Les 5 et 6 février 2016, a eu lieu la septième édition des journées européennes du Livre russe sur le thème de « la province. » Les tables rondes, les rencontres avec les auteurs, le salon du livre se sont déroulés à la mairie du Vème arrondissement ou au lycée Henri IV. D’autres lieux y étaient associés comme le CRSC, la BULAC, le Studio-Théâtre de Charenton, la bibliothèque Tourgueniev et le cinéma Le Grand Action. Ce fut l’occasion de parcourir la province russe en compagnie de nombreux écrivains russes et russophones mais aussi avec des écrivains français dont les œuvres se déroulent en Russie ou y sont rattachés. Par « province », il semble que l’on entende ici la nature, la campagne, les étendues immenses mais ce n’est pas sûr. De quoi interpeller l’auditeur géographe ! Le fil conducteur a été celui d’une littérature qui, des grands écrivains russes du XIXème siècle à aujourd‘hui sans oublier ceux de la période soviétique, a exploré ces thèmes. Ces journées ont aussi été l’occasion d’aller à la rencontre de la littérature des peuples autochtones de Sibérie.
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La nature comme consolation de l’homme moderne
Une table ronde réunit Jana Grishina, spécialiste de l’écrivain Mikhaïl Prichvine, Mikhaïl Tarkovski, écrivain et scénariste, neveu du réalisateur André Tarkovski et Vassili Golovanov qui se nomme lui-même « géographe métaphysique » et qui voit son livre « Eloge des voyages insensés » comme un manifeste géopoétique.
Cette table ronde a pour traductrice Odile Melnik-Ardin et pour modérateur Yves Gauthier, auteur pour qui les terres inconnues et la Sibérie occupent une très grande place.
1-La Russie, c’est la nature, la littérature et la foi orthodoxe ? Yves Gauthier reprend ici une des phrases du film de Mikhaïl Tarkovski, Le temps gelé.
Mikhaïl Tarkovski qui s’est installé en Sibérie en 1981 se considère comme un écrivain-chasseur. Il explique que, jeune homme, il a fait comme beaucoup de jeunes Russes qui avaient l’habitude de partir vers les endroits les plus sauvages. C’est ce que l’on appelait « partir en expédition » Il cherchait les beautés de la taïga et il a trouvé beaucoup plus : sa maison. Pour répondre à la question d’Yves Gauthier, il précise qu’en Russie, il n’y a pas de hiérarchie entre ces trois termes. Tout va ensemble. Simplement chaque homme a une activité essentielle et pour lui c’est la littérature. Le chemin de la plume passe par la hache, un outil de paysan.
Jana Grishina précise que M. Prichvine n’est pas un chantre de la nature même si c’est comme cela qu’on le définissait du temps de l’URSS. Il ne s’intéresse pas à la description des beautés de nature mais c’est à travers la nature qu’il entre dans le monde de la littérature.
2-La Sibérie, une destination choisie et non subie ?
M. Tarkovski dit ne pas avoir choisi de venir dans son village. « Peu à peu, j’y suis venu, j’ai regardé et j’ai essayé d’y rester. » Comme toujours dans la vie, où les pas se suivent…. Il y a beaucoup de Tarkovski en Russie. Dans les villages, on voit s’installer des gens des villes venus de différentes régions russes. Parfois ils représentent plus de la moitié de la population du village.
Vassili Golovanov a participé à trois expéditions dans la toundra très éloignée. Ce fut pour lui une tentative, comme s’il partait dans l’espace. Son livre « Eloge des voyages insensés » a pour décor l’île de Kolgouïev au sud-est de la mer de Barentz. Il dit ne pas vouloir y retourner car tout a changé. Son jeune guide, par exemple est devenu directeur de la ferme d’Etat. Kolgouïev a été pour lui un très bel endroit pour la méditation. La structure du roman fonctionne par étapes. « On avançait dans la toundra avec un gros sac à dos et c’est comme cela que le roman est construit. » Les hommes, aujourd’hui, selon Golovanov ont du mal à puiser leurs forces dans la nature à cause de la vitesse. Ce sont des êtres orgueilleux qui s’habituent à un monde artificiel. Golovanov fait référence à sa rencontre avec un chamane de l’Altaï pour qui tout ce qui est vivant ne fait qu’un mais avec des rythmes différents. Il est en empathie avec cette approche, il pense que l’homme devrait avoir conscience d’être un petit élément d’un tout. C’est comme cela qu’il trouverait dans la nature une consolation.
