Chagall, Soulages, Benzaken…
Le vitrail contemporain
[20 mai – 21 septembre 2015]
Cité de l’architecture & du patrimoine
Trocadéro, Paris 16 ème

vitrail-contemporain-affiche

Jusqu’au 21 septembre, la Cité de l’architecture et du patrimoine présente une exposition à la fois originale et attachante. On y découvre un art du vitrail  profondément renouvelé depuis la Seconde Guerre mondiale.

Désacralisé, porté par des artistes mondialement connus (Chagall, Garouste, Matisse, Rouault, Soulages, Viallat) et réalisé par des maîtres verriers remarquables, le vitrail contemporain est éblouissant.

Civil ou religieux, cet art qui diffuse la lumière est ici rendu accessible par son exposition sur des panneaux à hauteur d’homme. Point n’est besoin de lever les yeux au ciel ou de se munir de longue vue pour admirer les 130 œuvres réalisées pour 44 édifices et réunies pour témoigner de la fertilité créatrice des artistes contemporains.

Le vitrail contemporain, aboutissement d’un art millénaire

Le travail du verre est connu en Mésopotamie dès le III ème millénaire avant J.-C. Ce savoir -faire se diffuse ensuite jusqu’en Europe. Entre le XV ème et le XVII ème siècle, Venise (centre de Murano) accueille les verriers les plus prestigieux.

Les vitraux les plus anciens a été retrouvés dans des palais Omeyyades des VII ème -VIII ème siècle. En Europe c’est à la cathédrale d’Augsbourg (Allemagne) que l’on réalise les premiers vitraux (1065). En France, c’est à la cathédrale de Chartres que s’élèvent, au début du XIII ème siècle des vitraux absolument remarquables en particulier par l’intensité de leur couleur bleue.

La fuite en Egypte, 1221-1230 Vitrail de la cathédrale de Chartres

La fuite en Egypte, 1221-1230
Vitrail de la cathédrale de Chartres

 

La réalisation d’un vitrail est chose complexe. Un film, présenté à l’auditorium de la Cité de l’architecture et du patrimoine, en révèle les différentes étapes.

Au départ, un artiste réalise un carton aux dimensions définitives, sur lequel on précise l’emplacement du réseau des plombs. Ce carton sera ensuite découpé pour servir de patron, comme dans un atelier de couture.

Les plaques de verre sont obtenues grâce à un savoir faire exceptionnel. On souffle la boule de matière vitreuse brûlante sortie du four pour en faire une sorte de bouteille que l’on coupe pour obtenir des cylindres creux. Ces cylindres sont posés sur des tables puis fendus dans le sens de la longueur puis aplatis. Le film montre parfaitement toutes ces étapes techniques. Ces plaques de couleur, d’épaisseur, de translucidité variables sont ensuite découpées selon le carton du peintre. Les morceaux sont assemblés par le réseau des plombs. Les détails (cheveux, yeux, plis des vêtements sont dessinés  et peints à la grisaille (poudre d’oxyde de fer dissoute dans un solvant et posée au pinceau.

Au XIX ème siècle, le vitrail religieux, le plus souvent fabriqué en série par de grands ateliers, est devenu un art sclérosé, obéissant à des codes stricts dictés par l’Eglise.

A la toute fin du XIX ème et au début du XX ème, l’art du vitrail est remis à l’honneur par les préraphaélites, puis par les artistes de l’Art nouveau et de l’art Déco : Tiffany aux Etats-Unis, Mackintosh en Ecosse, Mallet Stevens en France et le mouvement du Bauhaus en Allemagne et en Autriche. Une nouvelle éclipse se produit avec les architectes modernistes comme Le Corbusier qui bannissent l’ornementation et font disparaître le vitrail civil, art décoratif s’il en est, des bâtiments publics. Le même Le Corbusier changera d’avis sur le vitrail quelques décennies plus tard !

Il faut attendre l’après Seconde Guerre mondiale pour que le vitrail reconquière une véritable liberté d’expression sous l’influence d’intellectuels et d’artistes, laïcs comme religieux.

