Se rendre en Arles n’est pas chose aisée pour le touriste pressé, la cité n’étant desservie ni par le TGV, ni par le moindre aéroport. Et, cependant, toutes les routes semblent mener à Arles, appuyée sur un bras du Rhône. Au centre de la ville un obélisque s’est figé sur la place de la république. En périphérie, la tour de l’architecte mondialement connu, Frank Gehry, le nargue du haut de ses 56 mètres. Aujourd’hui, la ville a réalisé un « parcours Van Gogh » célébrant les nombreux tableaux réalisés par le peintre durant son séjour à Arles.
Comment et pourquoi sont-ils arrivés là ? Enigmes nombreuses à résoudre, alors ne perdons pas de temps, sauf pour se poser, l’espace d’un instant au Café de Van Gogh le soir.
Une identité patrimoniale ancienne.
En 1824, le maire de la ville (le baron de Chartrouse) entreprend de remettre en valeur le patrimoine bâti en dégageant les arènes puis le théâtre antique. En 1848, 12 monuments figurent sur la liste dressée par Prosper Mérimée et le poète du félibrige Frédéric Mistral installe dans l’Hôtel Laval Castellane, autrefois collège des jésuites, le « Museon Arlatan » qui présente des collections d’œuvres représentatives de la vie arlésienne.
Arles, choisie comme lieu de résidence par César et Constantin devient un archevêché en 513. La splendeur de Saint-Trophime témoigne des richesses accumulées par un clergé qui peut faire appel aux plus grands artistes du moment.
En 1981, les monuments romains et romans sont inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO ainsi que 65 ha du centre-ville. Ils acquièrent une dimension internationale et attirent les mécènes. C’est la fondation américaine World Monuments Found qui restaure le portail de Saint Trophime.
Depuis 2005, les vestiges du théâtre antique sont restaurés et accueillent les spectateurs des nombreuses fêtes estivales. Un inventaire supplémentaire de 2006 inscrit 48 monuments au total. La population montre un intérêt toujours croissant pour ces sauvegardes et demande aux élus locaux de veiller à obtenir les financements nécessaires. Ils se passionnent en 1974 par la découverte de 3 sarcophages paléochrétiens dans le quartier de Trinquetaille.
Les Rencontres de la Photographie sont créées en 1970 par le photographe arlésien Lucien Clergue, avec l’aide de l’écrivain Michel Tournier et de l’historien Jean-Maurice Rouquette. Elles ont attiré en 2019 (annulation en 2020) 140 000 visiteurs venus regarder les photos de 270 artistes exposés dans une trentaine de lieux, (anciennes chapelles et usines). Des projections, des débats, colloques et stages sont organisés à cette occasion.
Désormais, Arles ne s’appartient plus, elle relève de l’international. Le temps des Fondations est venu.
La Fondation Luma et le petit monde de Maja Hoffmann
Ici c’est Maja qui est à la manœuvre. Elle est l’héritière des laboratoires Hoffmann-La Roche fondés par son père en Suisse. Il a installé un laboratoire en Camargue et c’est là que Maja a grandi pendant 15 ans. Il est aussi, excusez du peu, le fondateur de WWF ! Sa fille, tôt milliardaire, visionnaire selon les uns redoutable impérialiste pour les autres, est déjà à la tête d’une Fondation à Zurich. Fondation sans but lucratif, elle est pratiquement exemptée d’impôts.
A Arles, elle va acquérir les immenses friches des ateliers de la SNCF pour y installer Luma (Lu comme Lucas son fils et Ma comme Marina sa fille). Les anciens ateliers sont rénovés et vont accueillir un centre de recherches, des expositions et sa collection personnelle d’art contemporain. Le site offre aussi une résidence pour artistes dont profite actuellement le danseur Benjamin Millepied.
Un parc de 10 ha avec un étang et 500 arbres différents, est aménagé. Il sert d’écrin au « phare » de la Fondation : la tour édifiée par l’architecte Frank Gehry.
Maja Hoffmann est une femme d’affaires qui a su s’imposer avec beaucoup de maestria. De Mitterrand à Macron en passant par Hollande, nul président ne peut venir à Arles sans passer par la Fondation, qui multiplie les achats immobiliers.
Revenons sur la tour dont la photo figure en tête de cet article
Franck Gehry est un architecte américano-canadien, dont l’œuvre a été de nombreuses fois primée. Quelques exemples : Vitra Design Muséum à Bâle en 1989, Musée Guggenheim à Bilbao en 1997, Fondation Vuitton à Paris en 2014…. C’est aussi une star médiatique.
