Dessin du géographe n°54

Entre 1898 et 1900, la mission Foureau –Lamy  a traversé le Sahara de Alger à Fort Lamy à travers le Hoggar, le Ténéré, l’Aïr, le Sahel du Kanem  jusqu’au lac Tchad. Son rapport, publié en 1903, est riche d’observations sur le parcours, l’orographie, le climat, la géologie, l’ethnographie des régions traversées. Les documents sont illustrés de cartes précises réalisées par Foureau et les officiers géographes de l’expédition à travers le désert et le long du fleuve Chari.

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Fig. 1 : Carte de la mission, planche 1 de l’atlas
Source: Jubilothèque

Fig.2 : planche 4 de l’atlas (détail) http://jubilotheque.upmc.fr/ead.html?id=GC_000020_003&c=GC_000020_003_e0000036&qid=sdx_q14#!{"content":["GC_000020_003_page5",false,"sdx_q14"]}

Fig.2 : planche 4 de l’atlas (détail)
Source: Jubilothèque

Au souci d’exploration du Sahara, s’ajoute la mission de « pacification » militaire. Il s’agit d’une troupe de 270 soldats et composée de 350 hommes et 1200 chameaux commandée par le commandant Lamy. La colonne a rejoint sur les rives du Lac Tchad les troupes du commandant Gentil  venues du Congo, afin de réaliser la liaison stratégique pour la politique impériale française  entre l’Afrique du Nord et l’Afrique équatoriale.

Fernand Foureau,  géographe élève d’Henri Duveyrier, a mené plusieurs missions d’exploration dans le sud algérien entre 1886 et 1896 en vue d’un projet de chemin de fer transsaharien.  Il a coordonné les observations de ses collègues  à travers le Hoggar, les Tassili, le Ténéré, l’Aïr jusqu’à Agades (où l’expédition est restée 3 mois pour se reposer et prendre le contrôle de la région,  enfin Zinder où les objectifs militaires sont devenus majeurs face au Bornou rebelle. C’est dans ce secteur que le commandant Lamy a été tué dans une embuscade.

Fig. 3 : Documents scientifiques de la Mission Saharienne (mission Foureau-Lamy 1898-1900). Atlas : 16 planches en couleurs contenant l'itinéraire général de la mission entre Ouargla et Bangui à l'échelle de 1/400.000e avec un levé détaillé du cours du Chari aux basses eaux, entre Fort-Lamy et Fort-Archambault, à l'échelle du 1/100.000e / dressé par le capitaine Verlet-Hanus d'après les travaux effectués sur le terrain par F. Fourreau et par les officiers de l'escorte militaire / par F. Foureau . Masson, Paris

Fig. 3 : Documents scientifiques de la Mission Saharienne (mission Foureau-Lamy 1898-1900). Atlas : 16 planches en couleurs contenant l’itinéraire général de la mission entre Ouargla et Bangui à l’échelle de 1/400.000e avec un levé détaillé du cours du Chari aux basses eaux, entre Fort-Lamy et Fort-Archambault, à l’échelle du 1/100.000e / dressé par le capitaine Verlet-Hanus d’après les travaux effectués sur le terrain par F. Fourreau et par les officiers de l’escorte militaire / par F. Foureau . Masson, Paris

 

Référence pour les 3 volumes du rapport : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2001996

Références pour les 16 planches de l’atlas :

http://jubilotheque.upmc.fr/fonds-geolreg/GC_000020_003/document.pdf?name=GC_000020_003_1_pdf.pdf

http://jubilotheque.upmc.fr/fonds-geolreg/GC_000020_003/document.pdf?name=GC_000020_003_2_pdf.pdf

http://jubilotheque.upmc.fr/fonds-geolreg/GC_000020_003/document.pdf?name=GC_000020_003_3_pdf.pdf

La carte de reconnaissance et le paysage

Les cartes présentent une bande  figurant des relevés précis de la topographie avec le tracé de la route suivie, des noms de lieux, les points d’eau. Levées au 1/400 000ème par les officiers du service cartographique, elles donnent des positions exactes, montrent le relief par des courbes de niveau figuratives. Il y a peu de place pour l’incertitude, le carroyage précise les coordonnées relevées par les officiers.  Au-delà du champ de vue, c’est le blanc. Car la cartographie se limite aux paysages traversés. Dans les secteurs montagneux, des reconnaissances dans les vallées adjacentes permettent d’élargir l’espace  de la carte. Les croquis de paysage, reproduits par la gravure en taille douce, illustrent les lieux remarquables du parcours, à côté de la bande cartographiée.

L’originalité du recueil de cartes publiées par la Société de Géographie en 1903 tient donc dans les croquis qui encadrent l’itinéraire. Ce sont des points de repères qui jalonnent le parcours. Ce sont aussi des sites remarquables : points d’eau, sites habités,  palmeraies,  sites élevés et passages stratégiques. Ils expriment les changements de paysages autour des grands ergs, des massifs montagneux comme sur les marges sahéliennes. Dans la planche I le dessinateur va jusqu’à représenter les « effets de mirage dans les gassis » (couloirs au milieu des dunes) ou comment l’image d’une grande dune isolée (un ghourd) est optiquement déformée par la température de l’air

Fig.4 :planche I de l’atlas Source: Jubilothèque

Fig.4 :planche I de l’atlas
Source: Jubilothèque

Les voyages d’explorations  ont rapporté des récits, des croquis et des cartes parfois approximatives qui ont nourri la géographie des 18ème et 19ème siècles. Elles ont publié leurs moissons scientifiques  dans des  rapports complets associant les observations et les croquis explicatifs pour l’inventaire des faunes et des flores, la caractérisation du climat et du relief mais aussi des enquêtes auprès des populations autochtones amicales ou hostiles.

