archéologie, ni par la linguistique. Pourtant, ce dualisme « ethnique » hérité s’est peu à peu mué en une ligne de fracture le long de laquelle les conflits brutaux se sont multipliés après l’indépendance.

Des « éruptions » de violence depuis l’indépendance  

Après avoir été balloté entre l’Ostafrika allemande et l’empire colonial belge, le Burundi est devenu officiellement indépendant en 1962. Malheureusement, le prince Louis Rwagasore, chef de file des indépendantistes et partisan d’un gouvernement qui transcende les groupes « ethniques » et les appartenances confessionnelles, est tué d’une balle dans la tête neuf mois avant l’émancipation officielle du pays. Cette exécution, que les historiens attribuent à ses adversaires politiques du Parti Démocrate-Chrétien (ou PDC), a marqué le début des oppositions politiques qui se sont poursuivies, phases après phases, jusqu’aux tensions actuelles.

Dans les années 1963-1965, le roi Mwambutsa IV nomme à la tête du gouvernement des premiers ministres d’horizons divers : il confie d’abord ce rôle à un prince (André Muhirwa), puis à un  Hutu (Pierre Ngendandumwe), puis à un Tutsi (Albin Nyamoya), puis revient à un Hutu (Pierre Ngendandumwe). Mais le Burundi n’échappe pas à la bipolarisation du monde de la « guerre froide » et l’opposition frontale entre l’Est et l’Ouest, entre la doctrine libérale et le communisme, se joue également sur son sol avec, en arrière fond, des inimitiés entre leaders politiques. Un dissensus profond apparait en effet quant à la ligne directrice adoptée par le parti de gouvernement, l’Union pour le Progrès National (UPRONA) : celle-ci est tiraillée entre une position pro-occidentale portée par les Hutus et une posture monarchiste-indépendantiste, moulée dans un discours tiers-mondiste et marxisant, et défendue majoritairement par les Tutsis. Les missionnaires catholiques, sans doute apeurés par la contagion « rouge », dans un contexte de révolte muléliste au Zaïre voisin, délaissent alors les « bolcheviks tutsis » et se rangent du côté des Hutus. Ces rivalités, où se confondent intérêts internes et intrigues étrangères, engendrent un climat extrêmement pesant à Bujumbura, situation tendue qui débouche sur l’assassinat, en 1965, de Pierre Ngendandumwe et à la destitution, quelques semaines plus tard, du monarque qui l’avait nommé. La fin de l’année est marquée par le massacre de plusieurs centaines de Tutsis dans le centre du pays (à Muramvya), décimation qui fait suite à la large victoire des Hutus aux élections législatives de mai.

Ces événements douloureux nourrissent une crispation certaine dans les cénacles tutsis, dont l’exutoire est un coup d’État fomenté par le capitaine (puis colonel) Michel Micombero. Celui-ci promeut un régime extrêmement autoritaire, véritablement obsédé par la question « ethnique ». Sa présidence est d’ailleurs marquée par la montée en puissance du « groupe de Bururi », à l’intérieur duquel se regroupent des Tutsis influents du Sud ; ces derniers éliminent politiquement les Tutsis du centre en 1971 lors d’un procès fantoche où ils sont accusés de « monarchisme ». Cette attaque devant la justice scelle le triomphe d’une ligne « ethniciste » extrémiste revendiquée par certains Sudistes : ce n’est donc pas un hasard si, en 1972, les représailles contre les Hutu, responsables de la mort de nombreux Tutsis, se fonde sur les membres les plus zélés du « groupe de Bururi » avec, il est vrai, l’aval de la chancellerie. Le bilan de ces affrontements glace le sang : cent mille décès de part et d’autre. Ce fait historique perdure dans la mémoire des Burundais sous le nom d’ikiza, terme qui signifie le « fléau » en français.

