Le vin d’Appellation d’origine contrôlée (AOP) Marcillac est actuellement produit sur 200 hectares du département de l’Aveyron. A 400 mètres d’altitude en moyenne, sur des sols de type « rougiers » ou argilo-calcaires, onze communes se partagent le vignoble : Balsac, Clairvaux d’Aveyron, Goutrens, Marcillac-Vallon, Mouret, Nauviale, Pruines, Saint-Christophe- Vallon, Saint-Cyprien-sur-Dourdou, Salles-la-Source, et Valady. C’est un vin de mono cépage : le mansois, ou fer cervadou ou encore le saumansois qui appartient à la famille des cabernets, cépage très ancien.
Quarante viticulteurs (dont deux en culture biologique) sont associés à la cave « les Vignerons du Vallon » qui se charge de la vinification et 14 domaines sont indépendants. Un million de bouteilles sont produites par an, 55% venant de la cave et 45% des vignerons indépendants. Cette culture emploie environ cent personnes, des producteurs et des salariés de la filière viticole du vallon. Les vendanges se font exclusivement à la main.
Saisons | Travail de la vigne et du vin |
Hiver | Taille, traditionnellement terminée le jour des Rameaux |
Printemps | Traitement des sols : désherbage, piochage, en herbage, paillage, semis de plantes commensales, fertilisation. L’ébourgeonnage et la suppression des « gourmands » se font au mois de juin. Le vigneron traite le pied pour prévenir les maladies et répare les palissages. La floraison, en juin, dure environ une semaine |
Eté | Les fleurs laissent la place aux jeunes grappes : sélection des grappes, taille des sarments trop longs, guidage sur les palissages et effeuillage (épamprage) pour faire entrer les rayons du soleil. Les grains changent alors de couleur : le vert disparaît petit à petit au profit du rouge. C’est la véraison |
Automne |
Vendange 110 jours après la floraison (octobre) car le mansois est un cépage à mûrissement tardif. Puis vinification : – Egrappage ou éraflage qui a pour but d’affiner le vin. |
Tableau 1. Viticulteur, un labeur sans répit
Un cépage introduit au Moyen Age
Au IIIe siècle, sous l’administration romaine, un décret fait apparaître les premières vignes dans le Vallon de Marcillac. Il s’agit de petits carrés uniquement destinés à la consommation familiale.
Selon certaines sources, en 866, un moine de Conques envoyé à Agen pour récupérer les reliques de Sainte Foy, aurait rapporté dans ses bagages le cépage mansois. Selon d’autres, ce cépage serait arrivé à Conques dans la besace de pèlerins en provenance de Bourgogne. Quoi qu’il en soit, ce seraient les échanges entre les monastères qui auraient permis son introduction.
Les premiers écrits d’achat et de vente de vigne retrouvés datent de la période 918-1027. Les moines de Conques défrichent la terre ou la gagnent sur les étangs ou encore la reçoivent par legs. Ils y développent la culture du vin à grande échelle jusqu’à devenir l’activité paysanne principale pour le compte des religieux.
Le vin, offert aux pèlerins, gagne vite en réputation. Il se vend aussi à Rodez, ville alors riche d’échanges commerciaux.
Au XIVe siècle, de nombreuses confréries religieuses et de riches bourgeois de Rodez possèdent leur vignoble dans le Vallon de Marcillac. Dès le XVIIe siècle, ces riches Ruthénois vont y faire construire de belles demeures. Les raisins produisent un vin de qualité qu’ils aiment déguster et offrir.
En 1699, un rapport indique que la quantité de vin produite est de 9000 barriques de 450 litres.
En 1793, la confiscation des biens du clergé entraîne la vente aux enchères des vignes des moines. Elles trouvent vite preneurs à Rodez. C’est une marque de prestige que d’avoir son propre vignoble.
Le vignoble devient presque une monoculture dans le Vallon. En 1830, il couvre 2000 hectares à raison de 30 hectolitres par hectare. On dénombre 1684 récoltants, soit environ 8000 personnes vivant de la vigne. Par comparaison, 400 familles vivent de la culture du blé et de l’élevage.
Au XIXe siècle, il existe deux types de Marcillac : le vin noble pour les bourgeois de Rodez et le vin « canaille » pour les mineurs de Decazeville. En effet à partir de 1826, une industrie minière et sidérurgique importante s’y développe jusqu’à employer 9000 ouvriers au début du XXe siècle ; le vin est le « carburant » des mineurs qui peuvent en boire jusqu’à 6 litres par jour !
Tôt le matin, les marchands viennent chercher le vin qu’ils chargent dans des outres en peau de chèvre d’une contenance de 56 litres. Elles sont ensuite conduites en charrettes tirées par des chevaux jusqu’aux caves des débits de boisson. Tous les jours, on les renouvelle ; c’est une alimentation à « flux tendus ».
