[18-20 septembre 2015]

bordeaux-univers-paradoxalBordeaux se souvient du temps où les quais accueillaient paquebots et cargos, mais la ville a perdu son port.

Aujourd’hui, après rénovation des quartiers anciens et des berges de la Garonne, l’harmonie a été retrouvée entre la ville et le fleuve et depuis 2007 la cité a été inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco.

La capitale aquitaine sort d’une longue torpeur et voit son avenir en grand. Les projets ambitieux (ou pharaoniques ?) sont nombreux.

Bordeaux appelle le cliché : port en pleine terre ou campagne en pleine mer, bourgeoisie impitoyable, ville anglaise ou espagnole, ville plate et basse sans mystère…

Tout ici n’est qu’apparence. Mais sa jeunesse crie haut et fort : « Bordeaux is the place to be » !

Le voyage est organisé par Maryse Verfaillie, pour l’association Les Cafés géographiques de Paris. Il bénéficie de l’aide précieuse de deux enseignantes en CPGE du lycée Montaigne, Marie Grosgeorge et Stéphanie Beucher.

Vue cavalière de Bordeaux en 1890. Lithographie de F. Hugo d’Alesi

Vue cavalière de Bordeaux en 1890. Lithographie de F. Hugo d’Alesi

1 – Déclinaisons de Bordeaux

« Au commencement de Bordeaux sont les eaux qui mouillent son nom et continuent de le mouiller ? Nous découlons, voilà la vérité » Pierre Veilletet, Bords d’eaux (éd Arléa).

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Bordeaux ville d’eau

Bordeaux n’existe que dans son rapport à l’eau, qu’il s’agisse du fleuve, de la pluie ou de ces mystérieux cours d’eau qui sillonnent les tréfonds de la ville. Il existe peu d’endroits sous nos latitudes où l’eau, la pierre et le ciel tiennent aussi justement leur partition…

Le ciel, c’est celui de l’Aquitaine, voilé, jamais bien franc, tout en demi-teintes, en culottes de gendarmes et en gris bleu.

Le fleuve, dit Pierre Veilletet, « est consubstantiel de Bordeaux. Il n’est pas à prendre ou à laisser. Il est là…. comme substance fondatrice, comme vapeur immédiatement incrustée dans les pores de la pierre, halo invisible flottant autour des êtres et des choses. A Bordeaux, l’eau est partout, en brume, bruine, déluge. On dégouline, on maudit cette pluie verticale…mais aux premiers beaux jours, le Bordelais n’à qu’une hâte, filer vers l’océan et se plonger dans les rouleaux… L’eau à Bordeaux, se sont aussi ces rivières souterraines, la Peugue, la Devèze qui traversent la ville et envahissent caves et jardins ; ce sont ces pieux de chêne qui supportent toute la vieille ville, y compris la cathédrale qui ne tarderait pas à s’effondrer s’ils cessaient de baigner dans l’eau. ».

Le site de Bordeaux – Atlas historique des villes de France – Hachette-

Le site de Bordeaux – Atlas historique des villes de France – Hachette-

Bordeaux ville au port enfui

Sa situation est celle d’un fond d’estuaire, à 100 km à l’intérieur des terres, là où vient mourir la marée, au contact de la plaine des Landes et des collines de l’Entre-Deux-Mers.

La vallée de la Garonne présente ici un beau méandre. Bordeaux s’est développée en rive gauche, favorable à la navigation. La rive droite rapidement limitée par un talus, de 50 m de dénivelé, a été longtemps ignorée.

Les Romains plantent sur les basses terrasses, les premiers ceps de vigne et organisent un négoce vers l’Angleterre. Ce négoce sera conforté lorsque la ville, sous les Plantagenêt devient une place forte anglaise. Jusqu’au XVII ème Bordeaux est le premier port de France.

Sa fortune s’accroît encore au XVIII ème avec le commerce colonial. Jusqu’à la

2GM Bordeaux trafique sucre et rhum, bananes et café, cacao et bois tropicaux. Elle assure des liaisons de voyageurs pour les Antilles, le Maroc, les côtes de l’Afrique occidentale. Elle fut également un port négrier en 1802-1803.

Du XVI ème jusqu’au XIX ème elle a aussi tenté l’aventure de la grande pêche à la morue. Armateurs bordelais et marins bretons ont fait merveille et 34 sècheries de morue ont prospéré entre 1843 et 1892. Il ne subsiste de cette aventure que le quai de Bacalan, de l’espagnol bacalao (morue). Les terre-neuviers y débarquaient leur cargaison. Une fête de la morue est encore organisée au mois de juin sur la commune de Bègles.

Puis le port s’en est allé, en rive droite d’abord, où la fonction d’entrepôt s’est doublée d’installations industrielles. Des bassins à flot se sont construits en aval du quai Bacalan. Puis l’activité portuaire a disparu de l’horizon bordelais pour s’implanter dans la Gironde et jusqu’au Verdon, là où les eaux profondes pouvaient accueillir des porte-conteneurs géants.

Les quais du centre-ville ne sont plus qu’une agréable promenade paysagée. Seuls des plaisanciers et quelques bateaux de croisiéristes s’y aventurent encore.

A marée basse, émergent des épaves, celles des 200 navires sabordés et incendiés par les Allemands, dans la nuit du 25 au 26 août 1944, peu avant la libération de Bordeaux, afin de bloquer l’estuaire.

Ce passé a longtemps fait d’elle une « ville de l’extérieur » mal reliée à l’arrière-pays terrien. C’est Toulouse, autre ville de la Garonne,  qui prospérait comme capitale régionale.

Bordeaux capitale mondiale du vin

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Présent dès l’époque gallo-romaine, le vignoble s’étend fortement sous la domination médiévale anglaise, mais ce n’est qu’au XVIII ème siècle qu’il s’oriente vers une production de qualité (avant, il n’était que « claret », néanmoins enivrant). Autant que dans les conditions naturelles, c’est dans la science des vignerons, des œnologues et des maîtres de chais que réside la clé des grands millésimes.