Le père dominicain Couturier, peintre de formation, a porté de nombreux projets et milité pour une ouverture de l’Eglise sur le monde contemporain. Il écrit «  il vaux mieux parier pour le génie sans la foi que pour un croyant sans talant ». Il légitime, ce qui n’allait pas de soi, l’ouverture de l’art sacré aux artistes d’avant-garde, quelles que soient leurs convictions personnelles ou religieuses.

Entre 1950 et 1965, de vastes champs d’expérimentation sont offerts au vitrail dans le contexte de la reconstruction ou de la construction par l’Eglise de plus de 2000 lieux de culte destinés à faire face à l’urbanisation et à l’essor démographique. Cette spiritualité plus ouverte donnera naissance à des chefs d’œuvre comme la chapelle de Ronchamp par Le Corbusier ou celle de Vence par Matisse.

De nouvelles techniques, dont la dalle de verre, s’imposent dans les années 1950-1960. On moule des pièces de verre épaisses et translucides, découpées dans un dessin préétabli et on les maintient dans du ciment armé. Cette technique est particulièrement adaptée aux architectures modernes en béton.

Parcours de l’exposition : le vitrail est lumière

Désormais le vitrail religieux met l’accent sur la convivialité dans la célébration du christianisme. Il recherche un certain lyrisme afin de provoquer un impact émotionnel sur le spectateur et s’appuie sur l’emploi de couleurs puissantes, traitées en larges surfaces.

Par ailleurs, les commandes publiques fort nombreuses, n’impliquent plus obligatoirement des sujets figuratifs, ce qui permet de faire appel à des peintres abstraits.

La période contemporaine se distingue donc par une richesse et une diversité prodigieuses, souvent fort mal connues, mais que la visite de cette exposition permet d’appréhender.

Galerie de l’exposition

Galerie de l’exposition

L’exposition dévoile, et c’est son intérêt majeur, des panneaux à hauteur d’homme, rétro-éclairés, ce qui permet de les admirer dans leur monumentalité comme dans les détails.

Elle met aussi en évidence la collaboration intime entre les artistes et les ateliers de peintres verriers, plates-formes d’innovation hautement spécialisées, dont le savoir-faire est mis à la disposition de l’artiste.

Elle est composée de sept sections déroulant un fil chronologique de 1945 à nos jours.

Ouverture de l’Eglise à la modernité

Les années d’après-guerre sont choisies comme point de départ de l’exposition car elles marquent un double tournant pour le vitrail : celui de la commande de vitraux à des artistes non chrétiens pour l’église Notre-Dame-de Toute Grâce construite en 1937-46 par Novarina au plateau d’Assy (Savoie) et la pose de premiers vitraux non figuratifs réalisés par Manessier dans l’église des Bréseux (Doubs) en 1948.

Véronique, vers 1948. Georges Rouault / Atelier Bony Église Notre-Dame-de Toute Grâce du plateau d’Assy

Véronique, vers 1948.
Georges Rouault / Atelier Bony
Église Notre-Dame-de Toute Grâce du plateau d’Assy

 

Ceci est une réplique de la verrière posée sur la façade. Il s’agit de verres plaqués, superposés, verre gravé à l’acide, grisaille noire et colorée, plomb.

Rouault, artiste croyant, fut d’abord refusé. Sa Véronique (qui essuie la face du Christ sur le chemin du Calvaire) est le symbole de la charité chrétienne.

Paysage bleu, 1963 Alfred Manessier / Atelier Lorin Église Saint-Michel des Bréseux (Doubs)

Paysage bleu, 1963
Alfred Manessier / Atelier Lorin
Église Saint-Michel des Bréseux (Doubs)

Cette verrière, installée dans une modeste église du XVIII ème, est l’une des premières œuvres non figuratives installées dans un édifice religieux.

Ces œuvres ont suscité de vives polémiques : des paroissiens et certains membres du clergé iront jusqu’à demander leur dépose !

