Dans quel « entre deux mondes » se situe cette péninsule ? Elle est si puissante et si fragile à la fois ! Territoire des Mille et une nuits, elle fait rêver lorsqu’elle étale ses richesses, elle fait trembler lorsque tant de rivaux se manifestent, par tant d’argent, attirés.
N’hésitons pas, allons à sa rencontre.
Des frontières récentes et fragiles
Une immensité encore presque vide
Quadrilatère de 4 millions de km², la péninsule arabique dispose de trois façades maritimes, sur la mer Rouge, sur la mer d’Oman et sur le golfe Arabo-Persique. Mais c’est d’abord un vaste désert aux conditions naturelles difficiles, où cohabitent, depuis des millénaires éleveurs nomades et agriculteurs sédentaires dans les oasis. A un « centre » vide, ce qui est peu banal, la péninsule oppose des périphéries dynamiques, non moins banales.
Le relief peut se décliner d’ouest en est : la mer Rouge est bordée par une étroite plaine littorale ; elle est surplombée par une chaîne de hautes montagnes (Hedjaz et Asïr) qui forment une barrière dont les plus hauts sommets dépassent 3 000 m d’altitude.
Quelques vallées profondes l’entaillent qui donnent accès à de hauts plateaux compris entre 500 et 1 000 mètres d’altitude, multitude de déserts de dunes (Nefoud, Nedjd, Rub’ al-Khali).
Toute la moitié orientale de la péninsule correspond à des plaines qui s’abaissent lentement vers le golfe Arabo-Persique. Un seul accident interrompt cette plénitude, les montagnes du Djebel Akhdar du Sultanat d’Oman qui dépassent à nouveau 3 000 mètres d’altitude.
Traversée par le Tropique du Cancer, la péninsule a un climat continental à l’intérieur et il peut neiger (rarement) alors que les plaines littorales sont chaudes et humides. Les pluies sont très irrégulières et les cours d’eau (oueds) souvent intermittents.
La carte des Etats actuels de la péninsule
Entre Europe et Asie, tutoyant l’Afrique, la péninsule arabique est un lieu de passage presque incontournable. La carte des Etats est très récente : années 1930 pour l’Arabie, années 1970-71 pour les Emirats. L’importance géostratégique est d’autant plus grande que les gisements d’hydrocarbures y abondent, renouvelant et accroissant les convoitises internationales.
Beaucoup de frontières sont contestées ce qui crée des conflits régionaux à n’en plus finir, en particulier entre l’Arabie et le Yémen (voir carte ci-après).
L’île d’Abou Moussa est très convoitée parce que gardienne du détroit d’Ormuz. C’est par ce détroit que passent les super tankers chargés à ras bord de pétrole.
L’entrée de la mer Rouge a d’abord été contrôlée par la base française de Djibouti, devenue une République indépendante en 1977.
En 2002, les Etats-Unis ont obtenu l’autorisation d’installer une base, pour sécuriser le détroit ; puis en 2011 les Japonais, pour lutter contre la piraterie, et depuis peu par une base Emiratie située à quelques km au nord, à Assab. Les Chinois sont présents depuis 2017, dans la logique des « routes de la soie ».
L’île de Socotra, appartient au Yémen, mais une base américaine y est installée.
Les grandes puissances, qui ont reconnu les indépendances, maintiennent ici des bases qui encerclent la zone.
Une longue main mise occidentale
Au XIXe siècle, la « question d’Orient » devient l’expression diplomatique pour décrire les manœuvres de Paris, Londres et Saint-Pétersbourg, pour tirer le plus grand bénéfice de la lente décomposition de l’Empire ottoman.
Au Levant, la « protection » des minorités chrétiennes demeure une priorité pour la France. Mais c’est aussi à Paris que l’on s’enthousiasme pour la renaissance arabe et où se déroule le premier Congrès arabe en 1913. Ce nationalisme arabe se développe aussi en Egypte, sous occupation britannique depuis 1882.