Les vins rouges du Médoc, étendus en rive gauche, au nord de la ville offrent les prestigieux Margaux, Laffitte, Mouton Rothschild. Les vins des Graves, implantés au sud de l’agglomération, datent du temps « où les Anglais vendangeaient l’Aquitaine ». Les Haut-Brion et les Pessac-Leognan sont aujourd’hui situés dans la proche banlieue de Bordeaux. Plus loin mûrissent les Sauternes (Château d’Yquem), les vins de l’Entre-Deux-Mers, puis les Pomerol et Saint-Emilion.

Ces vins de grand prestige, vendus dans le monde entier, assurent le renom de la France et celui de Bordeaux. Créé en 1981, par la CCI de Bordeaux, le salon Vinexpo s’affirme comme le grand rendez-vous des opérateurs mondiaux du secteur des vins et des spiritueux.

Au cœur des Chartrons, quartier de l’aristocratie du bouchon, a été édifiée en 1991 la Cité mondiale du vin. Le bâtiment, tout en façades miroir incurvées est très discret et à peine visible du quai et du fleuve. Enfin doit s’ouvrir en 2016 une Cité des civilisations du vin. (Voir plus loin).Au début de l’été Bordeaux organise aussi « une fête du vin », un an sur deux en alternance avec la « fête du fleuve ». Un « Pass » de 4 jours autorise 11 dégustations !

Montesquieu, viticulteur-propriétaire se félicitait de ce que le succès de L’Esprit des Lois en Angleterre y contribue au succès de son vin et réciproquement. ..Le commerce nourrissant le commerce de l’esprit !

François Mauriac plus récemment disait le plus grand mal de l’aristocratie du bouchon, de cette société bordelaise se suffisant à elle-même, de son style « bon genre », comme la couleur bordeaux, qui réussit à être rouge sans tourner au criard.

Bordeaux ou comment enjamber la Garonne

Le pont de pierre

Le pont de pierre

Avant le pont de pierre ouvert en 1822 et jusqu’aux années 1960, il n’y avait pas de véritable route de Bordeaux pour qui venait du nord en général et de Paris en particulier. Il fallait franchir successivement la Dordogne et la Garonne, sur des bacs périlleux (les gabares) ou s’astreindre à un long détour par l’est.

De fait, la seule vraie route de Bordeaux fut la voie d’eau, itinéraire maritime et fluvial qui a longtemps mieux relié la ville au reste du monde qu’au reste de la France.

Mais à la jonction du domaine maritime et fluvial, la Garonne il fallait bien enjamber.

Le pont de pierre fut doublé en 1860 par le pont Eiffel qui porte la voie de chemin de fer reliant Paris à Bordeaux puis par le pont routier Saint-Jean.

Les transports dans Bordeaux métropole

Les transports dans Bordeaux métropole

Il faut attendre le XX ème siècle pour qu’une autoroute de contournement (la rocade) soit construite et que deux nouveaux ponts assurent le franchissement de la Garonne au nord (pont d’Aquitaine) et au sud (pont Mitterrand). Mais le franchissement de l’estuaire reste difficile et les bouchons sur la rocade, matin et soir, sont célèbres dans la France entière.

Le pont Chaban Delmas

Le pont Chaban Delmas

Le XXI ème siècle rajoutera deux enjambements.

Le premier a été inauguré en 2013 et se nomme pont J. Chaban Delmas. Fin et racé, il est devenu un marqueur de l’espace urbain, comme le merveilleux pont de pierre ou la flèche de Saint-Michel. Sa travée centrale se lève en 11 minutes à 53 mètres au-dessus du fleuve. Il relie deux quartiers en cours de rénovation Bacalan et Bastide.

En 2018 doivent être mis en service le pont Jean-Jacques de Bosc sur la Garonne et le pont Amédée Saint-Germain/Armagnac au dessus des voies ferrées. Ils s’articulent autour de la gare Saint-Jean qui doit devenir un hub ferroviaire avec l’arrivée du TGV Paris/Bordeaux en 2h 05 en 2017.

Supprimé en 1958, le tramway fait son retour en 2003. Le réseau est constitué de 3 lignes totalisant quelques 43 km de voies et desservant 84 stations. Une 4 ème ligne est en projet.

Ce réseau est interconnecté avec celui des autobus urbains, des trains régionaux et des 139 stations de vélo en libre service. Le tram relie aussi les deux rives de la Garonne, ce qui permet de désenclaver la rive droite.

La « tyrannie » automobile s’est retirée du centre-ville et le tramway a permis de repenser l’ensemble de cette agglomération (plus de 600 000 habitants) démesurément étalée.

Etre bordelais au XXI ème siècle

Bordeaux est mouvante et même déconcertante, à l’image de ce flot de Garonne qui, avec la même énergie, coule tantôt vers l’aval et tantôt vers l’amont au gré des marées, mais finit toujours par atteindre la mer.

– La bourgeoisie bordelaise donne toujours le ton. Elle reste girondine, attachée à ses valeurs, toujours méfiante à l’égard du jacobinisme parisien. Conservatrice, elle ne choisit pour l’administrer que des hommes sûrs, pour les garder longtemps : Chaban-Delmas (mandature de 48 ans !), puis Juppé aujourd’hui. Issue du négoce, celui du grand large ou celui du vin, elle trouve refuge dans le monde clos du quartier des Chartrons, ou dans les hôtels particuliers de Caudéran (le Neuilly bordelais), ou dans ses villas arcachonnaises.

Mauriac commença par dénigrer cette « aristocratie du bouchon », avant « de l’estimer plus qu’aucune autre aristocratie ».Tout devient plus clair si l’on comprend que cette société d’origine nordique et huguenote est simplement restée fidèle à ses origines. Bordeaux est encore So british ! Lorsque Charles de Gaulle gagne l’Angleterre en 1940, il part de l’aéroport de Mérignac et renoue le lien mystérieux qui, depuis les Plantagenêt unit Bordeaux à Londres.

– Les classes moyennes ont submergé l’espace bordelais grâce à des activités tertiaires de haut niveau et aux qualifications exigées par les industries contemporaines (aéronautiques).

