A peine arrivés à Paris au mitan des années quatre-vingt-dix, Michel Sivignon et son épouse Michèle (un seul prénom pour deux) sont invités au Café géo. Nous venons d’ouvrir la saison avec Yves Lacoste, Roger Brunet, Jean-Pierre Raison, Chantal Blanc-Pamard et Hervé Rakoto Ramiarantsoa et… très vite, Michel Sivignon nous parle de la Grèce, pays qu’il connaissait intimement pour y avoir fait sa thèse sur la Thessalie à la charnière des années 1960-1970, des Balkans, de l’Albanie… Dans les archives du Clermontois André Fel, nous retrouvons cette photo prise en Thessalie lors d’un voyage en 1992 : « Michel Sivignon, notre pâtre grec ».
Au Café géo, nous avons été d’emblée séduits par cette voix de basse, profonde. Michel parlait toujours posément, non sans une certaine solennité pour imprimer son récit, avec un geste de main droite qui est souvent celui des enseignants aimant montrer un lieu sur une carte. Michel était un sage qui faisait prendre de la hauteur à tous les débats. Sans avoir d’avis sur tout et renvoyant souvent aux collègues « qui en savent plus que moi », Michel avait toujours un point de vue en surplomb, sans négliger les détails « qui parlent ». Amoureux de la controverse et du débat, Michel semblait avoir élu la Grèce aussi pour son apport démocratique à la civilisation occidentale.
Les Cafés géo ont une dette incommensurable envers lui. Il est le premier universitaire qui a pris la mesure de ce qui s’y passait. Avec Michel, nous avions trouvé un ancêtre : le géographe allemand Friedrich Ratzel (1844-1904) réunissant ses étudiants à Leipzig au café (peut-être là où Bach jouait sa célèbre cantate ?) après les cours pour refaire le monde. Avec Pierre Gentelle notre autre mentor du CNRS, Michel avait aimé qu’on put lui offrir un espace où discuter librement, loin des chapelles et leurs querelles, des idées qui germaient dans les laboratoires de recherche et qu’il fallait tamiser par le débat démocratique. Michel a ouvert son carnet d’adresses à ses collègues, ses étudiants, ses amis, géographes ou non, pour les inviter au Café.
Hors de son travail universitaire, Michel cultivait de nombreuses passions qu’il aimait partager. Celle de l’étymologie et, surtout, du dessin, avec l’Aixois Roland Courtot qui vaut aux Cafés géo une rubrique étonnante, éclairante par son évidence à montrer ce qui se révèle aux géographes par le crayon et la gomme, puis l’aquarelle jusqu’à l’image satellitale : « Le dessin du géographe ». Déjà cent contributions d’amateurs sollicités entre les articles de Michel et Roland (près des deux tiers des articles à eux deux) constituent une mine dont on pense qu’elle fournira un jour le matériau d’une thèse. Des explorations en tous sens : la déesse grecque Eugée, la frontière du rio Grande, l’affichiste R. Broders, le dessin colonial du Maroc…
La deuxième passion partagée avec Michèle, était le symposion, mot grec qui fait référence aux nourritures et aux repas. Michel fut le premier à proposer en 1999 un « repas géo » dans un restaurant grec du XIVe arrondissement. On découvrit avec lui qu’une carte de restaurant vaut parfois carte de géographie. Que chaque mets, que l’ordonnancement des plats, que le boire, que les toasts et les gestes les plus banals et les moins évidents hors de leur culture font géographie. Grâce à cette aventure, un enseignement sur l’alimentation a germé à l’université où des jeunes et moins jeunes étudient pour comprendre quelle alimentation le changement climatique va faire naître. On peut entendre Michel et ses amis, chanter au cours du banquet qui a marqué les dix ans de l’association.
La troisième passion partagée, ce sont les voyages. Ceux qu’il a accompagnés ou, plus nombreux encore, initiés, notamment en Asie centrale avec un mémorable café géo nomade sur les routes même de la Soie. Ceux qu’il a suscités en Charolais d’où était originaire sa famille, en Grèce, dans le Pélion, à Argalasti où il avait pied depuis ses années de thèse. Nombreux sont ses amis, ses étudiants qui firent le pèlerinage au bord de la mer, non loin de Volos, et goûtèrent le spetzofai, la fasolada, le kefalotyri, le tiropsomo, sans oublier le célèbre thé des montagnes (tsai tou vounou). Michel savait partager la saveur d’un lieu qui infusait alors en ceux qui l’écoutaient.
Michel avait tant de talents qu’on ne fera pas injure à ceux qui l’ont connu de vouloir les évoquer tous. Il a donné à tous le modèle d’une vie lumineuse, exigeante, rayonnante jusque dans ses plus infimes attentions aux autres. Après plusieurs décennies à l’université, il s’est consacré pendant vingt-cinq ans au rayonnement des Cafés géo. Un maître de la transmission.
Michel, notre ami, tu seras toujours des nôtres, avec ta curiosité insatiable et ta bienveillance qui nous donnent du courage devant les défis qui nous attendent.
Gilles Fumey, Olivier Milhaud, Daniel Oster, avril 2024
Αντίο και ευχαριστώ για όλα
Michel était venu en 1967 donner deux conférences sur la Grèce à Besançon alors que j’étais en licence de Géo, j’ignorais alors que le virus de la Grèce me contaminerait dès l’été 1968 et que je ne m’en guérirais jamais.
Quel bonheur et honneur à chaque fois que je l’ai ensuite croisé ici ou là…Le Pélion et Argalasti dévastés par le medicane pleurent son départ, ce Pélion que nous aimons tant nous aussi mon épouse et moi, thessaliotes d’adoption.
στο καλό
Bonjour, je découvre ce matin votre chaleureux message qui me touche beaucoup. Je ne connais ni votre nom ni votre adresse. J’aimerais faire votre connaissance. Puisque vous êtes en quelque sorte pilioritique passez me voir.
Nous avons été frappés , en septembre dernier, Michel et moi par le fameux Medicane Daniel qui a ravagé notre région. Nous y étions.
La consultation du site des cafés géo m’apprend une nouvelle d’une grande tristesse : Michel Sivignon a entrepris son voyage vers les divinités grecques sans doute.
Je partage le contenu de l’hommage qui lui est rendu.
Et bien sur une pensée particulière pour Michèle.
Gérard Vilain