Compte rendu du Café géo « Cartographie et imaginaire » du 1/10/2015 à Saint-Dié-des-Vosges ( FIG 2015) avec Olivier Godard et Christian Grataloup.
Le café géo « Cartographie et Imaginaire » est animé par Christian Grataloup, professeur émérite, et Olivier Godard, de l’association « Cartographier au Collège ». Cette association, fondée il y a quatre ans par Olivier Godard et Marie Masson à Angers, réunit aujourd’hui une vingtaine de professeurs d’une quinzaine de collèges de 5 académies (Nantes, Rennes, Versailles, Paris, Créteil). L’objectif de l’association est de faire créer des cartes aux élèves de collège (10 à 15 ans environ). A travers la manipulation du langage cartographique, leur faire mieux appréhender le monde. Parfois le discours géographique est complexe et lointain pour des adolescents ; le langage cartographique, nouveau pour eux, leur permet de comprendre le monde qui les entoure.
L’association organise trois concours :
- le Concours Carto pour les 4èmes: c’est un projet réunissant cette année 11 classes de 10 établissements de l’académie de Nantes. Il s’agit toute l’année de faire des cartes mais aussi de les noter, les commenter et de communiquer autour des cartes au travers un blog. http://concourscarto.blogspot.fr/
- Le concours de Cartographie d’actualité pour les 4èmes, 3èmes et 2ndes. C’est un projet ponctuel où les élèves volontaires doivent mettre en carte un article du journal Le Monde.
http://cartographieraucollege-cca.blogspot.fr/ - Le concours de Cartographie imaginaire qui est le sujet de ce café géo.
http://cartographieraucollege-cci.blogspot.fr/
L’association permet aussi aux enseignants de se former à la pratique de la géomatique (logiciel Argis grâce au partenariat avec ESRI) et/ou à la lecture d’images satellitales (Terrimage du CNES) grâce à l’académie de Nantes qui encourage ces initiatives.
Le concours de cartographie imaginaire
Il s’agit d’un concours adressé aux élèves de 6ème et 5ème qui s’inscrivent au mois de janvier et rendent leurs cartes au mois d’avril. La première année le sujet était « Vos héros de BD ». Les élèves ont choisi Tintin, Titeuf ou les Simpson pour cartographier leur territoire
La deuxième année le sujet était « Habiter Mars » en 2035. Le sujet reprenait les deux composantes des programmes de 6ème et 5ème en Histoire géographie : habiter la Terre et le développement durable. C’est une élève de 5ème d’un collège parisien qui a gagné
Enfin l’année dernière il s’agissait d’Habiter la mer. La gagnante une élève de 6ème a imaginé un double continent qui se situe sur les terres encore émergées du globe : la chaîne des Alpes et de l’Himalaya. Comme pour « Habiter Mars », les élèves ont imaginé que dans ces espaces à fortes contraintes, il fallait survivre, produire de la nourriture, se loger, se déplacer …
On remarque que pour faire leurs cartes imaginaires, les élèves utilisent leur imaginaire mais projette aussi des connaissances. Ici les élèves utilisent leurs connaissances sur les espaces à fortes contraintes (un des thèmes abordés en classe de 6ème) et sur le développement durable. En effet pour qu’une carte imaginaire soit crédible il faut qu’on y retrouve une certaine réalité.
Cartographie et imaginaire
Cette carte du XVIIème siècle est une représentation topographique de la conduite à tenir dans les pratiques amoureuses. Cette carte était faite pour les salons, on y trouve la mer dangereuse, le lac de l’indifférence …Cette carte poétique représente ce lien entre cartographie et imaginaire. Il s’agit de placer sur un espace plan, des informations (ici les sentiments) que l’on peut visualiser d’un seul coup d’œil. C’est la richesse de la cartographie.
Une conception du monde
Dans l’association Cartographier au Collège, tous historiens de formation, nous sommes venus à la géographie et à la cartographie. La cause est sans doute dans l’imaginaire. Christian Grataloup, dans l’article « les monts de la Lune font encore rêver », revue Carto n°30, juillet-août 2015, explique que les blancs sur les cartes sont des espaces laissés à l’imagination. Les élèves d’ailleurs n’aiment pas les blancs sur la carte, ils colorient. Comme les hommes du XVIIIème siècle qui mettaient des figures imaginaires pour combler les blancs.
Sans doute vient-on à la géographie grâce aux cartes anciennes car la cartographie avant tout fait rêver.
Dans ce cadre, on peut faire quelques exercices simples avec les élèves pour travailler sur la cartographie et sur l’imaginaire.
Exercice 1 : « Pour vous l’Australie c’est quoi ?
Exercice fait avec des élèves du collège de Gennes (49)
Le regard des élèves sur l’Australie (les kangourous, les animaux, le surf, Sydney …) révèle un ailleurs : ce que l’on ne connait pas mais qu’on pense connaitre à travers les films, les livres, les récits de voyage.