3-La course à l’espace, moteur de l’histoire russe ?
Pour Mikhaïl Tarkovski, un des principes de vie, un des moteurs de la vie, c’est la course à l’espace. Aller de plus en plus loin en Sibérie, atteindre la boucle d’une rivière, se demander ce qu’il y a plus loin, c’est le moteur de la Russie qui se construit.
Yves Gauthier : « Serait-ce alors la fin de l’Histoire russe ? »
« Non, ce que je ressentais c’était le sentiment d’un jeune homme qui découvre la vie. » Quand toutes les sottises de la jeunesse se terminent, alors tout commence. On découvre alors qu’il n’y a pas de réponse à la question « Qu’est-ce qu’il y a plus loin ? ». Pour un écrivain russe, le plus important ce sont ses relations avec la Russie. Il fait référence à la forte impression qu’il a eue en étant sur une île russe à l’est de Sakhaline, au bout du bout de son pays. De là, il semble que Hokkaido s’intercale entre l’île russe où on se trouve et les côtes de la Russie continentale. S’intéresser uniquement à l’espace est une impasse. Il faut s’intéresser aux gens que l’on rencontre et se demander si on est prêt à les comprendre.
Jana Grishina précise que Prichvine s’est lui aussi rendu compte que le voyage à travers l’espace n’est qu’une étape et qu’ensuite on peut rester au même endroit.
4-L’homme doit lutter contre la nature ?
Yves Gauthier fait réagir à un petit essai de Gorki
Vassili Golovanov indique que cet essai de Gorki a été écrit en son temps et à sa place. Pour lui, en 2016, la nature domine maintenant cette lutte. L’homme devient plus faible. C’est la facture qu’il doit payer.
M. Tarkovski pose la question de la définition du mot « nature ». Pour lui c’est ce qui aide l’homme à mieux se connaître et à mieux connaître les autres. Pour lui et parce qu’il est orthodoxe, la nature punit l’homme car il a trahi les dix commandements. L’homme s’est trahi lui-même. Il tient à insister sur la dépendance de l’homme à l’égard de la nature dans le grand Nord russe. Tant qu’on ne l’a pas ressenti soi-même, on ne peut comprendre. Les récits des autres ne servent à rien. Les phénomènes naturels sont très forts (le froid, les distances…). Dans le monde russe, dans ces endroits, une sensation païenne se mélange avec l’orthodoxie dans la conscience de l’homme. On ne peut rien faire contre cela, c’est notre Histoire. Il n’y a pas de contradiction. Nous rassemblons de manière harmonieuse le temps et l’espace.
B- La Province : état des lieux trente ans après l’URSS
Table ronde avec les écrivains russes Roman Setchine et Sergueï Chargounov, et avec Irène Sokologorsky comme modératrice.
Roman Setchine est né en 1971 dans la république de Touva au sud de la Sibérie centrale. Il a fait ses études dans l’ex-Leningrad. Parti au service militaire en 1989 et revenu en 1991, il se retrouve dans un pays qu’il ne reconnaît pas et va exercer de très nombreux métiers. En 1993, sa famille s’installe à Krasnoïarsk. De 1996 à 2001 il reprend ses études et suit un cursus littéraire. Il est considéré comme un représentant du nouveau réalisme russe. On l’accuse parfois de russophobie.
Sergueï Chargounov est né en 1980 à Moscou. Ecrivain, poète et ancien numéro trois de la liste fédérale du parti Russie juste lors des élections législatives à la Douma en 2007. Il décrit la réalité, et il est représentatif de sa génération.
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La province ou l’élan de l’écriture :
Au milieu des années 1980, les romans de Aïtmatov, Astafiev et Raspoutine dénoncent avec une force particulière la dégradation de la société soviétique. Que pensez- vous de ces trois romans prémonitoires (les « 3P »)?
Pour Chargounov, c’est une prose qui dit adieu à un monde qui disparaît. L’essentiel n’est pas le lieu ou le siècle mais les thèmes de l’amour, la conscience, la souffrance et la compassion. Les thèmes du village, du quotidien des mœurs, de l’immensité et de la nature sont très importants dans cette prose de village, il y a toujours une grande tragédie. En 2016, des milliers d’auteurs continuent à écrire sur le thème du village. Vingt mille villages ont disparu de la carte. Dans cette situation douloureuse, la littérature est dynamique. Par son thème, ce salon illustre l’élan de l’écriture de la province.