Elles aiment s’installer dans les innombrables échoppes (voir plus loin) du Bordeaux populaire du XIX ème siècle, aujourd’hui idéalement situées dans une proche banlieue ou plus encore se loger dans de multiples lotissements pavillonnaires. Ce Bordeaux-là, un rien « bobo » vote plutôt socialiste et donne le ton au département de la Gironde (et à la région).

– Un prolétariat existe aussi et la cité portuaire avait multiplié sur les quais, entre chais et entrepôts, en rive gauche et surtout en rive droite de multiples quartiers ouvriers.

Au sud de la ville, autour de la gare Saint-Jean, Bordeaux devient méditerranéenne. Est-ce Goya qui donna le signal de cette immigration massive qui fait de Bordeaux une authentique Espagne, vivante et chaleureuse ? Il y vécut à la fin de sa vie de 1824 à 1828.C’est dans les quartiers de Sainte-Croix, Saint-Michel, Porte-Neuve, jadis peuplés de dockers, de cordonniers, d’artisans minutieux, puis fiefs des réfugiés républicains que l’Espagne vit encore. Cette Espagne laisse aujourd’hui la place à une Méditerranée plus lointaine, issue du monde Maghrébin.

Mais les grands ensembles, ceux qui rassemblent l’essentiel des classes populaires sont surtout situés en rive droite sur Floirac, Cenon ou Lormont. L’opposition géographique entre rive gauche et rive droite se double ici d’une ségrégation sociale. Même l’arrivée du tram n’a pas modifié l’ignorance méfiante entre les populations des deux rives.

Presque plus personne ne parle « le bordeluche » mais toute la population communie dans le goût de la fête et du bien manger. Le carnaval est déjà apprécié par le philosophe Arthur Schopenhauer lors de son séjour à Bordeaux en 1803. La fête de la morue, la fête du vin, les foires se succèdent du printemps à l’automne.

Mauriac avait ridiculisé le goût des bordelais pour les repas fins, mais la ville a la réputation d’être la ville d’Europe où il y aurait le plus grand nombre de bars par habitant ! Frédéric Beigbeder n’en revient pas : « Bordeaux by night, c’est auch’, c’est chaud quoi ! On m’avait dit que c’était une ville sinistre de négriers embourgeoisés, dont tous les habitants ressemblaient à Chaban-Delmas. N’importe quoi. Le quai Paludate, c’est Miami Beach sur la Garonne : des bars techno, des boites latinos, des néons qui grésillent comme sur Ocean Drive, des embouteillages de bagnoles sonores et des lumpenpétasses ivres mortes à 4 h du matin ».

A Bordeaux, le vin, la vigne, la ville et la vie font toujours bon ménage. Ménage à quatre…mais réussi !

2 – Les urbanismes de Bordeaux (jusqu’au début du XX ème siècle)

De la période gallo-romaine jusqu’au XIX ème s’est édifiée une ville dotée d’un généreux patrimoine architectural.

La ville gallo-romaine : la Burdigala d’Ausone

Les enceintes du castrum gallo-romain jusqu’au XIV ème siècle Atlas historique des villes de France – Hachette-

Les enceintes du castrum gallo-romain jusqu’au XIV ème siècle
Atlas historique des villes de France – Hachette-

« Bordeaux est mon pays natal; là le ciel est doux et clément, le sol, grâce aux pluies, bon et fertile, le printemps long, l’hiver tiédi dès le retour du soleil ; les fleuves y ont un courant bouillonnant qui, le long des collines plantées de vignes, imite le remous de la mer »

Ausone, poète latin du IV ème siècle, décrit ainsi la ville où il est né et où il vécut.

C’est alors une cité d’environ 25 000 habitants, dotée de thermes, marché, port, aqueducs, fontaines, etc. Capitale monumentale, elle a été édifiée à l’image de Rome. Pour protéger ses richesses, elle se dote de remparts. Ce castrum carré sera son refuge et son carcan jusqu’à la fin du Moyen Age. Les rues y sont tracées à angle droit, le cardo (rue Sainte-catherine) et le décumanus (cours de l’intendance, rue de la porte Dijeaux) y sont encore les axes majeurs de la ville.

La ville médiévale : le Bourdeau d’Aliénor d’Aquitaine

Après les siècles obscurs qui suivent la chute de l’Empire romain (invasions, pillages) et les grandes peurs de l’an mille, Bordeaux se couvre de sanctuaires : primatiale Saint-André, collégiale Saint-Seurin, abbatiale Sainte-Croix, paroissiales Saint-Michel, Saint-Pierre,…

Les tours, les flèches et les hautes toitures de ces églises édifiées entre le XII è et le XV è siècles marquent encore le paysage urbain.

En 1152, le second mariage d’Aliénor (née à Bordeaux) avec Henri II Plantagenêt, bientôt roi d’Angleterre, ouvre une nouvelle période dans l’histoire bordelaise. La ville est gouvernée par les souverains anglais, à travers l’institution de la « jurade ». Ce sont des magistrats élus qui administrent la cité. Elle obtient aussi d’importants privilèges, comme celui de vendre son vin sur le marché anglais.

Elle devient un port de commerce très actif avec l’Angleterre, les Flandres, la Normandie et la Bretagne. Elle doit édifier (à deux reprises) de nouveaux remparts et elle triple son emprise.

De cette époque la ville hérite de ruelles étroites et tortueuses.

Le Bordeaux de Montaigne

Au tournant de la Renaissance, Montaigne (1533-1592) est élu maire. La ville se dote de maisons à pans de bois avec des fenêtres à meneaux. Il subsiste, sur les remparts, la Porte Cailhau, dédiée au roi de France et la Grosse Horloge, beffroi de l’hôtel de ville.

Le Bordeaux au XVII è

Parce que les édiles défendent âprement les libertés communales, deux forteresses royales y sont édifiées : le fort de Hâ et le château Trompette agrandi par Vauban en 1665.