Le « geste spectaculaire » de Luma à Arles est l’érection de cette tour de 56 mètres de haut qui coiffe la ville. Elle est l’emblème de la nouvelle puissance des fondations privées dans le secteur culturel français.
« Façade ahurissante, imbrication de volumes, de formes, de matières hétérogènes » qui évoquent selon l’architecte les reliefs rocheux des Alpilles proches et répondent aux tourments de Van Gogh. Visible à une dizaine de kilomètres à la ronde, elle sera achevée en 2021.
Ce totem ne fait pas l’unanimité chez les Arlésiens. Les détracteurs voient la tour comme « un phallus fatigué » ou « un phare d’une arrogance insupportable ».
En revanche, « Quelle commune de 50 000 habitants peut s’enorgueillir d’inaugurer la tour d’un prix Pritzker ? » clame Hervé Schiavetti, le maire communiste des lieux, trois fois élu.
Cependant, il reconnaît qu’une partie de la population a du mal à se projeter dans cette évolution qui impose la venue de ceux que l’on appelle « les Parisiens » appellation générique pour tout nouveau venu à l’accent pointu. Aux dernières élections municipales, c’est Patrick de Carolis qui a été élu. Un Parisien ? Ex-président de France télévisions ; fondateur de l’émission « Des racines et des ailes » peut-être, mais né à Arles, qu’on se le dise ! Et il est « Macron compatible ».
Si vous n’êtes pas convaincus par cette architecture, faites demi-tour et regardez l’ESPA
Elle a été dessinée par Marc Barani aussi discret (et reconnu) que Gehry est starisé. Ce long paquebot s’enfonce dans le vide des anciennes friches SNCF, aussi horizontal que la tour est verticale. Ce fleuron de la culture publique tout en verre et béton est proche des architectures minimalistes comme celle du Bauhaus dont la devise est « Less is more ».
Autre fleuron de la culture publique, le « musée bleu » édifié en 1995 par Henri Ciriani.
Près du Rhône, ce bâtiment se voit de loin. Le bleu de la façade rappelle que le ciel reste la seule chose intangible depuis l’Antiquité. Il a aussi un jardin (hortus) pour écrin, d’inspiration romaine, cela va de soi.
Le musée présente de très riches collections du néolithique, un buste présumé de César, repêché dans le Rhône, de magnifiques sarcophages, et dans une aile dédiée, un chaland complet sorti à nouveau du Rhône en 2013, qui atteste de la vigueur du port d’Arles dans les années 50-60 de notre ère.
Retour à l’international avec Van Gogh
A Arles, la Fondation Van Gogh d’Amsterdam a aménagé l’ancien Hôtel Dieu des XVIe et XVIIe siècles, pour mettre en regard les toiles de Van Gogh et les réalisations d’artistes contemporains. Elle a été inaugurée en 2014 par Hervé Schiaretti et Maja Hoffmann, qui a fourni l’argent.
La Fondation en impose par son architecture ouverte et ultra contemporaine. Mais elle ne possède aucun tableau du maître. Un seul lui est prêté chaque année par Amsterdam.
Van Gogh ne fut pas vraiment reconnu de son vivant, mais il écrivait « Si je vaux quelque chose plus tard, je le vaux aussi maintenant, car le blé est le blé, même si les citadins le prennent au début pour de l’herbe ».
L’artiste n’a vécu ici que quelques mois, mais c’est Arles qui l’a révélé à lui-même.
Les œuvres reproduites dans les rues de la ville sont complétées par des passages des lettres adressées à son frère Théo. Cette correspondance a été traduite puis éditée par Actes Sud.
Le petit monde d’Actes Sud
L’étude des rapports d’Arles avec l’art ne serait pas complète sans l’évocation de la réussite des éditions Actes Sud.
En 1980, Françoise Nyssen rejoint le monde de l’édition Actes Sud, fondée par son père Hubert deux ans plus tôt. Née en Belgique elle est agrégée de biochimie.
Jean-Paul Capitani est éleveur de moutons, producteur de vin bio et ingénieur agronome. Il souhaite se lancer dans le monde de l’édition. Leur rencontre va se révéler extrêmement fructueuse.
Les Editions Actes Sud, font des choix remarquables puisque à ce jour 5 de leurs auteurs ont obtenu le prix Goncourt. Ils ont pu racheter plusieurs éditeurs et amplifier le nombre de lecteurs : Sindbad, Gaïa Editions, Payot & Rivages, Editions du Rouergue, Editions Imprimerie nationale sont dans leur escarcelle mais demeurent indépendants dans leurs choix éditoriaux. Les éditions font travailler 350 personnes.