La clientèle de Decazeville n’est pas trop regardante sur la qualité du vin. Les vignerons plantent des pieds de vigne dans les plaines plus faciles à travailler mais beaucoup moins ensoleillées. Ces nouvelles plantations contribuent à la richesse immédiate des vignerons mais plus tard à leur déclin.
A cette époque, des vignerons mercenaires viennent de toute la contrée pour se faire embaucher chez les grands propriétaires que sont les bourgeois de Rodez. Les coteaux sont escarpés et les bêtes de somme sont alors remplacées par des hommes qui, à l’aide du panier appelé carrejador, transportent le fumier et le raisin.
Traditionnellement, les caves possèdent une porte à claire voie formée de plusieurs pans de bois entrecroisés et disposant d’un vantail supplémentaire à l’intérieur. Cela maintient une température constante et une ventilation nécessaire à la bonne conservation du vin (évacuation du gaz carbonique).
En 1841 est fondé le « Comice viticole » composé d’experts vignerons qui se réunit quatre fois par an (134 membres en 1852). Ces experts vignerons sont chargés de contrôler la culture des vignes, la taille, le liage, l’emploi des échalas, le piochage, le fouissage, le binage, l’épamprage, les murs de soutènements, les pressoirs, les paniers et les coussins de vendanges. En fin de campagne, chaque vigneron reçoit un imprimé qui lui sert à fixer le prix de son travail auprès du propriétaire en date du 24 juin de chaque année. Le vice-président du Comice préside la commission qui, d’après les experts, doit procéder au classement des vignerons pour le prix du Comice viticole.
Au milieu du XIXe siècle, les propriétaires terriens se désintéressent peu à peu de leurs vignes et les cèdent aux vignerons. Parallèlement, les vins du Languedoc parviennent en Aveyron grâce à l’avènement du chemin de fer. Or ils font concurrence à celui de Marcillac.
A la fin du XIXe siècle et au début du XXe, des fléaux se succèdent : l’oïdium vaincu par le soufre, puis le mildiou traité par la bouillie bordelaise, et le phylloxéra, insecte minuscule en provenance des Etats-Unis qui tue la plante en trois ans. Entre 1860 et 1900, presque tout le vignoble français est dévasté. Le phylloxera arrive en Aveyron en 1873. Le taux d’alcool du vin, oscillant entre 10 et 12.5 degrés en 1870 puis entre 9 et 11 degrés en 1880, tombe alors à 6 degrés l’année suivante ! En 1899, 4500 hectares sont touchés ce qui correspond à 70% du vignoble aveyronnais. On décide de replanter par l’intermédiaire d’un porte-greffe américain car outre Atlantique les pieds résistent au phylloxera. Mais un cep ne porte fruit qu’au bout de 3 à 4 ans.
La guerre de 14-18 est une catastrophe : de nombreux vignerons meurent au combat et les bras manquent cruellement dans le vallon. Les terrasses soutenues par les murets (paredals) sont alors abandonnées car trop difficiles à travailler. Ces murets permettaient pourtant de lutter contre le ravinement et de séparer la terre de la pierre (on se sert de l’une pour retenir l’autre). Après-guerre, les paysans qui n’émigrent pas se tournent alors vers l’élevage tout en ne gardant qu’un arpent de vigne destinée à la consommation familiale et à la vente aux mineurs de Decazeville. Ces derniers paient peu mais boivent beaucoup. On fait donc « cracher la vigne ». Le Marcillac, faible en goût autant qu’en alcool, devient un vin de prolétaire. Ainsi, le savoir-faire des vignerons se perd pendant un demi-siècle.
En 1939, le vignoble ne s’étend plus que sur 1468 hectares. De nombreuses démarches officielles aboutissent à la création de l’appellation « vins du Rouergue » utilisée jusqu’en 1945. En 1946, l’essor viticole permet la création d’un syndicat de défense du vin de Marcillac. En 1956, la gelée de février avec des températures descendant jusqu’à -22°C détruit 80 à 90% du vignoble.
L’histoire s’accélère…
A Decazeville, le nombre d’ouvriers diminue en raison de la fermeture progressive des mines. Dès 1960, certains vignerons tirent la sonnette d’alarme. Selon eux, pour survivre, il faut absolument améliorer la qualité du vin, vendre non plus en vrac mais en bouteille et conquérir de nouveaux marchés.
On décide alors de replanter en palissant les vignes sur fil de fer et en terrasses pour retrouver l’exposition au soleil d’autrefois. Cependant, pour produire plus de vin de meilleure qualité à moindre fatigue, ces terrasses doivent être plus larges et facilement mécanisables. La terrasse modelée, la terre doit reposer trois ans avant d’être plantée, puis trois à quatre années sont nécessaires à la vigne pour commencer à donner vraiment. Au total, six à sept ans s’écoulent donc entre le premier coup de pelle et la première vraie récolte.