Après les années où la réforme avait fait des émules, la Contre-réforme l’emporte et de nombreux couvents s’ouvrent. L’église Notre-Dame (derrière la place de la Comédie), construite par les Jacobins (ou Dominicains) est caractéristique de cette période : c’est la réplique des églises baroques de Rome, avec une façade très décorée à 3 niveaux (comme celle du Jésus).

Le Bordeaux du XVIII è : ville des Intendants, des Lumières et de Montesquieu

Le négoce à Bordeaux au XVIII è Atlas historique de France

Le négoce à Bordeaux au XVIII è Atlas historique de France

L’explosion du commerce avec les Antilles fait de Bordeaux le premier port de France et le deuxième port au monde après Londres.

Les intendants du roi conduisent les grands projets d’utilité publique.

L’intendant Boucher en 1729 opère une première percée dans les remparts et fait édifier l’actuelle place de la Bourse par l’architecte Gabriel.

En 1743, l’intendant Tourny fait renverser l’ensemble des remparts et combler les fossés. Les espaces libérés deviennent d’agréables promenades plantées (Allées de Tourny). Huit portes en forme d’arc de triomphe remplacent les poternes médiévales. Elles s’ouvrent sur des places majestueuses comme la place Gambetta.

Un jardin public relie désormais le faubourg Saint-Seurin et celui des Chartrons au quartier nouveau des intendants (actuel triangle d’Or). En un siècle Bordeaux double sa population.

De cette période datent les plus beaux édifices de la ville :

Le grand théâtre

Le grand théâtre

L’hôtel de ville (ancien Palais de Rohan)

L’hôtel de ville (ancien Palais de Rohan)

Les plus prestigieux sont le Grand théâtre de Victor Louis et le Palais de Rohan édifié pour l’archevêque de Bordeaux, devenu siège de l’hôtel de ville en 1837.

Place de la Bourse

Place de la Bourse

La Place de la Bourse, ancienne place Royale est dessinée par Gabriel, architecte de Versailles. Autour d’une place rectangulaire, aux pans coupés, séparée à l’origine du fleuve par des grilles, s’ordonnent trois hôtels : Hôtel des Fermes, de la Bourse et Pavillon central. Le vocabulaire architectural, jusque dans les moindres détails d’ornement, mascarons, ferronneries, est une ode au classicisme.

Face au fleuve, les échoppes construites au dos des remparts sont détruites avec eux et remplacées par des demeures classiques, fastueuses : celles des riches bourgeois et négociants. Cette « façade des quais » constitue un décor gigantesque et féerique le long de la Garonne.

Entre cour et jardin de nombreux hôtels particuliers surgissent et embellissent la ville. Dans le Triangle d’Or la Maison Gobineau (siège de la Maison du vin de Bordeaux) a été dessinée par Victor Louis. Elle a été façonnée en triangle pour mettre en valeur le théâtre. Tout près on trouve l’Hôtel Saige, rue de l’Esprit des Lois, et les hôtels du cours du Chapeau-Rouge. L’Hôtel de Lalande, devenu musée des arts décoratifs, se situe 39 rue Bouffard.

Montesquieu, né au château de la Brède en 1680, devient conseiller au Parlement de Bordeaux en 1714. Il est aussi membre de l’académie de la ville. Il acquiert une réputation de bel esprit avec ses Lettres persanes, plaisante satire de la France. Puis il consacre vingt ans de sa vie à la rédaction De l’esprit des lois qui paraît en 1748. Il y dénonce l’esclavage, le despotisme, la débauche, la cruauté, l’abrutissement.

Le Bordeaux du XIX ème siècle et du début du XX ème siècle

A la ville du XVIII è, dessinée comme un parc de château, succède la ville du XIX è, conçue comme « une maison commode », selon l’expression de Camille Jullian.

Les démolitions du Château-Trompette et du fort de Hâ débarrassent la ville de ses dernières fortifications médiévales, tandis que la vente des biens nationaux permet la transformation des quartiers Tourny et de l’Intendance. Les rivières (Peugue, Devèze, Audège) sont canalisées en sous-sol et disparaissent définitivement du paysage.

Après 16 siècles de pérégrinations, le centre de la ville retrouve son lieu d’origine : la place de la Comédie, emplacement supposé du forum gallo-romain.

Le XIX ème siècle dote la ville de grands équipements.

Le premier pont sur la Garonne est construit entre 1812 et 1822 sur l’ordre de Napoléon I ; la gare d’Orléans (en rive droite) vers 1852, la passerelle Eiffel en 1860 et la gare Saint-Jean en 1898. Les rives de la Garonne sont transformées en quais bordés par des docks et des entrepôts (entrepôts Lainé). De nouveaux édifices religieux s’élèvent vers le ciel (Temple des Chartrons, église Saint-Louis des Chartrons). De nombreux établissements publics sont édifiés : une faculté des sciences et des lettres (devenue le musée d’Aquitaine) une faculté de médecine et de pharmacie, un Palais de justice ; des musées comme celui des Beaux-Arts construit en deux galeries qui encadrent le jardin de l’hôtel de ville. De grandes avenues urbaines percent le tissu ancien (cours Pasteur, Alsace-Lorraine). Le tracé des boulevards (sur les anciens remparts) donne à la ville de nouvelles limites.

Cela permet le développement d’un type d’habitat original : l’échoppe bordelaise

Echoppes bordelaises à La Bastide

Echoppes bordelaises à La Bastide

A l’origine, l’échoppe désigne les appentis de bois appuyés contre les remparts et utilisés aux XVI ème et XVII ème siècles par les artisans et petits commerçants. Ils disparaissent avec les remparts, mais on donnera ce nom à tous ceux qui se reconstruisent en bordure des boulevards qui remplacent les remparts, et constituent un alignement uniforme de façade de pierre sur des km.

Puis les échoppes se sont imposées dans le dernier quart du XIX è comme modèle de la maison populaire bordelaise. Tout un chacun pouvait alors en acquérir une, financièrement.