Pour R. Setchine, la Russie est provinciale par nature. L’âme russe vit et s’éteint dans la littérature. Les années 1990- 2000 ont été des années de faillite de la littérature russe. Les écrivains racontaient l’urbain, faisaient des jeux de mots, tombaient dans le rationnel. L’avant-garde et le post-modernisme ont leurs racines en province. C’est la province qui réagit le plus vivement aux changements qu’ils soient politiques ou littéraires. On publie beaucoup de revues, de livres maintenant en Russie. Il y a beaucoup d’auteurs et les plus connus viennent de toutes les régions.
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La remise en question du village ?
R. Setchine : Dans les romans de Raspoutine personne n’est ensauvagé, personne n’a perdu ses repères. La province connaît la croissance et la chute. Après 1993, les paysans ont été démotivés. Pour la première fois, le paysan était livré à lui-même. Beaucoup de villages sont morts. Ces derniers temps, on a un débat sur la nécessité ou non de ces villages pour la Russie. Vaut-il mieux de gros villages, des petites villes ? L’Etat a du mal à remplir ses fonctions car les petits villages sont parfois très éloignés les uns des autres (100-200 km).
S. Chargounov : Chez Soljenitsine, le village compte toujours un juste. Cette idée est préservée dans la conscience et la littérature russe. Les années 90 ont été très dures pour les villages et les villes industrielles russes. On a détruit les sovkhozes et les kolkhozes sans les remplacer. Les petites villes et certains villages commencent à sortir la tête de l’eau. Les résidences secondaires se développent. Ce sont les petites villes (20 à 30 000 habitants) qui prospèrent.
3- Qu’est- ce que la province ?
Irène Sokologorski précise qu’en amont de ces journées un questionnaire a été envoyé aux auteurs. Pour Mikhaïl Tarkovski, la Russie c’est la Russie sans Moscou. Selon lui, Saint-Pétersbourg s’inscrit dans la réalité russe alors que Moscou est une ville internationale calquée sur l’étranger.
Pour R. Setchine : la grande ville écrase l’individu.
S. Chargounov aurait aimé naître en province, là où naît la grande littérature. Plusieurs villes sont en compétition pour être la « capitale ». Elles se battent pour être la plus russe, la plus patriotique. Certaines, comme Nijni Novgorod, au contraire, revendiquent de ne pas être « capitale.»
Le thème majeur dans notre pays est « comment arranger les choses en Russie » ? Le pays est immense mais partout il y a le même type d’hommes.
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La nature et les peuples autochtones de Sibérie
Table ronde avec les écrivains Tatiana Moldanova, Erémeï Aïpine et Aïsen Doïdou. Emilie Maj, éditrice chez Boréalia et ethnologue de formation est modératrice.
Tatiana Moldanova et Erémeï Aïpine sont nés respectivement en 1951 et en 1948 dans le district des Khantys-Mansis en Sibérie occidentale. Il y a un peu plus de 28 000 Khantys et un peu plus de 11 000 Mansis. Aïsen Doïdou est Iakoute, il est né en Sibérie orientale.
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« La nature, c’est un autre membre de notre famille » (Eremeï Aîpine)
Erémeï Aïpine est issu de la partie méridionale des Khantys-Mansis, là où les hydrocarbures sont déjà largement exploités. Pour lui, la déclaration de Madeleine Albright partant du principe que les richesses naturelles de la Sibérie devraient appartenir à toute l’humanité a fait grand bruit auprès des peuples autochtones. La nature est le héros de ses livres.
Tatiana Moldanova vient de la partie septentrionale du district où l’exploitation du pétrole ne fait que commencer. Ses beaux- parents sont éleveurs de rennes et ils ne comprennent pas que la terre va être exploitée. Pour eux c’est une terre qui leur appartiendra toujours et qui est un être vivant. Les gens les plus âgés supportent mal qu’on vive en ville. Comment comprendre que la terre soit couverte d’asphalte, comment pourrait-elle respirer ?
