Au Festival de géographie de Saint-Dié, qui fêtait sa 33e édition, je suis allée, par la thématique des déserts attirée. L’infinie complexité des espaces désertiques a été décortiquée par des intervenants passionnés. Le Portugal était le pays invité.
Les espaces désertiques : que de diversité !
Des rencontres et conférences ont rendu hommage aux premiers Français fascinés par le désert.
Le désert évoque a priori le mythique Sahara, cette bande de 8 800 km qui court d’ouest en est, interrompue seulement par la mer Rouge et le golfe Arabo-Persique. C’est celui que Henri d’Olonne, militaire d’une famille originaire de Saint-Dié, traverse dès 1898 du Soudan à la Côte d’Ivoire. Dix ans plus tard, le même Henri sillonne un deuxième désert, celui qui court du Tibet (désert de Gobi) jusqu’à la Chine.
Elisée Reclus (Histoire d’un ruisseau), géographe visionnaire et militant, pensait que l’Homme doit trouver sa place dans la nature sans la bouleverser, et considérait que l’Homme et son milieu s’influencent mutuellement. Théodore Monod (1902- 2000) fut « l’homme du désert » qu’il découvre lors de missions dans le Sahara Occidental. Il n’eut qu’un credo : le respect de la vie sous toutes ses formes.
Charles de Foucauld fut un enfant des Vosges avant que ses pas ne le portent en Orient (Syrie, Terre Sainte), puis au Sahara où il séjournera les dix dernières années de sa vie, comme prêtre, au milieu des Touaregs, et réalisant aussi une œuvre scientifique de référence pour la connaissance de la région et de ses habitants. C’est aussi au désert ou sur ses marges que sont nées les trois religions du Livre. Dans le corpus biblique (Ancien et Nouveau Testaments), le désert, parce qu’il n’appartient à personne constitue un lieu de refuge, une étape régénératrice et un espace de tous les possibles.
Mais le désert ce n’est pas que cela ! Ce sont toutes les régions hostiles à l’implantation des hommes, qu’elles soient arides, chaudes, froides, terrestres ou maritimes.
Jean Malaurie, auquel la Société de Géographie rend hommage cette année, fut le grand découvreur et arpenteur du monde Arctique.
Aujourd’hui, Daphné Buiron et Thomas Merle étudient l’Antarctique, le plus grand désert du monde, le plus extrême, le plus isolé, sec et froid, inhabité. Et Olivier Truc s’émerveille de la beauté infinie du Grand Nord lapon traversé par les troupeaux de rennes.
Le désert est une expérience dérangeante pour le genre humain et pourtant, comme pour les océans, les hommes sont fascinés depuis l’aube des temps par ces espaces.
Hostiles à l’implantation des vivants, les déserts ont longtemps échappé au partage du monde et de ses ressources entre communautés humaines. Tout cela est bien fini. Apprivoiser le désert, l’homme en a rêvé, aujourd’hui il le fait !
Habiter le désert depuis la nuit des temps
Partout, depuis le paléolithique, les populations d’Afrique et d’Asie ont parcouru le désert en pratiquant le nomadisme, le commerce caravanier, puis en se sédentarisant dans des oasis, espaces cultivés et irrigués depuis des millénaires. Les caravaniers bédouins dressaient des tentes. Les maisons des oasis étaient faites d’argile (adobe) et de branches de palmiers.
Dans les régions tempérées longtemps couvertes de forêts, les hommes ont défriché des clairières, exploité le bois et chassé pour se nourrir. Ce sont aussi des régions à peine peuplées aujourd’hui, où les promeneurs du dimanche se retrouvent en quête de randonnées « dans la nature » ou en quête de champignons. Dans les clairières les maisons étaient en bois.
Dans l’Ouest aride américain, les pionniers furent longtemps des héros qui apprivoisaient une nature sauvage, juchés sur des chariots brinquebalants qu’ils ne quittaient qu’à la nuit tombée, après les avoir rassemblés autour d’un cercle illuminé par un grand feu apaisant. Mais avant eux, sous des tippies, vivaient des communautés amérindiennes, largement ignorées ou éradiquées.
Les déserts, des ressources à exploiter : hydrocarbures, panneaux solaires, nouvelles ressources minières, mais aussi activités touristiques !
Les pionniers de l’aviation française furent des défricheurs : ils ont créé des lignes aériennes qui ont affronté les déserts du Sahara, de l’Amérique du Sud, de l’Arabie ou de l’Arctique. Gloire à Saint- Exupéry, Guillaumet, Nogues et bien d’autres !
Avant les essais nucléaires français au Sahara, dans les années 1960-70, la France avait installé un Centre d’expérimentation en Polynésie, dans le Pacifique, lieu alors perçu comme un désert.