L’administration Micombero tombe en 1976 au profit d’un autre militaire tutsi originaire des provinces méridionales : Jean-Baptiste Bagaza. Cette alternance au sommet de l’État coïncide avec l’instauration d’une seconde république, où l’ombre du « groupe de Bururi » plane encore et où les élites hutues sont toujours soigneusement écartées du gouvernement. Le scénario se répète dix ans plus tard, lorsqu’un troisième militaire, avec les mêmes origines « ethniques » et géographiques, s’empare du pouvoir et instaure une nouvelle république. Celle-ci, dirigée par Pierre Buyoya jusqu’en 1993, présente cette fois-ci des signes d’apaisement entre les deux groupes principaux qui forment le Burundi : en 1991, par exemple, une charte refusant « toute discrimination ou exclusion à l’encontre d’une partie de la population sur le seul fait de son appartenance à une ethnie » est adoptée. Malgré cela, le souvenir des persécutions antérieures reste vivace et la « plaie » du ressentiment, au lieu de se refermer définitivement, se rouvre au début des années 1990.  Le génocide burundais a des racines anciennes et complexes qui ont déjà été étudiées dans de nombreuses publications : c’est pourquoi je me limiterai ici à une chronologie sommaire, comme l’a d’ailleurs fait Aloys Ndayisenga durant son exposé en novembre dernier. Ce qu’il est utile de dire à ce moment du compte-rendu, c’est que le Burundi met en place le multipartisme en 1992 après avoir été dominé pendant des décennies par l’UPRONA. Cette réforme ne s’effectue pas ex nihilo, mais fait suite à une allocution prononcée par François Mitterrand à La Baule en 1990, dans laquelle il exhorte les dirigeants africains à établir et renforcer la démocratie. Des élections ont donc lieu en 1993, mais elles ravivent les vieilles tensions « ethniques » : en effet, les citoyens ne choisissent pas forcément le candidat le plus compétent pour prendre les rênes du pays, mais celui qui leur semble le plus proche de leur clan. La votation se solde par une victoire du Front pour la Démocratie du Burundi (FRODEBU) aux échéances présidentielles et législatives et entérine le retour des élites hutues sur le devant de la scène politique. Melchior Ndadaye, le nouveau président hutu, est toutefois abattu trois mois après son investiture par des soldats (l’armée burundaise recrute alors principalement des Tutsis). C’est cet attentat qui va mettre le feu aux poudres : le 21 octobre 1993, des partisans du FRODEBU bloquent des routes dans plusieurs régions du Burundi, puis, les jours suivants, ils arrêtent et tuent des Tutsis et des sympathisants hutus de l’UPRONA. À partir du 23 octobre 1993, l’armée régulière réplique en exterminant des civils hutus ; des milliers d’autres sont poussés sur les chemins de l’exil par crainte de perdre la vie. On compte plus de 80 000 cadavres et 200 000 déplacés en novembre 1993, mais le déferlement de haine se prolonge bien au-delà de cette date. Les pogroms contre les Tutsis amènent à des répressions contre les Hutus, et ces derniers font payer aux premiers les tueries qu’ils subissent  par la machette ; bref une logique implacable et funeste se poursuit sans jamais devoir s’arrêter.

L’hécatombe qui a lieu dans les années 1993-1994 inquiète beaucoup les voisins du Burundi, qui multiplient les sommets pour tenter de sortir de l’impasse « ethnique » pacifiquement. Le putsch de Pierre Buyoya en juillet 1996 (il évince le président hutu Sylvestre Ntibantunganya) encourage la Tanzanie de Nyerere et ses alliés à durcir le ton à l’égard de Bujumbura : ils décrètent ensemble un embargo dont les conséquences sociales sont certes négatives pour la population burundaise (avec notamment une flambée du prix des produits de première nécessité), mais qui a au moins le mérite de hâter l’ouverture de négociations pour la paix. Les pourparlers mobilisent dix-neuf acteurs du côté des Abarundi, à savoir le gouvernement et l’assemblée nationale, ainsi que dix-sept partis politiques de taille et de tendances diverses (on y retrouve pêle-mêle l’UPRONA, le FRODEBU, le CNDD-FDD qui fédère les rebelles opposées à Buyoya). Ces tractations sont ardues du fait de la rancœur qui existe entre les protagonistes, d’où certainement le choix de les mener en terrain neutre (à Arusha, au Nord de la Tanzanie) et sous le patronage d’une personnalité reconnue pour son engagement en faveur de la concorde (l’ancien président Sud-africain Nelson Mandela, fer de lance de la lutte anti-Apartheid). Elles aboutissent à la ratification, le 28 août 2000, de l’accord de paix d’Arusha, qui comprend en fait deux grands chapitres : le premier analyse la nature du conflit et justifie les solutions prescrites pour  en sortir ; le second reprend les dispositions édictées en octobre 2001 sous le nom de « Constitution de transition de la République du Burundi ». L’article 7 de la nouvelle loi fondamentale énonce que le chef de l’État est « élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois » et précise que « nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels ». La contestation actuelle se greffe précisément sur ce principe comme nous allons le voir dans le paragraphe ci-après.