Modeste, de plain-pied, elle s’étend en profondeur et ouvre à l’arrière sur un petit jardin. Elle peut être simple et n’a qu’une seule pièce en façade, avec un couloir latéral. Elle peut être double et avoir deux fenêtres en façade. Elle peut aussi avoir un étage. Elle est souvent surélevée de quelques marches par rapport à la rue, pour éviter les inondations fréquentes dans l’agglomération. Environ 14 000 échoppes subsistent, expliquant que Bordeaux soit une ville très étendue par rapport à sa population.

Bâties en pierre de taille, elles occupent des rues entières dans certains quartiers périphériques (ex : La Bastide).Aucune n’est exactement semblable à sa voisine et le décor s’adapte à la mode de l’époque : classique, Art nouveau, art Déco…

L’entre-deux guerres : le maire et l’architecte

Elu maire en 1925, Adrien Marquet engage une politique ambitieuse de grands travaux, en tandem avec l’architecte municipal Jacques d’Welles. Il veut rompre avec le passé «  à condition que les édifices neufs n’offensent pas le noble et gracieux aspect de Bordeaux et continuent bien, en marquant notre âge, la destinée monumentale de la cité ».

Il encourage l’emploi de nouveaux matériaux comme le verre, le métal et le béton armé.

Le style Art déco, alors en vogue, marque de son empreinte le Stade Jacques Chaban-Delmas, la Bourse du travail, la Cité Frugès construite à Pessac par Le Corbusier pour l’industriel du sucre, la Régie municipale du gaz et de l’électricité.

Dans le quartier de La Bastide, la Maison cantonale, offre un curieux mélange d’Art nouveau et d’Art déco.

Mais jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la ville somnole, ses activités périclitent, son bâti se dégrade. Elle n’aligne plus que des façades noires de crasse et d’ennui.

3 – De la DUB à Bordeaux Métropole ; un réveil en fanfare !

La belle endormie s’est réveillée. C’est aujourd’hui l’une des villes les plus dynamiques de France. Elle attire beaucoup de jeunes qui prétendent que Bordeaux est « the place to be » !

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Un Centre historique réhabilité

Le vieux Bordeaux correspond à un triangle ouvert sur le fleuve, entre les « cours » (cours Verdun, Clemenceau, d’Albret, Aristide Briand, de la Marne) et la Garonne. Les cours ont été installés sur les ruines du castrum du III è siècle.

Cathédrale et Fort de Ha

Cathédrale et Fort de Ha

Ce centre offre un patrimoine remarquable, aujourd’hui bien entretenu et mis en valeur grâce à l’inscription de 150 ha –sur les 203 ha du vieux Bordeaux- en Secteur sauvegardé, l’un des plus grands de France.

Il offre 30 000 empois, il est donc attractif. Mais la population résidentielle (27 000 hab) ne cesse de diminuer. Presque 20 % des logements sont vacants et 12% sont médiocres ou insalubres.

La rénovation du centre ville est aussi passée par la création d’un réseau de tramways (document E) qui se croisent en trois points stratégiques : Quinconces, Hôtel de Ville, Porte de Bourgogne (sur les quais).

La ceinture des « cours », ceinture du XIII ème siècle, a été doublée par celle des boulevards construits sur les décombres de la dernière enceinte, celle du XIX ème, puis par une rocade autoroutière qui encercle les deux rives de la Garonne.

Entre « cours » et boulevards : les anciens faubourgs entre réhabilitation et rénovation

Au XIX ème, la ville se développe essentiellement sur la rive gauche, de façon semi-concentrique, mais la réalisation du pont de Pierre permet aussi un développement en rive droite, sur la commune de la Bastide.

Les faubourgs sont progressivement annexés par la ville et deviennent des zones industrielles couplées à de l’habitat populaire. Les artisans sont nombreux dans les quartiers Saint Michel et Sainte Croix, les ouvriers d’usine sont majoritaires à La Bastide, les employés des docks et entrepôts liés au trafic fluvio-maritime et au négoce du vin sont nombreux dans le Pavé des Chartrons.

L’habitat le plus fréquent est l’échoppe, accessible aux travailleurs modestes. Mais des populations plus aisées s’y installent aussi, marquant leur différence par la taille, la hauteur ou la décoration de la façade de pierre. Ces quartiers vont devenir en quelques décennies, plus ou moins insalubres. Les plus délabrés seront rasés, tandis qu’aujourd’hui il est devenu « très tendance » de restaurer ceux qui ont échappé à la « table rase ».

Le Quartier Mériadeck : un urbanisme sur dalle et des paysages fonctionnalistes.

A l’origine existait, à l’extérieur du rempart ouest de la ville, un vaste marais de 30 ha. Dans le contexte de la Réforme catholique qui entraîne à Bordeaux la création d’une vingtaine de couvents, ces marais deviennent la propriété des Chartreux qui s’y installent entre 1618 et 1620. Ils drainent les marais et s’organisent autour de l’église Saint Bruno, bel édifice baroque.

En 1768, l’archevêque Mgr Mériadeck de Rohan se fait construire un superbe palais archiépiscopal. C’est un hôtel particulier, entre cour et jardin, comme on les aime à l’époque. Il est devenu l’Hôtel de Ville. Mais pour le financer, il a dû vendre les 30 ha de terres des Chartreux. Ils ont été lotis. Autour du Palais de Rohan se sont édifiés d’autres hôtels particuliers et plus à l’ouest on a construit une manufacture de tabac, puis une caserne de pompiers. Le quartier s’est couvert d’échoppes au XIX ème. Au milieu du XX ème, autour du marché aux puces de la place Mériadeck, l’insalubrité était générale. Le quartier paupérisé, était occupé par un prolétariat espagnol et maghrébin et par « des maisons spécialisées ».

Il fut donc décidé de raser, sans ménagement, les lieux.

Plan du Quartier Mériadeck

Plan du Quartier Mériadeck

Il est édifié sous le règne de Chaban-Delmas. Entre 1957 et 1970, cinq plans masse se succèdent. C’est un exemple parfait de l’urbanisme sur dalle qui avait les faveurs des édiles locaux à cette époque. On séparait totalement la circulation piétonne, en surface, de la circulation automobile rejetée sous terre ou en périphérie de la dalle, reliée au reste de la ville par des passerelles.