La découverte des hydrocarbures (pétrole et gaz naturel) dans les déserts arabiques bouleversa l’économie planétaire dans les années 1930.
Lors d’une Table Ronde animée par Roman Stadnicki, deux géographes (Nadia Benalouache et Eric Verdeil) et un historien (Philippe Pétriat) ont évoqué la transition énergétique depuis les années 1920 jusqu’à aujourd’hui. L’exploitation du pétrole a rehaussé l’importance politique et économique du désert, mais aussi la dépendance technique et politique aux acteurs de la production, c’est-à-dire les grandes compagnies et de l’OPEP.
Ce sont les mêmes compagnies qui détiennent aujourd’hui la production des panneaux solaires, compagnies auxquelles il faut ajouter de jeunes sociétés chinoises pourvoyeuses de batteries.
Les déserts déjà producteurs d’hydrocarbures, récepteurs de panneaux solaires ont encore un atout à jouer, ils produisent du sel.
Une Conférence sur « Les déserts de sel latino-américain, marges mondialisées de la transition énergétique » a réuni autour de Sébastien Velut, les géographes Marie Forget et Vincent Bos. Elle était animée par un autre géographe, Antoine Baronnet.
Les déserts d’Amérique Latine sont longtemps restés des Despopablos, lieux non peuplés, revendiqués par la couronne espagnole mais non appropriés. Le salpêtre fut la première ressource mise en valeur : cette croûte dure qui recouvre les sols a servi à la fabrication de poudre à canon. Pour travailler dans les mines on a fait appel à des travailleurs venus parfois de très loin, comme la Croatie et logés dans des cités minières.
Dans la dernière décennie, les déserts de sel d’Amérique du Sud, nommés « triangle du lithium, (Argentine, Bolivie, Chili) sont devenus des territoires à fort enjeux économiques, sociaux et politiques. Le lithium, est un métal qui sert à la fabrication de batteries pour les véhicules électriques, en remplacement des moteurs thermiques. Il voit son prix exploser, au point d’être qualifié « d’or blanc ». Toutes les industries, dont celles de l’aéronautique et de la défense utilisent une quantité croissante de métaux rares.
Enfin, le désert d’Atacama au Chili, est un désert d’altitude très sec et très isolé et donc au ciel sans pollution lumineuse. San Pedro de Atacama est aujourd’hui devenu un grand observatoire astronomique. D’autres observatoires pourraient être installés en Antarctique.
Cependant ces richesses font naître de fortes convoitises pour l’appropriation des terres mais aussi pour la ressource en eau : on fait déjà venir de l’eau de mer, dessalée dans des usines à Antofagasta, qui raffine aussi le lithium. Les compagnies qui exploitent ces richesses étaient d’abord nationales. Aujourd’hui elles sont disputées par des joint-venture, puis des compagnies privées venues des Etats-Unis, du Canada, de Chine, du Japon, d’Australie.
Les ressources connues en lithium sont réparties entre Chine, Australie et Amérique du Sud, d’où sont extraits environ 90 % du minerai.
Des scientifiques et des touristes viennent aujourd’hui séjourner dans le désert d’Atacama devenu, comme les autres déserts, objet de revendications politiques (pour les indigènes), économiques et touristiques.
Bruno Lecoquierre, invité au FIG dans plusieurs rencontres, est un géographe qui s’intéresse particulièrement à la ressource touristique, « entre mythes, éthique et violence ».
On peut traverser le désert, au propre comme au figuré, explorer le monde et la nature pour se retrouver soi-même, être un poète du désert, écouter le vent lors d’une soirée en bivouac ou écouter les chants berbères et se laisser convaincre de l’existence des djinns.
Les randonneurs, adeptes de la lenteur, revisitent la figure des grands nomades qui parfois ont trouvé dans l’accueil des visiteurs une nouvelle source de revenus.
Mais au Sahara, l’insécurité qui règne depuis les années 2000 a stoppé cet élan. Ainsi notre ami « Saharien », Marcel Cassou, auteur de plusieurs ouvrages présentés au Salon du Livre, a-t-il dû renoncer aux voyages à Tamanrasset qu’il proposait aux membres des Cafés Géographiques.
Les déserts, des territoires devenus riches, donc habités et convoités.
Longtemps, dans le désert, l’homme ne faisait que passer, ne laissant qu’une empreinte réduite le long des routes caravanières. La révolution des transports a mis un terme au commerce caravanier, les camions, les trains, les avions ont changé bien des choses.
Si certaines cités oasiennes remontent au Néolithique, à présent sortent des sables des cités « intelligentes et « écologiques ». Il suffit de trouver de l’eau !