Architectures et vitrail

Dans les années 1950-60 les architectes collaborent avec les maîtres du vitrail.

Le Corbusier à Ronchamp, Matisse à Vence, sont des exemples très connus.

Vitraux de l’église du Souvenir à Berlin, Kaiser Wilhem Gedachtniskirche, 1961

Vitraux de l’église du Souvenir à Berlin, Kaiser Wilhem Gedachtniskirche, 1961

 

A Berlin ont collaboré l’architecte Gabriel Loire et le peintre verrier Egon Eiermann. Dans cette église en béton les vitraux sont en dalles de verre. Ils doivent immerger le fidèle dans une atmosphère spirituelle propice à la méditation, en privilégiant les langages de l’abstraction.

Nuit de Noël, 1952 Henri Matisse / Atelier Bony Rockefeller Centre, Immeuble Life, New York

Nuit de Noël, 1952
Henri Matisse / Atelier Bony
Rockefeller Centre, Immeuble Life, New York

Ce vitrail a été commandé par le magazine Life pour les fêtes de Noël. Il s’agit donc d’une commande privée et laïque, faite à un artiste français de grand renom.

L’exemple pionnier de la cathédrale de Metz

 

Le songe de Jacob, 1966 Marc Chagall / Atelier Simon Marq

Le songe de Jacob, 1966
Marc Chagall / Atelier Simon Marq

En 1955 la cathédrale Saint-Étienne de Metz est le premier édifice classé au titre des Monuments historiques à recevoir les vitraux d’artistes contemporains (Bissière, Villon, Chagall). Il fallut une grande force de conviction à Robert Renard, architecte en chef, pour faire accepter l’accompagnement des vitraux anciens restaurés par des vitraux contemporains. Chagall a reçu la commande de cinq verrières dont celle du songe de Jacob qui voisine avec un vitrail du XVI ème siècle et a été réalisée selon les techniques traditionnelles.

Cette première commande fut importante car elle fut suivie par d’autres : vitraux de Sima dans l’église Saint-Jacques de Reims en 1967 ou de Bazaine à l’église Saint-Séverin à Paris en 1970.

L’exemple de la cathédrale de Nevers

Cette section de l’exposition relate la mise en place du plus grand chantier de vitraux contemporains d’Europe. Soufflés par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, les vitraux de la cathédrale de Nevers font l’objet d’une commande publique de l’Etat entre 1976 et 2011.

Les vitraux ont été confiés à cinq artistes majeurs : Ubac, Alberola, Viallat, Rouan et Honegger

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La Création du monde, 1996-99 Jean-Michel Alberola / Ateliers Duchemin Cathédrale de Nevers (Nièvre)

La Création du monde, 1996-99
Jean-Michel Alberola / Ateliers Duchemin
Cathédrale de Nevers (Nièvre)

Seul artiste figuratif présent à Nevers, Alberola répond au programme iconographique demandé par l’évêché. Il joue avec les canons de la Création par des images saturées de couleurs vives et un langage très personnel. L’œuvre fut réalisée en étroite collaboration avec le peintre verrier. La cathédrale et ses vitraux sont inaugurés en 2011.

L’éclectisme contemporain

Sollicitée par la commande publique, une nouvelle génération d’artistes propose un langage esthétique renouvelé, figuratif ou abstrait. Les peintres verriers mettent leur savoir-faire à la disposition des artistes

 

vitraux-sainte-foy-conques

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Les nouveaux vitraux de l’église abbatiale de Sainte-Foy de Conques (Aveyron) ont été conçus par Pierre Soulages et par l’Atelier Fleury. Il a fallu des centaines d’essais pour créer le verre diffusant la lumière souhaitée par Soulages. L’effet translucide comme l’albâtre devait mettre en valeur la beauté de l’architecture romane du lieu. L’artiste a choisi un verre incolore en mêlant deux états du verre : l’in cristallisé non transparent et l’autre à l’état liquide en surdiffusion d’une translucidité extrême.