Pendant la Première Guerre mondiale, le chérif Hussein de Jordanie s’engage aux cotés des Britanniques et des Français pour mettre à terre les Ottomans. Mais la chose faite, les deux empires coloniaux trahissent Hussein (à qui l’on avait promis l’établissement d’un royaume arabe à Damas) et se partagent la péninsule.
Au XXe siècle, on découvre du pétrole
En 1901, le britannique William Knox d’Arcy obtient du chah de Perse l’autorisation de chercher du pétrole. Il en trouve en 1908 et dès 1909 se forme l’APOC (l’Anglo-Persian Oil Company). Dès 1914, le gouvernement britannique prend une part majoritaire dans l’APOC.
Les vainqueurs de l’Empire ottoman vont aussi s’emparer da la Turkish Petroleum Company.
Puis un consortium se forme entre les grandes puissances occidentales dont les Etats-Unis et les Pays-Bas. Les concessions saoudiennes aux compagnies américaines datent de 1933. L’Aramco naît en 1944, la British Petroleum en 1953.
La création de l’OPEP en 1960
L’Arabie est à l’origine de la création de l’OPEP, dont elle apparaît le chef de file. Premier producteur du monde de pétrole, le royaume peut ainsi participer à la fixation des prix et des quotas et s’assurer une rente qui reste néanmoins aléatoire.
En 1973, le triplement du prix du pétrole semble démontrer que le règne des compagnies occidentales est terminé.
Des royaumes d’expatriés
Ancienne côte des Pirates, transformée en côte de la Trêve au XIX ème par la Royal Navy britannique, qui tenait à sécuriser la route des Indes, la partie orientale de la péninsule arabique fut longtemps perçue comme inhospitalière. On n’y pratiquait guère que la pêche perlière. La découverte du pétrole dans les années 1930 va attirer une population cosmopolite pour bâtir sur le sable. L’immigration fut d’abord arabe. Puis vient le temps, après la Seconde Guerre mondiale, d’une immigration occidentale très qualifiée, celle des expatriés (« ex pats »). Aujourd’hui arrivent des flux de main-d’œuvre non qualifiée et asiatique. Cette main-d’œuvre dépend d’un « parrain local », qui s’apparente à une forme moderne d’esclavage.
Les Printemps arabes
La plupart des Etats arabes ont émergé au début du XX ème sur les ruines de l’Empire ottoman, voire dans les années 1970. Après s’être libérés de la tutelle coloniale européenne, dans la foulée de la Seconde Guerre mondiale, ils doivent à présent s’affranchir de la férule des autocrates locaux. Ces Printemps ont fait grand bruit, suscité beaucoup d’espoir et finalement échoué.
En décembre 2010, un vendeur ambulant s’immole devant le gouvernorat de Sidi Bouzid en Tunisie. La rue tunisienne s’embrase et fait partir Ben Ali en janvier 2011. En Egypte, c’est au tour d’Hosni Moubarak d’être chassé en février 2011, puis au président Saleh d’être exilé au Yémen fin 2011.
De très nombreux pays arabes suivent le mouvement de protestation contre des régimes jugés dictatoriaux. Mais le renouveau espéré n’a pas lieu, la situation s’est même le plus souvent aggravée, sauf en Tunisie.
Au Yémen, un coup d’Etat des Houthistes, est suivi d’une intervention militaire saoudo-émiratie en mars 2015.
En 2019, une 2ème vague de soulèvements de grande ampleur est enclenchée, surtout au Maghreb.
Celle de Bahreïn est tout de suite matée par l’Arabie Saoudite. Celle du Liban provoque la démission du premier Ministre, Hariri, celle de l’Irak la démission d’Abdel Madhi.
L’Arabie a inspiré le réveil islamique fondamentaliste.