Aujourd’hui l’urbanisme sur dalle est décrié, l’image du quartier est négative. Pourtant sa situation est quasi-centrale, le quartier a donc vocation à devenir « le centre moderne » de la ville. Il est conçu comme un grand centre multifonctionnel à dominante tertiaire : services administratifs, centre commercial, patinoire, bibliothèque, etc. Il doit aussi loger un grand nombre d’habitants, à revenu variable mais plutôt modeste.

Le plan ci-dessus montre bien que le quartier s’ordonne autour d’une esplanade (Charles de Gaulle) qui remplace la place Mériadeck. Cette esplanade de 7 ha est « un poumon vert » qui prolonge les jardins de la Mairie. Elle est plantée de pins, rappelant que Bordeaux est une ville aquitaine, entre océan et forêt landaise.

Autour de l’esplanade s’alignent les tours d’habitation et ensuite les bâtiments de services.

Le seul service privé a s’être implanté est celui de la Caisse d’Epargne. Edifiée en 1977, elle a reçu un prix d’architecture en 1984. Tous les goûts sont dans la nature, mais franchement ce bâtiment est vraiment laid. Il ne correspond ni à l’esthétique de la vieille ville en pierre, ni à celle de ce quartier à la gloire du béton et du verre.

Comme tous les quartiers de ce type (La Défense, Le Mirail, La Part-Dieu, ou Antigone) celui de Mériadeck alimente les controverses et reste, malgré sa position centrale et une bonne desserte par le tram, un « non-lieu » sans âme.

Le Quartier des Chartrons

Il est né avec l’arrivée des moines chartreux au XVI ème siècle qui ont asséché le « palu » c’est-à-dire le marécage. Il s’étend le long de la Garonne ce qui explique sa conquête ultérieure par les négociants en vin. Au XVIII ème siècle, la plus grande partie du négoce était aux mains des étrangers qui se regroupèrent dans le quartier, à tel point que les premiers consuls s’y installèrent. Ainsi, l’Hôtel Fenwick fut construit entre 1796 et 1799 pour le premier consul des Etats-Unis à Bordeaux, Joseph Fenwick. Autre trace de cette population d’origine étrangère : le Temple protestant (construit en 1831, aujourd’hui utilisé comme entrepôt).

Ce Pavé des Chartrons, faubourg isolé, fut rattaché concrètement à la ville lorsque Tourny fit construire la Place des Quinconces sur les remparts abattus. Les entrepôts étaient installés entre le quai et le fleuve, avec cales inclinées et grues pour charger les barriques de vin. Tout cela a disparu avec la construction de berges et quais verticaux. Les entrepôts ont été reconstruits en arrière sur les nouveaux quais.

Aujourd’hui le quartier est encore un inextricable mélange de riches demeures de négociants, de chais et de quartiers populaires à échoppes. Il n’a pas été classé dans la zone sauvegardée par l’Unesco et sa réhabilitation est donc laissée au privé.

Les entrepôts à vin désaffectés laissent la place à de nouveaux quartiers d’habitation depuis les années 1990. Ici on constate le respect de la trame vernaculaire et un style novateur sans heurt. La boboïsation va croissant le long de la rue Notre-Dame (rue des antiquaires) et autour de l’église Saint-Louis des Chartrons. Sur la Place du Marché des Chartrons subsiste un pavillon octogonal construit en 1869 en fer et fonte.

Les quais des Chartrons qui succèdent aux quais Bacalan ont conservé quelques hangars reconvertis en Quai des Marques (boutiques « outlet »), restaurants et bistrots avec terrasses installés sur une promenade piétonne de plusieurs km le long de la Garonne.

La Façade des quais offre le spectacle des riches demeures des négociants et en particulier celles de l’aristocratie du bouchon, les négociants en vin. Une Cité mondiale du vin a été construite en 1991.

Entrepôt Lainé

Entrepôt Lainé

Enfin le quartier a préservé l’un des deux bâtiments qui composaient les Entrepôts Lainé en 1824 et où l’on stockait les marchandises venues des colonies. L’entrepôt préservé ressemble à une cathédrale, de pierre, d’argile et de bois ! Menacé de destruction, il fut sauvé en 1973 par une judicieuse reconversion en CAPC (Centre d’art plastique contemporain, devenu musée d’art contemporain en 1984). Les architectes Valode et Pistre ont présidé à sa reconversion. La designer Andrée Putman a réalisé un café dans les cimaises…. aujourd’hui fermé !

Bassin à Flot : projet de réaménagement  2000 – 2025

Au nord du quartier des Chartrons, entre boulevard et rocade, un immense quartier industrialo-portuaire est en déshérence. Il est à présent désenclavé grâce au pont Chaban-Delmas et à l’arrivée du tram B, mais l’essentiel du projet se conjugue au futur.

L’ampleur du site (160 ha) a conduit Bordeaux Métropole a une association avec l’Agence Nicolas Michelin et Associés.

Ce projet pharaonique doit accueillir 5 500 logements, 100 000 m2 de commerces et bureaux ainsi que des équipements collectifs et de loisir.

Le plan est centré sur les bassins à flot.

Le plan est centré sur les bassins à flot.

Ils ont été inaugurés en 1879 puis 1912 sur le site de Bacalan, centre maritime qui jouxte les Chartrons. Les deux bassins sont des radoubs (cales sèches, bâties en pierre de taille et aux parois en escalier). Ils ont été déclassés en 1982 et sont en partie dévolus à la plaisance. Ils comportent des écluses, sur lesquelles passe actuellement le tramway.

Une base de sous-marins y fut construite par l’armée allemande. Tout le quartier fut détruit à la fin de la 2GM… sauf la base. Ce vieux pachyderme marin endormi accueille à présent des expositions et des spectacles.

De l’époque industrielle il ne subsiste que l’usine Lesieur, la célèbre huile de table. Son fonctionnement va bientôt prendre fin.