Pierre Nkurunziza, un président de la république controversé

En juillet 2015, Pierre Nkurunziza est élu pour la troisième fois consécutive à la magistrature suprême, ce qui déclenche de vives protestations populaires et un déchaînement de fureur policière contre les manifestants. Pour décrypter cette énième paralysie politique, il convient de s’arrêter un instant sur le parcours et la personnalité atypiques de Pierre Nkurunziza, un cinquantenaire natif du Nord, dont le père hutu a péri dans les combats de 1972. En 1995, il rejoint les insurgés des Forces de Défense de la Démocratie (FDD), créées deux ans plus tôt suite au trépas de Melchior Ndadaye. Cette participation à la guérilla représente un double tournant dans la trajectoire de Nkurunziza : d’abord parce qu’il est grièvement blessé dans des accrochages en 1995 et ensuite parce qu’il est condamné à la peine capitale en 1996 pour avoir installé des mines anti-char dans Bujumbura. Sorti indemne de ces deux épreuves, il devient très pieux et bénéficie, par le biais de son épouse, du soutien financier d’églises évangéliques anglo-saxonnes. Dès lors, plus rien n’arrête l’ascension de cet autodidacte : en 2001, il prend la tête des FDD ; en 2004, il fait une entrée triomphale à Ruyigi (une bourgade de l’Est), après avoir signé un cessez-le-feu avec le gouvernement transitoire dirigé par Domitien Ndayizeye ; en 2005, les FDD sont enregistrées en tant que parti politique et Pierre Nkurunziza est élu par un parlement issu de l’accord d’Arusha qui consacre le partage du pouvoir entre Hutus et Tutsis. Les premières années de son règne sont sources d’espérance avec, en point d’orgue, le désarmement des ultimes séditieux et leur cooptation dans les institutions. Néanmoins, ces promesses d’harmonie et de renaissance démocratique ne résistent guère au temps. Je passe sur les irrégularités qui ont entaché les élections communales de 2010 (et qui ont valu aux votes postérieurs d’être boycottés par l’opposition), pour me focaliser sur les troubles de 2015 : ces derniers sont le fruit d’une lecture biaisée du compromis d’Arusha et de la constitution de 2005 qui s’en inspire.

Pierre Nkurunziza et ses lieutenants considèrent en effet que la première mandature de 2005 ne doit pas être comptabilisée au prétexte qu’elle ne résulte pas du suffrage universel mais d’un vote limité aux parlementaires ; autrement dit, seul le scrutin de 2010 doit selon eux être pris en considération, ce qui ouvre la voie à une autre candidature de l’équipe présidentielle en 2015. Cette interprétation litigieuse des textes officiels est très tôt rejetée par les adversaires politiques de la caste dirigeante, mais ces derniers sont désavoués par la cour constitutionnelle qui autorise, après moult pressions, la campagne décriée. Une fois élevés au zénith de l’État, les gouvernants intensifient encore un peu plus les actions punitives à l’endroit des protestataires : des défenseurs des droits de l’Homme sont molestés (cf. Pierre-Claver Mbonimpa) et des jeunes Bujumburais sont arrêtés et séquestrés par des milices en uniforme qui, au mieux, rançonnent les familles et, au pire, privent ces dernières d’un être cher. Selon les estimations, entre 140 000 et 175 000 personnes ont fui le Burundi depuis mars 2015 à destination des pays limitrophes. Simultanément, les relations avec les puissances occidentales se distendent très nettement. Au printemps 2016, l’Union européenne décide même de suspendre son aide directe à l’administration Nkurunziza, celle-ci pesant près de 20% du budget national et jusqu’à 60% de celui du ministère de la santé.