Fabuleusement enrichi par la rente pétrolière, le royaume saoudien, islamique et ultra-conservateur, a des ambitions qui dépassent le cadre de la péninsule et même du monde arabe.
La garde des Lieux saints, interdits aux non musulmans, est un enjeu considérable. L’honneur revient à la dynastie des Saoud de l’avoir ravie aux Turcs pour la rendre aux Arabes. L’Arabie préside l’Organisation de la conférence islamique, établie à Djeddah. L’organisation du pèlerinage est confiée à un ministère qui doit gérer la venue de quelque 3 millions de pèlerins par an. Prestigieuse, cette activité rapporte aussi beaucoup de devises.
L’Arabie Saoudite est le pilier de l’aide aux mouvements islamistes, aide amorcée dans les années 1970 et accélérée dans les années 1980, avec l’aval des Etats-Unis, pour lesquels il s’agissait d’un antidote à la subversion communiste.
Dans les années 1990, l’aide aux islamistes visait d’abord à contrer l’influence des chiites iraniens, qui contestent à l’Arabie sunnite le rôle de « gardien » des Lieux saints.
La Fitna (discorde) entre les divers courants de l’islam
La Fitna, entre sunnites et chiites se nourrit du souvenir, chez les chiites, du meurtre en 680 de Hussein, fils d’Ali, par ceux qui se prétendront dépositaires de l’orthodoxie religieuse sunnite. Elle se nourrit aussi de la persécution dans l’histoire des chiites par les sunnites. Mais la division a retrouvé une acuité à la fin du XX ème siècle avant de connaître un paroxysme dans les années 2010, dans le contexte des « révoltes arabes ».
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Les chiites représentent environ :
Iran = 90 %
Bahreïn = 70 %
Irak = 60 %
Liban = 40 %
Koweït = 33 %
Turquie et Qatar = 20 %
Arabie Saoudite = 15 %
EAU = 10 %
Oman = 5 %
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Atlas du Moyen-Orient, Pierre Blanc & Jean-Paul Chagnollaud- Autrement- 2019-
La discorde nourrit la paranoïa du régime saoudien à l’égard de sa propre minorité chiite (15% de la population) considérée comme une cinquième colonne. Un tiers des chiites saoudiens sont concentrés dans la région orientale du Hasa, grande région pétrolière.
Le courant du zaydisme est implanté surtout au Yémen. Il est issu du chiisme et fonctionne comme un lien communautaire pour les montagnards dont une partie se retrouve aujourd’hui membres de la rébellion houthiste.
La discorde est à l’origine de la création du Conseil de Coopération du Golfe
Le CCG est créé en 1981 après l’avènement de la révolution islamique en Iran et le déclenchement du conflit Iran-Irak. Il compte les Etats voisins immédiats : Bahreïn, les EAU, Koweït, Oman et Qatar, à l’exception du Yémen. Mais la guerre du Golfe (1991) a modifié les équilibres de la région, l’Arabie ayant dû accepter l’aide américaine lors de l’invasion du Koweït par l’Irak. L’Arabie s’est révélée vulnérable. Elle doit aussi faire face à des rivaux tels l’Egypte, la Turquie et surtout la turbulente voisine iranienne.
Cependant l’alliance entre Américains et Saoudiens demeure et ce malgré les attentats du 11 Septembre 2011, et malgré les contradictions entre un soutien sans faille à Washington (et donc par ricochet à Israël) et une politique de soutien aux éléments les plus conservateurs (voire anti-occidentaux) menée à l’intérieur de ses frontières comme dans l’ensemble du monde musulman.
Zone clé dans les relations internationales, la péninsule arabique suscite autant d’appréhension que de convoitise. Le monde arabe, qui manque d’un véritable leader est toujours sur la défensive. Les mêmes contradictions expliquent une même vulnérabilité sur le plan interne.