L’eau de surface étant rare, on puise allègrement dans les nappes phréatiques. Mais elles peinent à se reconstituer et à présent on n’hésite plus à aller chercher de l’eau de mer, dessalée puis transportée dans les villes nouvelles. La mer est un désert…presque comme les autres !
Ilots de vie surgissant d’un milieu aride, les cités oasiennes sont à présent écartelées entre leur potentiel agricole qui s’accroît avec l’accès aux techniques modernes d’irrigation (le goutte à goutte, l’aspersion circulaire, les serres) et l’apparition du touriste qui veut y retrouver des habitats traditionnels, des ksour et leurs greniers forteresses. Cette architecture de pierre, terres et végétaux, analysée par Salima Naji, architecte et anthropologue, est en voie de disparition. Les oasis sont aussi confrontées aux villes nouvelles des riches pays pétroliers qui poussent comme des champignons.
Aux Etats-Unis, dans le désert du Grand bassin a poussé le Tahoe Reno Industrial Center, ville où se bâtissent de gigantesques hangars dédiés aux serveurs informatiques. Peu importe leur durabilité et peu importe ce qu’il va advenir de la tribu Paiute implantée ici depuis des temps reculés. Cette indignation, nous la partageons avec la plasticienne Julie Meyer, autre intervenante au FIG.
Dans la péninsule arabique (EAU et Arabie Saoudite), les dirigeants rivalisent d’imagination pour concevoir des villes nouvelles dotées des gratte ciel les plus hauts du monde, conçus par des architectes mondialement connus.
Aujourd’hui elles vivent du pétrole et demain elles sont sûres de leur avenir en multipliant les éléments du soft power : services de haut niveau, en particulier dans la finance et musées remarquables (le Louvre Abou Dhabi). Masdar City est une cité « écologique et autonome ».
L’université, la Sorbonne Abu Dhabi est de celles qui assurent une bonne formation et un grand renom. NEOM, en Arabie saoudite est un projet pharaonique qui doit proposer les meilleurs services et des activités touristiques de haut niveau.
Les convoitises et les conflits armés qui en découlent sont analysés par Julien Brachet, directeur scientifique du FIG 2022 et par Philippe Boulanger, spécialiste de géographie militaire, qui a étudié l’Afghanistan (dont la situation actuelle est épouvantable), l’Irak et la Syrie et le Mali.
Les déserts, longtemps espaces délaissés, ont été absorbés par les empires coloniaux britanniques, français, portugais. Leurs frontières étaient plus ou moins virtuelles : quelques rangs de fil de fer barbelés, quelques murs parfois. Cela n’empêchait pas la circulation des autochtones. Mais en les découvrant riches, les Etats ont transformé ces frontières « virtuelles » en frontières à protéger.
Le conflit au Sahara Occidental est toujours sans issue, disputé entre le Maroc et la Mauritanie, depuis 1975 ce qui envenime les relations intra-maghrébines.
Depuis 2012, des groupes armés laïcs et djihadistes ont instauré leur domination sur le septentrion malien. Qu’est devenue la Libye, entre coups d’Etat et conflits entre bandes armées ?
Le Turkestan chinois est peuplé de Ouighours, mais il est aussi très riche en ressources minières et occupe une place stratégique, où déjà s’affrontaient au début du siècle les ambitions anglaises et russes. Les Chinois sont donc prêts à tout pour conserver cet espace, tout comme celui du Tibet et pour les mêmes raisons.
Une question majeure était posée lors des interventions : un développement durable des déserts est-il possible ? Si les technologies modernes le laissent croire, le dérèglement climatique et le réchauffement actuel font craindre le contraire.
Les déserts, nouvelle frontière du développement agricole au Moyen Orient
Cette conférence a donné la parole à Delphine Acloque, géographe, chercheuse au CEDEJ du Caire et qui habite actuellement au Qatar, et à Damien Calais, également géographe et chercheur au CESSMA.
Quatre fronts agro-désertiques nous sont présentés : Israël, Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis et Egypte. Ces Etats se sont construits avec une idée simple : « donnez-moi l’agriculture et je vous donnerai la civilisation ».Israël s’est construit par l’appropriation de terres agricoles et de ressources en eau : eau de surface, eau souterraine, puis eaux usées traitées. A côté des tentes noires des Bédouins, entourées de moutons, chevaux, dromadaires, se sont élevés les bâtiments blancs du kibboutz.Le Néguev fourmille à présent de « clusters agro-tech » et de start-up qui assurent à Israël un soft pouvoir régional et mondial. Ce modèle, venu des Etats-Unis s’est propagé en Egypte.En Egypte, aux marges du delta du Nil, à partir de canaux, on privilégie une agriculture sous serre et un élevage à couvert. Quelques hectares de terre (2 à 5 ha) sont donnés aux familles et un paysage géométrique se mets en place. Au sud du pays un autre front pionnier s’installe, développé par l’armée et pour l’armée. L’Egypte doit nourrir 100 millions d’habitants.