Exercice 2 : « Donnez trois noms de pays dans lesquels vous voudriez vivre, et trois dans lesquels vous ne voudriez pas vivre.
Cet exercice a été fait avec les élèves du collège de Gennes (collège rural du Maine et Loire).
Les résultats montrent que les pays frontaliers de la France (de la Scandinavie au Maghreb et à la Grèce) dominent ainsi que les Etats Unis, et les îles (Drom-Com). L’Allemagne ayant la particularité d’être autant aimée que détestée. Les pays rejetés sont la Syrie (actualité), la Russie et la Chine (dictatures, non-respect des droits de l’Homme, peur) ou les pays froids.
Christian Grataloup signale que ce type d’étude a été réalisé par C. Graland sur 30000 étudiants. Les résultats étaient là aussi très européens et l’ambivalence que l’on voit pour les élèves sur l’Allemagne se retrouvait sur les Etats Unis pour les étudiants venant des pays du Sud. (cf : l’atlas des mondialisations Le Monde- la Vie) Cette question, qu’on peut décliner à toutes les échelles, est pour Christian Grataloup très pertinente pour susciter le débat.
On peut aussi signaler le travail de cartographie fait par l’artiste hongrois qui a travaillé les mots clefs des recherches sur internet, et montre une vision subjective du monde. G. Fourmont (rédacteur en chef de la revue Carto) indique que ces cartes sont publiées et qu’elles sont surtout une manière de voir nos préjugés (la France n’est de toute façon jamais très bien vue).
La cartographie imaginaire est donc une projection que l’on se fait du monde : ce qu’on connait, ce que l’on pense connaitre et nos préjugés personnels ou collectifs.
La prospective
La cartographie imaginaire a aussi un lien avec la prospective. Ce sont souvent des plans d’architecte avec une image un peu stylisée, avec beaucoup de verdure, où l’on gomme les choses qu’on ne veut pas voir (voir conférence de M. Lussault au FIG). Il y a aussi une dimension cartographique.
Avec les élèves, dans le cadre de l’étude de l’aménagement du territoire par exemple, on peut étudier des plans d’architecture ou des cartes prospectives.
Exemple 1 :
Il se pose la question de la reconquête des rives de la Maine qui a été défigurée dans les années 70 par une autoroute urbaine qui longe le château et la Maine. Il y a un contournement Nord qui a été fait. Avec ce plan on se projette sur ce que pourrait être Angers si les voies sur berges étaient diminuées ou cachées. Les citoyens peuvent ainsi se représenter l’espace, se projeter et se l’approprier pour débattre.
Deuxième exemple : les cartes de la DATAR 2040 que l’on utilise beaucoup pour les cours de 3ème. Les géographes imaginent et anticipent l’avenir. Les élèves peuvent ainsi découvrir les scénarii possibles imaginés par les cartographes. Le rendu des cartes (typographie) laisse une place très grande à l’imaginaire dans ces projections.
Dernier exemple : Les cartes des changements climatiques (COP 21). Un imaginaire pas forcément heureux. Ces cartes ont permis de démontrer des projections futures. Le réchauffement apparait comme déjà effectif. Elles sont très anxiogènes.
Dans ce cas, on utilise la carte et l’imagination pour faire passer un message, mais ces cartes peuvent être en classe un moyen d’amener les élèves à débattre.
Un rêve d’ailleurs
La cartographie peut être utilisée par ceux qui parcourent le monde pour se représenter le monde ou quand ils y sont pour le parcourir. Il s’agit des cartes touristiques qu’on utilise beaucoup au quotidien mais aussi en classe.
1er exemple : carte touristique de Marseille : circuit pédestre.
L’imagination ici est dans la manière dont les concepteurs de la carte veulent nous faire découvrir la ville. C’est à la fois l’imaginaire du touriste et en même temps on impose une vision de la ville aux touristes. On ne sort pas des sentiers battus.
2ème exemple : carte touristique de la Croatie. L’imagination va être développée par les petits dessins correspondant aux lieux « incontournables ». Ce qui est intéressant sur ces cartes ce sont les blancs : les lieux qui ont été écartés par les concepteurs de la carte …on peut tout imaginer : il n’y a rien à voir, c’est désert, on ne veut pas y voir des touristes …
3ème exemple : carte routière pour étudier un territoire avec les élèves. On montre ensuite la vue satellitale (Google earth), ces cartes très pratiques ne montrent qu’un aspect et les élèves sont surpris de découvrir un territoire autour des routes.
Ces différents exemples montrent qu’on peut amener les élèves à s’interroger sur les cartes : ce qu’elles montrent mais aussi ce qui n’est pas montré (ce qu’on laisse à l’imagination ou ce qui est omis par le cartographe). Les élèves peu à peu s’intéressent au choix des informations : que mettre, ou ne pas mettre sur une carte et dans quel but ?