En 1962 est fondée la Cave Coopérative des Vignerons du Vallon dans une grange de Valady. Puis en 1966, les vignerons acceptent le label VDQS (Vin délimité de qualité supérieure) qu’ils refusaient jusqu’alors notamment par crainte des contrôles et de la fiscalité.
Le 2 avril 1990, arrive enfin la consécration avec l’obtention par décret ministériel de l’AOC (Appellation d’origine contrôlée) signé par Michel Rocard après dix-huit ans de démarches, la première demande ayant été déposée le 20 juin 1972. En effet, pour l’obtention de l’AOC, il a fallu délimiter précisément les parcelles ce qui n’était pas fait au départ. De plus, la demande de label avait été déposée initialement auprès de l’INAO (Institut national des appellations d’origine) de Bordeaux et les Bordelais s’inquiétaient de voir émerger dans le sud-ouest des vignobles performants susceptibles de concurrencer les petits Bordeaux… (les grands vignobles n’avaient rien à craindre). C’est un passage en force au niveau national qui a finalement permis l’obtention dudit label…
Des traditions toujours vivaces…
La plantation de la vigne évolue au fil des générations. Autrefois, on plantait « en foule » selon les obstacles et déclivités du terrain. Peu à peu s’impose la plantation parfaitement alignée grâce à l’installation d’échalas (piquets en châtaigniers) qui, en accompagnant les ceps de vigne, donnent des rangées régulières alliant l’esthétique à la commodité de l’exploitation. Le modernisme arrive tout d’abord par la technique du treuil, mécanisme installé en bout de rangées qui permet de tracter, grâce à l’enroulement d’un câble, divers outillages dans les intervalles entre les rangées. Cette technique lourde et fastidieuse est supplantée par l’avènement du tracteur à chenille dit « chenillard » qui facilite les déplacements. La largeur du tracteur impose des normes d’espacement entre les rangées. La technique ancestrale des échalas en bois est alors remplacée par le palissage sur poteaux métalliques qui permettent de tendre les fils de fer ; les rangées sont ainsi bien rectilignes et régulièrement espacées.
Dans le Vallon de Marcillac, on pratique toujours la technique de la taille en couronne dite « taille Guyot ». Les échalas puis les poteaux métalliques sont plantés en soutien du cep afin de faciliter le liage du bois long laissé lors de la taille et cintré en couronne. La partie basse de la couronne doit être distante du sol de la hauteur d’une bouteille pour éviter le contact des grappes avec la terre ; le bois doit se terminer vers le haut pour éviter la progression de la sève.
Actuellement, la vigne de Marcillac est travaillée de deux manières : en arpents classiques (parallèles ou perpendiculaires à la pente) , et en terrasses plantées en suivant les courbes de niveau.
Dans les vignes on construisait des cabanes avec une toiture équipée pour la récupération des eaux de pluie indispensables au traitement de la vigne. Cette eau était stockée dans une citerne proche, souvent accolée à la cabane, parfois souterraine. Autrefois, souvent le dimanche, le vigneron laissait la place à son propriétaire, la plupart du temps un bourgeois de Rodez, qui profitait du repas dominical pour inviter famille ou amis dans la cabane. On y dégustait lapins, lièvres rencontrés « par hasard » au détour d’une terrasse de la vigne ou sinon de la viande de chèvre.
Un avenir encourageant
Au XXe siècle, deux générations de vignerons assurent l’avenir du vin de Marcillac : les innovateurs autour de la Cave du Vallon dans les années 1960 puis les continuateurs arrivés dans les années 1980. Ces derniers se professionnalisent et construisent leurs propres chais de vinification. Actuellement, le vignoble se transmet aux enfants du pays et aussi à d’autres venus d’ailleurs. Par ailleurs, deux confréries permettent de maintenir les traditions du Vallon de Marcillac, les cultures locales, une entraide fraternelle et la promotion des vins : Echansonnerie de la Saint-Bourou à Marcillac et les Chevaliers de la dive bouteille à Bruéjouls (Commune de Clairvaux d’Aveyron).
La culture de la vigne devient de plus en plus délicate en raison des aléas climatiques : sècheresse, pluie, grêle, gelées tardives (en 2021, 26 degrés au mois de février et moins 7 degrés au mois de mai) … Mais le vin de Marcillac bénéficie de plusieurs atouts : sa production, trop limitée pour attirer les investisseurs visant le référencement dans les grandes centrales d’achat, augmente néanmoins et sa qualité s’améliore : les consommateurs apprécient de plus en plus ce vin de mono cépage à l’arôme si particulier. La vente qui se limitait autrefois à la région de production s’étend aujourd’hui à la France entière voire à l’étranger même lointain (Etats Unis, Japon…).
Isabelle Mazenc, novembre 2021