L’engrenage de la violence du milieu du XXe siècle, jusqu’à aujourd’hui
Depuis le milieu du XXe, le Moyen-Orient est plus que jamais déchiré : une situation liée à la fois aux rivalités régionales et interarabes et à l’intervention des puissances occidentales. Plusieurs causes expliquent ces conflits.
La guerre froide entre Moscou et Washington entraîne une division aiguë entre ceux qui soutiennent et se mettent sous la protection des Américains à savoir les monarchies conservatrices du Golfe et ceux qui soutiennent et coopèrent avec l’URSS, les républiques nationalistes et socialistes arabes.
La création de l’Etat d’Israël en 1948 divise le monde arabe car une large partie de la population palestinienne est chassée de son territoire ancestral.
Avec la révolution islamique d’Iran (en 1979) les régimes issus du nationalisme arabe et les monarchies conservatrices sont confrontés à une montée de l’opposition islamiste. Le mouvement Hamas devient, après les accords d’Oslo de 1993, la figure du nouveau nationalisme palestinien.
Avec la guerre Irak-Iran (1980-1988), c’est le clivage chiites-sunnites qui domine peu à peu au Moyen-Orient.
De nouvelles puissances régionales s’immiscent dans la région : la Russie de Poutine est de plus en plus présente en Syrie et au Qatar. La Turquie d’Erdogan s’inquiète du problème Kurde en particulier et de l’insécurité sur ses frontières en général. Elle est membre de l’OTAN, mais elle ne lui fait plus guère confiance pour la défendre.
La politique régionale est tout aussi violente.
Une nouvelle Guerre froide s’ouvre entre les membres du CCG, Conseil de Coopération du Golfe et le Qatar et le Yémen.
En 2017, le Qatar est mis au ban de la péninsule, en raison de son refus de s’aligner sur la ligne diplomatique anti-Iran, par l’Arabie Saoudite, soutenue par les EAU, le Bahreïn, le Yémen et l’Egypte. Les EAU sont les plus viscéralement opposés au Qatar parce que le modèle promu est favorable à l’inclusion des islamistes dans le jeu politique et aussi parce que les deux Etats sont en concurrence directe dans la diplomatie culturelle et sportive.
La guerre au Yémen, enclenchée en 2015, se poursuit, violente de part et d’autre, elle semble sans fin, attisée par l’Iran qui voit là le talon d’Achille de son adversaire. L’Iran n’hésite pas à envoyer des drones sur l’Arabie (septembre 2019) et à détruire deux usines d’Aramco (la compagnie pétrolière saoudienne), ce qui a fait chuter la production mondiale de 6%.
Pas plus tard que le 18 janvier 2022, l’émirat d’Abou Dhabi a reçu des drones qui ont fait 3 morts et des blessés sur une zone industrialo-portuaire. Cette attaque est revendiquée par les rebelles houthistes du Yémen… soutenus par l’Iran.
Le sultanat d’Oman louvoie : il fait partie du CCG, mais a gardé des relations diplomatiques avec le Qatar.
Aujourd’hui encore, les foyers de tensions entre les Etats restent nombreux et des attentats terroristes djihadistes sont déclenchés en Arabie, au Yémen, Irak, Liban.
Le soft power culturel : pouvoir des signes ou signe du pouvoir
La volonté de suprématie régionale de l’Arabie Saoudite
Depuis l’arrivée au pouvoir de Mohammed Ben Salman (MBS) en 2017, tout va très vite.
Ce jeune prince saoudien a les dents longues. En un rien de temps, avec l’argent du pétrole, il libéralise l’économie et la société du pays : peine de mort abolie pour les mineurs, droit de vote pour les femmes qui obtiennent aussi le droit de conduire, de créer leur entreprise et d’assister à un match de foot ! Mais la moindre critique peut vous coûter cher, en témoigne l’assassinat en octobre 2018 du journaliste Jamal Khashoggi à Istanbul.