C’est le cas de la mission Foureau, qui publie un atlas constitué de 16 planches cartographique et  deux volumes de comptes rendus scientifiques illustrés de photographies tramées. Le tome 1 est consacré aux observations astronomiques et météorologiques, à l’orographie, hydrographie et botanique, le tome 2 aborde la géologie, pétrographie et la paléontologie, mais aussi une esquisse ethnographique, un aperçu commercial et des conclusions économiques.

Le document ne suit pas le découpage de la géographie universitaire naissante, mais plutôt propose un état des lieux du terrain à contrôler, puis les enjeux socio-économiques d’une mise en valeur coloniale.

 

Le dessin et la  photographie

A la fin du 19ème siècle, l’utilisation de la photographie témoigne du souci de reportage précis, exempt d’exagération graphique. Mais les appareils de prise de vue sont lourds, la prise de vue est lente et demande de la lumière, la conservation des clichés difficile sous des climats chauds.

La présentation de l’ouvrage indique qu’une partie des croquis de paysages ont été dessinés ou redessinés d’après photographies. D’autres croquis offrent des points de vue panoramiques et des lignes de crêtes topographiques.

Les clichés pris par Fernand Foureau, au cours de la mission permettent de confronter les images. ([619 phot. de la Mission saharienne Foureau-Lamy, 1898-1900 : Sahara algérien, Niger. Enregistré en 1933 à la  BNF, ref : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b77024151)

Les photographies (format 10x15cm) sont souvent surexposées et les tirages  peu contrastés montrent que les conditions de prise de vue et de développement des clichés au milieu du désert n’étaient pas aisées. Cependant le choix des scènes confère à la photographie un rôle tout à fait différent de celui de la carte et du croquis. Il s’agit de plans présentant la progression de la colonne, les campements et la vie des compagnies de tirailleurs. La nécessité de poser l’appareil sur un pied privilégie donc les temps statiques de la vie militaire : officiers passant en revue la troupe, l’entrainement et la manœuvre, les points d’eau et le repos des hommes et des bêtes. Viennent ensuite des paysages, champs de dunes  défilés dans les plateaux, rebord de hamada, oasis, palmeraies au pied de chaos de boules. Enfin une partie des clichés ont un caractère ethnographique, campements touareg, villages du sahel, femmes apportant l’eau.

Quelques exemples : 3 dessins de la planche I de l’atlas

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Photo 26 Source: Gallica

Photo 26
Source: Gallica

 

Les grandes dunes de l’erg d’Oghourd, au sud d’Ouargla.

Les grandes dunes de l’erg d’Oghourd, au sud d’Ouargla.

Le dessin montre l’agencement des dunes vers ce grand empilement de sable. Il fait apparaitre la steppe à petits buissons dans les creux interdunaires. En revanche la photographie détaille l’avant plan avec les petites rides de sable, des touffes éparses. Les ombres soulignent la dissymétrie des édifices dunaires.

Photo 51 Source: Gallica

Photo 51
Source: Gallica

La mare d’Aïn Taïba, à 11 jours de marche au sud d’Ouargla.

La mare d’Aïn Taïba, à 11 jours de marche au sud d’Ouargla.

La photo montre les  dromadaires de l’expédition au repos autour de la mare.

Le croquis exprime des raides autour de la cuvette circulaire, et les bouquets de végétation disséminés dans les vallonnements. Par contre, la haute dune de l’arrière-plan est dessinée comme une bosse sans caractère. C‘est le site du point d’eau lui-même qui fixe le croquis.

photo 127 Source: Gallica

photo 127
Source: Gallica

 

timassanine

Une vue prise devant un angle des murs du village montre la petite palmeraie le détail de la maçonnerie de terre, la disposition des arbres dans les jardins. Une silhouette donne vie à cet endroit perdu. Le croquis restitue une vue d’ensemble de l’enceinte, le marabout  et quelques maisons basses. Un arrière-plan esquisse les montagnes qui dominent ce petit oasis, mais estompe complètement la steppe qui couvre les surfaces autour du village.

Le croquis s’avère un élément important de la carte de reconnaissance.  A défaut de levers exhaustifs  des vastes régions  traversées, l’atlas de F. Foureau décrit par le dessin les paysages marquants de son itinéraire : les étapes, les points de repères, les sites stratégiques au détour d’une vallée. Les dessins sont des croquis de repérage. Retravaillés par le graveur, ils soulignent les éléments caractéristiques qui jalonnent le parcours. Le trait fait apparaître quelques détails qui permettront un repérage immédiat par le voyageur. La perspective sépare les plans et met en valeur les objets remarquables du paysage, tandis que la photographie dans les conditions de l’époque ne fait guère apparaître les arrières plans.

On trouve ainsi dans ces dessins une sorte de commentaire de la carte, moins comme des explications que comme des guides de repérage.

Au tournant du XXème siècle, le dessin de paysage reste un objet important pour la connaissance géographique. Les techniques de reproduction par la gravure permettent alors une diffusion moins couteuse que l’impression de photographies. De tels croquis ont bercé l’imaginaire exotique des récits d’exploration, ils ont illustré les romans de Jules Vernes, ils ont nourrit les planches des ouvrages scolaires. Ils demeurent un outil essentiel de connaissance et de reconnaissance.

Charles Le Coeur