Le Pont Chaban-Delmas ou Pont Bacalan-Bastide (voir photo page 6)

Ouvrage de 104 m de long et 87 m de haut, il est au cœur d’une polémique parce que son impact sur le paysage est jugé trop important et que cela risque de faire perdre à Bordeaux son classement par l’Unesco. On se rappelle que Dresde a perdu son label après la construction d’un pont ! Inauguré en mars 2013 par Alain Juppé et appelé Jacques Chaban-Delmas en mémoire de celui qui fut le maire de la ville pendant 50 ans, il est aussi appelé Bacalan-Bastide…parce qu’il relie ces deux sites et pour les plus facétieux des Bordelais, il est simplement Ba-Ba ! Et pourtant, c’est une pure merveille. Je reconnais un jugement subjectif ! La tranchée centrale peut être rehaussée de 60 m ce qui permet le passage des bateaux de croisière. Bordeaux peut rester un port maritime.

La Cité des civilisations du vin

Elle doit ouvrir ses portes en 2016. Le but est de faire voyager les visiteurs dans le temps et l’espace autour de la culture du vin partout dans le monde. Le financement est assuré par des fonds publics (70 %) et des fonds privés (30 %). Le bâtiment doit comporter une flèche culminant à 55 m de haut et un belvédère surplombant la ville. Pour l’heure, les Bordelais, et pas seulement eux, le trouvent horrible. Au mieux, ils l’appellent « la chaussure de clown » au pire… je n’ose pas l’écrire ! Attendons l’achèvement des travaux pour juger.

Plus au nord, un nouveau quartier est en gestation : 32 ha de terrains boisés sont transformés en écoquartier au bord du lac artificiel.

4 – La reconquête de la rive droite

Il suffit de passer le pont, c’est tout de suite l’aventure…chantait Brassens.

Oui mais voilà, de pont il n’y en avait point jusqu’au début du XIX ème siècle !

La Garonne n’est pas un trait d’union comme la Seine, mais un mur ! Traverser le fleuve fut longtemps trop difficile et la rive droite était basse et marécageuse puis rapidement limitée par un coteau très raide. Contraintes hydrographiques et topographiques ont eu raison des hommes jusqu’au XIX ème siècle.

Le Pont de pierre, fut décidé par Napoléon et exécuté par Claude Deschamps, qui avait budget illimité. Il fallut surmonter la poussée des marées et les fonds instables pour réunir enfin les deux rives. Mais le résultat est exceptionnel : 17 arches en pierre de taille surmontent les 500 m de flots depuis 1821.

La Bastide : zone industrialo-portuaire en cours de réhabilitation

La commune de La Bastide devient rapidement un espace dévoré par les emprises industrialo-portuaires et ferroviaires.

Le quartier de La Bastide

Le quartier de La Bastide

La Gare d’Orléans est édifiée en 1895, elle est le terminus de la ligne de Paris. Les hommes pouvaient se rendre à pied dans le centre-ville en utilisant le pont, les marchandises continuaient à être transférées par des bacs. Elle reste en service pour les voyageurs jusqu’en 1951 et pour les marchandises jusqu’en 1971.

Les usines prolifèrent : chantiers navals, Saint-Gobain, les Grands moulins, etc.

Autour d’elles un habitat ouvrier se met en place, composé, comme sur la rive gauche, d’échoppes, simples ou doubles, classiques puis inspirées par l’Art déco.

Ce quartier industriel et ouvrier devient une périphérie au sens fort du terme, c’est-à-dire un lieu de relégation où sont regroupées des activités ayant besoin d’espaces et sans forte valeur ajoutée.

caserne-niel

La Caserne Niel fut conçue après la guerre franco-prussienne, entre 1876 et 1877. Sur 10 ha, et dans de très beaux bâtiments de pierre, elle abrite le 18 ème régiment (du Train, Equipages, Génie, Artillerie). Puis l’armée allemande occupe les lieux entre 1940 et 1944. Elle y loge des prisonniers espagnols contraints de construire la base sous-marine à Bacalan. Le site reste militaire jusqu’en 2005.

Maison cantonale

Maison cantonale

La commune de La Bastide est rattachée à Bordeaux en 1865. Des avenues sont tracées (avenue Thiers), une église est édifiée (Sainte-Marie, construite par Abadie, l’architecte de Montmartre).

Elle est pourvue d’une Maison cantonale en 1925, dans un style de transition entre Art nouveau et Art déco. Ce bâtiment public étonnant, abrite un bureau municipal, un commissariat, un juge de paix, une bibliothèque et une salle de conférence. A proximité on trouve deux Bains-Douches qui témoignent de l’intérêt hygiéniste de l’époque. La population communale passe de 4 200 hab en 1865 à 30 000 en 1922.

Ce fonctionnement en quartier périphérique isolé dure jusqu’au milieu du XX ème siècle.

En 1954 la rive droite s’enrichit d’une caserne des pompiers face à la Garonne. C’est un bâtiment de cinq étages de logements construit selon les préceptes de Le Corbusier. Il fut mal accueilli par les Bordelais, épouvantés par sa « criante » polychromie. Des années 1950, date aussi la Cité Pinçon (1948-1955) conçue pour recevoir, dans des conditions acceptables des populations déshéritées.

Les années 1960-1990 sont les pires connues par La Bastide. Les industries portuaires périclitent, les bâtiments publics (gare, caserne) sont désaffectés. La friche partout s’installe. La population n’est plus que de 15 000 habitants en 2010. Il faut enfin se soucier de cette rive droite, à l’échelle de l’agglomération toute entière : la CUB, devenue Bordeaux Métropole en 2015

Les chantiers du début du XXI ème siècle : une profonde mutation sur la rive droite

Un programme ambitieux se met en place avec plusieurs segments : ZAC Cœur de Bastide, ZAC Bastide Niel, ZAC Brazza. La ZAC Belcier, en projet, sera implantée simultanément sur les deux rives.

Mais il faut d’abord remédier à l’isolement de la rive droite et multiplier les enjambements de la Garonne. Aujourd’hui 5 ponts s’élèvent au-dessus du fleuve et un 6ème doit voir le jour.

Et depuis 2004, le tram passe sur le pont de Pierre et permet aux gens de la rive droite de se sentir Bordelais… même si ceux de la rive gauche se refusent encore souvent à la traversée.