La multiplication des contrats de prestation de services dans le domaine culturel au sens large, de l’université au sport en passant par les musées, permet la redistribution de la rente pétrolière, en dehors des secteurs traditionnels de la clientélisation. Cette politique peut aider à souder une identité nationale récente, à plaire aux classes moyennes émergentes, à attirer des capitaux et des savoir-faire occidentaux. Cet argent doit aussi permettre de diversifier les économies en développant le secteur des finances et de la culture.
Le long de l’ancienne côte des pirates, c’est sérénité, luxe et volupté !
Du Koweït à Oman, monarchies et principautés du golfe alignent musées, architectures futuristes au bord de l’eau, laboratoires high-tech, hôtels étoilés et paradis fiscaux
La nature a distribué des richesses dans un monde peu peuplé. Un exceptionnel concentré d’hydrocarbures assure le bien-être de quelques millions de résidents (voir le tableau ci-dessus). Mais, à côté des nationaux, auxquels sont réservés les largesses, il faut garder en mémoire que les travailleurs immigrés ne sont pas à la fête. A Dubaï, les étrangers doivent quitter le pays dès que leur contrat de travail s’achève.
En Arabie, le système du kafalat, autorité qui se porte garante des immigrés, permet au Kafil de prendre la moitié du salaire du travailleur !
• Dans la dernière décennie, le royaume saoudien a pris conscience de l’importance de son patrimoine et a compris qu’il fallait l’inclure dans une histoire qui ne commence pas seulement à l’avènement de l’islam, mais à la plus haute Antiquité. Quelques exemples.
– Al Ula, avec l’aide de la France et de l’Unesco est devenu un site culturel de premier rang en Arabie Saoudite. Ce site Nabatéen est aussi beau que celui de Pétra en Jordanie. Il accueille aussi un festival de musique (rappelons que la musique est haram dans l’islam).
-Des stations balnéaires sont en construction sur la mer Rouge (on pourra y boire de l’alcool) ; le Paris-Dakar, grand prix de formule 1, course mythique s’y déroule en 2022.
– Un Festival international du film a attiré des stars à Djeddah (grand port saoudien de la mer Rouge). Jack Lang, Catherine Deneuve faisaient partie des invités. L’événement a été sponsorisé par l’empire saoudien audiovisuel MBC et par la compagnie aérienne Saudia. Le grand manitou organisateur de l’événementiel dans le Golfe n’est autre que Richard Attias.
Les salles de cinéma, fermées depuis 3 décennies, viennent de rouvrir.
• Aux EAU, on a vu s’élever le musée du Louvre Abu Dhabi. A Doha (Qatar) un autre musée, construit par le même architecte français Jean Nouvel, a vu le jour. D’autres encore sont prévus.
Pour devenir le hub régional des transports, la concurrence est rude entre : Qatar Airlines, Etihad Airways (Abu Dhabi) et Emirates (Dubaï).
Des universités s’ouvrent : la Sorbonne Abu Dhabi, seule université francophone du Golfe ou, autre exemple, une gigantesque université à Taïf en construction en Arabie.
Au Qatar deux événements sportifs de haut niveau : en 2019, le championnat du monde d’athlétisme, en 2022, la coupe du monde de foot, la FIFA.
L’Exposition universelle prévue en 2020 a été reportée en raison de la pandémie, en 2022, elle se déroule en ce moment sur un site à mi chemin entre Dubaï et Abu Dhabi.
Le luxe des Etats du Golfe ne leur fait pas oublier un environnement géopolitique dangereux et instable, comme un méchant vent de sable qui soufflerait d’est en ouest : d’un monde dominé par des Perses chiites, à un monde dominé par des Arabes sunnites.
Pour faire face à l’ennemi héréditaire, ces Etats comptent sur les Etats-Unis et les pétrodollars qui permettent d’acheter des armes (missiles) et des avions de chasse. Les dépenses militaires sont énormes, les plus élevées du monde par habitant. N’oublions pas de faire un petit « cocorico national » et d’ajouter des avions de chasse dernier cri (3 décembre 2021) : 80 Rafale achetés à la France.
