Photo 1 : La fontaine de la poste médicéenne et la forteresse de Radicofani © RCourtot 2011

Photo 1 : La fontaine de la poste médicéenne et la forteresse de Radicofani © RCourtot 2011

Radicofani, 28 mai 2011

Celui qui suit la via Cassia entre Sienne et Bolsena aujourd’hui ne sait pas que, lorsqu’il passe à l’est du monte Amiata, il emprunte un « raccourci », un itinéraire tracé dans la vallée de la petite rivière Paglia lors de l’aménagement des routes « nationales » du nouvel Etat Italien à la fin du 19e siècle. Il abandonne donc pour une quinzaine de kilomètres l’itinéraire originel de la voie romaine, devenue ensuite via Francigena au Moyen âge (la « route des Français »), qui escaladait les collines pour passer par Radicofani, gros bourg perché surmonté d’un rocher et d’une forteresse (il s’agit d’un neck volcanique pléistocène dont le sommet est à plus de 900m d’altitude).

Celui qui accepte de suivre cet itinéraire ancien et de remonter le temps découvrira sur le bord de la route, lorsqu’il arrivera sous le bourg, d’un côté une grande bâtisse ancienne entourée d’arbres (photo 2), et de l’autre une fontaine de pierre dont les deux bouches à sec sont surmontées du blason des Médicis, aisément reconnaissable à la couronne qui le coiffe et aux 6 oranges qui l’adornent, soutenu par deux statues féminines encadrantes (photo 1). De là part un chemin ( le camino della posta) qui monte vers le village. Un panneau a été dressé par les services touristiques du Val d’Orcia pour apprendre au visiteur, en italien et en anglais, qu’il s’agit d’un édifice de la poste medicéenne :

« Antica locanda di posta fatta costruire fra il 1587 e il 1589 da Fernando I dei Medici lungo il tracciato della antica via Cassia, utilizando in parte la casa di caccia che Francesco I aveva fatto costruire. Situata in prossimità del confine fra il Granducato di Toscana e lo Stato Pontifici, faceva parte del vasto sistema di edifici costruiti per la sosta dei viaggiatori ed il cambio dei cavalli, lungo questa strada importante di collegamento fra Roma e l’Italia settentrionale”

« An old inn built between 1587 and 1589 by Ferdinand I dei Medici on the old Cassia road ; in part it use the hunting house Francis I had built a few years before. It was close to the border between the Granduchy of Tuscany and the Papal state and was part of a wide network providing rest places and the possibility to change horses to people travelling along the important road which linked Rome with Northern Italy”.

Photo 2 : La façade Est de la poste médicéenne à Radicofani © RCourtot 2011

Photo 2 : La façade Est de la poste médicéenne à Radicofani © RCourtot 2011

Or pour celui qui suit le même itinéraire que le peintre anglais William Turner entre Sienne et Rome dans son voyage de l’automne 1828, ces édifices sont intéressants car ils figurent sur une page de son carnet de croquis “Florence to Orvieto” : celle-ci présente avec une grande netteté la fontaine de la poste, le bourg de Radicofani au second plan, et le rocher surmonté de sa forteresse au troisième plan ; une voiture de poste attelée de deux chevaux et entourée de personnages apparaît devant la fontaine, et d’autres personnages sont représentés sur le chemin qui va de la poste au village. Ce dessin, au vu de la superposition des plans en hauteur, n’a pu être fait que depuis la galerie du premier étage qui orne la façade orientale du relais (carnet n° CCXXXIV-24a, D21635 sur le catalogue de la Tate Gallery , url : http://www.tate.org.uk/servlet/ViewWork ?cgroupid=65865&workid=48977&searchid=15598&roomid=false&tabview=image&imageid=237120).
La voiture qui transportait Turner a donc fait une halte pour changer de chevaux à cet endroit, et le peintre en a profité pour faire, selon sa « tactique » habituelle, quelques dessins dans le voisinage proche du relais de poste : plusieurs pages du carnet portent des dessins de Radicofani « croqué » avant, pendant et après la halte, comme une sorte de « story board » de l’itinéraire.
La forteresse, qui était une ruine grandiose lorsque Turner l’a vue et dessinée, est évidemment le pôle d’attraction touristique de la commune, car la terrasse de sa tour, à 960m d’altitude, offre un panorama de 360° sur les collines méridionales de la province de Sienne et le massif volcanique du monte Amiata. Mais c’est la posta medicea qui retiendra les amateurs d’art et d’histoire : le bâtiment apparaît fermé depuis un certain temps, mais pas abandonné, car c’est une propriété privée et gardiennée. Les ouvertures de l’arrière du bâtiment sont murées, les arcades, les voûtes, la galerie, sont silencieuses. Mais il conserve de l’extérieur tous les signes d’un grand relais : la porte des écuries à gauche est décorée d’une tête de cheval sculptée dans le bois, et toutes les ferronneries anciennes (anneaux d’attache des chevaux, supports des torchères et autres quinquets) sont encore en place. Il ne manque que d’imaginer le roulement des voitures de poste sur la via Francigena et la bousculade des chevaux buvant à la fontaine Médicis pour faire revivre le passage du peintre voyageur il y aura bientôt deux siècles.

Roland Courtot