Cœur de Bastide est un programme réalisé entre 1999-2011.

Sur 29 ha en déshérence on a construit entre Garonne et jardin Botanique un quartier d’habitat résidentiel de qualité (avec une très belle vue sur les quais de la rive gauche).

Le quartier abrite aussi des bureaux et un pôle universitaire de gestion avec 3 000 étudiants.

Les berges de la Garonne sont ici volontairement laissées à « l’état sauvage » et des guinguettes fleurissent au bord de l’eau.

A l’inverse, le Jardin Botanique, réalisé en 2004 est très « construit » : il reconstitue des falaises, un talus, une plage de sable et organise des végétations océaniques et méditerranéennes. Des serres abritent les espèces les plus fragiles.

La Gare d’Orléans, longtemps désaffectée, a été transformée en cinéma.

Bastide Niel : chantier en cours, 2009-2017

La caserne Niel, devenue gigantesque friche, sort peu à peu de son délabrement. Ses très beaux bâtiments seront réhabilités. Ils sont occupés encore de façon « alternative » et les familles « branchées » viennent s’y ébattre aux beaux jours (aire de jeux, magasin bio, restaurant…). Ils recevront aussi des équipements publics tels que les archives municipales.

A terme, dans cet « écoquartier innovant » sont prévus 3 000 logements dont la moitié en logements sociaux aidés. Le lieu est insolite est en arrière subsistent encore 20 ha de friches ferroviaires

Autres chantiers : en aval des deux ZAC évoquées, le quartier Brazza (53 ha) connaîtra la même mutation.

5 – Euratlantique : pharaonique chantier des deux rives 2009-2024

En amont de Bordeaux un projet « pharaonique » est en gestion autour du 6ème pont : le pont Jean-Jacques Bosc et pour la première fois le projet concernera simultanément les deux rives de la Garonne devenue enfin trait d’union. C’est le projet Euratlantique.

Ce chantier doit métamorphoser les deux rives de la Garonne sur toute la moitié amont du Pont de Pierre.

Plan du projet Euratlantique

Plan du projet Euratlantique

L’objectif du projet est de créer un nouveau quartier d’affaire à vocation européenne pour la métropole bordelaise mais aussi de créer de nouveaux quartiers d’habitation à proximité du centre historique de part et d’autre de la Garonne sur une surface de 738 ha. 450 000 m2 de Bureaux dont 70% à proximité immédiate de la gare TGV doivent sortir de terre, 15 000 m2 de logements sont prévus sur l’ensemble de l’Opération d’Intérêt National dont 35% de logements sociaux.

Euratlantique se décompose en quatre secteurs :

ZAC Saint-Jean-Belcier sur 145 ha autour de la gare

ZAC Garonne-Eiffel : 126 ha de part et d’autre du fleuve

ZAC Bègles faisceau, ensemble de sites stratégiques en rive gauche (Cité numérique et Parc de l’Intelligence Environnementale).

ZAC Bègles Garonne

Actuellement, seul le projet Belcier est avancé : les quais de Paludate et l’espace qui borde la gare est en chantier. La première pierre du futur siège social de la Caisse d’Epargne Aquitaine-Poitou-Charente a été posée en mai 2015. Les premiers logements doivent être commercialisés en septembre 2015.

Les transports constituent un élément essentiel du projet.

La gare Saint-Jean doit devenir un hub ferroviaire avec l’arrivée du TGV Paris/Bordeaux en 2h 05 en 2017. En 2018, doivent être mis en service le pont Jean-Jacques Bosc sur la Garonne et le pont Amédée Saint-Germain/Armagnac au dessus des voies ferrées. De nouvelles lignes de TCSP (transports en commun en site propre), ainsi que des couloirs dédiés aux circulations douces faciliteront les mobilités au sein et entre les nouveaux domaines.

Le projet s’articule également autour de quelques équipements phares :

  • La Cité du numérique à la place de l’ancien tri postal à Bègles

  • La Halle Debat Ponsan transforme les anciens abattoirs en commerces, et hôtels

  • La MECA (Maison de l’Economie Créative et de la culture en Aquitaine)

La nature occupe en fin une place importante au sein d’Euratlantique : les berges de fleuves seront réaménagées et de nombreux espaces verts créeront du lien entre les différents ensembles de cette vaste opération d’aménagement.

Stendhal pouvait écrire dans Voyages en France : « Oui, Bordeaux est la plus belle ville de France par l’espace donné aux rues, aux places, aux boulevards, aux quais, mais non par le style des bâtiments ». Dirait-on autre chose aujourd’hui ?

La régénération urbaine est passée par la réalisation de remarquables espaces publics et a réinterprété les rapports entre la ville et le fleuve, le miroir d’eau étant actuellement le nouveau marqueur de la métropole. [Voir ci-dessous l’article du géographe Daniel Oster].

Parmi les audaces architecturales contemporaines, retenons le palais de justice de Richard Rogers (l’architecte du centre Pompidou) qui a osé un bâtiment transparent, comme doit l’être la justice, scandé par 7 cônes en bois correspondant aux 7 salles d’audience du palais.

On peut donc le redire, Bordeaux reste mouvante, à l’image de ce flot de Garonne qui, avec la même énergie, coule tantôt vers l’aval et tantôt vers l’amont au gré des marées, mais finit toujours par atteindre la mer.

Compte rendu écrit par Maryse Verfaillie, relu et enrichi par Marie Grosgeorge et Stéphanie Beucher

Bibliographie

Le goût de Bordeaux, Mercure de France, 2012. Textes choisis et présentés par Jean-Noël Mouret. Un merveilleux petit livre.

– Bordeaux… à pied. Topoguide.

Photographies
Tous les clichés sont de Maryse Verfaillie

Article de Daniel Oster sur le site des Cafés
http://cafe-geo.net/bordeaux-en-son-miroir/

Restauration
Un remerciement enthousiaste à Virginie qui nous a régalés à La Salle à manger des Chartrons – http://salle-a-manger-bordeaux.fr/