Une invention de territoire
Les cartes sont aussi purement imaginaires lorsqu’il s’agit de représenter des mondes de fictions. Cependant ces mondes imaginaires deviennent grâce aux lecteurs, joueurs, fans, des mondes presque réels car ils s’appuient sur des connaissances précises et des cartes.
Exemple : la carte du monde de Game of Thrones (carte du roman).
Le roman est très clairement lié à la carte que l’auteur a mise au début de chaque tome. Le roman s’appuie sur la carte et sur la géographie. Le territoire n’est presque plus imaginaire car les fans se le sont appropriés. Il n’y a qu’à lire les pages de fans sur internet : le territoire est décrit comme pourrait le faire des élèves de 3ème avec les voisins, les frontières, la population, les réseaux de transport …
Exemple : carte de Zelda (super Nintendo).
Quand on joue au jeu on n’a pas cette vision globale. Ce jeu recrée un monde imaginaire avec déserts, lacs, forêts, rivières …et permet ainsi aux joueurs de se mouvoir dans un monde imaginaire basé sur une carte. La aussi le jeu fonctionne grâce à un imaginaire lié à un monde cartographiable.
Exemple : carte tirée d’un jeu de société (Fief) qui se déroule au Moyen Age.
Le joueur doit faire prospérer une famille. La carte ne sert pas que de décor mais sert à gagner ou à perdre, en effet la carte sert à la stratégie du jeu et devient aussi un acteur du jeu. Les bons joueurs connaissent et exploitent les subtilités du terrain et de la carte pour mener à bien leur stratégie.
Conclusion de Christian Grataloup
Si l’on revient sur la carte de l’île au trésor de Stevenson, on s’aperçoit qu’on suit le récit pas à pas grâce à la carte, comme dans Game of thrones. On ne comprend rien au Seigneur des anneaux si on ne regarde pas la carte avec les différents peuples, lieux, langages… Une des meilleures manières d’utiliser les pratiques cartographiques c’est d’utiliser la carte en histoire. Dans le jeu Civilisations, on découvre les territoires comme Colomb au fur et à mesure que le jeu avance
Ces cartes imaginaires sont intimement liées au récit. Il faut utiliser cette pratique spatiale en histoire, il ne faut pas se priver de cette interaction car les élèves ne savent pas, il faut donc il leur faire découvrir. Les élèves n’ont pas à découvrir puisque l’Amérique est déjà découverte. Il faut donc procéder par l’imagination, la découverte, le récit y compris dans un processus d’explication. Par exemple, avec le jeu pédagogique « jeu des villes » (jeu de plateau), on construit un réseau urbain et pour cela il faut l’expliquer. Ces explications peuvent ensuite être retranscrites sur un réseau urbain existant.
L’expérience des concours de cartographie organisée par l’association « Cartographier au Collège » permet de faire faire et de faire ensemble. Il faut poursuivre ces expériences en utilisant deux instruments : l’image (la carte) et le récit.
Plus particulièrement pour le concours de cartographie imaginaire on est face à l’imagination cartographique et en même temps il faut que cela soit plausible. Ces cartes imaginaires sont heuristiques : on apprend à apprendre, on apprend soi-même, on apprend aux autres qui vous apprennent.
Questions de la salle :
Est-ce que les élèves qui développent des compétences lorsqu’ils jouent à des jeux comme « call of duty » où l’étude de la carte est très importante arrivent à transposer ces capacités dans les concours organisés par l’association ?
- G : Le fait de pratiquer le jeu leur permet aussi de pratiquer des outils géographiques et cela leur est forcément utile. On peut faire jouer les élèves, le jeu video est pratique pour les élèves : le monde est déjà créé, l’élève n’a pas besoin de se l’imaginer ce qui est plus difficile avec une carte ou un plan. On peut imaginer un concours de cartographie imaginaire sur le jeu vidéo.
- CG : on peut aussi jouer sur le récit/la carte. On peut aussi faire un jeu du récit. On pourrait donc donner la carte et faire imaginer le récit. Ou travailler les deux ensemble.
Est-ce que dans le règlement les cartes sont manuscrites ou peuvent-elles être informatisées ?
- M : C’est souvent un débat : on autorise que la légende soit tapée mais on impose le crayon de couleur. Nos élèves sont très jeunes et les logiciels de géomatique sont difficiles à utiliser. Cela met tout le monde à égalité. Les cartes demandées sont des cartes thématiques, ce qui est difficile à faire et demanderait des outils comme Photoshop.
Par ailleurs crayonner, faire des brouillons, chercher… la main permet de réfléchir : leurs pensées se développent. Ils comprennent ainsi comment on utilise ce langage. C’est une autre dimension de l’apprentissage.
- G : Il y a des élèves qui ont fait des cartes en 3D : par exemple, les coupoles sur Mars. La place de l’imagination avec les logiciels de géomatique est moins importante.
Compte rendu rédigé par Marie Masson,
relu par les intervenants, novembre 2015