Aïsen Douïdou : nous ne sommes pas éloignés des animaux. Il est regrettable que nos enfants soient allés vivre en ville qui est un lieu artificiel. La Yakoutie a une superficie équivalente à six fois la France. Les peuples aborigènes sont ma maille d’une chaîne qui unit le monde de la nature et le monde urbain moderne. Il ne faut pas seulement préserver la culture et la langue mais apprendre à vivre en harmonie avec la nature.
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La mission de l’écrivain en ce qui concerne la nature :
Tatiana Moldanova : Quand le père rentre après une longue journée à la pêche, il raconte et c’est visualisable. Quand il va à la chasse, il raconte comment repérer la trace du renard mais aussi ce qu’il faut savoir pour réussir. Quand on s’éloigne de chez nous et que l’on revient c’est comme si on avait une autre paire d’yeux, une autre paire d’oreilles. L’écrivain doit comprendre et faire comprendre ce que ressent la personne qui passe d’une culture à l’autre. Il doit dire comment on comprend la nature quand on s’éloigne et quand on revient. L’éloignement c’est comme si on avait les yeux et les oreilles fermés.
Les éléments de la nature qui inspirent le plus Erémeï Aîpine sont la glace, la neige. Les premières neiges ont une pureté éblouissante. Partout on recherche cette pureté, cette blancheur. Il y a aussi le soleil qui se lève. Sa mère lui disait que les rayons du soleil étaient les enfants de la mère soleil et qu’ils étaient venus pour jouer avec lui.
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Une langue pour parler de la nature :
La langue yakoute est versifiée et favorise l’improvisation. L’essentiel est dans le son et non dans le sens. Les ondes sonores sont dans le sang des humains. On personnifie les objets. On croit aux esprits. L’écriture est arrivée avec les missionnaires vers 1850. Ils ont cherché un alphabet pour les Yakoutes et ont d’abord traduit la Bible. Avant il existait une littérature traditionnelle orale et un récit épique. Ce que l’on sous-entendait par culture à l’époque soviétique n’était pas la vraie culture. A l’époque soviétique, ils ont tout déraciné, y compris la relation peuple/nature. Les chamanes ont été mis en prison et exécutés
Tatiana Moldanova : quand on passe en langue russe, on commence à perdre le sentiment de nature. Pour le mot « neige » on dispose de très nombreux termes. Inversement, dans notre langue, il y a des mots russes qui n’existent pas, le mot « champ » par exemple.
Ces peuples ont préservé malgré tout une certaine continuité dans la relation avec la nature et la spiritualité. Ils font renaître la spiritualité qui avait été anéantie. Aujourd’hui, il existe une loi pour préserver les lieux sacrés. Les jeunes générations ont malheureusement bien souvent rompu leurs liens avec la nature.
- Les peuples de Sibérie entre acculturation, industrialisation et réappropriation de soi :
Table ronde avec les trois écrivains autochtones de la partie précédente. Anne-Victoire Charrin, spécialiste des littératures et cultures des peuples de Sibérie et d’Extrême-Orient russe est modératrice.
Préambule par Anne-Victoire Charrin : il y a eu une forte soviétisation des esprits de tous les peuples. Dans le Grand Nord, il y avait vingt Kultbas avec une instruction communiste, des instituteurs et des écoles d’internat. Les enfants étaient emmenés de force loin de la toundra ou de la taïga. Le chamanisme étaient interdit. On leur a retiré leurs terres et développé des kolkhozes. On leur a pris les rennes que l’on a donnés aux kolkhozes.
La langue maternelle de Tatiana Moldanova est le khanti. Elle a appris le russe à l’école d’internat. Elle a fait des études supérieures de maths et de physique à Léningrad. Son père était chef comptable du sovkhoze et sa mère secrétaire du parti. Elle est devenue ingénieur puis elle a repris le chemin du pays khanti. Elle enseigne maintenant la culture khanti à l’Université.