 

Carole Benzaken

Carole Benzaken

Des artistes comme Benzaken choisissent la nature pour principale source d’inspiration.

A Varennes-Jarcy, en 1997, l’artiste travaille sur le motif de la tulipe, fleur initialement sauvage et image de la mutation et de la transmission.

Baie de Notre-Dame de la terre et du Ciel et détail du Couronnement de la Vierge, 1995 Gérard Garouste / Atelier Parot Eglise de Talant –Côte d’Or)

Baie de Notre-Dame de la terre et du Ciel 
Gérard Garouste / Atelier Parot
Eglise de Talant –Côte d’Or)

 

Détail du Couronnement de la Vierge, 1995

Détail du Couronnement de la Vierge, 1995 Gérard Garouste / Atelier Parot Eglise de Talant –Côte d’Or)

Garouste porte un désir de création figurative et onirique. Les 46 verrières de l’église de Talant sont figuratives et réalisées selon la technique traditionnelle : verre, grisaille, émail sur verre, jaune d’argent et plomb.

Les marcheurs et les regardeurs, 2015 Gérard Collin-Thiébaut / Atelier Parot Cathédrale Saint-Gatien de Tours (Indre et Loire)

Les marcheurs et les regardeurs, 2015
Gérard Collin-Thiébaut / Atelier Parot
Cathédrale Saint-Gatien de Tours (Indre et Loire)

 

Ici encore le parti pris est résolument figuratif. Pour rendre le décalage flou des images superposées, l’atelier Parot et Saint-Gobain Vitrage ont conçu des verres de couleurs primaires déposées en plusieurs passages par une imprimante sur du verre blanc.

Oser le vitrail dans l’architecture civile

Au début du XX è, les architectes ont banni l’ornement, alors même que Wright (EU), Mackintosh (Ecosse) Mallet Stevens (France) et le Bauhaus allemand, l’avaient plébiscité.

Aujourd’hui les artistes et le public ont retrouvé le goût du vitrail, dans les lieux privés et parfois même publics.

Parc de stationnement « Cathédrale », 2007 Udo Zembok / Atelier Parot Troyes (Aube)

Parc de stationnement « Cathédrale », 2007
Udo Zembok / Atelier Parot
Troyes (Aube)

Le conseil municipal de Troyes a voulu lier art et urbanisme. Pour ce parking, l’artiste a créé une centaine de verrières monochromes ou bichromes, traversées par la lumière. Les ogives sont composées de deux feuilles de verre ayant reçu, l’une des pigments colorés, l’autre des émaux dilués dont la superposition donne des teintes saturées d’une grande richesse.

Sans titre, 2015 Didier et Alice Sancey / Ateliers Loire

Sans titre, 2015
Didier et Alice Sancey / Ateliers Loire

 

Conçu pour le gymnase Bernard Jeu de l’université Paris Descartes (Paris, 15è), ce vitrail traduit l’idée du mouvement et de l’énergie dépensée dans le sport par des couleurs intenses, mise en rythme par des tracés géométriques.

Sans titre, 1990 Benoît Marq / Atelier Simon Marq Collection particulière.

Sans titre, 1990
Benoît Marq / Atelier Simon Marq
Collection particulière.

Si l’idée d’introduire un vitrail dans votre domicile vous enthousiasme, pourquoi ne pas vous offrir ce paravent contemporain. Il est constitué de verres plaqués produits par la verrerie de Saint-Just, gravés à l’acide et peints à la grisaille.

Le vitrail jouit d’une relation privilégiée avec la lumière. Il la distribue et le diffuse afin de créer l’atmosphère d’un lieu.

La France, pays le plus riche du monde en vitrail, toutes époques confondues, est la terre d’élection de cet art somptueux. C’est l’un des éléments phares du patrimoine national mais il est encore largement méconnu. Raison de plus pour aller voir, à la lumière des premiers jours de septembre ces œuvres intenses et radieuses.

Maryse Verfaillie – septembre 2015
Ensemble des clichés : Maryse Verfaillie