Aux Émirats Arabes Unis, un autre modèle se développe. Il s’agit d’un front pionnier de petites exploitations familiales, offertes clés en mains, avec les techniques les plus avancées : cultures hydroponiques, serres géantes climatisées, utilisation d’eau de mer dessalées.
En Arabie Saoudite, les techniques israéliennes sont reprises mais ici par de grandes entreprises liées à l’économie pétrolière. Le désert s’est verdi de vastes champs circulaires.
Vingt ans plus tard le constat est amer ! En Arabie saoudite la déprise sur le front pionnier est de 50 % : on a arrêté les subventions, la qualité des eaux s’est dégradée, les employés sont massivement partis vers les grandes villes pourvoyeuses d’emplois mieux rémunérés. Le milieu désertique se dégrade vite, les eaux de dessalement posent problème.
Dans les autres pays, la situation est moins mauvaise bien que décevante. Faut-il revenir aux importations alimentaires pour nourrir la population ?
Le dérèglement climatique ajoute d’autres questionnements. La multiplication des incendies suivies d’inondations géantes remets en cause les modèles de développement.
Si les espaces désertiques sont souvent situés aux marges des Etats contemporains, il y a des exceptions.
Bernard Hourcade, spécialiste du monde iranien, place les déserts du Lout et du Kavir, au cœur de la culture iranienne. Ces déserts sont des plateaux situés au centre du pays mais entourés de hautes montagnes qui fournissent en eau les piémonts, devenus « des jardins persans ». Ce sont donc les piémonts qui sont densément peuplés et urbanisés.
En 1947, Jean François Gravier publie Paris et le désert français, ouvrage qui connut un immense succès.
La question des inégalités territoriales, comme le rappelle une Conférence, est toujours d’actualité. Mais le regard porté sur « la diagonale du vide » a beaucoup changé ces dernières années. Longtemps les espaces de faible densité ont été perçus comme des espaces en déclin économique et démographique, promis à l’abandon par les pouvoirs publics. Ils sont aussi devenus « des déserts médicaux ».
Puis ils ont été réappropriés par des mouvements qui, dans le Larzac ou le causse Méjean en Lozère, savent se montrer résilients et faire preuve de vitalité sociale et culturelle. C’est la thèse de l’ethnologue Martin de la Soudière.
Depuis la pandémie du Covid, ces mêmes espaces sont envisagés comme des eldorados verdoyants pour urbains en exode post-confinement. Et demain que pensez vous qu’il adviendra de ces territoires ?
Mais le FIG ce n’est pas que l’exploitation d’un thème géographique, au demeurant foisonnant et fascinant. C’est un lieu de rencontres littéraires avec un Salon du Livre, un lieu de Gastronomie, un lieu où l’on s’interroge aussi sur l’actualité. Deux exemples à présent.
Christophe Terrier a présenté la fabrication d’objets géographiques à l’aide de machines numériques. Cette année il a créé le Massif des Vosges en gâteau !
Et ce gâteau magnifique représentant les grandes vallées qui incisent le massif a été admiré avant d’être dévoré par les nombreux curieux et gourmands.
La guerre en Ukraine fut évoquée par plusieurs géographes : Jean Radvanyi, spécialiste de la Russie, Michel Foucher, autre géographe de grand renom, et les écrivains Olivier Weber et Emmanuel Ruben.
Une rencontre intitulée Comprendre la guerre en Ukraine par sa géographie a été animée par la journaliste Emilie Aubry. Autour de Delphine Papin, responsable du service infographie et cartographie du journal Le Monde, avaient pris place Cédric Gras, écrivain bien connu des Cafés géographiques et Ivan Savchuck, géographe ukrainien. Commencée le 24 février 2022, longue de déjà 7 mois, on suivait en direct les soubresauts du jour : les avancées des Ukrainiens, tentant de reprendre leur territoire et le discours de Poutine, annexant quatre régions du Donbass.
Il est parfois reproché aux géographes de parler peu du désert et d’être peu visibles sur la scène médiatique…parleraient-ils dans le désert ? Longtemps méconnus, souvent lointains ou difficiles d’accès, les déserts sont devenus espaces productifs et donc convoités. Scientifiques, entrepreneurs, géopoliticiens, en font leur nouvelle aire de jeu. Pour combien de temps ?
Maryse Verfaillie, octobre 2022
NB : Qu’il me soit permis de signaler, publiée chez Dargaud, une bande dessinée de Jancovici et Blain, Le monde sans fin, qui relate avec humour les variations climatiques et la crise énergétique.