Les ouvrages traitant de géopolitique ont grand succès en ce moment auprès des éditeurs et des lecteurs qui y cherchent sans doute des clefs de compréhension aux complexités de notre monde. La mer y occupe une place considérable et même première pour Cyrille Poirier-Coutansais, directeur de recherches au Centre d’Etudes stratégiques de la Marine (CESM). Le titre de sa conférence est sans ambiguÏté, La mer au cœur de la géopolitique. Il va justifier cette affirmation sur le temps long et faire le point sur la situation de l’Europe aujourd’hui.

Que recouvre cette expression « géopolitique de la mer » ?

Aujourd’hui, avoir la maitrise des mers, c’est avoir la maitrise des flux (marchandises, énergie, données numériques…), la maitrise des ressources (halieutiques, énergétiques…), la maitrise des espaces (par exemple les abords d’un port) et de l’espace (pour s’y repérer).

La mer au cœur de la géopolitique : une histoire ancienne

A l’appui de sa thèse Cyrille Poirier-Coutansais donne plusieurs exemples choisis depuis l’ Antiquité.

Si les cités grecques sont victorieuses du puissant Empire perse, c’est grâce à leur maitrise de l’espace marin comme en témoigne la bataille de Salamine en 480 avant notre ère.

Deux siècles plus tard, l’épopée d’Hannibal a laissé   le souvenir de soldats et d’éléphants épuisés par la traversée des Alpes avant d’affronter les Romains en Italie. Pourquoi le chef carthaginois a-t-il dû contourner la Méditerranée par la péninsule Ibérique ? Parce que les Romains avait la maitrise de la mer.

 Le roman national a gardé de la guerre de Cent Ans la mémoire de nombreuses batailles terrestres. Pourtant son sort s’est joué en mer. Après la victoire de ses troupes à la bataille de l’Ecluse (1340), Edouard III peut débarquer sur le continent où il veut.

Lors de la guerre de Trente Ans (1618-1648), Richelieu comprend qu’il lui faut la maitrise des mers contre les Espagnols. Il dote la France de ports permanents, de 40 vaisseaux et de 30 galères. Cette flotte lui donne le contrôle de la Méditerranée occidentale et de quelques positions aux Antilles.

On n’est pas une puissance maritime grâce à ses atouts naturels, on le devient par volonté.

Les Anglais ont longtemps cherché à assouvir leurs ambitions terriennes en luttant contre les Français. Leur échec les a conduits à se tourner vers la mer.

Le Portugal de la Renaissance, un petit pays d’un million d’habitants, pouvait se fixer des objectifs de conquêtes terrestres ou maritimes. Le choix du maritime l’a amené à être les premier à contourner l’Afrique et à construire un empire commercial dans l’océan Indien.

La France a été une puissance maritime par intermittence. Cela a été le cas sous François Ier qui a initié les premières expéditions vers le Canada. Au contraire Louis XIV, en provoquant par ses attaques l’alliance de la Hollande avec l’Angleterre, a fait régresser les ambitions maritimes françaises.

Quelle place occupent aujourd’hui les Etats européens dans la maitrise des mers ?

Depuis la Renaissance le domaine maritime était l’affaire des puissances européennes. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les « géants des mers » sont des Etats asiatiques. En premier lieu, la Chine, largement devant l’Inde.

Le pays de Xi Jinping possède 60% de la flotte mondiale de commerce. Il est au premier rang pour les ressources de pêche et le premier acteur de l’éolien en mer alors que cette technique est née en Europe. Il est donc présent dans tous les secteurs de la puissance maritime.

Comment expliquer ce déclin européen ?

Maitres des mers lorsque l’économie maritime était fille de la Révolution industrielle, les Etats européens ont décroché depuis que celle-ci est fondée sur les données numériques. Pourtant, les Européens ont de fortes capacités d’innovation dans tous les domaines (aquaculture, robotique…). Mais il faudrait que les start up qui les promeuvent aient les capacités de grandir en puissance. Elles ont besoin d’attirer des capitaux privés et n’ont pas besoin de subventions mais de commandes d’Etat. Les Européens ont encore une capacité de choix, mais pour un temps limité. La situation est inquiétante, il faut « retrouver l’esprit grec ».

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En réponse aux questions, Cyrille Poirier-Coutansais est amené à préciser certains points.

Première remarque de bon sens : pour générer des flux maritimes, il faut avoir des produits à exporter. Cela implique, pour plusieurs pays européens, le besoin de se réindustrialiser.

Il faut à tout prix protéger les cables sous-marins. Prenons l’exemple de pays européens voisins comme le Danemark et la Norvège qui pratiquent des échanges d’électricité (la production danoise provient de l’éolien maritime alors que la production norvégienne est d’origine hydraulique). La coupure des cables électriques sous-marins serait dramatique pour les deux pays.

L’UE fait peut-être preuve de naïveté en ouvrant au monde entier la plate-forme de données maritimes qu’elle a constituée (cartographie des fonds marins, courants…). Il faut décider avec qui partager ces données.

 

Michèle Vignaux, octobre 2025