L’enrichissement de l’Arabie lui a permis d’entrer dans l’OMC (Organisation mondiale du commerce), de créer une zone de libre- échange avec l’Europe et à présent, d’être membre du G20. Quand le pouvoir politique, l’argent du pétrole et une vision culturelle du monde se tiennent par la main, c’est un match « gagnant-gagnant »…comme diraient nos amis Chinois ! D’ailleurs on va en parler des Chinois !
La fin du leadership américain ? Un nouveau jeu politique
Les troupes américaines passent dans le monde arabe de 103 000 hommes en 2019 à 20 000 en 2020.
Les trois derniers présidents américains (Obama, Trump, Joe Biden) poursuivent la même politique de désengagement en Afghanistan et au Moyen-Orient. Ils ont abandonné le Syrie à Poutine et Trump a enterré l’accord avec l’Iran sur le nucléaire, le grand œuvre de Obama. Une politique de sanctions contre l’Iran a affaibli le régime sans le faire tomber, quand bien même la CIA faisait assassiner le général iranien Ghassem Soleimani en janvier 2020.
Les Etats-Unis préfèrent garder leurs forces contre la Chine, devenue leur cible principale. Mais ils restent le shérif de la région, de loin certes, avec des partenaires locaux comme Israël et les EAU. Même si la base militaire terrestre américaine est fermée, il subsiste cependant un encerclement maritime.
Les relations avec Israël connaissent une singulière embellie
Trump a reconnu Jérusalem comme capitale d’Israël, en se rangeant aux vues de Nétanyahou, partisan d’un Grand Israël. Les « accords d’Abraham » en 2020, ont signé l’acte de mort d’une solution à deux Etats. Joe Biden a affirmé ne pas vouloir revenir sur cette décision.
Sur cette lancée, les EAU puis Bahreïn ont reconnu l’Etat d’Israël en août et septembre 2020.
L’Arabie a laissé faire sans leur emboîter le pas. Le royaume a promis aux Palestiniens de ne pas normaliser les relations avec Israël, tant qu’un Etat palestinien ne serait pas reconnu, avec Jérusalem-Est comme capitale. C’est là qu’est située la mosquée Al-Aqsa, 3ème lieu saint de l’islam.
En Oman, le sultan Qabous Ben Saïd, et aujourd’hui son successeur Hait Ham Ben Tarek sont tentés de suivre les autres monarchies et de reconnaître Israël. Le sultanat a reçu Nétanyahou en 2018.
MBS, le souverain de Riyad, avec son plan Vision 2030, a choisi d’implanter son projet de mégapole futuriste (Neom) dans le quart nord-ouest de la péninsule, en face de la station balnéaire israélienne d’Eilat, sur la mer Rouge. Cela ne peut-être un simple hasard.
En décembre 2021, le CCG se dit prêt à accepter un retour à l’accord sur le nucléaire de 2015.
La France, « grande amie du monde arabe » depuis Chirac, garde un pied dans la région avec une base terrestre à Abu Dhabi et une à Djibouti.
En décembre 2021, la France de Macron a vendu 80 Rafale (Dassault) aux EAU de Mohammed Ben Zayed (MBZ), 12 hélicoptères Caracal d’Airbus, et conclu des partenariats économiques au profit de Safran et de Veolia. Vive la Realpolitik ! Ces accords étaient en préparation sous le mandat de Hollande et de son ministre Jean-Yves Le Drian.
Le président Macron a, en échange, demandé à l’Arabie et à ses alliés, d’aider le Liban à sortir du chaos actuel et de supprimer leur embargo sur les produits en provenance du Liban.