Un collège de traducteurs a été créé et l’impression des livres se fait exclusivement en France.
Les ouvrages les plus divers sont édités. Il y a un rayon jeunesse, des rayons « beaux livres ».
A signaler aussi un gros ouvrage, publié en 2014, dont le titre est : Caricaturistes, fantassins de la démocratie. Il est préfacé par Plantu et son introduction est rédigée par le Roumain Radu Mihaileanu, avec pour titre Les héros d’aujourd’hui. C’était en 2014 et six ans après c’est encore plus d’actualité.
Le couple Nyssen-Capitani est aussi à la tête d’une librairie au lieu-dit Le Méjan. C’est un lieu exceptionnel par sa taille et par la diversité des activités proposées : restaurant, cinémas, hammam et même lieu d’expositions et de conférences dans une chapelle attenante. Un festival « Agir pour le monde » s’est tenu en août 2020. Il a accueilli Edgar Morin, en toute simplicité. La librairie d’Arles fait partie d’un ensemble de 10 librairies installées de Paris à Marseille. On pourrait comparer ce réseau à celui de Denis Mollat à Bordeaux.
Un troisième volet doit être ajouté : la création d’une école située dans une ferme de 136 hectares en Camargue, en 2014. L’Ecole du Domaine du possible accueille une centaine d’enfants et propose une pédagogie alternative qui doit permettre à tous les élèves un épanouissement absolu. Elle est payante et attire des familles en recherche, comme du temps de Rousseau, d’un bonheur à la campagne. C’est la seule activité qui ne dégage pas de bénéfice. Elle est aussi, parfois controversée.
Tant de succès suscite bien des jalousies. Capitani dirige au moins 24 entreprises dont des sociétés immobilières… un véritable empire avec un pied en Arles et un pied à Paris !
En 2007, Françoise Nyssen se lance en politique et appelle à voter pour Ségolène Royal. Le président Macron en fera une ministre de la culture éphémère (14 mois). Accusée de conflits d’intérêts, elle retourne en Arles.
Quelques mots sur la magie des livres qui ne sont pas toujours perçus comme essentiels en 2020. Michel Melot, conservateur de la BNF affirme que « le livre est un merveilleux meuble à ranger les idées et les rêves ». Il ajoute « le livre est avant tout le fruit d’un processus de création, le résultat de la coopération entre un écrivain et un éditeur ». C’est particulièrement vrai chez Actes Sud.
On rappellera aussi qu’un précédent ministre de la Culture, Jack Lang pour ne pas le nommer, avait sauvé le réseau français de 3000 libraires grâce au « prix unique ».
On peut railler l’alliance de la milliardaire et du communiste, mais on reste dans la trilogie habituelle où l’argent fait bon ménage avec l’art et la politique ! Elle a réveillé Arles en ce début de XXIe siècle, comme d’autres villes avant elle : Essen, Bilbao, Lens, Abu Dhabi, Malaga et j’en passe.
Après une léthargie de trente ans, « Arles la branchée » est devenue l’épicentre de la création contemporaine, la cité bénie du mécénat culturel, un bouillon de culture(s) puisque deux femmes douées (Françoise et Maja) ont su repérer les meilleurs artistes et les meilleurs écrivains. Bientôt l’aura internationale doit s’amplifier avec la venue de Tadao Ando, architecte japonais de grand renom, qui va transformer un autre hôtel particulier en musée d’art contemporain. Décidemment, Arles sait subtilement recycler les friches industrielles, autant que son patrimoine hérité de l’Antiquité et de la Renaissance.
Si vous avez été EBLOUI par Arles, vous ne pourrez pas l’OUBLIER…ces mots sont affichés à l’Ecole de la photo.
Tout paysage est un état d’âme affirme Van Gogh. Arles démontre que la culture/les cultures peut/peuvent être l’économie d’un lieu.
Maryse Verfaillie, novembre 2020
PS : Quelques liens sur quelques villes ouvertes sur le monde
http://cafe-geo.net/wp-content/uploads/Essen.pdf
http://cafe-geo.net/le-mucem-un-phare-pour-marseille/#more-3427
http://cafe-geo.net/fondation-louis-vuitton/#more-7267
http://cafe-geo.net/wp-content/uploads/Louvre-Lens.pdf
http://cafe-geo.net/malaga-ville-dart-andalouse-sur-la-costa-del-sol/#more-12381