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L’acculturation
Tatiana Moldanova revient sur les récits de sa grand-mère qui ont bouleversé son enfance. Elle et sa grand-mère ont dû porter le poids de ce passé. Enfant, elle vivait avec sa grand-mère dans une petite maison au milieu de la forêt. En 1933, sa famille ayant participé aux protestations contre le pouvoir soviétique, il y a eu des répercussions sur tous ses membres. Les hommes ont été emmenés et sa grand-mère a perdu ses enfants les uns après les autres. Cinq sont morts. Les armes, les vêtements ont été confisqués par les rouges. Les pères, humiliés, ne parlaient jamais de cela. Tatiana et les autres enfants aussi étaient humiliés. On les traitait d’ « enfants dégénérés de chamanes. »
Pour Erémeï Aïpine, c’est une tragédie surtout si le peuple est minoritaire. Il y a eu des soulèvements pour préserver la terre mais surtout pour défendre la « culture », la préservation des lieux de culte. E. Aïpine a écrit « La mère de Dieu dans les neiges de sang » à propos du soulèvement des Khantis du Kazyn contre le pouvoir soviétique à l’hiver 1933-34.
Aïsen Douïdou a écrit une pièce de théâtre « Abel et Caïn ». Caïn fait fi de la période soviétique, veut un monde d’argent. Abel veut retrouver la Grande Yakoutie liée à la nature et qui donne sa place au cheval.
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L’industrialisation :
Erémeï Aïpine est une grande figure du monde autochtone de la Sibérie. Il prend une part active à la vie publique en défendant la cause autochtone à la Douma et à l’ONU. Il est le deuxième président de l’Association des peuples minoritaires du Nord, de la Sibérie et de l’Extrême-Orient. Dans sa région d’origine, Il y a une grande activité extractive mais l’industrie ne fait que commencer. Il pense qu’il faut tenter de respecter un équilibre car on ne peut se passer du pétrole. On a créé plus de 500 territoires réservés aux familles qui ont une référence juridique à l’échelle fédérale.
Pour Tatiana Moldanova, les gens du pétrole oublient que les autochtones sont des êtres humains. Elle explique qu’elle s’est elle-même très bien intégrée à la civilisation mais que ses amis disparaissaient, se suicidaient. Elle fait dire à une de ses héroïnes qu’il est impossible de vivre loin des gens qui lui ressemblent. Elle a ainsi décidé de rejoindre les siens. Le pays bouillonne et les autochtones suivent des voies très différentes. Les îlots de vie prospère sont ceux où on élève des rennes. « On a donc décidé de montrer nos vraies racines aux enfants. Vingt-trois ans après mon retour nous avons la première génération qui respecte notre identité tout en étant très adaptée à la vie moderne. Nous avons maintenant une pléiade de formations permettant de réapprendre sa langue et le retour aux institutions traditionnelles. »
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La réappropriation de soi :
Aïssen Douïdou pense qu’on peut continuer l’extraction mais il faut que la technologie respecte l’écologie et on le fait déjà. Il voit une future « Grande Sibérie » de par ses richesses mais aussi de par sa culture. Les 500 000 Yakoutes restent très forts spirituellement parlant.
Erémeï Aïpine reste optimiste malgré les catastrophes du passé. Il évoque une Commission spéciale qui permet de rechercher des solutions aux éventuels conflits d’intérêt et une loi qui préserve les langues minoritaires. Parmi les jeunes, ceux qui ont le droit d’utiliser les terres familiales ont tendance à revenir ; les autres, non.
Tatiana Moldanova qui enseigne à l’université estime que la moitié des jeunes a adopté la civilisation moderne. Ceux qui ne parlent pas la langue khanti en souffrent ; ceux qui la parlent se croient supérieurs.
Anne-Victoire Charrin apporte quelques précisions : dans les villages, il y a des écoles nationales en langue nationale. En ville, l’école est bilingue russe / langue nationale. Le bilinguisme est très répandu. On apprend en plus l’anglais et on commence aussi à apprendre le français.
Ces journées ont permis de découvrir la nouvelle génération des auteurs russes qui, en ce début de XXIème siècle, revisitent leurs racines paysannes. Seraient-ils à la recherche de leur identité ? La présence à une même table-ronde de trois représentants de la littérature des peuples autochtones de Sibérie a été présentée comme un événement. Héritiers des années trente ces trois écrivains ont montré que leurs peuples avaient pris une part active dans le choc de deux mondes s’ingéniant à préserver leur identité autant que leurs terres. A première vue il n’y aurait rien de commun entre la littérature slave russe et celle des peuples autochtones. A cette question, Mikhaïl Tarkovski donne une des réponses possibles « Ce que nous avons en commun, c’est une nature dure et merveilleuse qui inspire et insuffle la création, qui est source des forces et de l’inspiration qui unissent ces différents peuples. »
Claudie Chantre, février 2016