Conclusion et perspectives   

Il n’a pas du tout était facile de rédiger cette note, nécessairement incomplète et partiale, sur la violence politique au Burundi. La principale raison à cet inconfort est la nature « brûlante » et très actuelle de la thématique abordée, qui rend délicat l’écriture sereine, la prise de distance et l’analyse froide d’événements qui, souvent, sont insoutenables. Il est vrai aussi que les rixes dont je me suis fait, humblement, le scribe, relèvent de mécaniques infiniment plus sibyllines que ce que le commun des Hommes pense généralement. L’antagonisme Hutu/Tutsi, par exemple, résulte d’un processus d’édification qui remonte à la colonisation européenne. Il fut certes un puissant générateur d’énergie destructrice, mais il ne fut point le seul : les luttes fratricides entre Burundais peuvent aussi être mis en parallèle avec les turbulences de la guerre froide (les Tutsis ont été un moment associés au camp communiste et ont donc été abandonnés par leurs soutiens traditionnels) et la concurrence entre les royalistes du centre et les militaires du Sud. La fronde de 2015-2016 m’apparait différente des phases d’animosité précédentes en ce sens qu’elle n’est pas commandée, pour l’instant du moins, par des aspects « ethniques ». Il s’agit beaucoup plus selon moi d’un « ras-le-bol » du corps social, dominé au Burundi comme ailleurs en Afrique intertropicale par une jeunesse qui souhaite se prendre en main, s’assurer un futur et établir son contrôle sur la chose publique. C’est dans cette perspective qu’a été instauré, en février 2016, à Bruxelles, le Conseil National pour le Respect de l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation, de la Constitution et de l’Etat de droit (CNARED-GIRITEKA). Celui-ci est conçu comme « un cadre d’action et de coordination des forces politiques et d’autres forces citoyennes opposées au troisième mandat illégal et illégitime de Monsieur Pierre NKURUNZIZA ».

Compte-rendu réalisé par Jérémy PASINI

Doctorant en géographie au LISST-Dynamiques Rurales

Références

Les documents et sites internet répertoriés ci-après m’ont permis de compléter et d’enrichir les arguments développés par Aloys Ndayisenga en novembre dernier. Les lecteurs pourront, comme je l’ai fait, y puiser des compléments d’information.

Formation des « ethnies »

DURAND-DASTÈS, François : « Ethnie ». Hypergeo [Encyclopédie électronique sur l’épistémologie de la géographie]. Disponible en ligne : http://www.hypergeo.eu/spip.php?article387 [Téléchargé pour la dernière fois le 30/05/2016].

Sur la chronologie des violences politiques depuis l’indépendance  

CHRÉTIEN, Jean-Pierre & MUKURI, Melchior (Dir.) : « Burundi, la fracture identitaire. Logiques de violence et certitudes « ethniques » ». Karthala, Paris, 2002. pp. 13 à 56.

CHRÉTIEN, Jean-Pierre : « Le Burundi après la signature de l’accord d’Arusha ». Politique Africaine, n°80, 2000. Disponible en ligne : https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2000-4-page-136.htm#no8 [Téléchargé pour la dernière fois le 30/05/2016].

Sur l’urbanisation au Burundi

HARRE, Dominique, MORICONI-EBRARD, François & GAZEL, François : « République du Burundi ». [Fiche pays réalisé dans le cadre du programme « e-geopolis »]. Disponible en ligne : http://e-geopolis.eu/IMG/pdf/AFRICAPOLISII_FICHES_PAYS_1/FICHE%20PAYS%20BURUNDI.pdf [Téléchargé pour la dernière fois le 30/05/2016].

L’acte de naissance du CNARED-GIRITEKA

NYANGOMA, Léonard : « Acte constitutif du Conseil National pour le Respect de l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi, de la Constitution et de l’Etat de droit ». Disponible en ligne : http://cnared.info/wordpress/connaitre-le-cnared/ [Téléchargé pour la dernière fois le 30/05/2016.