Le rayonnement culturel de la France dans cette région n’est pas indissociable de sa puissance armée. C’est l’architecte Jean Nouvel qui a été choisi, aussi bien pour le musée national de Doha (Qatar) que pour le LAD (Louvre Abu Dhabi).
Le rôle de la Russie s’est accru.
Elle a pu signer un accord avec l’OPEP en janvier 2021 pour limiter le prix du baril de pétrole autour de 54 $. Mais il est supérieur à 80 $ à ce jour ! N’oublions pas que l’Arabie Saoudite est de fait le leader de ce cartel.
Et la Chine ?
Les échanges entre dirigeants chinois et dirigeants du Golfe, se font de plus en plus nombreux.
En 2021, la Chine et l’Iran ont conclu un « partenariat stratégique » pour vingt-cinq ans.
La Chine et le CCG sont en train de négocier un accord de libre-échange, car la Chine est devenue le premier partenaire économique en 2020, détrônant l’Union européenne. Elle importe environ 80 % de son pétrole de cette zone. La Chine est aussi devenue le premier acheteur au monde des produits saoudiens non pétroliers Elle s’implique dans la production d’armements saoudiens : drones, missiles, etc. Enfin, elle investit dans les infrastructures qui lui permettent de consolider les « nouvelles routes de la soie ».
Les rivalités régionales restent multiples.
La ville-émirat de Dubaï, dirigée par le cheikh Mohammed Ben Rachid A-Maktoum, se positionne toujours plus comme un paradis fiscal où les stars de la télé-réalité viennent s’installer, ainsi que ceux que l’on appelle désormais, les « influenceurs ».
Dubaï est fière de la tenue sur son sol de l’exposition universelle. Elle affiche aussi un programme révolutionnaire dans les transports : tous les habitants devront pouvoir se rendre à leur travail en moins de 20 minutes, soit en tram, soit en métro, soit à vélo.
Elle s’est aussi dotée en 1979, d’une zone portuaire géante, à Jebel Ali et déjà au 8è rang mondial des ports à conteneurs. Son aéroport se situe au second rang mondial, après Londres-Heathrow, pour le flux de passagers.
Si Dubaï s’affiche comme capitale économique (on la dit parfois aussi capitale économique de l’Iran, parce que de nombreux iraniens y sont installés), Abu Dhabi compte bien rester la capitale politique et améliorer son rôle économique. Quatre réacteurs nucléaires réalisés par des Coréens sont en cours de construction à Barakah. Les EAU, dirigés par Khalifa Ben Zayed Al Nahyane, dit MBZ, sont la première nation arabe dotée de l’énergie nucléaire.
Par ailleurs les EAU ont obtenu en septembre 2021 que leur quota de production de pétrole soit revu à la hausse : l’OPEP a accepté que leur production passe de 3,2 millions de barils par jour) 5 millions en 2030.Les EAU ont aussi lancé une sonde appelée Al Amal (sonde de l’espoir) sur Mars.
En conclusion, l’idée s’impose d’un Proche et Moyen-Orient en miettes, fracturés par les guerres civiles, les rivalités politiques et la pandémie du Covid 19 qui s’éternise.
Riyad a voulu un cessez-le-feu au Yémen, mais les Houthistes soutenus par l’Iran, ont refusé tout accord, malgré le soutien de l’ONU.
Mais en janvier 2021, le blocus contre le Qatar a été levé. Al Jazira, la chaîne d’information qatarie, a promis de moins critiquer MBS, la Turquie a pu conserver sa base militaire. Les réserves gigantesques de gaz naturel dans l’émirat ne sont pas pour rien dans ce changement.
Les grandes puissances (Etats-Unis, Russie) maintiennent leur stratégie d’élimination des terroristes, chacun a les siens.
Par ailleurs les Américains changent fondamentalement de politique : désormais le multilatéralisme est rejeté au profit de relations bilatérales. C’est peut-être le plus grand retournement de situation de ce début de XXIe siècle.
Maryse Verfaillie, janvier 2022
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